vendredi 26 août 2011

Quel avenir désormais pour la Libye ?

Première remarque : personne ne regrettera le « guide satrape » libyen, ni les attentats qu’il commandita pas plus les provocations devant lesquelles cédèrent avec faiblesse tant de responsables politiques mondiaux. Pour autant, la chasse à l’homme, « mort ou vif », lancée contre lui et ses fils, prime à l’appui, par certains de ceux qui, hier encore, rampaient à ses pieds est insupportable autant que nauséabonde. Elle en dit  long sur l’ « ancrage » éthique des futurs responsables libyens… Cette mise au point étant faite, venons-en aux considérations politiques. Le CNT (Conseil national de Transition) qui a fini par l’emporter grâce à l’Otan étant un volapuk idéologique, l’avenir de la Libye paraît bien sombre. En effet :

- Il s’est agi au départ du mouvement d’une dissidence régionaliste arabo-musulmane née en Cyrénaïque, donc à l’est du pays, renforcée d’une manière opportuniste et tout à fait artificielle par le soulèvement de la minorité berbère vivant dans le djebel Nefusa, à cheval sur la frontière tunisienne, donc à l’ouest. A la différence de la Tunisie et de l’Egypte, rien n’est parti de la capitale, mais de deux régions excentrées.
- L’épicentre de la « révolution » fut la région de Benghazi qui avait des comptes à régler avec le régime depuis la féroce répression d’un précédent soulèvement islamiste. Cette Cyrénaïque dissidente à l’époque ottomane, rebelle durant l’Impero italien et insoumise depuis les années 1990, présente plusieurs originalités : elle est le fief des partisans de l’ancienne monarchie islamo-senoussiste, le phénomène jihadiste y est fortement ancré et la contestation y a reçu le renfort des mafias locales dont les ressources étaient coupées depuis plusieurs mois à la suite de l’accord italo-libyen concernant la lutte contre les filières de l’immigration africaine clandestine.
- Toujours à la différence de la Tunisie et de l’Egypte, et cela a constamment été caché à l’opinion française afin de ne pas écorner l’image « positive » des insurgés, ce soulèvement fut extrêmement violent. Il fut en effet, dans certaines villes tombées aux mains des rebelles, accompagné de la mise à mort d’une manière cruelle et rappelant les méthodes des islamistes algériens, des partisans du régime et parfois même des membres de leurs familles.
- Ce fut donc dans une atroce guerre civile que la France s’immisça pour des raisons officiellement éthiques. Sans son intervention, le colonel Kadhafi aurait repris le contrôle de la situation.

A la date du vendredi 26 août, l’avenir de la Libye est pour le moins incertain. Le CNT qui a annoncé qu’il allait quitter Benghazi pour venir s’installer à Tripoli demande des sommes astronomiques à la « communauté internationale » pour reconstruire le pays prospère qu’il vient de détruire. Pour mémoire, avant les « évènements », la Libye était le pays d’Afrique le plus développé et le chômage des jeunes qui fut un des leviers des évènements tunisiens y était inexistant. Politiquement, la tâche qui attend ce mystérieux CNT est immense. Reconnu par la France comme « le seul représentant légitime des populations libyennes » le 10 mars 2011, soit à peine 5 jours après qu’il se fut lui-même pompeusement auto proclamé « seul représentant du Peuple libyen », il s’agit d’un mélange instable et explosif rassemblant des monarchistes senoussistes, des républicains laïcs, des islamistes jihadistes, des islamistes modernistes, des démocrates, des fédéralistes berbères et d’anciens responsables du régime ayant fait défection au gré de leurs intérêts fluctuants. Sa première tâche va être de prendre en compte les véritables rapports de force existant en son sein. Ensuite, il va lui falloir, et cela très rapidement, tenter de trouver une solution constitutionnelle permettant de concilier les constantes tribales, régionales et religieuses avec la définition d’un véritable Etat libyen.
Comment s’organisera la Libye de demain ? Là est en effet toute la question. La Tripolitaine et la Cyrénaïque se combattront-elles, partageront-elles le pouvoir ou bien l’une l’emportera t-elle sur l’autre ? Comment va réagir la minorité berbère quand elle constatera qu’elle aura une fois de plus été flouée ? 
Avant de se lancer dans cette guerre les autorités françaises ont-elles pris en compte l’hypothèse de l’apparition de guerres tribales et claniques, comme en Somalie ? Ont-elles bien évalué le risque islamiste, éventualité qui ouvrirait un espace inespéré pour  Aqmi qui prospère déjà plus au sud dans la région du Sahel ? Vaincre dans une guerre aérienne et électronique sophistiquée un dictateur usé et anachronique dont l’état-major était incapable de coordonner la moindre action militaire interarmes et dont les blindés à bout de souffle manoeuvraient quasiment au fanion, presque comme en 1916, est une chose. Gérer une situation géopolitique instable née de cette guerre va en être une autre...

Bernard Lugan
26/08/2011

jeudi 18 août 2011

L'Afrique Réelle N°20 - Août 2011


























SOMMAIRE :

Dossier : Maroc
- La signification du référendum du 1er juillet 2011
- Opposition : le vrai visage du mouvement du 20 février
- Le contentieux territorial algéro-marocain
- Lyautey et la conversion des berbères

Histoire :
- L'islamisation du Sahel

EDITORIAL :

Le référendum du 1° juillet fut pour le roi Mohammed VI un sondage de popularité grandeur nature. Avec 73,4% de participants et plus de 98% de votes « oui », les très médiatisés manifestants du « mouvement du 20 février » ont été réduits à leur juste importance, c'est à dire pas grand-chose…

En comparaison de la réussite politique du Maroc, l’échec tunisien est encore plus apparent. Le politiquement correct parle de « transition » quand il convient de parler d’anarchie. Des foyers d’agitation s’allument en effet à travers tout le pays avec leur cortège de pillages, d’exactions diverses et de victimes ; le tout sur fond de montée des revendications islamistes. L’échéance électorale du mois d’octobre 2011 qui verra 7 millions d’électeurs appelés aux urnes et pour laquelle plus de cent partis se sont déjà fait inscrire n’est pas là pour calmer la situation.

Selon les chiffres de l’ONTT (Office national du tourisme tunisien) entre janvier et fin juin 2011, la fréquentation touristique a baissé de 40% et les recettes de plus de 50%. Ce secteur qui représente 6,5% du PIB a déjà perdu plusieurs milliers d’emplois directs, sans parler des conséquences indirectes pour de très nombreuses professions. Pour ne rien arranger, la guerre que l’Otan mène contre la Libye a tari le flot des riches libyens qui avaient pour habitude de venir passer leurs vacances en Tunisie.

L’impression de gâchis est donc chaque jour plus forte avec les conséquences désastreuses de cette « révolution du jasmin » qui embauma tant les narines délicates des niais médiatiques de la rive nord de la Méditerranée.
Nous commençons en effet à peine à mesurer l’ampleur des dégâts : un pays divisé dont les contradictions font craindre une guerre civile, des islamistes qui tentent de miner les institutions laïques, un chômage amplifié, une économie sinistrée, des grèves continuelles, des IDE (Investissements directs étrangers) déjà amputés de plus de 25% par rapport à 2010 etc.
Les immenses progrès accomplis sous Ben Ali, et je renvoie aux chiffres déjà publiés par l’Afrique Réelle à ce sujet, sont bien oubliés. Songeons simplement que de 1990 à 2010, la Tunisie avait augmenté de 3,4% par an sa valeur ajoutée manufacturière par habitant et qu’en 2010 la croissance avait atteint 3,7% alors qu’au mieux, elle sera proche de 0% en 2011.

Aujourd'hui il apparaît de plus en plus clairement que le président Ben Ali a été victime d’une habile opération de déstabilisation. Par qui fut-elle orchestrée ? Là est toute la question.
Les dernières révélations de Yassine Ayarin, blogueur emblématique des journées révolutionnaires laissent songeur : jamais l’armée n’a reçu l’ordre de tirer sur la foule et ce bruit a été lancé pour discréditer le régime. Adieu donc l’image d’un dictateur sanglant et d’une armée « républicaine » ayant désobéi à ses ordres insensés…

Bernard Lugan