En
Libye, les interventions de l'Egypte, de l'Algérie et de la France, destinées à
limiter les conséquences devenues incontrôlables de la guerre insensée
déclenchée contre le colonel Kadhafi, deviennent de plus en plus
problématiques. Pour cinq grandes raisons :
1) Cette intervention était subordonnée à la constitution en Libye même d'une
force "nationale" susceptible d'être appuyée. Or, le général Haftar a
échoué dans sa guerre contre les islamistes.
2) Plus
que jamais, le principal objectif algérien en Libye est la fin du chaos en
Tripolitaine afin d'assurer la sécurité de la frontière orientale. Englué en
Cyrénaïque, le général Haftar n'a aucun pouvoir en Tripolitaine. Voilà pourquoi
Alger traite actuellement avec les islamistes hostiles à Daesh qui contrôlent
l'ouest de la Libye.
3) L'Egypte se trouve prise au piège. Dans sa lutte à mort contre les islamistes
et les Frères musulmans, elle dépend en effet du financement des monarchies
sunnites du Golfe. Or, paniquées par le retour de l'Iran chiite sur la scène
politique régionale, ces dernières ont décidé de se rapprocher de tous les
mouvements sunnites, dont les Frères musulmans et Al Qaida, comme cela vient de
se produire au Yémen. Nous sommes en présence d'une politique de simple survie
dont le terme est imprévisible, mais qui bouscule l'échiquier régional. Pour
deux raisons majeures :
-
Ce rapprochement a affaibli Al Qaida car plusieurs groupes sunnites qui y sont
opposés viennent de se rallier à Daesh, notamment en Tunisie et en Algérie.
-
L'Arabie saoudite freine l'interventionnisme du général Sissi afin de ne pas
affaiblir ses nouveaux alliés en Libye, ce qui favorise indirectement Daesh,
nébuleuse sunnite qui ne la menace pas encore.
4) Dans ce jeu d'échecs, la France est sur l'arrière-main, se limitant à éviter au
Sahel une contagion venue de Libye. Or, tous les connaisseurs du dossier savent
bien que sans une "pacification" de la Libye, l'opération Barkhane est bancale.
5) La solution libyenne qui était tribale n'est plus d'actualité. Dans les zones
conquises, Daesh, dont la force de frappe est composée de non Libyens, a en
effet renversé le paradigme tribal en
liquidant physiquement les chefs qui ne voulaient pas lui faire allégeance afin
de terroriser les autres. En conséquence de quoi, les ralliements se
multiplient...
Face
à cette situation, l'Egypte et la Tunisie ont décidé de se retrancher
derrière deux lignes électrifiées. Cette
illusoire défense va certes permettre à certaines firmes européennes de faire
de fructueuses affaires, mais elle ne stoppera pas la gangrène.
Alors,
comme je ne cesse de le préconiser depuis des mois, il ne reste qu'une seule
solution pour tenter, je dis bien tenter, d'empêcher la coagulation islamiste
qui s'opère actuellement dans toute l'Afrique du Nord à partir du foyer libyen.
Cette solution a un nom: Saif al-Islam, le fils du colonel Kadhafi actuellement
détenu à Zenten. Lui seul est en effet en mesure de reconstituer les anciennes
alliances tribales de Cyrénaïque, de Tripolitaine et du Fezzan détruites par
l'intervention franco-otanienne. Or,
cette solution est impossible puisque, dans l'ignorance bétonnée du dossier et
aveuglée par ses principes juridiques européocentrés déconnectés des réalités,
la Cour pénale internationale l'a inculpé pour "crimes de guerre".
Dans
cette évolution vers le pire que connaît la Libye, poussés à la fois par
l'Arabie saoudite et par l'Algérie, Frères musulmans, Al Qaida et diverses
milices viennent de s' "allier" contre Daesh.
Dans
cette guerre entre islamistes qui menace notre flanc sud, allons-nous donc être
contraints de considérer Al Qaida comme un nouvel "ami"... ? Voilà le
scénario apocalyptique auquel le sémillant BHL et l'éclairé Nicolas Sarkozy
n'avaient pas pensé...
Bernard Lugan
27/07/2015