Le
14 septembre 2015, un coup de tonnerre a retenti dans le ciel serein des
certitudes démocratiques européo centrées quand le Conseil suprême des tribus
de Libye désigna Seif al-Islam Kadhafi comme son représentant légal. Désormais,
voilà donc un fils du défunt colonel seul habilité à parler au nom des vraies
forces vives de Libye...
Les
abonnés à l'Afrique Réelle et les
lecteurs de ce blog ne seront pas surpris par cette nouvelle puisque, depuis
2012, je ne cesse d'écrire :
1) Que la pacification de la Libye ne pourra se faire qu'à partir des réalités
tribales.
2) Que le seul à pouvoir reconstituer l'alchimie tribale pulvérisée par
l'intervention militaire de 2011, est Seif al-Islam que son père, le colonel
Kadhafi, avait pressenti pour lui succéder, et qui est actuellement
"détenu" par les milices de Zenten.
Mes
analyses ne procédaient pas du fantasme, mais du seul réel qui est que :
1) En
Libye, la grande constante historique est la faiblesse du pouvoir par rapport
aux tribus. Au nombre de plusieurs dizaines, si toutefois nous ne comptons que
les principales, mais de plusieurs centaines si nous prenons en compte toutes leurs subdivisions,
ces tribus sont groupées en çoff (alliances ou confédérations).
2) L'allégeance des tribus au pouvoir central n'est
jamais acquise.
3) Les bases démographiques des groupes tribaux ont
glissé vers les villes, mais les liens tribaux ne se sont pas distendus pour
autant.
Le
colonel Kadhafi fonda son pouvoir sur l'équilibre entre les trois grands çoff libyens, à savoir la confédération Sa'adi de Cyrénaïque, la confédération Saff al-Bahar du nord de la Tripolitaine et la confédération Awlad Sulayman de
Tripolitaine orientale et du Fezzan à laquelle appartiennent les Kadhafda, sa
tribu. De plus, à travers sa
personne, étaient associées par le sang la confédération Sa'adi et celle des Awlad
Sulayman car il avait épousé une Firkèche,
un sous clan de la tribu royale des Barassa.
Son fils Seif al-Islam se rattachant donc à la fois aux Awlad Sulayman par son père et aux Sa'adi par sa mère, il peut donc, à travers sa personne,
reconstituer l'ordre institutionnel libyen démantelé par la guerre
franco-otanienne. Mais pour comprendre cela, encore faut-il se rattacher à la
Tradition lyautéenne des "Affaires indigènes" et répudier l'approche
universaliste des "cerveaux à noeud" du quai d'Orsay.
Aujourd’hui,
les alliances tribales constituées par le colonel Kadhafi ont explosé; là est
l’explication principale de la situation chaotique que connaît le pays. En
conséquence de quoi, soit l'anarchie actuelle perdure et les islamistes
prendront le pouvoir en Libye, soit les trois confédérations renouent des liens
entre elles. Or, c'est ce qu'elles viennent de faire en tentant de faire
comprendre à la "communauté internationale" que la solution passe par
les tribus... Certes, mais la Turquie et le Qatar veulent la constitution d'un
Etat islamique et la justice internationale a émis un mandat d’arrêt contre
Seif al-Islam...
Le
12 octobre, avec son habituel sens de la clairvoyance, sa célèbre hauteur de
vue et son immense connaissance du dossier, BHL expliquera certainement cette
évolution de la situation libyenne aux auditeurs de l'IHEDN (Institut des
Hautes Etudes de la Défense nationale) devant lesquels il doit prononcer une
conférence de "géopolitique". Il est en effet bon que les plus hauts
cadres civils et militaires sélectionnés pour intégrer cet institut
prestigieux, puissent écouter les analyses des experts les plus qualifiés...
NB : Au début du mois de novembre, aux éditions de l'Afrique Réelle, sortira mon livre intitulé "Histoire et
géopolitique de la Libye des origines à nos jours" dans lequel, sur la
longue durée, est mise en perspective la marqueterie tribale libyenne, clé de
compréhension de la situation libyenne actuelle. Ce blog en rendra compte.
Bernard Lugan
24/09/2015