mercredi 5 février 2025

Comprendre la guerre du Kivu, ce conflit contemporain aux racines pluri séculaires

La guerre du Kivu est la conséquence de celle de 1990 quand, sous les ordres de Paul Kagamé, les Tutsi rwandais réfugiés en Ouganda depuis les années 1960, envahirent le Rwanda alors dirigé par le président hutu Juvénal Habyarimana. Le 6 avril 1994, l’assassinat de ce dernier provoqua le génocide des Tutsi suivi par la victoire militaire du général Kagamé (Voir à ce sujet mon livre Rwanda, un génocide en questions)
 
Puis, en 1996, éclata la guerre du Congo.  Décidée par les Etats-Unis et par la Grande-Bretagne, ces bons et loyaux alliés de la France, son but était de renverser le maréchal Mobutu allié de cette dernière. Elle fut menée par l’armée rwandaise du général Kagamé. Soumise au protectorat moral de Washington, la France laissa faire, épisode peu glorieux qui marqua le début de sa perte de prestige et de son influence en Afrique.
D
epuis, le Rwanda occupe le Kivu, directement, ou à travers des milices qui lui sont inféodées, tout en s’employant à y créer une situation de non-retour débouchant sur une sorte de protectorat régional sous son contrôle. Pourquoi et comment ? Quelques explications que l’on ne trouvera pas chez les butors de la sous-culture médiatique sont nécessaires à la bonne compréhension de la situation.

La suite de cette analyse (83%) est réservée aux abonnés à l'Afrique Réelle.

lundi 3 février 2025

Nouveau livre de Bernard Lugan : Histoire des Algéries

























Présentation


Géographiquement, ethniquement, linguistiquement et historiquement, l’Algérie est plurielle. Dans cet ouvrage, Bernard Lugan en retrace toute l’histoire et nous raconte comment ces mondes pluriels sont devenus l’État algérien actuel.
Ces diversités ont longtemps fait obstacle à un processus de fusion « nationale ». Un phénomène aggravé par la position « centrale » du pays dont les deux pôles potentiels d’unité, Tlemcen et Bougie, eurent des places d’autonomie chronologiquement réduites en raison du poids exercé à l’Ouest par le Maroc et à l’Est par Tunis. Ce fut donc en 1839 que ces mondes furent baptisés Algérie par les conquérants français ; puis en 1962 qu’ils devinrent l’État algérien.

Edition Ellipses
256 pages
Disponible dans toutes les librairies

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vendredi 31 janvier 2025

L'Afrique Réelle n°182 - Février 2025

Sommaire

Actualité
Comment Mayotte est devenue française
Dossier Algérie :
- Histoire des Algéries : Interview de Bernard Lugan
- L’Algérie doit son unité et ses frontières à la France 
- Le congrès de la Soummam ou ce qu’aurait pu être une autre Algérie
- Comment soigner l’Œdipe algérien ?
- L’Algérie se brouille avec la Turquie


Editorial de Bernard Lugan

Sur quoi le chantage algérien repose-t-il ?

Le jusqu’auboutisme algérien se manifeste par des errements diplomatiques apparentés à une fuite en avant. 
En plus de l’état de quasi-guerre que l’Algérie entretient avec le Maroc, de ses provocations à l’égard de la France, de sa rupture avec le Mali et des sanctions commerciales qu’elle vient de décider contre la Colombie et le Panama qui ont reconnu la marocanité du Sahara occidental, voilà que les gérontes au pouvoir à Alger viennent de provoquer une grave crise avec la Turquie (voir page 17 de ce numéro).

L’amateurisme-fanatisme d’Alger est le reflet d’un régime aux abois qui se raidit et se crispe au lieu de tenter d’acheter sa survie par une profonde remise en cause. La situation de l’Algérie est en effet dramatique à deux grands titres :

- L’État meurt de l’intérieur, écrasé par ses propres contradictions et ruiné par les prévarications de sa nomenklatura.

- Cette agonie de l’Etat provoque l’isolement de l’Algérie, sa perte de crédibilité et sa marginalisation sur la scène internationale. Ce qui conduit à une crispation débouchant aujourd’hui sur une impasse répressive qui va finir par faire exploser le pays.
Le pire est que les dirigeants algériens semblent se comporter comme des suicidaires cherchant névrotiquement à se rapprocher du pire. 
A y regarder de près le pouvoir en place à Alger parait en effet avoir clairement décidé de s’auto-détruire et de précipiter le pays dans l’abîme. Comme si, seule la politique du pire pouvait lui fournir une ultime bouffée d’oxygène avant de trépasser. Après avoir dilapidé ses ressources humaines et financières, l’Algérie est aujourd’hui exsangue.

Or, au lieu de profiter de la situation pour enfin mettre à plat le contentieux qui oppose la France et l’Algérie, les dirigeants français vont une fois de plus composer. 

Et pourquoi ? 

- Ce n’est pas une pression économique que peut exercer l’Algérie puisque le gaz et le pétrole ne représentent respectivement que 8% et 9% de la consommation française. Quant au commerce de la France avec l’Algérie, il ne compte pas puisqu’il n’est en moyenne que de 12 milliards d’euros pour un commerce extérieur français global moyen de 770 milliards d’euros. 

- Ce n’est pas davantage le poids d’une cinquième colonne immigrée dont les éventuels agissements illégaux pourraient être facilement réglés par de fermes mesures de simple police…

Alors ? Là est en effet toute la question...

jeudi 9 janvier 2025

Mayotte : le vrai problème est la départementalisation

Analyse de Bernard Lugan

Si garder Mayotte dans le giron français était à l’évidence un impératif géopolitique et géostratégique, en revanche, sa départementalisation fut une grave erreur. La crise systémique que connait l’île en est le tragique révélateur. Quant aux futures générations françaises, elles seront condamnées à en assumer tant les conséquences politiques que le coût.
Comment d’ailleurs a-t-on pu croire, ou faire semblant de croire, qu’une île de l’océan indien appartenant au monde swahili, en petite partie francophone et à 95% musulmane, allait pouvoir devenir par un coup de baguette magique un département français ?
 
Afin de donner une apparence de légalité au « fait du prince » qui changea le statut d’un territoire d’outre-mer qui n’avait de toute évidence pas vocation à devenir département, un simulacre de référendum fut décidé :
 
- Un simulacre en effet puisque ce référendum ne concerna que les seuls habitants de Mayotte, à l’exclusion des Français métropolitains, eux qui allaient pourtant devoir assurer de leurs deniers les conséquences de l’opération puisque Mayotte ne produit rien...
 
- Simulacre de référendum encore parce que cette seule population mahoraise appelée à voter n’allait évidemment pas refuser les avantages sociaux promis par la départementalisation. Et elle plébiscita à 95% une départementalisation, synonyme pour elle d’alignement sur les prestations de l’assistanat servies en Métropole…
 
Que Mayotte soit sincèrement attachée à rester française, c’est bien certain et il n’est pas question de remettre cette appartenance en cause. Ce qui pose problème est sa départementalisation, c’est à dire l’alignement du statut mahorais sur celui des départements métropolitains et d’outre-mer. Un objectif non seulement inatteignable étant donné les spécificités de Mayotte, mais également une bombe à retardement dont les conséquences futures seront redoutables.
 
Au-delà des terribles images cycloniques et des discours politiques convenus, cette analyse montre pourquoi la départementalisation de Mayotte fut une erreur et à quoi elle va conduire dans l’avenir.
 
Explication et développement

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mercredi 1 janvier 2025

L'Afrique Réelle n°181 - Janvier 2025

Sommaire

Dossier : L’année 2024 en Afrique, bilan et perspectives pour 2025
- L’Algérie sans boussole
- Algérie, un bilan diplomatique désastreux 
- Le trou noir du Sahel
- Ailleurs sur le continent

Dossier : Soudan, la guerre de l’est contre l’ouest
- La descente aux enfers du Soudan
- Les fronts du Soudan


Editorial de Bernard Lugan

Les conditions d’une future politique sahélienne

Au Sahel où le retrait français a laissé le champ libre aux GAT (Groupes armés terroristes), la situation est désormais hors contrôle. Face aux massacres de civils les armées locales sont totalement dépassées quand elles ne sont pas complices. Quant aux mercenaires russes, ce n’est pas en multipliant les crimes de guerre qu’ils pourront faire croire aux populations qu’ils sont animés de la « parcelle d’amour » qui était si chère à Lyautey et aux grands coloniaux français…

Il faut bien voir que la catastrophe actuelle résulte de deux principales erreurs de diagnostic faites par les décideurs parisiens : 

1) Avoir cautionné la cuistrerie de ceux de leurs « experts » officiels qui qualifiaient systématiquement de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’arme. 
Alors que nous étions face à un « cocktail » de revendications ethniques, sociales et politiques opportunément habillées du voile religieux, et que le trafic était devenu le poumon économique de populations subissant les effets d’une désertification accélérée par la démographie. D’où la jonction entre trafic et islamisme, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par le second.

2) Avoir ignoré les constantes ethno-historico-politiques régionales. 
Un tel refus obstiné de prendre en compte les réalités ethniques s’explique à la fois par l’idéologie et par l’ignorance. Avec pour conséquence que des solutions aussi hors sol que simplistes ont été plaquées sur la complexe, mouvante et subtile alchimie humaine sahélienne. 
En effet, dans ces immensités où le jihadisme surinfecte de vieilles plaies ethno-historiques, présenter comme solution un processus électoral est une farce tragique car il n’aboutit qu’à un sondage ethnique grandeur nature. Quant au discours convenu prônant la nécessité de combler le « déficit de développement » ou encore la « bonne gouvernance », il relève du charlatanisme politique... 

En 2025, si, après avoir été honteusement « éjectée » du Sahel à la suite de l’accumulation des erreurs commises par Emmanuel Macron, la France décidait d’y revenir, ses dirigeants devraient alors bien réfléchir. Ils ne devraient en effet plus voir la question régionale à travers le prisme des idéologies européo-centrées, des automatismes contemporains et des « singularités » LGBT. 
Tout au contraire, il s’agirait pour eux de replacer les évènement dans leur contexte historique régional à travers cette longue durée qui, seule, permet de comprendre qu’ils sont liés à un passé toujours prégnant et qui conditionne largement les choix des uns et des autres. 

Pour le comprendre, on se reportera à mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours.

dimanche 1 décembre 2024

L'Afrique Réelle n°180 - Décembre 2024

Sommaire

Numero spécial : Le Tchad après la rupture des accords de défense avec la France

- La terre, les hommes et leurs conflits
- Le volcan ethnique menace de se réveiller 
- Les Nord contre le Sud (1965-1979) 
- Les guerres internes au Nord (1980-2009)
- Les dernières guerres d’Idriss Déby Itno

Histoire : Le maréchal Bugeaud et les assassins de la mémoire
- Bugeaud découvre l’Algérie (1836-1837)
- Bugeaud, un opposant à la conquête de l’Algérie
- Bugeaud et la conquête de l’Algérie 
- Bugeaud créateur de l'armée d’Afrique


Editorial de Bernard Lugan

Pourquoi Boualem Sansal est-il pris en otage à Alger ?

Que l’on ne s’y trompe pas, c’est pour avoir déclaré le 2 octobre 2024 à un hebdomadaire français que : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie Ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc », que Boualem Sansal a été incarcéré à Alger où il risque une très lourde peine de prison. Par cette déclaration, Boualem Sansal a en effet brisé un tabou sur lequel repose la fausse histoire du pays fabriquée depuis 1962.

Or, Boualem Sansal n’a fait qu’énoncer une évidence historique niée par les historiens officiels algériens et par les historiens français alignés sur la doxa algérienne.  Benjamin Stora considère ainsi que la déclaration de Boualem Sansal « blesse le sentiment national algérien »… Une insolite remarque dans la mesure où il n’a rien à opposer à  Boualem Sansal… Peut-il en effet raisonnablement soutenir que le Touat, le Tidikelt, le Gourara, Tindouf, Béchar et Tabelbala n’étaient pas marocains avant la colonisation ?

Benjamin Stora aurait donc bénéfice à lire mon livre Le Sahara occidental en dix questions dans lequel je dresse l’argumentaire détaillé et la cartographie très précise des amputations territoriales subles par le Maroc au profit de l’Algérie.

N’en déplaise à Benjamin Stora, avant d’être colonisée par la France, l’Algérie n’existait en effet pas comme Etat alors que le Maroc millénaire contrôlait effectivement tout ce qui, aujourd’hui, est devenu l’ouest algérien, toutes régions que la république coloniale attribua à l’Algérie alors qu’elles étaient dirigées par des caïds nommés par le sultan du Maroc et que la prière y était dite en son nom. 

Pour les dirigeants d’Alger, il est insupportable de devoir simplement admettre que l’unité algérienne est un legs de la France. Jusqu’à son nom qui lui fut donné en 1839 par le général Schneider. Auparavant, l’on parlait certes de la ville d’Alger, mais pas de l’Algérie, pas de l’Etat algérien. La région était désignée sous le nom de Maghreb al-Awsat, Maghreb central ou médian puis, à l’époque ottomane de Régence d’Alger ou Sandjak ou Odjak de l’Ouest. La période ottomane ne vit d’ailleurs pas une évolution vers un État-nation algérien car, à la différence des Karamanli en Libye et des Husseinites en Tunisie, il n’y eut pas dans la Régence d’Alger d’apparition d’une dynastie nationale ou pré-nationale. 

L’affaire Boualem Sansal est emblématique car elle montre que le « Système » algérien vient d’être touché au cœur à travers la fausse histoire sur laquelle il a bâti son entreprise d’exploitation et de pillage du pays. 

vendredi 29 novembre 2024

Le Tchad rompt ses accords de défense avec la France

Nouveau camouflet pour Paris, et fin d’une longue histoire, le jeudi 28 novembre, le Tchad a en effet rompu ses accords de défense avec la France, et cela, quelques heures à peine après la visite que Jean-Noël Barrot, l’insignifiant ministre des affaires étrangères français, venait d’effectuer dans le pays. La déclaration du gouvernement tchadien est très claire : « mettre fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec la République française ». Quant à la date du 28 novembre, elle est symbolique puisqu’il s’agit du 66e anniversaire de la proclamation de la République au Tchad.
Après le Mali, le Burkina Faso et le Niger, la présence militaire française au Sahel n’est donc plus qu’un souvenir.

Une fois encore, l’Afrique Réelle avait annoncé un évènement que les petits marquis sortis de Sciences-Po et qui sévissent dans les ministères français n’avaient évidemment pas anticipé. Mais comment l’auraient pu, eux qui confondent délicats entrechats et politique africaine, eux dont la priorité est d’imposer à l’Afrique démocratie et fantasmes LGBT ?
Or, depuis la visite à Moscou du président tchadien au mois de janvier 2024 où il a été reçu par Vladimir Poutine, il était clair que la politique pro-française de N’Djamena allait évoluer. D’autant plus que le Tchad qui est actuellement dans le tourbillon de la guerre du Soudan est également pris dans la double tenaille turque depuis la Libye et russe depuis la Centrafrique et le Soudan.
Après le repli de Barkhane au Tchad, l’état-major français va donc devoir effectuer une nouvelle manœuvre de désengagement par voie aérienne car il n’est pas assuré que le Cameroun laissera les convois militaires français emprunter ses routes…

Le numéro spécial de l’Afrique réelle que les abonnés recevront le 1er décembre sera consacré à cette question.

lundi 25 novembre 2024

Boualem Sansal : un retour de la piraterie algéroise ?

Avec l’enlèvement de Boualem Sansal, le régime algérien pense pouvoir contraindre la France. Il aurait d’ailleurs tort de ne pas le faire quand, depuis 1962, Paris se plie à toutes les exigences mémorielles d’Alger dont la caste intellectuelle et médiatique parisienne se fait le permanent porte-voix ?  

Au-delà des complaisances et de la mise en dhimitude volontaire du « pays légal » français, l’enlèvement de Boualem Sansal fait immédiatement penser à ce que fut la piraterie algéroise qui porta sur des dizaines de milliers d’Européens. Des malheureux qui, pour la plupart, finirent leurs jours sous les chaines avant d’être enterrés dans la banlieue d’Alger dans ce qui, avant la conquête française de 1830, était désigné comme le « cimetière des chrétiens ».

C’est en effet par dizaines de milliers que des hommes, des femmes et des enfants européens furent pris en mer ou enlevés à terre par les pirates d’Alger. De 1689 à 1697, Marseille perdit ainsi 260 navires ou barques de pêche et plusieurs milliers de marins et de passagers, tous ayant été réduits en esclavage. En 1718, la comtesse du Bourk qui avait embarqué à Sète pour rejoindre  son mari ambassadeur en Espagne, fut ainsi capturée en mer avec ses enfants, dont la petite Marie-Anne âgée de 9 ans.

Dans une intéressante mise au point publiée en 2004 et consacrée aux captifs britanniques intitulée Face à la violence des Etats barbaresques, quelques voix d’esclaves britanniques  (en ligne), Joëlle Harel explique comment les pirates algérois avaient imposé une sorte d’octroi-tribut aux nations chrétiennes, ce qui produisait une source de revenus quasiment illimitée à la Régence d’Alger. Le Danemark consacrait ainsi 15% de ses revenus commerciaux en méditerranée au tribut versé à Alger afin de garantir la sécurité de ses navires. L’auteur montre également que les Etats d’Europe payèrent cet octroi-tribut essentiellement sous forme de munitions et d’armements. Ainsi, et pendant plusieurs siècles, l’Europe fournit-elle paradoxalement les meilleures armes et les experts militaires nécessaires à leur utilisation, à ses pires ennemis (Harel, 2004 :4-5).

Dans son célèbre livre paru en 2003 et intitulé L’Islam et la mer, la mosquée et le matelot (VII°-XX° siècle), Xavier de Planhol a quant à lui détaillé ce type de fourniture : 
« En 1680, la Hollande fournissait à Alger 8 pièces canons, 50 livres de balles avec les accessoires, 40 mâts,500 barils de poudre, 5000 boulets et un vaisseau de câbles et d’agrès et s’engageait à faire de même tous les ans. En 1711, elle donnait 8 canons de bronze, 16 de fer, 24 affûts et 7000 boulets, 600 barils de poudre ; 800 fusiils,400 lames d’épée, 25 mâts et 8 gros câbles. En 1731 la Suède envoyait 800 barils de poudre,8 gros câbles, 50 mâts, 800 fusils,800 sabres,40 pièces de canons et 6000 boulets (Planhol, 2003 :174).

Cet octroi-tribut ne garantissait cependant pas la sécurité des navires britanniques puisque, en 1616, Alger détenait 450 vaisseaux de commerce anglais, et, au cours de la seule année 1625, mille marins et pêcheurs de Plymouth furent capturés, certains à moins de 30 miles des côtes (Harel, 2004 :8). Selon Fernand Braudel (1993) La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, entre 1600 et 1640 environ 800 navires de commerce britanniques furent arraisonnés en Méditerranée et 12 000 marins ou passagers capturés. Entre 1660 et 1730, environ 20 000 britanniques furent détenus en esclavage, essentiellement à Alger.

En 1682, afin de tenter de mettre un terme à cette véritable saignée, l’Angleterre conclut un traité de paix bien inégal avec Alger car, en échange de promesses qui ne furent guère tenues, elle lui livra un énorme matériel de guerre tout en lui abandonnant 350 bâtiments de commerce capturés, ainsi que leurs équipages devenus esclaves et qui ne furent semble-t-il pas libérés. Quant à l’affront fait au consul anglais qui avait été attelé à une charrue, il fut diplomatiquement « oublié » (Harel, 2004 :12).
Ces raids se poursuivirent jusqu’au début du XIX° siècle. Ainsi, Ciro, petit port de Calabre fut-il attaqué et razzié à trois reprises en 1803 et deux en 1804.

Grâce aux rapports des pères des Ordres religieux dits de « rédemption des captifs », qu’il s’agisse de l’Ordre des Trinitaires fondé par Jean de Matha et Félix de Valois, ou des Pères de la Merci, les Mercédaires, un ordre religieux fondé par Pierre Nolasque, nous connaissons les noms de milliers d’esclaves rachetés, ainsi que leurs villes ou villages d’origine, cependant que, faute de moyens, des dizaines de milliers d’autres ne le furent pas et moururent dans les chaînes.

En 1643, le Père Lucien Héraut, prêtre de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, rentra en France avec 50 malheureux Français qu’il venait de racheter aux esclavagistes algérois. Faute de moyens, la mort dans l’âme, il avait laissé derrière lui plusieurs milliers d’autres Français, sans compter les milliers d’esclaves appartenant aux autres nations européennes.

Dans une lettre d’une grande puissance de témoignage adressée à Anne d’Autriche, Reine-Régente du royaume de France, le père Héraut se fit l’interprète des captifs, s’adressant à la reine en leur nom, afin de lui demander une aide financière pour les racheter. Une lettre qui devrait clore les prétentions et les exigences d’excuses des descendants des esclavagistes algérois :

« Larmes et clameurs des Chrestiens françois de nation, captifs en la ville d’Alger en Barbarie, adressées à la reine régente, par le R. P. Lucien Heraut, Religieux de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, 1643.
« (…) ainsi qu’il arrive ordinairement aux vassaux de vostre Majesté, qui croupissent miserablement dans l’horrible esclavage (…) cette mesme necessité addresse aux pieds de sa clemence et Royalle bonté, les larmes et soupirs de plus de deux milles François de nation Esclaves en la seule ville d’Alger en Barbarie, à l’endroit desquels s’exerce les plus grandes cruautés que l’esprit humain puisse excogiter, et les seuls esprits infernaux inventer.
Ce n’est pas, Madame, une simple exaggeration (…) de ceux, qui par malheur sont tombés dans les griffes de ces Monstres , et qui ont ressenty, comme nous, leur infernalle cruauté, pendant le long sejour d’une dure captivité, les rigueurs de laquelle nous experimentons de jour en jour par des nouveaux tourments: la faim, le soif, le froid, le fer, et les gibets (…) mais il est certain que les Turcs et Barbares encherissent aujourd’hui par-dessus tout cela, inventans journellement de nouveaux tourments, contre ceux qu’ils veulent miserablement prostituer, notamment à l’endroit de la jeunesse, captive de l’un et l’autre sexe, afin de la corrompre à porter à des pechés si horribles et infames, qu’ils n’ont point de nom, et qui ne se commettent que parmys ces monstres et furies infernales et ceux qui resistent à leurs brutales passions, sont écorchez et dechirez à coup de bastons, les pendants tous nuds à un plancher par les pieds, leur arrachant les ongles des doigts, brullant la plante des pieds avec des flambeaux ardents, en sorte que bien souvent ils meurent en ce tourment.(…)
Les empalements sont ordinaires, et le crucifiment se pratique  parmy ces maudits barbares, en cette sorte ils attachent le pauvre patient sur une manière d’echelle, et lui clouent les deux pieds, et les deux mains à icelle, puis après ils dressent ladite Eschelle contre une muraille en quelque place publique, où aux portes et entrées des villes (…)  et demeurent aussi quelque fois trois ou quatre jours à languir sans qu’il soit permis à aucun de leur donner soulagement.
D’autres sont écorchez tous vifs, et quantitez de bruslez à petit feu à la moindre accusation et sans autre forme de procez, sont trainez à ce rigoureux supplice, et là attachez tout nuds avec une chaine à un poteau, et un feu lent tout autour rangé en rond, de vingt-cinq pieds ou environ de diametre, afin de faire rostir à loisir, et cependant leur servir de passe-temps, d’autres sont accrochez aux tours ou portes des villes, à des pointes de fer, où bien souvent ils languissent fort long temps ».

Pour en savoir plus, on se reportera à deux de mes livres :
Esclavage, l’histoire à l’endroit
Algérie, l’histoire à l’endroit