C’est en effet le 25 novembre 1918, 14 jours
après la signature de l’Armistice du 11 novembre, que les derniers combattants
allemands déposèrent les armes. Loin des fronts d’Europe, en Afrique, où,
commandés par le général Paul-Emil von Lettow-Vorbeck, ces irréductibles
invaincus avaient résisté quatre ans durant à 300 000 Britanniques,
Belges, Sud-africains et Portugais.
Au mois de janvier 1914, quand il débarqua à
Dar es Salam, la capitale de l'Est africain allemand, en dépit d’une
considérable infériorité numérique et matérielle, le colonel von Lettow-Vorbeck,
nouveau commandant militaire de la colonie, était bien décidé, en cas de
guerre, à ne pas se contenter de livrer un baroud d’honneur. Son but était en
effet de soulager les forces allemandes qui
seraient engagées sur les fronts européens en obligeant les Alliés à maintenir
des dizaines de milliers d’hommes en Afrique de l’est.
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Affiche à la gloire de Von Lettow |
En Afrique orientale
allemande (actuelle Tanzanie moins l’île de Zanzibar plus le Burundi et le Rwanda),
la Schutztruppe était composée de 14 compagnies à effectif total de 216
officiers et sous-officiers allemands et de 2540 askaris africains, plus une force de police
de 45 Allemands et de 2140 askaris. La mobilisation des réservistes
porta le contingent à environ 2 500 Allemands ultérieurement renforcés par les
322 marins du Königsberg et les 102 de la Môwe. Au plus fort de
ses effectifs, von Lettow-Vorbeck disposa de 60 compagnies d'infanterie et de
deux compagnies montées, chacune d'entre elles à effectif de 200 askaris, soit environ 3000 Allemands et 12 000
askaris, l’appel aux volontaires africains ayant été couronné de succès.
Au début de la guerre, l’armement
de la Schutztruppe était composé de quelques canons et de fusils modèle 71 à poudre noire de calibre 8x8
mm. Seules, six compagnies étaient équipées de fusils modernes du modèle 98 de calibre 7x9 mm, en service dans
l'armée allemande. Les Allemands ne possédaient que trois camions et trois
automobiles rapidement hors d'état de servir, et c’est pourquoi une armée de porteurs
fut recrutée, trois porteurs par combattant étant nécessaires.
Cependant, la charge utile d’un porteur étant de 25 kilos, et comme il lui fallait
1 kilo de ravitaillement par jour, le déplacement des colonnes était donc conditionné
par l'obligation de ne traverser que des contrées où il était possible de
trouver des vivres Les Alliés qui totalisèrent plusieurs centaines de camions
ne connurent pas ce problème car un camion de trois tonnes remplaçait 600 porteurs. De plus, les camions ne craignant
ni les moustiques, ni la mouche tsé-tsé, ni les maladies tropicales, ils
pouvaient donc emprunter des itinéraires interdits aux caravanes.
Von Lettow-Vorbeck organisa
le mouvement de sa troupe à partir de deux voies ferrées. L’une, au nord, le Nordbahn,
courait le long de la frontière du Kenya, l’autre le Zentralbahn,
traversait toute la colonie, reliant l'océan Indien au lac Tanganyika. Dans un
premier temps, ces deux voies ferrées lui permirent de déplacer rapidement ses
compagnies, de faire face aux offensives ennemies et de lancer des
contre-attaques.
Le 8 août 1914 les
Britanniques ouvrirent les hostilités en envoyant deux croiseurs, l’Astrée
et le Pégase bombarder la ville, le port et la station de T.S.F de Dar es-Salaam. En réaction,
von Lettow-Vorbeck attaqua au nord, au Kenya, visant le cœur du dispositif
britannique afin de couper la ligne ferroviaire anglaise qui reliait l’océan
indien au lac Victoria. Entre le Kilimandjaro et l'océan Indien, les Allemands
eurent l'avantage et, comme ils ne parvenaient pas à enrayer leur offensive,
les Britanniques décidèrent de tenter un débarquement sur leurs arrières afin
de les contraindre à combattre sur deux fronts à la fois.
Le 3 novembre 1914, à Tanga, dans l’extrême
nord du territoire allemand, une flotte de 16 navires anglais mit ainsi à terre
un corps expéditionnaire de 6500 hommes, mais la contre-attaque fut foudroyante
et le 5 novembre, au bout de deux jours de combats, la victoire allemande était
totale. Les régiments North-Lancashire,
Royal-Northlands, le corps de grenadiers hindous et les tirailleurs du
Cachemire avaient rembarqué dans le plus grand désordre, abandonnant un butin
qui permit d'équiper et de nourrir la Schutztruppe durant une année et
d'armer 3 compagnies de fusils modernes. Une installation téléphonique de
campagne, 16 mitrailleuses et 600 000 cartouches complétaient le tableau des
prises. Les vainqueurs étaient moins d'un millier.
Pendant ce temps, à l’ouest, sur la frontière
du Congo, depuis le 14 août, le capitaine Wintgens, résident intérimaire au
Ruanda, attaquait les positions belges situées au nord du lac Kivu ; le 24
septembre 1914, il s’était emparé de l’île Idjwi.
Voulant éloigner le danger de l'Uganda Railway, les Britanniques firent progresser leurs troupes à la fois en
direction du Kilimandjaro et le long du littoral où 20 compagnies hindoues tentèrent
d'ouvrir un second front, mais, le 18 janvier 1915, à Yassini, elles se
heurtèrent à neuf compagnies allemandes. Le 19, quatre compagnies hindoues se
rendirent après que les Britanniques eurent laissé 700 morts sur le terrain.
La victoire de von Lettow-Vorbeck était une
nouvelle fois totale, mais, la dizaine d'officiers allemands tués lors des
combats représentait un septième du total de ses officiers d'active, une perte
irremplaçable en raison du blocus maritime britannique. De plus, durant la
bataille, les 200.000 cartouches tirées ne pouvaient être renouvelées que par
les éventuelles prises. A ce rythme, il ne pourrait plus livrer que trois
autres grands combats. Sachant donc que tôt ou tard, il allait lui falloir
reculer afin d’économiser ses moyens en hommes et en munitions, il prépara alors
une manœuvre de repli offensif en aménageant au sud du front, des axes de
progression et des dépôts de vivres.
Dans la seconde moitié de l’année 1915, la
disproportion des forces en faveur des Britanniques fut telle que la steppe du
Serengeti devint indéfendable. Quant à établir une résistance autour du
Kilimandjaro, cela n’aurait pas eu de sens car, tout autour du massif, la
région était ouverte sur d’immenses plaines.
Von Lettow-Vorbeck changea alors de tactique.
Les « coups de main » et les brutales et brèves contre-attaques remplacèrent
les assauts frontaux, ce qui lui permit de harceler l'ennemi tout en évitant de
s'épuiser contre ses énormes réserves. La guérilla d'Afrique-Orientale débuta
alors pour ne s'achever qu'en novembre 1918.
Ayant face à des dizaines de milliers de
Britanniques, de Sud-Africains, de Belges et bientôt de Portugais, von
Lettow-Vorbeck retraita lentement vers le sud, d’une manière parfaitement
organisée et contrôlée, tout en lançant de puissantes contre-attaques. Au mois
de novembre 1917, il envahit le Mozambique portugais où les populations
l’accueillirent avec chaleur. Durant neuf mois, il y nomadisa, y enchaînant les
victoires, dont celles de Ngomano et de Namacurra qui lui permirent de réapprovisionner
et de rééquiper totalement la Schutztruppe
en armement moderne.
Au mois de septembre 1918, menacé par une
vaste offensive anglo-portugaise, il se déroba une nouvelle fois et retourna en
territoire allemand, passant au travers des lignes alliées, laissant ses
adversaires médusés car, comme l’écrivit le commandant en chef britannique
« Il y a toujours trois routes
ouvertes à l’ennemi et von Lettow-Vorbeck prend d’ordinaire la quatrième ».
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Au Kilimandjaro, de Friedrich Wilhelm Mader |
A ce stade de la guerre, ayant laissé ses
blessés et ses malades dans des hôpitaux de campagne, ayant renoncé à son
ravitaillement et à son artillerie, avec 200 Allemands et 2000 askaris encore en état de combattre, il
continua à livrer bataille, culbutant les Britanniques, notamment lors de la
bataille de Ssonga et de la reprise du poste allemand de Langenburg. Puis, il
décida d’envahir la colonie britannique de Rhodésie.
Certains de ses lieutenants lui soumirent
alors un plan audacieux : traverser le continent jusqu’au Sud-Ouest
africain occupé par l’armée sud-africaine, y remobiliser les milliers de
soldats allemands assignés à résidence depuis leur capitulation de 1916, et
marcher sur l’Afrique du Sud pour y soulever les Boers qui attendaient leur
revanche sur les Anglais…
Dans l’immédiat, toujours en Rhodésie, à
Kasama, le 9 novembre 1918, von Lettow-Vorbeck remporta une nouvelle et ultime bataille.
Puis, le 13 novembre, par l’interception d’une estafette motocycliste anglaise,
il apprit qu’un armistice avait été signé en Europe. Dans les jours qui
suivirent, via le télégramme britannique, Berlin lui ordonna de se rendre, ce qu’il refusa, n’acceptant que
de déposer les armes en soldat invaincu. Il négocia alors avec le commandement
britannique, lui faisant comprendre qu’il était encore en mesure de combattre
durant deux années. Les Britanniques acceptèrent ses
conditions, à savoir une remise des armes et non une capitulation, les honneurs
militaires, le droit pour les officiers de conserver leurs armes, le
non-internement et le rapatriement rapide en Allemagne. Quant aux askaris et
aux porteurs, ils devaient être payés par les Britanniques et autorisés à
retourner dans leurs foyers.
Finalement, le 25 novembre 1918 au matin, à
Mbaala, dans la région d’Abercorn, en Rhodésie du Nord, l’actuelle Zambie, et
alors que l'armistice était signé depuis 14 jours, une colonne allemande se
rangea face à l'Union Jack hissé sur un mât de fortune. Derrière le Dr
Schnee, gouverneur de l'Est africain allemand et le général von Lettow-Vorbeck,
commandant en chef, 155 Allemands, officiers, sous-officiers, rappelés et
volontaires, ainsi que 1156 askaris et 1598 porteurs se formèrent en carré face
aux forces britanniques qui leur rendirent les Honneurs. Durant quatre années,
conduits par un chef de guerre exceptionnel, ces survivants avaient résisté à
300.000 soldats britanniques, belges, sud-africains et portugais commandés par
130 généraux, après leur avoir tué 20.000 hommes et leur en avoir blessé 40.000.
Durant ces années, plusieurs fois atteint par
les fièvres, quasiment laissé pour mort, von Lettow-Vorbeck ne s’était jamais
découragé, allant jusqu’au bout de sa mission. Il reçut la croix de l’ordre
« Pour le Mérite » le 18 août 1916. En 1917 après sa grande victoire
de Mahiwa, il reçut la « Croix pour le Mérite avec Feuilles de Chêne », et le 20
octobre 1918, dernier officier général promu par le Kaiser Guillaume II, il fut
nommé général (GeneralMajor).
Durant toute la campagne
d’Afrique, une solide fraternité d’armes unit Allemands et askaris, ces
derniers vouant une véritable dévotion à un chef qu’ils admiraient et auquel
ils avaient donné, avec amour et respect, le nom de « Bwana mukubwa ya
akili mingi » (le grand homme qui peut tout).
Rapatriés en Europe par les
Britanniques, les survivants allemands de l’épopée de l’est africain ne
tardèrent pas à écrire une autre page d’histoire. Le 2 mars 1919, acclamés par
une foule en liesse, par la porte de Brandebourg et la Pariser Platz, ils firent
une entrée triomphale à Berlin. A leur tête le général Paul von Lettow-Vorbeck se
tenait à cheval coiffé de son célèbre chapeau colonial à bord redressé orné de
la cocarde impériale (voir la photo jointe). Les festivités furent écourtées en
raison des menaces spartakistes car l’Allemagne avait basculé dans la guerre
civile.
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Von Lettow à Berlin |
Paul von Lettow-Vorbeck fut
ensuite intégré comme Brigadier général dans la nouvelle armée allemande de
100.000 hommes. Le 1° juillet 1919, sur ordre du gouvernement, il écrasa le
soulèvement communiste de Hambourg à la tête d’un corps de volontaires, le « Lettow-Korps »
(voir l’affiche de recrutement de ce corps). Ce même mois de juillet, il fut nommé
Commandant de la 10° Brigade d’Infanterie.
En 1920, il prit part au
putsch Kapp-Luttwitz, et après son échec, le 15 mai 1920, il fut mis à la
retraite sans solde, cependant que nombre de membres du
« Lettow-Korps » partaient rejoindre les corps-francs du Baltikum.
Personnage légendaire, le
général Paul-Emil von Lettow-Vorbeck devrait, aujourd’hui, être honoré en
Allemagne à l’image d’un Lyautey en France. Mais le politiquement correct
particulièrement virulent dans une Allemagne étouffée par ses complexes
existentiels, a fait qu’à Wuppertal, Brême, Cuxhaven, Mönchenglabad, Halle,
Radolfzell et même à Graz, en Autriche, des rues portant son nom ont été débaptisées. En 2010,
le conseil municipal de Sarrelouis, sa ville natale, a fait de même avec
l’avenue von Lettow-Vorbeck. Quant aux quatre casernes de la Bundeswehr
qui, à Brême, à Bad Segeberg, à Hambourg-Jenfeld et à Leer, portaient son nom,
elles reçurent les noms de déserteurs ou
de militants de gauche (!!!).
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Affiche de recrutement |
Mais, loin des petitesses de la nouvelle
Allemagne, là-bas, en Afrique, entre le Kilimandjaro et la Rovuma, de Tanga à
Kigoma et de Tabora à Ruhengeri, la
grande ombre du Bwana mukubwa ya akili
mingi, flotte encore dans les notes lointaines et de plus en plus étouffées
des fifres et des caisses plates…Heia
Safari !
Cette épopée illustrée de très nombreuses
photographies originales est rapportée dans mon livre Heia Safari ! Général von Lettow-Vorbeck, du Kilimandjaro aux
combats de Berlin (1914-1920). Pour le commander,
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