jeudi 30 décembre 2021

samedi 18 décembre 2021

Les causes de l’échec politique de la France au Sahel

Au Sahel, dix ans après l’accueil triomphal fait aux forces françaises, et après que 52 des meilleurs enfants de France soient tombés pour défendre des Maliens préférant émigrer en France plutôt que se battre pour leur pays, les manifestations anti-françaises se succèdent. Les convois militaires circulent désormais sous les insultes, les crachats et les jets de pierre. Sur l’axe routier partant de la Côte d’Ivoire, la situation devient à ce point difficile que la question du ravitaillement de Barkhane commence à se poser. Fin novembre 2021, au Niger, après la mort de plusieurs manifestants qui avaient bloqué un convoi militaire français, le gouvernement nigérien a mis en accusation Barkhane… La stratégie française de redéploiement au Niger des forces jusque-là stationnées au Mali va donc relever de l’équilibrisme…

La situation régionale est à ce point dégradée que, par crainte de manifestations, le président Macron vient de renoncer à se rendre sur place afin d’y rencontrer les responsables régionaux. Peut-être se rendra-t-il uniquement sur une emprise militaire pour fêter Noël avec une unité française.

Pourquoi un tel désastre politique? Après nous être auto-chassés de Centrafrique par l’accumulation de nos erreurs, allons-nous donc connaître un nouvel et humiliant échec, mais dans la BSS cette fois ?

Comme je ne cesse de le dire et de l’écrire depuis des années, et comme je le démontre dans mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours, les décideurs français, ont dès le départ fait une fausse analyse en voyant le conflit régional à travers le prisme de l’islamisme. Or, la réalité est différente car l’islamisme est d’abord la surinfection de plaies ethno-raciales millénaires qu’aucune intervention militaire n’est en mesure de refermer.

Au nord, il s’agit de la résurgence d’une fracture inscrite dans la nuit des temps, d’une guerre ethno-historico-économico-politique menée depuis 1963 par les Touareg. Ici, la solution du problème est détenue par Iyad Ag Ghali, chef historique des précédentes rebellions touareg. Depuis 2012, je n’ai cessé de dire qu’il fallait nous entendre avec ce chef Ifora avec lequel nous avions des contacts, des intérêts communs, et dont le combat est d’abord identitaire. Or, par idéologie, par refus de prendre en compte les constantes ethniques séculaires, ceux qui définissent la politique africaine française ont considéré tout au contraire qu’il était l’homme à abattre… Le président Macron a même plusieurs fois ordonné aux forces de Barkhane de l’éliminer et cela, jusqu’à dernièrement, au moment où les autorités de Bamako, négociaient directement avec lui une paix régionale…Déjà, le 10 novembre 2020, Bag Ag Moussa, son lieutenant, avait été tué par une frappe aérienne.

Le conflit du sud (Macina, Liptako, région dite des « Trois frontières » nord et est du Burkina Faso), a lui aussi des racines ethno-historiques résultant de la confrontation séculaire entre Peul et diverses populations sédentaires. A la différence du nord, deux guerres très différentes s’y déroulent. L’une est l’émanation de larges fractions Peul conjoncturellement regroupées sous le drapeau d’AQMI (Al-Quaïda pour le Maghreb islamique). L’autre est effectivement d’abord religieuse et elle est menée par l’Etat islamique l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara). L’EIGS a pour objectif la création dans toute la BSS (Bande sahélo-saharienne), d’un vaste califat trans-ethnique remplaçant et englobant les actuels Etats. Tout au contraire, les chefs régionaux d’AQMI qui sont des ethno-islamistes, ont des objectifs d’abord locaux et ils ne prônent pas la destruction des Etats sahéliens.

Avec un minimum d’intelligence tactique, en jouant sur les rapports de force régionaux et ethniques, la question du nord Mali pouvait être rapidement réglée, ce qui aurait permis un rapide désengagement permettant d’opérer la concentration de nos moyens sur la région des « 3 frontières », donc contre l’EIGS[1]. Or, à l’inverse de ce que préconisaient les chefs militaires de Barkhane, Paris s’obstina dans une stratégie « à l’américaine », « tapant » indistinctement les GAT (Groupes armées terroristes), et refusant toute approche « fine »… « à la Française »...comme nos anciens l’avaient si bien réussi en Indochine et en Algérie. Le fond du problème est que, pour les dirigeants français, la question ethnique est secondaire ou même artificielle, quand elle ne relève pas, selon eux, du romantisme colonial...
 
Le dernier et caricatural exemple de l’aveuglement idéologique, fut la réaction de Paris face au coup d’Etat du colonel Assimi Goïta qui s’est produit au Mali au mois d’août 2020. Au nom de la démocratie, de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit, notions relevant ici du surréalisme politique, la France a coupé les ponts avec l’ancien commandant des Forces spéciales maliennes dont la prise de pouvoir était pourtant une chance pour la paix. Ayant par ses fonctions une juste appréciation des réalités du terrain, ce Minianka, branche minoritaire du grand ensemble sénoufo, n’avait en effet de contentieux historico-ethnique, ni avec les Touareg, ni avec les Peul, les deux peuples à l’origine des deux conflits du Mali. Il ouvrit donc des négociations avec Iyad Ag Ghali, ce qui ulcéra les décideurs parisiens. Englués dans leurs a priori idéologiques, ces derniers ne prirent pas la mesure du changement de contexte qui venait de s’opérer, et ils continuèrent à parler de refus de « négocier avec le terrorisme ». Prenant pour prétexte ce coup d’Etat, Emmanuel Macron décida de replier Barkhane, ce qui fut compris comme un abandon. Et, pour achever le tout, Bamako ayant demandé l’aide de la Russie, la France menaça, ce qui fut dénoncé comme étant du néo-colonialisme….

Reposant sur un refus obstiné de prise en compte des réalités du terrain, cette accumulation d’erreurs a donc conduit à une impasse. Désormais, la question est de savoir comment en sortir sans danger pour nos forces. Et sans que notre départ ouvre la porte à un génocide qui nous serait reproché. Pour mémoire, au Rwanda, c’est parce que l’armée française s’était retirée qu’il y eut génocide, car, si les forces du général Kagamé n’avaient pas exigé leur départ, ce génocide n’aurait en effet pas eu lieu.

Quatre grandes leçons doivent être tirées de ce nouvel et cuisant échec politique africain :

1) L’urgente priorité étant de savoir ce que nous faisons dans la BSS, il nous faut donc définir enfin, et très rapidement, nos intérêts stratégiques actuels et à long terme afin de savoir si oui ou non, nous devons nous désengager, et si oui, à quel niveau, et sans perdre la face.

2) A l’avenir, nous ne devrons plus intervenir systématiquement et directement au profit d’armées locales que nous formons inlassablement et en vain depuis la décennie 1960 et qui, à l’exception de celle du Sénégal et de la garde présidentielle tchadienne, sont incompétentes. Et si elles le sont, c’est pour une simple raison qui est que les Etats étant artificiels, aucun véritable sentiment patriotique n’y existe.

3) Il faudra privilégier les interventions indirectes ou les actions rapides et ponctuelles menées à partir de navires, ce qui supprimerait l’inconvénient d’emprises terrestres perçues localement comme une insupportable présence néocoloniale. Une redéfinition et une montée en puissance de nos moyens maritimes projetables serait alors nécessaire.

4) Enfin et d’abord, nous devrons laisser l’ordre naturel africain se dérouler. Cela implique que nos intellectuels comprennent enfin que les anciens dominants n’accepteront jamais que, par le jeu de l’ethno-mathématique électorale, et uniquement parce qu’ils sont plus nombreux qu’eux, leurs anciens sujets ou tributaires soient maintenant leurs maîtres. Cela choque les conceptions éthérées de la philosophie politique occidentale, mais telle est pourtant la réalité africaine.
 
Depuis plus d’un demi-siècle, en Afrique, l’obsession occidentale des droits de l’homme conduit aux massacres, l’impératif démocratique provoque la guerre et les élections débouchent sur le chaos. 

Plus que jamais, il importe donc de méditer cette profonde réflexion que le Gouverneur général de l’AOF fit en 1953 : « Moins d’élections et plus d’ethnographie, et tout le monde y trouvera son compte »… En un mot, le retour au réel et le renoncement aux nuées.

[1] L’on pourra à ce sujet se reporter à mon communiqué en date du 24 octobre 2020 intitulé « Mali : le changement de paradigme s’impose ».

mercredi 1 décembre 2021

L'Afrique Réelle n°144 - Décembre 2021

























Sommaire
  
Actualité
  
- Afrique du Sud : Analyse des élections municipales du mois de novembre 2021
Algérie-Maroc : La dangereuse fuite en avant de l’Algérie
- Ethiopie : La guerre du Tigré et les menaces du démembrement de l’Ethiopie


Editorial de Bernard Lugan

Dans ce dernier numéro de l’année 2021, trois dossiers d’actualité sont traités.
1) En Afrique du Sud, les élections municipales qui se sont déroulées le lundi 1er novembre 2021 ont marqué à la fois la fin de la domination absolue de l’ANC sur la scène politique du pays, et l’émergence de nouvelles forces ethniques ou catégorielles. Certes, l’ANC reste le premier parti,  mais son déclin s’accélère car il passe de quasiment 70% des voix en 2011 à 46% en 2021. 
Le parti de Nelson Mandela paie le prix de ses prévarications, de sa gestion calamiteuse, de son incapacité à assurer la sécurité, et des luttes internes entre ses factions affairistes, clientélistes, ethniques et racialistes. 
2) Entre l’Algérie et le Maroc, la crise s’exacerbe chaque jour un peu plus sur fond de course aux armements. 
Alors que le Maroc se tient sur la réserve, l’Algérie souffle sur le feu. Après avoir unilatéralement rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc, puis après avoir interdit son espace aérien aux avions civils marocains et mis un terme au projet de gazoduc à destination de l’Espagne transitant par le Maroc, le discours guerrier algérien est encore monté d’un niveau après la destruction de deux camions algériens par un drone marocain. 
Que cherche donc Alger en jouant aussi dangereusement avec le feu ?
 La réponse est claire : l’Algérie est économiquement en faillite et politiquement au bord du précipice avec une jeunesse qui n’a plus qu’un seul espoir, la migration vers l’Europe… Quant à l’armée dont 30 généraux sont ou ont été emprisonnés, elle est divisée en clans qui se haïssent. 
Le « Système » est donc aux abois et c’est pour retarder l’inévitable implosion qu’il s’est engagé dans une fuite en avant nationaliste qui lui sert de stratégie de survie. 
3) En Ethiopie, en raison des apparentements ethniques transfrontaliers, la guerre qui oppose actuellement l’armée éthiopienne aux sécessionnistes du Tigré, rejoints par plusieurs forces ethniques opposées au gouvernement central est une menace gravissime pour la stabilité de toute la Corne. 
Le fond du problème, et les abonnés à l’Afrique Réelle le savent, est que les Tigréens qui sont à l’origine de l’Ethiopie, et qui, en 1991 ont sauvé le pays, n’acceptent pas  l’ethno-mathématique électorale qui les condamne à se trouver sous la tutelle de leurs anciens vassaux au seul motif que ces derniers sont électoralement plus nombreux qu’eux. 
Comme partout ailleurs en Afrique, le système démocratique occidentalo-centré du « one man, one vote » a donc débouché sur le chaos. 
Un chaos amplifié par l’intransigeance guerrière du Premier ministre Abiy Ahmed… prix Nobel de la Paix 2019…

dimanche 14 novembre 2021

mercredi 10 novembre 2021

La Première Guerre mondiale ne s’est pas terminée le 11 novembre, mais le 25 novembre 1918, en Afrique orientale allemande

C’est en effet le 25 novembre 1918, soit 14 jours après la signature de l’Armistice du 11 novembre, que les derniers combattants allemands déposèrent les armes. Loin des fronts d’Europe, en Afrique orientale, où, commandés par le général Paul-Emil von Lettow-Vorbeck, ces irréductibles invaincus avaient résisté quatre ans durant à 300 000 Britanniques, Belges, Sud-africains et Portugais.
 
Au mois d’août 1914, à la déclaration de guerre, l‘Afrique orientale allemande (actuelle Tanzanie moins l’île de Zanzibar, plus le Burundi et le Rwanda), était défendue par la Schutztruppe composée de 216 officiers et sous-officiers allemands ainsi que de 2540 askaris africains. La mobilisation des réservistes, colons et fonctionnaires, porta le contingent à 2500 Allemands ultérieurement renforcés par les 322 marins du Königsberg et les 102 de la Môwe. Au plus fort de ses effectifs, von Lettow-Vorbeck disposa de 60 compagnies d'infanterie et de deux compagnies montées, chacune d'entre elles à effectif de 200 askaris, soit environ 3000 Allemands et 12 000 askaris.
 
Von Lettow-Vorbeck organisa le mouvement de sa troupe à partir de deux voies ferrées. L’une, au nord, le Nordbahn, courait le long de la frontière du Kenya ; l’autre le Zentralbahn, traversait toute la colonie, reliant l'océan Indien au lac Tanganyika sur lequel se déroulèrent de furieuses batailles navales. Dans un premier temps, ces deux voies ferrées  permirent aux Allemands de déplacer rapidement leurs compagnies, de faire face aux offensives ennemies, et de lancer des contre-attaques, notamment au Kenya, afin de couper la ligne ferroviaire anglaise reliant l’océan indien au lac Victoria.
Entre le Kilimandjaro et l'océan Indien, les Allemands eurent initialement l'avantage. Aussi, comme ils ne parvenaient pas à enrayer leur offensive, les Britanniques opérèrent un débarquement sur leurs arrières afin de contraindre von Lettow-Vorbeck à combattre sur deux fronts à la fois. Le 3 novembre 1914, à Tanga, dans l’extrême nord du territoire allemand, une flotte de 16 navires anglais mit ainsi à terre un corps de débarquement fort de 6500 hommes. Cependant, menée  par moins d’un millier d’Allemands, la contre-attaque fut foudroyante et le 5 novembre, les Britanniques rembarquèrent, abandonnant des centaines de prisonniers et une quantité considérable de matériel.
 
Dans la seconde moitié de l’année 1915, la disproportion des forces en faveur des Britanniques fut telle que la steppe du Serengeti devint indéfendable. Von Lettow-Vorbeck qui ne pouvait pas recevoir de renforts changea alors de tactique. Les coups de main ou les brutales et brèves contre-attaques remplacèrent les assauts frontaux, ce qui lui permit de harceler l'ennemi tout en évitant de s'épuiser contre ses énormes réserves. La guérilla d'Afrique-Orientale débuta alors pour ne s'achever qu'en novembre 1918.
 
Ayant face à lui des dizaines de milliers de Britanniques, de Sud-Africains, de Belges et bientôt de Portugais, von Lettow-Vorbeck retraita lentement vers le sud, d’une manière parfaitement organisée et contrôlée, tout en lançant de puissantes contre-attaques. Au mois de novembre 1917, il envahit le Mozambique portugais. Durant neuf mois, il y nomadisa, y enchaînant les victoires, dont celles de Ngomano et de Namacurra qui lui permirent de réapprovisionner et de rééquiper totalement la Schutztruppe en armement moderne.
 
Au mois de septembre 1918, menacé par une vaste offensive anglo-portugaise, il se déroba une nouvelle fois et retourna en territoire allemand, passant au travers des lignes alliées, laissant une fois de plus ses adversaires médusés. Comme l’écrivit le commandant en chef britannique « Il y a toujours trois routes ouvertes à l’ennemi et von Lettow-Vorbeck prend d’ordinaire la quatrième ».
 
A ce stade de la guerre, ayant laissé ses blessés et ses malades dans des hôpitaux de campagne, ayant renoncé à son ravitaillement et à son artillerie, avec 200 Allemands et 2000 askaris encore en état de combattre, il continua à livrer bataille, se payant même le luxe d’envahir la colonie britannique de Rhodésie. Certains de ses lieutenants lui proposèrent alors de traverser le continent jusqu’au Sud-Ouest africain occupé par l’armée sud-africaine… et de marcher sur l’Afrique du Sud pour y soulever les Boers qui attendaient leur revanche sur les Anglais… Mais, le 13 novembre 1918, par l’interception d’une estafette motocycliste anglaise, von Lettow-Vorbeck apprit qu’un armistice avait été signé en Europe.
Sur ordre de Berlin, il fut alors contraint de cesser le combat. Mais, comme pour lui, il n’était pas question de reddition ou de capitulation, il négocia pied à pied avec le commandement britannique auquel il déclara qu’il avait encore les moyens de combattre durant deux années. Les Britanniques acceptèrent ses conditions, à savoir une remise des armes et non une capitulation, les Honneurs militaires, le droit pour les officiers de conserver leurs armes, le non-internement et le rapatriement rapide en Allemagne. Quant aux askaris et aux porteurs, ils devaient être payés par les Britanniques et autorisés à retourner dans leurs foyers.
 
Finalement, le 25 novembre 1918 au matin, à Mbaala, dans la région d’Abercorn, en Rhodésie du Nord, l’actuelle Zambie, alors que l'armistice avait été signé 14 jours auparavant, une colonne allemande se rangea face à l'Union Jack hissé sur un mât de fortune. Derrière le Dr Schnee, gouverneur de l'Est africain allemand et le général von Lettow-Vorbeck, commandant en chef, 155 Allemands, officiers, sous-officiers, rappelés et volontaires, ainsi que 1156 askaris et 1598 porteurs se formèrent en carré face aux forces britanniques qui leur rendirent les Honneurs. Durant quatre années, conduits par un chef de guerre exceptionnel, ces survivants avaient résisté à 300.000 soldats britanniques, belges, sud-africains et portugais commandés par 130 généraux, après leur avoir tué 20.000 hommes et leur en avoir blessé 40.000.
 
Durant ces années, plusieurs fois atteint par les fièvres, quasiment laissé pour mort, von Lettow-Vorbeck ne s’était jamais découragé. Il avait reçu la croix de l’ordre « Pour le Mérite » le 18 août 1916, puis, en 1917 après sa grande victoire de Mahiwa, la « Croix pour le Mérite  avec Feuilles de Chêne ». Le 20 octobre 1918, dernier officier général promu par le Kaiser Guillaume II, il fut nommé général (GeneralMajor). Durant toute la campagne d’Afrique, une solide fraternité d’armes unit Allemands et askaris, ces derniers vouant une véritable dévotion à un chef qu’ils admiraient et auquel ils avaient donné le nom de Bwana mukubwa ya akili mingi  (le grand homme qui peut tout).
 
Rapatriés en Europe par les Britanniques, les survivants allemands de l’épopée de l’est africain ne tardèrent pas à écrire une autre page d’histoire, elle aussi peu connue. Le 2 mars 1919, acclamés par une foule en liesse, par la porte de Brandebourg et la Pariser Platz, ils firent une entrée triomphale à Berlin. A leur tête le général Paul von Lettow-Vorbeck se tenait à cheval coiffé de son célèbre chapeau colonial à bord redressé orné de la cocarde impériale.
Paul von Lettow-Vorbeck fut ensuite intégré comme Brigadier général dans la nouvelle armée allemande de 100.000 hommes. Le 1er juillet 1919, sur ordre du gouvernement, il écrasa le soulèvement communiste de Hambourg à la tête d’un corps de volontaires, le  « Lettow-Korps ». Ce même mois de juillet, il fut nommé Commandant de la 10° Brigade d’Infanterie. En 1920, il prit part au putsch Kapp-Luttwitz, et après son échec, le 15 mai 1920, il fut mis à la retraite sans solde, cependant que nombre de membres du « Lettow-Korps » partaient rejoindre les corps-francs du Baltikum.
Personnage légendaire, le général Paul-Emil von Lettow-Vorbeck devrait, aujourd’hui, être honoré en Allemagne. Mais le politiquement correct particulièrement virulent dans un pays littéralement étranglé par ses complexes existentiels, a fait qu’à Wuppertal, Brême, Cuxhaven, Mönchenglabad, Halle, Radolfzell et même à Graz, en Autriche, les rues portant son nom ont été débaptisées. En 2010, le conseil municipal de Sarrelouis, sa ville natale, avait fait de même avec l’avenue von Lettow-Vorbeck. Quant aux quatre casernes de la Bundeswehr qui, à Brême, à Bad Segeberg, à Hambourg-Jenfeld et à Leer, portaient son nom, elles furent débaptisées pour recevoir ceux de  déserteurs, de militants communistes ou anti-militaristes (!!!).  
Mais, loin des petitesses de la nouvelle Allemagne, là-bas, en Afrique, entre le Kilimandjaro et la Rovuma, de Tanga à Kigoma et de Tabora à Ruhengeri,  la grande ombre du Bwana mukubwa ya akili mingi, flotte encore dans les notes lointaines mais de plus en plus étouffées des fifres et des caisses plates… Heia Safari !
 
Cette épopée illustrée de très nombreuses cartes et photographies originales est racontée dans mon livre Heia Safari ! Général von Lettow-Vorbeck, du Kilimandjaro auxcombats de Berlin (1914-1920)

samedi 6 novembre 2021

Mali et Libye : « Moins d’élections, plus d’ethnographie, et tout le monde y trouvera son compte »

Un court communiqué de synthèse pour prendre date. Depuis 2011 dans le cas de la Libye, et depuis 2013 dans celui du Mali -voir l’historique des numéros de l’Afrique Réelle et mes communiqués-, ne travaillant que sur le seul réel, j’annonce ce qui va globalement se passer dans les deux pays. En toute humilité, les faits ont semblé me donner raison : 

1) Au Mali, nous sommes en présence de deux guerres, celle des Touareg au nord et celle des Peul au sud. Dans les deux cas, la question n’est pas d’abord religieuse car l’islamisme n’y est que la surinfection de plaies ethno-raciales millénaires. Au nord, la clé du problème est détenue par Iyad Ag Ghali, chef historique des précédentes rebellions touareg. Or, ce dernier est de longue date soutenu par l’Algérie, comme les récentes rencontres qu’il vient d’avoir avec les services algériens le confirment.

Depuis le début, ne fallait-il pas, comme je n’ai cessé de le proposer, nous entendre avec ce chef Ifora avec lequel nous avions des contacts, des intérêts communs, et dont le combat est identitaire avant d’être islamiste ? Par idéologie, par refus de prendre en compte les constantes ethniques séculaires, ceux qui font la politique africaine française ont considéré tout au contraire qu’il était l’homme à abattre…Tout récemment encore, le président Macron a une nouvelle fois ordonné aux forces de Barkhane de l’éliminer. Et cela au moment même où, sous parrainage algérien, les autorités de Bamako, négocient avec lui une paix régionale…

Le conflit du sud (Macina, Liptako et région dite des « Trois frontières »), a, lui aussi des racines ethno-historiques. Cependant, deux guerres s’y déroulent. L’une est l’émanation de larges fractions des Peul et son règlement se fera parallèlement à celui du nord, par une négociation globale. L’autre, à base religieuse, est menée par l’Etat islamique.

L’erreur française fut de globaliser la situation alors qu’il était impératif de la régionaliser. Ainsi :

1) Paris n’a pas voulu voir que l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara) et AQMI ( Al-Quaïda pour le Maghreb islamique)  ont des buts différents. L’EIGS qui est rattaché à Daech a pour objectif la création dans toute la BSS (Bande sahélo-saharienne), d’un vaste califat trans-ethnique remplaçant et englobant les actuels Etats. De son côté, AQMI étant l’émanation locale de larges fractions des deux grands peuples à l’origine du conflit, à savoir les Touareg au nord et les Peul au sud, ses chefs locaux, le Touareg Iyad Ag Ghali et le Peul Ahmadou Koufa, ont des objectifs d’abord locaux, et ils ne prônent pas la destruction des Etats sahéliens.

2) Paris n’a pas voulu voir que, le 3 juin 2020, la mort de l’Algérien Abdelmalek Droukdal, le chef d’Al-Quaïda pour toute l’Afrique du Nord et pour la BSS, tué par les forces françaises, changeait radicalement les données du problème. Son élimination donnait en effet leur autonomie au Touareg Iyad ag Ghali et au Peul Ahmadou Koufa. Après celles des « émirs algériens » qui avaient longtemps dirigé Al-Qaïda dans la BSS, celle d’Abdelmalek Droukdal marquait la fin d’une période, Al-Qaïda n’y étant désormais plus dirigé par des étrangers, par des « Arabes », mais par des « régionaux ». Or, ces chefs régionaux ont des buts ethno-régionaux ancrés sur une problématique millénaire dans le cas des Touareg, séculaire dans celui des Peul. Le manque de culture des dirigeants français leur a interdit de le voir. D’où l’impasse actuelle. Ils auraient pourtant pu méditer ce qu’écrivait en 1953 le Gouverneur général de l’AOF : « Moins d’élections et plus d’ethnographie, et tout le monde y trouvera son compte »…

Or, pour les dirigeants français, la question ethnique est  secondaire ou même artificielle. La « spécialiste » qui m’avait succédé à l’EMS de Saint-Cyr Coëtquidan après que j’en fus écarté, ne craignait ainsi pas de dire et d’écrire que l’approche ethnique est une « c…. ». Avec une telle formation hors sol, nos futurs chefs de section se virent donc contraints de préparer leur projection dans la BSS avec la lecture clandestine de mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours, un ouvrage précisément construit à partir des cours que je donnais à l’Ecole de Guerre et à l’EMS avant mon éviction…

2) En Libye où la question est d’abord tribale -et non ethnique-, et où la guerre insensée inspirée par BHL a abouti à l’éclatement des confédérations tribales, donc à l’anarchie, j’explique depuis le début que la solution passe par la  reconstruction du système politico-tribal jadis édifié par le colonel  Kadhafi. Je n’ai également jamais cessé de soutenir que le seul à pouvoir le reconstituer est Seif al-Islam Kadhafi, son fils. Pour une raison simple : par son père, il fait partie des alliances tribales de Tripolitaine, et par sa mère, de celles de Cyrénaïque. A travers lui, peut donc renaître l’engrenage tribal sur lequel repose toute la vie politique du pays. Tout le reste n’est qu’artificiel placage politique européo-centré. 

Selon certaines sources, Seif al-Islam Kadhafi, soutenu par le Conseil des tribus, envisage de se porter candidat aux prochaines élections. Où et quand pourrait-il annoncer sa candidature ? Depuis la Libye, ou depuis un pays du Maghreb ?

lundi 1 novembre 2021

L'Afrique Réelle n°143 - Novembre 2021



Sommaire

Algérie :
- Emmanuel Macron a-t-il eu raison de s’interroger sur l’existence de la nation algérienne avant 1830?
- A la recherche du fantôme de la « Nation » algérienne

Dossier : Par refus de voir la réalité ethnique, la France a été poussée hors du Mali
- L’islamisme n’est pas la cause profonde de la guerre
- La guerre du Mali a débuté en 1963
- Les 8 principales erreurs politiques françaises


Editorial de Bernard Lugan

Parenthèse au milieu d’une longue et insupportable litanie de repentance, Emmanuel Macron a jeté un gros pavé dans la mare des relations entre Paris et Alger. En s’interrogeant sur l’existence de la « nation algérienne » avant la conquête française de 1830, il a en effet frappé au cœur la fausse histoire de l’Algérie. Cette histoire reconstruite sur laquelle repose la « légitimité » des profiteurs de l’indépendance (voir à ce sujet mon livre Algérie, l’Histoire à l’endroit) qui, depuis 1962, mettent le pays en coupe réglée après avoir dilapidé l’incomparable héritage laissé par la France. 
Le président Macron n’est d’ailleurs pas le premier à poser la question de la réalité historique de l’Algérie. Ainsi Fehrat Abbas, le futur premier chef d’Etat algérien en 1962 qui avait déclaré au mois de février 1936 dans l’Entente franco-musulmane :
« L’Algérie en tant que Patrie est un mythe. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’Histoire ; j’ai interrogé les morts et les vivants ; j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé. » 
Dans sa conférence de presse du 16 septembre 1959, le général De Gaulle disait la même chose :
« Depuis que le monde est le monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le pays, sans qu’il y ait eu, à aucun moment, sous aucune forme, un Etat algérien ».

Au Mali, pourquoi, dix ans après avoir été applaudie, lors du déclenchement de l’Opération Serval, la France y est-elle désormais détestée ? Pourquoi une aide salvatrice dans laquelle elle a laissé 52 de ses meilleurs enfants et des dizaines de mutilés, s’est-elle transformée en entreprise « néo-coloniale » aux yeux des Maliens ? Pourquoi les dizaines de milliers de déserteurs maliens installés dans la région parisienne et qui laissent les militaires français se battre à leur place osent-ils critiquer la France ? Pourquoi un tel retournement de situation ? Pourquoi un tel échec politique ? 

La réponse est pourtant claire : par refus idéologique et dogmatique de prise en compte du réel ethnique au profit des éternelles nuées démocratiques. Si les dirigeants français avaient eu un minimum de culture, ils auraient pu méditer cette phrase écrite dans le rapport de 1953 du Gouverneur général de l’AOF, précisément au sujet des pays du Sahel :

« Moins d’élections et plus d’ethnographie, et tout le monde y trouvera son compte ».

Tout est dit dans cette phrase qui explique en quelques mots l’échec actuel de la France dont les dirigeants n’ont pas vu que nous n’étions pas face à une guerre religieuse, mais face à une guerre ethno-raciale millénaire dans laquelle les islamistes se sont insérés. Comme je ne cesse de le dire depuis le début de la guerre, dans toute la BSS, l’islamisme n’est en réalité que la surinfection d’une plaie ethnique historique. Mais encore faut-il ne pas refuser de le voir. Et là encore je dois renvoyer à mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours dans lequel cette problématique millénaire est longuement expliquée.

lundi 25 octobre 2021

Soudan : pourquoi le coup d’Etat ?

Par de-là les commentaires artificiels et hors sol des médias, les évènements  en cours au Soudan sont l’exacte répétition de ce qui s’est passé en Egypte entre 2011 et 2013.

En Egypte, laissant déferler la vague des « printemps arabes », l’armée a déposé le maréchal Moubarak, abandonnant en apparence le pouvoir aux civils. Pensant qu’il avait gagné, le président Morsi commit alors plusieurs fautes politiques sous le regard attentif de l’armée qui laissa le mouvement révolutionnaire se diviser. Puis, en 2013, face à l’exaspération de la population en raison des pénuries qui avaient été largement organisées par elle, l’armée reprit le pouvoir. A l’issue du « printemps arabe », la parenthèse civile refermée, le général al-Sissi avait donc succédé au maréchal Moubarak … (voir à ce sujet mon livre Histoire de l’Egypte des origines à nosjours).

Au Soudan, en 2019, l’armée fut à son tour face à une énorme contestation populaire. Ne voulant par affronter directement la foule, elle laissa cette dernière chasser du pouvoir le général  Omar el-Béchir. Mais, tout comme en Egypte, elle demeura maîtresse du jeu à travers la création d’un Conseil de Souveraineté présidé par le général al-Burhane et d’un gouvernement de transition composé pour moitié de militaires et de civils présidé par Abdallah Hamdok.

Comme en Egypte, l’armée laissa pourrir la situation tout en poussant la composante civile du gouvernement à la faute. Cela lui fut d’autant plus facile que le pays est en faillite depuis que l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 l’a privé d’environ 75% de ses recettes pétrolières. La dette nationale est colossale, les pénuries apocalyptiques et, pour ne rien arranger, le poumon du pays qui est Port-Soudan sur la mer Rouge, et qui est relié à Khartoum par une voie ferrée, véritable artère vitale du pays, est régulièrement bloqué par l’insurrection de l’ethnie des Bedja qui vit dans son arrière-pays.

Dans la nuit du 24 au 25 octobre, jugeant le moment favorable, et afin de sauvegarder les intérêts de l’armée, le général al-Burhane prit un pouvoir qu’il exerçait déjà largement à travers le Conseil de Souveraineté. Le moment était crucial car la composante civile de l’Etat menaçait doublement ses intérêts :

 - Economiquement car, comme en Egypte, ici, au Soudan, ce sont les forces armées qui sont les véritables acteurs économiques du pays.

- Judiciairement en raison des crimes commis lors de la guerre du Darfour. Crimes qui ont valu à l’ancien président Omar el-Béchir d’être inculpé par la Cour pénale internationale. Or, la composante civile du gouvernement a donné son accord à sa livraison à ce tribunal, ce que nombre de militaires ont perçu comme une insulte. Mais également comme une menace car tous les hauts officiers de l’armée soudanaise ont participé à ces terribles évènements.

La solidité de l’armée soudanaise est-elle à l’image de l’armée égyptienne ? Si oui, comme en Egypte, après le théâtre d’ombres civil, un général aura donc succédé à un général…

mardi 12 octobre 2021

17 octobre 1961 : un « massacre » imaginaire

Le 17 octobre prochain, comme chaque année, les autorités françaises, les islamo-gauchistes et le « Système » algérien vont commémorer un massacre qui n’a pas eu lieu…

Sur ce blog, ayant périodiquement à la même date déconstruit l’histoire officielle de ce prétendu « massacre », je me contenterai de renvoyer au chapitre IX intitulé « 17 octobre 1961, un massacre imaginaire » de mon livre « Algérie l’Histoire à l’endroit » en ajoutant ici quelques éléments essentiels à la compréhension du montage culpabilisateur qui nous est imposé :
 
1) La guerre d'indépendance algérienne se déroula également en métropole. Pour la période du 1er janvier 1956 au 23 janvier 1962, 10 223 attentats y furent ainsi commis par le FLN. Pour le seul département de la Seine, entre le 1er janvier 1956 et le 31 décembre 1962, 1433 Algériens opposés au FLN furent tués et 1726 autres blessés. Au total, de janvier 1955 au 1er juillet 1962, en Métropole, le FLN assassina 6000 Algériens et en blessa 9000 autres.
 
2) Face à ces actes de terrorisme visant à prendre le contrôle de la population algérienne vivant en France, le 5 octobre 1961, un couvre-feu fut imposé à cette dernière afin de gêner les communications des réseaux du FLN et l’acheminement des armes vers les dépôts clandestins.
 
3) En réaction, le 17 octobre 1961, le FLN décida de manifester afin de montrer sa force, et pour tenter d’achever sa prise de contrôle des Algériens vivant en métropole.
 
4) Assaillis de toutes parts, les 1658 hommes des forces de l’ordre rassemblés en urgence, et non les 7000 comme cela est trop souvent écrit, sont, sous la plume de militants auto-baptisés « historiens », accusés d’avoir massacré des centaines de manifestants, d’en avoir jeté des dizaines à la Seine et d’en avoir blessé 2300.
 
Or, cette version des évènements du 17 octobre 1961 à Paris relève de la légende et de la propagande. Tout repose en effet sur des chiffres inventés ou manipulés à l’époque par le FLN algérien et par ses alliés communistes. Jouant sur les dates, additionnant les morts antérieurs et postérieurs au 17 octobre, pour eux, tout Nord-Africain mort de mort violente durant le mois d’octobre 1961, est une victime de la « répression policière »… Même les morts par accident de la circulation comme nous le verrons plus loin !!!
 
Cette manipulation fut réduite à néant en 1998, quand le Premier ministre de l’époque, le socialiste Lionel Jospin, constitua une commission d’enquête. Présidée par le conseiller d’Etat Dieudonné Mandelkern, elle fut chargée de faire la lumière sur ce qui s’était réellement passé le 17 octobre 1961 à Paris. Fondé sur l’ouverture d’archives jusque-là fermées, le rapport remis par cette commission fit litière de la légende du prétendu « massacre » du 17 octobre 1961[1].
 
Le paragraphe 2.3.5 du Rapport intitulé Les victimes des manifestations est particulièrement éloquent car il parle de sept morts, tout en précisant qu’il n’y eut qu’un mort dans le périmètre de la manifestation, les six autres victimes n’ayant aucun lien avec cet évènement, ou ayant perdu la vie postérieurement à la dite manifestation dans des circonstances parfaitement détaillées dans le rapport.
 
Quel est donc l’état des connaissances aujourd’hui ?
 
- Le 17 octobre 1961 à Paris, il n’y eut qu’une seule victime dans le périmètre de la manifestation… et ce ne fut pas un Algérien, mais un Français nommé Guy Chevallier, tué vers 21h devant le cinéma REX, crâne fracassé. Par qui ? L’enquête semble attribuer cette mort à des coups de crosse de mousqueton.
 
- Le 17 octobre 1961, alors que se déroulait dans Paris un soi-disant « massacre » faisant des dizaines, voire des centaines de morts algériens, ni les hôpitaux parisiens, ni l’Institut Médico-Légal (la Morgue), n’enregistrèrent l’entrée de corps de « NA » (Nord-Africain dans la terminologie de l’époque). Ce qui ne veut naturellement pas dire qu’il n’y eut pas de blessés, mais mon analyse ne porte que sur les morts.
 
- A Puteaux, donc loin du périmètre de la manifestation, deux morts furent néanmoins relevés, or ils étaient étrangers à la manifestation. L’un d’entre eux deux, Abdelkader Déroues avait été tué par balle, quand le second, Lamara Achenoune, avait quant à lui été achevé par balle après avoir été étranglé.
 
- Le 18 octobre, à 04 heures du matin, le bilan qui parvint à Maurice Legay le directeur général de la police parisienne était donc de 3 morts, pour rappel, Guy Chevallier, Abdelkader Déroues et Lamara Achenoune. Nous sommes donc loin des dizaines ou des centaines de morts et de « noyés » auxquels la bien-pensance française rend annuellement hommage !!!
 
Conclusion : le seul mort algérien de la manifestation est donc un Français métropolitain…
 
Certes, postulent les accusateurs de la France, mais les cadavres des Algériens « massacrés » par la police furent reçus à l’IML, l’Institut Médico-Légal de Paris (la Morgue), les jours suivants.
 
Cette affirmation est également fausse. En effet, l’Annexe III du « Rapport Mandelkern » donne un décompte détaillé des 41 cadavres de Nord-Africains entrés à l’IML de Paris du 19 octobre au 4 novembre. Pour mémoire, le 17 octobre il n’y eut aucune entrée, et 2 le 18 octobre.
Sur ce nombre de 41 morts, 25, soit 13 corps identifiés et 12 corps non identifiés sont mentionnés sous la rubrique « Dossiers pour lesquels les informations disponibles sur la date de la mort ou ses circonstances ne permettent pas d’exclure tout rapport avec les manifestations des 17-20 octobre ». Ceci fait que les 16 autres morts n’ont rien à voir avec la manifestation du 17 octobre.
 
En ce qui concerne les 25 morts restants, notons immédiatement que le sous-titre de l’Annexe III est singulier car la manifestation dont il est question eut lieu le 17 octobre et non les 19 et 20 octobre. De plus, ce titre est trompeur car il laisse sous-entendre que ces 25 décès auraient donc pu être causés par la police française, chiffre d’ailleurs régulièrement et péremptoirement transformé en morts avérés par certains auteurs ou journalistes. Or :
 
1) Si ces derniers avaient pris la peine de lire le document en question dans son originalité et son intégralité, et non à travers ses recensions, ils auraient vu qu’en face de chaque corps est porté un numéro de dossier de la police judiciaire suivi de la précision suivante : « Indications relevées dans le dossier d’enquête de la police judiciaire ».
 
2) Or, grâce à ces « Indications relevées dans le dossier d’enquête de la police judiciaire », il apparait clairement que 17 de ces 25 défunts ont été tués par le FLN, la strangulation-égorgement, l’emploi d’armes blanches etc., n’étant pas d’usage dans la police française… D’autant plus que parmi ces 17 morts, quatre furent assassinés le 19 octobre, soit deux jours après le 17 octobre, à savoir un commerçant qui avait refusé de suivre la grève du 19 octobre décrétée par le FLN et deux autres ligotés et noyés par ce même FLN…
 
3) Cela interroge donc sur le placement de ces morts dans la rubrique « Dossiers pour lesquels les informations disponibles sur la date de la mort ou ses circonstances ne permettent pas d’exclure tout rapport avec les manifestations des 17-20 octobre ».
 
Voyons le détail de cette liste : 
 
Corps Identifiés :
 
- 6 furent tués par le FLN (strangulation, arme blanche, arme à feu)
- 2 décès sur la voie publique (troubles mentaux et alcoolisme)
- 1 décès par crise cardiaque le 21 octobre
- 1 décès par accident de la circulation
- 1 mort à l’hôpital Boucicaut des blessures reçues le 17 octobre.
- 2 morts dont les causes ne sont pas élucidées.
 
Corps non identifiés
 
- 7 tués par le FLN (1 arme blanche, 2 noyades, 1 noyade nu, 2 armes à feu, 1 strangulation)
- 1 mort de blessures à la tête. Blessures reçues le 17 octobre ? Nous l’ignorons.
- 1 mort des suites de blessures reçues Place Saint-Michel
- 3 morts dont les causes ne sont pas élucidées.
 
Conclusion, sur 25 morts « pour lesquels les informations disponibles sur la date de la mort ou ses circonstances ne permettent pas d’exclure tout rapport avec les manifestations des 17-20 octobre », la Morgue n’en a reçu que deux décédés très probablement des suites de blessures reçues le 17 octobre. Une interrogation demeure pour l’un d’entre eux, mais sans aucune certitude.
Soit 2 ou 3 morts des suites de leurs blessures, aucun n’ayant perdu la vie durant la manifestation[2] laquelle n’a donc comme il a été dit plus haut, connu qu’un seul mort, le Français Guy Chevallier.
 
Nous voilà donc très loin des 50, 100, 200 ou même 300 morts « victimes de la répression » avancés par certains, et pour lesquels François Hollande a reconnu la responsabilité de la France !!!
 
Mais, plus encore :
 
1) Le « Graphique des entrées de corps « N.A » (Nord-africains) par jour. Octobre 1961 », nous apprend que du 1er au 30 octobre 1961, 90 cadavres de « NA », furent reçus à l’Institut Médico-Légal. Or, selon les enquêtes judiciaires, chaque décès étant suivi d’une enquête, la plupart de ces morts étaient des musulmans pro-Français assassinés par le FLN !!!
 
2) Pour toute l’année 1961, 308 cadavres de « N.A » entrèrent à l’IML, dont plusieurs dizaines de noyés. Or, toujours après enquête, il fut établi que la quasi-totalité de ces morts étaient des victimes du FLN (Harkis, partisans de la France, individus ayant refusé d’acquitter « l’impôt de guerre », membres du MNA etc.). Or, une des méthodes d’assassinat du FLN était l’étranglement ou l’égorgement suivi de la noyade…
 
Pour les historiens de métier, les prétendus « massacres » du 17 octobre 1961 constituent donc un exemple extrême de manipulation de l’histoire.
Quand la liberté de penser sera rétablie dans cette Corée du Nord mentale qu’est devenue la pauvre université française, ils feront l’objet de thèses car ils seront alors étudiés comme un cas d’école de fabrication d’un mythe. Comme Katyn, comme les « charniers » de Timosoara en Roumanie, comme les « couveuses » au Koweit ou encore comme les « armes de destruction massive » en Irak.
 
Mais, dans l’immédiat, sourds, aveugles ou simples agents d’influence, les butors continueront à ânonner la légende culpabilisatrice du « 17 octobre 1961 ». D’autant plus que, dans l’actuel contexte de tension franco-algérienne, Alger va faire donner ses affidés qui seront complaisamment relayés par ses habituels supplétifs de presse. 

Bernard Lugan


[1] « Rapport sur les archives de la Préfecture de police relatives à la manifestation organisée par le FLN le 17 octobre 1961 ». Rapport établi à la demande du Premier ministre, M. Lionel Jospin et remis au mois de janvier 1998 par M. Dieudonné Mandelkern président de section au Conseil d’Etat, président ; M. André Wiehn, Inspecteur général de l’administration ; Mme Mireille Jean, Conservateur aux Archives nationales ; M. Werner Gagneron, Inspecteur de l’administration. En ligne. 
[2] Dans une note infrapaginale, Brunet (2011) parle de 13 morts « certains » dont plusieurs blessés décédés ultérieurement. Or, ces morts ne sont pas documentés dans les archives de l’IML. Brunet, J-P., (2011) « Combien y a-t-il eu de morts lors du drame du 17 octobre 1961 ? ». Atlantico, 17 octobre 2011.

dimanche 3 octobre 2021

Les raisons de la crise franco-algérienne

L’Algérie vient de rappeler en consultation son ambassadeur à Paris, puis elle a décidé de fermer son espace aérien aux avions français  ravitaillant Barkhane. La raison ? Simple calcul électoral ou véritable et louable prise conscience, le président Macron qui, jusque-là, parlait de la colonisation comme d’un « crime contre l’humanité », vient étonnamment de faire preuve de « virilité » en dénonçant le cœur du « Système » qui pompe la substance de l’Algérie depuis 1962. Deux points de la déclaration présidentielle ont littéralement ulcéré les dirigeants algériens :
 
1) Les prédateurs qui dirigent l’Algérie survivent à travers une rente mémorielle entretenue par une fausse histoire.
 
2) L’existence de l’Algérie comme nation est discutable puisqu’elle est directement passée de la colonisation turque à la colonisation française. Or les dirigeants d’Alger ne dénoncent jamais la première.
 
Le président Macron aurait-il donc lu mon livre Algérie, l’histoire à l’endroit, un livre expédié à l’Elysée au moment de la publication du lamentable « rapport Stora », et dans lequel la fausse histoire algérienne est démontée en dix chapitres ? L’on pourrait en effet le penser puisque, l’Algérie vit effectivement au rythme d’une fausse histoire entretenue par une association sangsue, l’ « Organisation nationale des moudjahidines » (ONM), les « anciens combattants ». Or, comme l’a déclaré l’ancien ministre Abdeslam Ali Rachidi, « tout le monde sait que 90% des anciens combattants, les moudjahidine, sont des faux » (El Watan, 12 décembre 2015). J’ai ainsi démontré, toujours dans mon livre, que les moudjahidine furent en réalité cinq fois moins nombreux que les Algériens combattant dans les rangs de l’armée française.
 
En 2008, Nouredine Aït Hamouda, député du RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), a lui-même pulvérisé cette fausse histoire et son mythe du 1,5 million morts causés par la guerre d’indépendance. Un chiffre que tous les Algériens sérieux considèrent comme totalement fantaisiste, mais qui permet au « Système » de justifier le nombre surréaliste des veuves et des orphelins, soit 2 millions de porteurs de la carte de moudjahidine et d’ayants-droit, dont les ¾ sont des faux…
Ces faux moudjahidine qui vivent de la rente mémorielle née de la fausse histoire, bénéficient du 3° budget de l’Etat, juste derrière ceux de l’Education et de la Défense. Car, « originalité » algérienne, et contrairement à la loi naturelle voulant que plus on avance dans le temps, moins il y a de gens qui ont connu Abd el-Kader…, en Algérie, tout au contraire, plus les années passent, et plus le nombre des « anciens combattants » augmente…Ainsi, fin 1962-début 1963, l’Algérie comptait 6000 moudjahidine identifiés, 70.000 en 1972 et 200.000 en 2017…
 
Comment regarder l’histoire en face quand, en Algérie, six décennies après l’indépendance, l’on obtient encore la carte d’ancien moudjahidine sur la simple déclaration de « faits d’armes » imaginaires ? La raison est que ses détenteurs ainsi que leurs ayants-droit touchent une rente de l’Etat, bénéficient de prérogatives, jouissent de prébendes et disposent de passe-droits. Cette carte permet également d’obtenir une licence de taxi ou de débit de boisson, des facilités d’importation, notamment de voitures hors taxes, des réductions du prix des billets d’avion, des facilités de crédit, des emplois réservés, des possibilités de départ à la retraite, des avancements plus rapides, des priorités au logement etc.
Dans ces conditions, toute remise en question de la fausse histoire entrainerait la ruine des prébendiers et la mort du « Système ». Voilà donc pourquoi les dirigeants algériens se sont directement sentis visés par les propos du président Macron.
 
La situation économique, sociale, politique et morale de l’Algérie est à ce point catastrophique que des milliers de jeunes sans espoir tentent l’aventure mortelle de la haraga, la traversée de la Méditerranée. Quant au « Système », totalitaire et impuissant tout à la fois, acculé par la rue dans une impasse, il est aux abois.  Réduit aux expédients et aux basses manœuvres, afin de tenter de faire diversion, voilà pourquoi, totalement isolé diplomatiquement et coupé de sa propre population, il a ordonné une double offensive, à la fois contre le Maroc, d’où la rupture des relations diplomatiques avec Rabat (voir le numéro d’octobre de l’Afrique Réelle), et  contre la France. Une fuite en avant suicidaire.

samedi 2 octobre 2021

L'Afrique Réelle n°142 - Octobre 2021


























Sommaire

Numéro spécial :
Le contentieux algéro-marocain


- L’état de la question du Sahara 
- Une situation figée (1979-2021)
- La guerre des sables (octobre-novembre 1963) 
- Le Maroc dans l’espace saharo-méditerranéen
- Les reconnaissances internationales de la marocanité du Sahara occidental
- L’Espagne et la France détachent le Sahara occidental du Maroc
- Derrière le contentieux algéro-marocain, la frustration de l’Algérie de n’avoir jamais existé comme Nation


Editorial de Bernard Lugan

La crise qui couvait entre l’Algérie et le Maroc depuis plusieurs années, a éclaté au grand jour le 24 août 2021 quand Alger annonça la rupture unilatérale de ses relations diplomatiques avec Rabat. Puis, le 22 septembre, dans une surenchère politique, le gouvernement algérien décida la fermeture de son espace aérien aux avions marocains et à tous ceux immatriculés au Maroc. 
Cette rupture entre les deux pays est-elle une simple crispation annonçant un grand marchandage régional, ou doit-elle au contraire être considérée comme une veillée d’armes ? 
En Algérie où rien ne se dit clairement, tout repose sur le non-dit. Or, à la fin du mois d’août, le ministre algérien des Affaires étrangères a laissé échapper la vraie raison de la crise, en déclarant que le contentieux algéro-marocain remonte à l’année 1963. Donc à la « guerre des sables », qui opposa les deux pays et qui vit une victoire militaire marocaine. Une humiliation qui hante encore Alger. 
Le cœur du problème est en effet celui des frontières entre les deux pays. Pour créer l’Algérie, un pays qui n’avait jamais existé, la France démembra en effet le Maroc sur toute sa frontière orientale, lui enlevant plusieurs régions historiquement marocaines, qu’il s’agisse de Tindouf, du Gourara, du Tidikelt et autres, comme cela est expliqué et cartographié dans ce numéro. 
A cela, s’ajoute la question du Sahara occidental, immensité arrachée au Maroc par la colonisation espagnole. Or, pour les Marocains, il s’agit de leur « Alsace-Lorraine », alors que les Algériens voudraient la création d’un « Etat saharaoui » qui leur soit inféodé et qui interdirait au Maroc de disposer d’un littoral de plusieurs milliers kilomètres depuis Tanger au nord jusqu’à la frontière mauritanienne au sud. 
Hubert Védrine, ancien chef de la diplomatie française a lumineusement résumé la question en disant que : « (…) l’affaire du Sahara est une affaire nationale pour le Maroc et une affaire identitaire pour l’armée algérienne ».
Affaire identitaire, en effet, d’autant plus que l’actuel chef d’état-major algérien, le général Saïd Chengriha, ancien commandant de de la Troisième région militaire, celle qui a pour cœur Tindouf et qui fait donc face au Maroc, nourrit une aversion connue à l’égard de ses voisins marocains. Quant à ses sympathies pour le Polisario, elles ne sont plus à démontrer.
Pour une Algérie « enclavée » dans cette mer fermée qu’est la Méditerranée, il est insupportable de devoir constater que le Maroc dispose au contraire d’une immense façade maritime océanique ouvrant de ce fait le royaume à la fois sur le « grand large » atlantique et sur l’Afrique de l’Ouest. Jamais l’Algérie n’acceptera d’admettre cette réalité géostratégique. Là est bien le fond du problème. 
Dans ces conditions, le risque est donc que, acculée par ses colossaux problèmes intérieurs, l’Algérie, pays en faillite après avoir été consciencieusement pillé par ses dirigeants depuis 1962, décide une fuite en avant suicidaire à travers le recours aux armes.

samedi 25 septembre 2021

Mort du colonel Bagosora, accusé d’avoir été le « cerveau du génocide » du Rwanda, mais acquitté par le TPIR du chef d’accusation de préméditation de ce même génocide…

Présenté par le régime de Kigali et par les médias  comme  le « cerveau du génocide » du Rwanda, le colonel Théoneste Bagosora vient de mourir à l’âge de 81 ans dans la prison du Mali où il purgeait une peine de 35 années de détention.
Arrêté au Cameroun au mois de mars 1996, défendu par Maître Raphaël Constant, avocat réputé du barreau de la Martinique, son procès (TPIR-98-41-T) débuta au mois d’avril 2002. Ce ne fut cependant qu’au mois d’octobre 2004, après un délai surréaliste de neuf années de détention préventive, que le Procureur fut en mesure de soutenir son acte d’accusation.
Construit sur le postulat qui était que le colonel Bagosora fut le maître d’œuvre du génocide, cet acte d’accusation reposait sur un « trou » de quelques heures  dans  son emploi du temps, entre 01h 30 et 06 heures du matin dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, durant lequel l’accusé aurait « allumé la mèche du génocide » !!!
 
N’ayant fait aucune vérification, ni aucune enquête sérieuse, sous la pression constante du régime du général Kagamé et de ses porte-voix médiatiques, le Procureur ancra son acte d’accusation sur cette abstraite  construction intellectuelle.
 
Expert assermenté devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), j’ai travaillé durant plusieurs années sur ce dossier et, dans le volumineux rapport d’expertise que j’ai défendu devant la Cour (Lugan, TPIR-98-41-T), j’ai notamment minutieusement reconstitué l’emploi du temps du colonel (voir l’intégralité de mon rapport publié dans  Dix ans d’expertises devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda), faisant effondrer comme un château de cartes l’artificielle construction idéologique du Procureur.
 
Dans leur jugement, les juges rejetèrent donc tout naturellement  les éléments de « preuve » avancés par le Procureur, infligeant ainsi un camouflet d’une rare puissance à l’Accusation et à la thèse officielle.
Au terme d’un procès fleuve rythmé par 409 jours d’audience, par les déclarations de 242 témoins à charge et à décharge remplissant 30 000 pages de compte rendus d’audience, par 1 600 pièces à conviction, par 4 500 pages de conclusions et par 300 décisions écrites, la Cour, dans son jugement en date du 18 décembre 2008,  déclara en effet le colonel Bagosora non coupable « d’entente en vue de commettre un génocide ».
 
Ce jugement faisait donc  voler en éclats les bases de l’histoire officielle postulant que le génocide avait été programmé puisque les 40 éléments présentés par le Procureur pour tenter de prouver sa planification ne furent pas considérés comme probants par les juges (Résumé du jugement rendu en l’affaire Bagosora et consorts, TPIR-98-41-T, jugement 18 décembre 2008, page 1) :
 
« Plusieurs éléments qui ont servi de base à la thèse développée par le Procureur sur l’entente (en vue de commettre le génocide) n’ont pas été étayés par des témoignages suffisamment fiables (…) En conséquence, la Chambre n’est pas convaincue que le Procureur a établi au-delà du doute raisonnable que la seule conclusion raisonnable qui se puisse tirer des éléments de preuve produits est que les quatre accusés se sont entendus entre eux, ou avec d’autres, pour commettre le génocide (…) » (Résumé du jugement rendu en l’affaire Bagosora et consorts,TPIR-98-41-T, jugement 18 décembre 2008, pages 16-18).
 
Le colonel Bagosora fut néanmoins condamné à l’emprisonnement à perpétuité  pour des crimes commis par des hommes supposés avoir été ses subordonnés, entre le 6 et le 9 avril 1994. Le colonel Bagosora interjeta appel de ce jugement.
 
Le 14 décembre 2011, la Chambre d’Appel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda réduisit à 35 ans la peine de perpétuité infligée en première instance au colonel Théoneste Bagosora, les juges d’appel n’estimant pas qu’il avait ordonné les crimes pour lesquels il avait été condamné en première instance, et ils le condamnèrent uniquement parce que, en tant que supérieur hiérarchique postulé, alors qu’il était à la retraite, il n’aurait rien fait pour les prévenir ou en punir les auteurs.
Compte tenu des pressions exercées par le régime de Kigali, par les Etats-Unis et par la Grande-Bretagne, il n’était en effet politiquement pas possible aux juges d’acquitter purement et simplement  l’accusé-phare du TPIR, celui qui, durant des années, avait été présenté comme le « cerveau » d’un génocide programmé, mais qui ne l’avait pas été puisque son déclencheur fut l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie au président Habyarimana. Voir à ce sujet les articles extrêmement détaillés publiés dans la revue « Le Fana de l’aviation » n° 619, 620 et 621 (2021), qui expliquent avec une grande minutie et une rare précision le déroulé de cet attentat, et dans lesquels le FPR du général Kagamé est clairement accusé d’en être l’auteur.
Pour l’état des connaissances scientifiques concernant ce génocide, ses origines et son déroulé, on se reportera à mon livre « Rwanda, un génocide en questions », éditions du Rocher, nouvelle édition 2021.