Afin de comprendre les conflits au Sahel, Bernard Lugan propose un cours vidéo de 2 heures et illustré de nombreuses cartes.
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vendredi 28 juin 2019
jeudi 20 juin 2019
Peul contre Dogon et Bambara : une plaie ethnique ancienne surinfectée par le jihadisme contemporain
Dans
le sud du Mali, dans le nord et dans l’est du Burkina Faso, les massacres se
multiplient depuis plusieurs semaines. Vouloir les expliquer par le jihadisme
contemporain est une vue de l’esprit car leur arrière-plan est à la fois
ethno-historique et inscrit dans la longue durée.
Nous
sommes en réalité en présence de la résurgence de conflits datant de la fin du
XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle. La région fut alors dévastée et
conquise par des éleveurs peul dont l’impérialisme s’abritait derrière le
paravent religieux. Il y eut alors trois
jihad peul. Celui d’Ousmane dan Fodio
débuta en 1804 et il dévasta le pays Haoussa ; celui de Seku Ahmadou
ravagea le Macina à partir de 1818. Quant à celui d’El-Hadj Omar, il s’étendit
à toute la région de la boucle du Niger ainsi qu’au Macina à partir de 1852.
Partout les sédentaires furent razziés pour
être réduits en esclavage. Au Mali, les principales victimes furent les Bambara
et les Dogon. Au Burkina Faso, dans le Gourma, la constitution de l’émirat peul
du Liptako se fit par l’ethnocide des Gourmantché et des Kurumba (le numéro de
juillet 2019 de l’Afrique Réelle
contiendra un dossier consacré à la question du Gourma-Liptako et à la région
dite des « Trois frontières » Pour profiter de l'abonnement spécial 10 ans du blog (36 numéros au lieu de 12), cliquer ici.
Les actuels affrontements, notamment ceux
opposant Peul et Dogon, tirent directement leur origine de ces épisodes ignorés
ou lointains pour les Européens, mais totalement présents dans la mémoire
locale.
A partir de 1893, la
colonisation établit la paix et les
Dogon redescendirent peu à peu des falaises dans lesquelles ils s’étaient
réfugiés pour se réinstaller dans la plaine occupée par les Peul. Or, depuis
deux ou trois décennies, en raison, de l’essor démographique et de la
péjoration climatique, la cohabitation entre les deux peuples est de plus en
plus difficile. D’où de très nombreux affrontements avec constitution de
milices ethniques d’auto-défense. Avec opportunisme, les jihadistes ont infiltré
les milices peul. Résultat, les Dogon pensent revivre le retour du jihad qui, au XIXe siècle les chassa de
leur terre.
Dans les immensités sahéliennes, domaine du temps long, l’affirmation
d’un islamisme radical est d’abord le paravent d’intérêts économiques ou
politiques à base ethnique. Mais, pour le comprendre, encore faut-il connaître
l’ethno-histoire régionale. C’est pourquoi j’ai écrit
« Les Guerres du Sahel des origines à nos jours », un livre
spécialement consacré à cette question. En commande ici.
lundi 3 juin 2019
samedi 1 juin 2019
L'Afrique Réelle n°114 - Juin 2019
Sommaire
Actualité :
La question des eaux du Nil
Dossier : Libye
- Les deux Libye
- L’offensive du général Haftar (2017-2019)
- Sud libyen-nord Tchad : nouveau point chaud
Débat :
Quelle démocratie pour l'Afrique ?
Editorial de Bernard Lugan :
L’ethnie, rempart face au jihadisme ?
Dans la BSS (Bande Saharo-Sahélienne) où le jihadisme prospère sur les fractures ethno-raciales, seul le temps long permet de comprendre la complexité de la situation et d’en saisir les véritables enjeux.
Avant la colonisation, les pasteurs saharo-sahéliens (Maures, Touareg, Peul, Toubou, Zaghawa etc.), razziaient les sédentaires sudistes. Après avoir imposé une parenthèse de paix, les colonisateurs se retirèrent et le temps long africain reprit son cours. Avec une nouveauté cependant puisque les anciens prédateurs et les anciennes victimes étaient désormais rassemblés à l’intérieur de frontières artificielles.
Dans ces cadres étatiques plaqués sur les réalités locales, les anciennes fractures furent aggravées par l’ethno-mathématique électorale qui donna le pouvoir aux sudistes puisqu’ils étaient plus nombreux que les nordistes. Dès les années 1960, refusant cette situation nouvelle, ces derniers se soulevèrent et éclatèrent alors les révoltes des Touareg à l’ouest et celles des Toubou-Zaghawa à l’est[1].
Nous sommes là à l’origine des évènements qui ensanglantent actuellement la BSS et que Barkhane n’est évidemment pas en mesure de résoudre.
A supposer que nos forces réussissent à éliminer les jihadistes, la question des rapports entre nordistes et sudistes ne serait en effet pas réglée pour autant puisque le jihadisme n’est ici que la surinfection d’une plaie ethno-raciale millénaire.
Or, cette réalité explique à la fois le succès des jihadistes et l’échec de leur tentative de création d’un califat transnational et transethnique. Pour survivre ou se développer, ils ont en effet été contraints de prendre appui sur certaines ethnies ou tribus.
Ce faisant, ils se sont isolés des autres car ils ont réveillé chez les anciennes victimes les souvenirs des exactions d’avant la colonisation « libératrice ». Quand ils prennent pied dans une région, les jihadistes créent certes un nouveau foyer, mais ils réactivent en même temps les anciennes chaines défensives, les antiques solidarités ethniques. Voilà qui explique les évènements du Macina, du Liptako ou encore du Gourma.
Le cas des Dogon est emblématique. Ce n’est pas par choix qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle, se repliant devant la poussée des cavaliers peul musulmans, leurs ancêtres abandonnèrent les plaines fertiles pour se retrancher dans les falaises ingrates de Bandiagara où ils furent harcelés et assiégés par les chasseurs d’esclaves (voir à ce sujet le numéro du mois d’avril 2019 de l’Afrique Réelle). Aujourd’hui, face à la dilution de l’Etat malien et à l’impuissance de son armée[2], les Dogon sont de nouveau contraints d’assurer leur défense contre le jihadisme porté par certains groupes peul…comme aux XVIIIe-XIXe siècles…
La leçon doit être retenue car le jihadisme va pousser vers le golfe du Bénin, la région guinéenne et la Côte d’Ivoire où, au fur et à mesure de son expansion, vont se réveiller les fronts ethniques d’avant la colonisation. Comme actuellement dans la région de Jos au centre du Nigeria. Comme ce sera alors sur les ethnies que s’organisera la résistance, nos Armées doivent donc dès à présent reprendre à leur compte la célèbre phrase de Kipling : « Le loup afghan se chasse avec le lévrier d’Afghanistan ». Mais encore faudrait-il que de véritables enseignements africanistes soient dispensés à l’ESM de Coëtquidan et à l’Ecole de Guerre.
[1] Cette problématique constitue la colonne vertébrale de mon livre : « Les Guerres du Sahel des origines à nos jours ».
[2] Pour mémoire, durant le seul mois de mai 2019, l’armée nigérienne a perdu 30 morts dans la région de Tillabéry et l’armée malienne plus d’une dizaine dans la région de Mopti.
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