mardi 30 octobre 2018
L'Afrique Réelle N°107 - Novembre 2018
SOMMAIRE
Actualité :
- Algérie : Fin de règne et table rase
- La Chine et l’Afrique
Dossier :
Génocide du Rwanda : une constante volonté d’obstruction de la vérité
- Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont interdit au TPIR d’enquêter sur l’attentat qui est à l’origine du génocide
- Quand l’ONU enterre ses propres enquêtes
- Pourquoi le vice-procureur Ranucci a-t-il ignoré les travaux du TPIR ?
Editorial de Bernard Lugan :
Réflexions sur la question du Mali
Dans un entretien donné au site Mondafrique, M. Ahmadou Ould Abdallah, qui fut ministre des Affaires étrangères de Mauritanie et représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest, évoque le Mali en confirmant trois réalités longuement étudiées par l’Afrique Réelle, à savoir le double jeu des autorités maliennes, le problème de l’inexistence de l’Etat et la question du tribalisme.
1) Le double jeu des autorités maliennes :
« (…) certains gouvernements (lire celui du Mali) diffusent une campagne insidieuse contre les forces étrangères qui leur viennent en aide. C’est l’une des aberrations les plus étonnantes que j’ai rencontrées (…) On veut une présence extérieure pour renforcer le régime en place (…) et en même temps, on mène une campagne insidieuse qui encourage et renforce les adversaires de cette présence extérieure. Il y a aussi (…) des ententes occultes entre les mouvements djihadistes et certains gouvernements ou certains groupes de pression autour de ces gouvernements» (…) La présence française qui a permis de stabiliser le Mali se trouve en très grande difficulté parce qu’elle n’est pas appuyée par l’opinion publique malienne ».
2) Un Etat sans Nation
« (…) les populations attendent les bras ouverts ce qu’elles considèrent comme une libération vis-à-vis des pouvoirs centraux qu’elles ne connaissent pas, qu’elles ne voient pas »
3) L’ethno-tribalisme
Les jeunes rejoignent les groupes jihadistes :
« (…) parce qu’ils ne sont pas de la famille ou de la tribu qu’il faut. Tout comme ces diplômés à qui on ne donne pas de travail parce qu’ils ne sont pas de l’ethnie qu’il faut (…) »
M. Ahmadou Ould Abdallah a triplement raison car :
1) Si pour l’armée française les ennemis sont les islamistes, pour Bamako, ces derniers sont au contraire des « alliés » contre les séparatistes touareg.
2) Comment donner une conscience « nationale » aux populations de cet Etat sans Nation qu’est le Mali où, légitimé par l’ethno-mathématique électorale, le régime sudiste refuse de prendre en compte les revendications nordistes ?
3) Comment prétendre faire vivre ensemble les agriculteurs noirs sédentaires du sud, les nomades berbères ou arabes du nord et les éleveurs peul du centre quand le contentieux qui les oppose est à la fois inscrit dans la nuit des temps et amplifié par la suicidaire démographie régionale ?
La question malienne, et plus généralement celle du Sahel, est donc sans issue à court et à moyen terme. Quant au « développement », il s’agit d’une illusion à destination des gogos. Le déversement de ses populations vers le nord de la méditerranée est donc programmé.
Pour l’Europe, l’urgence est alors d’établir des partenariats avec les pays d’Afrique du Nord qui constituent sa première frontière, tout en adoptant des mesures militaires d’une absolue fermeté contre les passeurs et ceux qui les aident.
dimanche 14 octobre 2018
Rwanda : raison d’Etat ou nouvelle humiliation nationale ?
L’affaire serait cocasse si
elle n’était le révélateur du niveau d’abaissement de la France. Lors du sommet
de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) qui vient de se tenir
en Arménie, le président Macron a, de son propre chef, fait élire une nouvelle
présidente en la personne de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des
Affaires étrangères, une habituée des virulentes et continuelles attaques
contre la France.
Voilà donc cet organisme
désormais présidé par la représentante d’un pays dont le gouvernement a rasé au
bulldozer le centre culturel français à Kigali, un pays qui a déclassé le
français au profit de l’anglais, un pays qui, si l’on en croit la presse, ne
cotisait plus à l’OIF, un pays qui n’a cessé de traiter de génocidaires ou de complices
de génocide, le président Mitterrand et ses ministres, ainsi que MM. Balladur
et Juppé ; un pays enfin qui a menacé de traîner en justice plusieurs
dizaines d’officiers et de hauts fonctionnaires français…
La raison d’Etat a certes
ses impératifs, mais certainement pas au prix d’une nouvelle humiliation
nationale.
D’autant
plus qu’au même moment, un vice-procureur du Parquet anti-terroriste français
signait une insolite réquisition aux fins de non-lieu dans l’affaire de
l’assassinat, le 6 avril 1994, de deux chefs d’Etat en exercice, celui du
Rwanda et celui du Burundi, assassinat qui fut le déclencheur du génocide du
Rwanda.
Or,
il est essentiel de savoir que cette réquisition fut prise trois mois après que
les magistrats instructeurs eurent eu communication d’un document exclusif
émanant du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Il s’agit d’un rapport
jusque-là gardé secret par le Procureur de ce tribunal, dans lequel ses propres
enquêteurs désignent le président Kagamé comme étant le donneur d’ordre de
l’assassinat de son prédécesseur Juvénal Habyrimana, meurtre qui, rappelons-le,
déclencha le génocide du Rwanda.
Ce
rapport confirmait trois autres enquêtes indépendantes qui concluaient toutes à
la culpabilité de Paul Kagamé dans l’attentat contre l’avion du président
Habyarimana, à savoir le « Rapport Hourigan », l’enquête française du
juge Bruguière et l’enquête espagnole du juge Merelles.
Puis,
venant à l’appui de ce rapport, le 10 octobre 2018, le journal canadien The Globe and Mail révéla, sous le titre
« New information supports claims Kagame forces were involved in
assassination that sparked Rwandan genocide », qu’au terme d’une enquête
rocambolesque, le professeur belge Filip Reyntjens avait réussi à se procurer,
preuves photographiques à l’appui, les numéros de série des 40 missiles sol-air
livrés par l’URSS à l’Ouganda, pays soutenant Paul Kagamé, ce dernier ayant
précédemment été officier des services secrets ougandais. Or, les numéros des
deux missiles ayant abattu l’avion du président Habyarimana sont de la même
série[1]...
Ces
documents seront sans nul doute communiqués à la justice française et aux
parties civiles, ce qui fait que la réquisition de non-lieu va être fortement
contestée sur ce point et sur bien d’autres. Il va donc être
« difficile » aux magistrats instructeurs de suivre les demandes du
vice-procureur Ranucci.
D’autant
plus que ce dernier accumule les erreurs et les contre-vérités. Ainsi, page 92
de sa réquisition, il écrit, contre toute évidence et contre tout ce que
contient le dossier, et cela le jour même où le Globe and Mail publiait
une nouvelle preuve de la possession par le FPR de Paul Kagamé des missiles
utilisés le jour de l’attentat : « Les investigations menées n’ont
pas établi de manière formelle que l’APR (l’armée de Paul Kagamé) disposait en
1994 de missiles sol-air ».
Une
justice indépendante ne pourra donc que balayer ce réquisitoire aux fins de
non-lieu qui ressemble fortement à un mémoire en défense.
Plusieurs chercheurs anglo-saxons menant
actuellement des recherches détaillées, l’on peut donc s’attendre à d’autres
révélations. Le tribunal de l’Histoire sera finalement le juge ultime, et du
commanditaire du crime, et des tentatives diverses d’étouffement de l’enquête.
Bernard Lugan
[1] Dans son numéro de novembre que
les abonnés recevront le 1er novembre, l’Afrique
Réelle reviendra longuement sur ces deux documents. Pour l’état des
connaissances voir mon livre « Rwanda, un génocide en questions »…
lundi 1 octobre 2018
L'Afrique Réelle n°106 - Octobre 2018
Sommaire :
Actualité :
- Nord Mali : Une guerre qui n’est pas d'abord religieuse
- Afrique du Sud : La récession
Dossier : Quelle stratégie poursuivent les Russes en Afrique ?
- L’URSS et l’Afrique (1960-1991)
- La nouvelle politique africaine de la Russie
- La méthode russe : les ventes d'armes
- Comment le quai d’Orsay a offert la Centrafrique à la Russie
Editorial de Bernard Lugan :
Le retour de la Russie en Afrique
De la Libye à la Centrafrique et du Burkina Faso au Mozambique, après plus de deux décennies d’absence, la Russie fait aujourd’hui son grand retour en Afrique. Avec méthode, mais également fracas. Evgeny Korendyasov, le directeur des études russo-africaines, a en effet déclaré à l’Académie des Sciences de Russie : « Il y aura une bataille pour l’Afrique ».
Pourquoi ce soudain intérêt russe pour le continent africain ?
La question est au cœur des interrogations des dirigeants des pays de l’OTAN.
Quant aux responsables français, littéralement sidérés et enfermés dans leurs présupposés idéologiques, ils ne peuvent que constater l’ « intrusion » de Moscou dans le « pré carré » africain.
Leur vision économique des rapports humains les rendant incapables de se mettre « dans la tête des Russes », ils font donc fausse route quand ils analysent la politique de ces derniers comme une volonté de contrôle des matières premières africaines. A la différence de la Chine, l'immense Russie en regorge.
La politique africaine de Moscou est clairement géostratégique mais, pour le comprendre, il est nécessaire de raisonner comme les Russes. Or, ces derniers se sentent agressés après avoir été repoussés par des Européens obéissant quasi servilement aux sanctions imposées par Washington. L’immixtion de l’OTAN en Ukraine, puis la dénonciation du rattachement de la Crimée et la volonté de faire tomber l’allié syrien, le tout accompagné d’incessantes campagnes de dénigrement dans le monde occidental, sont autant d’arguments venant conforter l’impression d’un complot ourdi contre la Russie.
Prise dans le cercle hostile que l’OTAN referme chaque jour un peu plus sur elle - le président Trump a même parlé d’installer une base militaire permanente en Pologne -, la Russie a donc décidé de briser son isolement en traçant son propre cercle dans lequel elle va chercher à enfermer ceux qui l’encerclent.
Voilà pourquoi elle s’installe en Afrique, continent disposant de plus de 50 voix à l'ONU. Mais alors que la Chine s’y implante en endettant ses partenaires-créanciers, la Russie investit le secteur militaire et sécuritaire avec ses livraisons d’armement (voir pages 14 et 15) accompagnées d’« instructeurs ».
Cette stratégie de désencerclement englobe déjà la Turquie, l’Iran, la Chine et l’Inde. A terme, plus de six des sept milliards d’habitants de la planète pourraient graviter autour d’elle.
Que pèsera alors le petit milliard restant (essentiellement Etats-Unis, UE et peut-être Japon), qui aura perdu à la fois l’initiative stratégique et le pouvoir économique ?
Prisonnière de la politique étrangère américaine, l’UE qui sera la grande perdante de cette recomposition planétaire risquera alors de sortir de l’histoire. Avant de devenir le déversoir d’une Afrique surpeuplée.
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