Robert Mugabe, dit
« Comrade Bob », né en 1924 dans le dispensaire d’une mission protestante,
eut, durant toute sa vie, des certitudes bornées par le christianisme
révolutionnaire, par le marxisme et par la haine des Blancs.
En 1963, il fut un
des fondateurs du mouvement nationaliste ZANU (Zimbabwe African National Union),
avant d’être arrêté en 1964.
Le 11 novembre 1965, dirigés
par Ian Smith, et en dépit des menaces de sanctions économiques et politiques, les
Blancs de Rhodésie du Sud -228 000 pour 4.847.000 d’Africains-, rompirent
avec la Grande-Bretagne et ils proclamèrent l’indépendance du pays sous le nom
de Rhodésie. L'ONU vota des sanctions et un embargo total.
Libéré en 1975, Robert
Mugabe partit pour le Mozambique où il devint le chef de l’aile militaire de la
ZANU, la ZANA (Zimbabwe African National Army).
Quasiment cernée par
des pays ennemis, la petite armée rhodésienne, rustique et pugnace résista à
toutes les attaques. Jusqu’au moment, où, croyant acheter sa survie en la
poignardant dans le dos, l’Afrique du Sud blanche lui coupa les
approvisionnements en carburant. Les dirigeants rhodésiens furent alors acculés
à signer les accords de Lancaster House. Puis, du 27 au 29 février 1980, eurent
lieu des élections.
Ce fut un vote
ethnique dans la mesure où les suffrages des 70 % de Shona se portèrent sur les
candidats de Robert Mugabe, tandis que les votes des 30% de Matabélé se retrouvèrent
sur les candidats de leur leader, Josuah Nkomo. Une fois de plus, l’ethno-mathématique
avait donc parlé et en avril 1980, la Rhodésie devint officiellement
indépendante, sous le nom de Zimbabwe.
Dans le sud du pays,
en zone matabélé, une guerre tribale éclata aussitôt, les Matabélé n'acceptant
pas de se voir dirigés par les Shona qu’ils avaient soumis avant la venue des
Blancs. Cette révolte fut férocement écrasée par la 5° brigade de l’armée du
Zimbabwe, exclusivement composée de Shona encadrés par des Nord-Coréens.
Depuis 1980, « Comrade
Bob » régnait donc sur ce qui fut la prospère Rhodésie dont il fit un
goulag ruiné. Et pourtant, l’héritage
laissé par le régime blanc était exceptionnel : le pays disposait
d’excellentes infrastructures routières et ferroviaires, la population était
largement alphabétisée et l’économie de type industriel avait un secteur
agricole hautement compétitif. De plus, la politique des sanctions
internationales avait contraint les Rhodésiens à créer une industrie de
transformation.
Quelques années plus
tard, l’héritage laissé par les « colons » ayant été dilapidé, la
faillite était totale.
En 1995,
l’augmentation de 67% du prix du litre d’essence et de 345% de celui du pétrole
lampant utilisé pour la cuisine et l’éclairage domestique provoqua de graves
émeutes dans les principales villes du pays. Leur répression fut sanglante.
En 1999 la catastrophe connut une
nouvelle accélération avec l’effondrement
du dollar zimbabwéen qui perdit
80% de sa valeur face aux devises. L’inflation dépassa alors les 57%, tandis-que
le prix du gallon d’essence passa de 5 à 12 dollars zimbabwéens. Quant au taux
de chômage, il atteignit les 50% Or, avec une croissance démographique de 2,8%
par an, le Zimbabwe voyait arriver chaque année des dizaines de milliers de
jeunes adultes sur le marché du travail.
Tentant une manœuvre de pure
démagogie, Robert Mugabe fit voter par l’Assemblée l’expropriation sans
indemnité des fermiers blancs, puis il ordonna à ses militants d’occuper leurs
fermes. Plusieurs fermiers furent alors massacrés et leurs femmes violées…Dans
le plus total silence des bonnes âmes européennes.
Or, comme les trois quarts des
productions agricoles industrielles et commerciales soutenant la balance des
paiements du Zimbabwe, à savoir le tabac, le paprika, le coton et l’élevage,
avaient pour origine les 4000 fermes encore possédées par les Blancs, le
résultat de cette spoliation ne se fit pas attendre. Dès 2001, jadis
exportateur de nourriture, le Zimbabwe
fut ainsi contraint de lancer un appel à l’aide internationale pour
éviter la famine… Et comme 300 000 emplois avaient été perdus dans le secteur
agricole et ses dérivés, le taux de chômage bondit à 65%...
A la fin de l’année 2007, l’inflation avoisinait en cumulé les 100 000
%. En 2008, les prix des produits alimentaires augmentèrent de 30 à 40% par
jour et ceux des transports publics de
15 à 20% par jour…Au mois de février
2008, l’inflation était de 165 000 %, au mois de juillet de 2,2 millions
de % et le 19 août de 15 millions de % !!!
Début août, la canette de bière coûtait 800 milliards de dollars zimbabwéens.
Pour le clan qui
avait fait main-basse sur le pays, tout allait cependant bien puisque, le 31 juillet 2013,
Robert Mugabe remporta les élections présidentielles en étant élu pour un 6°
mandat…
A partir de ce moment, Grace Mugabe, l’épouse
du président, prit de plus en plus d’importance dans la vie politique du pays
en devenant secrétaire nationale de la ligue
féminine du parti au pouvoir.
En 2016, le pays fut une nouvelle fois au
bord de la famine et le gouvernement se vit obligé d’importer des cargaisons massives
de nourriture. Au mois de février, la situation fut à ce point grave que les
entreprises furent contraintes de participer à l’achat de vivres à
l’étranger…Mais, le 27 février, alors que le pays était en état de quasi
famine, les 92 ans du président Mugabe furent fastueusement célébrés devant
50 000 invités dans une débauche de dépenses.
Le mandat de Robert Mugabe s’achevant en
2018, et, compte tenu de l’âge du président, des remous commencèrent à
parcourir le parti présidentiel ; d’autant plus qu’au mois de juillet
2016, tout le pays fut secoué par d’importants mouvements sociaux. C’est dans
ce contexte lourd d’orages que le clan présidentiel tenta d’imposer Grace
Mugabe (48 ans), pour succéder à son époux devenu cacochyme. La fracture au
sein du parti de gouvernement apparut alors au grand jour car Grace Mugabe
était plus que contestée en raison de ses frasques multiples et de son insolent
train de vie.
Ses opposants se rangèrent alors derrière le
vice-président Emmerson Mnangagwa mais, au mois d’octobre 2017, ce dernier fut
démis et il s’enfuit au Mozambique.Tout
bascula alors, car l’armée, pourtant pilier du régime, prit son parti. Certes,
afin d’empêcher l’installation au pouvoir de Grace Mugabe, mais d’abord pour
précéder un mouvement de purge qui allait permettre la nomination aux postes de
commandement de partisans de cette dernière.
Emmerson Mnangagwa succédera-t-il
à Robert Mugabe dont il fut jusqu’à ces derniers mois, non seulement l’homme
de main, mais celui qui, chef de ses services de renseignement, fut l’exécuteur
de ses plus basses, de ses plus sanglantes et de ses plus sordides œuvres ?
Si tel était le cas, nul doute
que les démocrates et les défenseurs des droits de l’homme trouveraient en lui un
interlocuteur « bienveillant »…
Bernard Lugan
Le numéro de décembre 2017 de l’Afrique Réelle que les abonnés recevront le 1er décembre contiendra un important dossier consacré au Zimbabwe.