A mon communiqué du 19 février 2025 ayant pour
titre « Tchad : Mahamat Deby a-t-il misé sur le « mauvais
cheval » ?
il manquait, une fois n’est pas coutume, la dimension ethno-politique sans
laquelle les évènements ne peuvent être compris.
Dans la guerre civile du Soudan, qui,
depuis avril 2023, oppose les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel
Fattah al-Burhan, aux Forces de soutien rapide (FSR), de Mohamed Hamdan Dagalo
alias Hemeti, le président tchadien
Mahamat a pris le parti des FSR. Or, les FSR sont issues des Janjawid, milice
tristement célèbre pour ses atrocités commises lors de la deuxième guerre du
Darfour débutée en 2003 contre les Fur, les Massalit et les Zaghawa (voir à ce
sujet mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours).
Or, ces trois ethnies transfrontalières
sont ulcérées de voir que le président tchadien a décidé de soutenir ceux qui
ont quasi-ethnocidé les leurs. Résultat,
les FAS arment actuellement des rebelles tchadiens dont l’objectif est la prise
du pouvoir à Ndjamena, afin de priver les FSR de leur base arrière. Or,
comme je l’ai écrit dans mon précédent communiqué, à la différence de son père,
Mahamat Déby qui n’a ni ses capacités militaires, ni son envergure politique,
se retrouve avec une armée profondément divisée et un pouvoir fragilisé face à
des rebelles aguerris, équipés et soutenus par l’armée soudanaise. Un Mahamat
Déby qui, de plus, ne pourra pas être sauvé par une intervention de la France
puisqu’il a fait fermer ses bases militaires…Voilà pourquoi une grande
fébrilité agite actuellement la classe politique tchadienne.
Le plus grave est que le choix
de Mahamat Déby menace de faire voler en éclats l’alchimie ethnique et politique
tchadienne avec le risque d’un retour à la terrible guerre civile qui a ravagé
le pays avant la prise de pouvoir par Idriss Déby Itno. En plus de cela,
Mahamat Déby s’est coupé d’une partie du socle militaire zaghawa qui faisait la
force de son père.
Or, toute la vie
politico-ethnique tchadienne dépend des rapports internes de longue durée, des
alliances, des ruptures et des réconciliations plus ou moins éphémères des
ethnies nordistes autour desquelles s’est écrite l’histoire du pays depuis
l’indépendance. C’est autour d’elles que se sont faites toutes les guerres du
Tchad depuis 1963. C’est de leurs relations que dépend le futur du pays, la
majorité de la population n’étant que la spectatrice-victime de leurs
déchirements et de leurs ambitions. Or, l’alignement du Tchad sur les FSR fait
éclater au grand jour leurs divisions.
Il faut en effet bien avoir à
l’esprit que les Zaghawa, les Toubou du Tibesti (les Teda), les Toubou de
l’Ennedi-Oum Chalouba (les Daza-Gorane) et les Arabes du Ouadaï sont divisés en
une multitude de clans et de sous-groupes régulièrement prêts à s’affronter.
Ainsi, les Zaghawa du clan Bideyat, celui d’Idriss Déby Itno, n’ont cessé de se
diviser. Pour mémoire, les frères Timan et Tom Erdibi, les propres neveux
d’Idriss Déby Itno, furent en guerre contre lui.
Mahamat Idriss Déby, l’un des
fils d’Idriss Déby Itno est de mère gorane. Gorane est le nom arabe désignant
les Toubou de l’Ennedi et d’Oum Chalouba dont la langue est le daza. Lui-même a
épousé une Gorane. D’où la méfiance de certains Zaghawa qui considèrent qu’il
n’est qu’en partie des leurs. Même si, par le passé, des alliances plus
qu’étroites ont pu régulièrement associer Zaghawa et certains clans Gorane, les
actuels évènements du Soudan font renaître les ferments de division, certains
Zaghawa considérant ainsi que le soutien aux FSR pourrait être compris comme
une rupture avec eux.
Autre point, n’oublions pas
qu’Hinda, l’épouse d’Idriss Déby Itno,
est une Arabe du Ouadaï et que, dans la guerre civile soudanaise, les Arabes
penchent du côté des FSR.
Il est donc évident que le choix
de Mahamat Déby de soutenir les FSR fait en réalité éclater la triple alliance
ethno-clanique constituée par Idriss Déby , une alliance qui était le socle même
de son pouvoir.
Dans ce contexte, les rebelles
tchadiens qui combattent aujourd’hui aux côtés des FAS sont utilisés par
ces dernières pour tenter de renverser le pouvoir à Ndjamena afin de priver les
FSR de leur base arrière tchadienne. La manœuvre initiée par les FAS qui est claire est mise en pratique depuis
plusieurs mois : porter la guerre au Darfour, fief des FSR, après avoir
brisé le siège d’El-Facher, afin de couper les routes d’approvisionnement de
ces dernières depuis le Tchad. Une manœuvre en forme de mouvement tournant qui
se précise encore davantage à la lumière des récents succès militaires des FAS.
Voilà pourquoi, en plus
d’avoir peut-être misé sur le « mauvais cheval », Mahamat Déby
pourrait avoir soulevé le couvercle de la cocotte-minute ethno-politique
tchadienne…