Au mois de janvier 2012, au Mali,
la résurgence d’une crise née au moment des indépendances, imposait de fixer l’abcès
afin d’éviter sa dissémination et pour ensuite le traiter en profondeur à
travers trois volets :
- Politique, en prenant en compte la légitime revendication des
populations nordistes, notamment celle des Touareg,
- Diplomatique, en faisant comprendre à l’Algérie que si ses intérêts
régionaux n’étaient à l’évidence pas ceux de la France, les nôtres ne s’effaceraient
pas devant les siens,
- Militaire, en appuyant les Touareg contre les groupes islamiques qui, à
l’époque, totalisaient moins de 300 combattants qui avaient commis l’erreur de sortir
de la clandestinité désertique pour se rassembler à Gao et à Tombouctou.
Au lieu de cela, dans la plus totale indécision doublée d’un manque
absolu de vision géostratégique, la France :
- S’est réfugiée à l’abri du principe de l’intangibilité des frontières,
- A cédé devant les exigences algériennes de non intervention,
- A camouflé sa pusillanimité derrière l’argument d’une « action »
de la CEDEAO, ce « machin », ce « volapuk », cette tour de
Babel, dont l’efficacité militaire relève de la méthode Coué,
- A laissé les islamistes liquider militairement les Touareg.
Le résultat de cette addition de démissions décisionnelles est qu’un incendie
limité pouvant être rapidement éteint, notamment au moyen d’une de ces
opérations « discrètes » que nos forces savent encore si bien mener,
est aujourd’hui devenu un foyer régional de déstabilisation. En effet :
1) Le Mnla ayant été militairement défait et repoussé vers la frontière
algérienne, les islamistes qui ne risquent plus d’être pris à revers sur leur flanc nord ont
désormais toute la profondeur saharienne pour manœuvrer. Quant à leur flanc
ouest, il semble également s’ouvrir car au sein des tribus arabes de
Mauritanie, certains, de plus en plus nombreux, commencent à se poser des
questions…
2) Sur le flanc oriental la situation leur devient également de plus en
plus favorable car le chaos en retour se fait sentir en Libye où tout le sud du
pays est mûr pour devenir un nouveau Mali. Quant au sud de la Tunisie, la contamination
y a largement commencé.
3) La contagion n’est plus qu’une question de temps au Tchad et au Darfour
cependant qu’un continuum fondamentaliste est en passe de s’établir avec les
islamistes de Boko Haram du nord Nigeria.
Ainsi donc, le « Sahélistan », fantasme il y a encore
quelques mois, devient-il peu à peu
réalité. L’une de ses forces est qu’il s’agit d’une résurgence historique ramenant directement aux jihad sahéliens du
XIX° siècle qui enflammèrent la totalité de la région depuis le Soudan à l’Est
jusqu’au Sénégal à l’Ouest.
Or, l’islamisme sahélien de 2012 s’abreuve à cette « fontaine de
rêve » fermée par la colonisation. Comment cette réalité inscrite dans la
longue durée peut-elle être comprise par
des journalistes ou des politiciens esclaves de l’immédiateté et de leur
inculture ? Comment pourrait-elle l’être par ces
« africanistes » élyséens dont la principale activité semble être de
torpiller les informations que les militaires font « remonter »
depuis le terrain ?
Dans le Sahel, au cœur de ce qui fut notre « pré carré », ceux
qui inspirent la politique de la France ont donc laissé s’écrire le même
scénario que celui que nous avons connu dans la région des Grands Lacs et qui
peut être exposé en quatre points :
1) Une erreur d’analyse reposant sur la priorité donnée aux postulats
idéologiques aux dépens des réalités géographiques, anthropologiques et
historiques.
2) L’absence de toute véritable stratégie de défense.
3) Le tropisme de l’abandon de nos alliés ou amis.
4) La place laissée libre à des acteurs extérieurs. Dans le cas présent,
l’Algérie et les Etats-Unis qui attendent le moment propice pour intervenir,
mais à leur manière. Les conséquences de l’incompétence hexagonale seront alors
camouflées sous l’alibi facile de « complot anglo-saxon » contre les
intérêts français...
Alors que tout ce qui se passe dans la zone concernée nous est connu,
alors que nous savons tout, et au-delà, de ceux qui la déstabilisent, alors que
nous y disposons de tous les réseaux utiles, alors enfin que, parfaitement
immergées, nos forces auraient pu rapidement « régler » le problème,
l’Elysée a laissé la situation lui échapper.
Faut-il s’en étonner quand la tête de l’Etat dodeline entre indécision et repentance ?
Bernard Lugan
23/11/12