Fondateur du mouvement touareg islamiste Ansar Dine et responsable de la prise de Mopti (Konna) le 9 janvier 2013 et du raid sur Bamako qui déclencha l’Opération Serval, Iyad Ag Ghali, vient de réussir un coup de maître qui le replace au cœur du jeu politique malien. En utilisant les otages, il a négocié un blanc-seing avec les Français, mais, surtout, débarrassé de ses encombrants alliés d’Aqmi par l’Opération Serval, il a réussi ce qu’il cherchait en vain à faire depuis le mois de janvier 2012, début de la guerre du Mali, à savoir être un interlocuteur « incontournable ».
Rappel historique : né dans la région de Kidal dans les années
1955, Iyad Ag Ghali est un Touareg de grande tente puisqu’il est de noble
ascendance ifora. En 1990, il déclencha la grande révolte des Touareg du Mali
qui se termina en 1992 par un accord au terme de négociations parrainées par
l’Algérie et par la France. La paix revenue, il se lança dans les
« affaires », c'est-à-dire dans tous les trafics à travers le Sahara
et il devint ensuite l’interlocuteur de toutes les chancelleries à l’occasion
des nombreux enlèvements de ressortissants européens qui eurent lieu dans la région.
En mai 2006, avec Ibrahim Ag Bahanga, à Kidal, il lança une rébellion
qui se termina moins d’un mois plus tard à la suite d’accords signés à Alger le
4 juillet. Afin de l’éloigner du Mali, le président de l’époque, Amadou Toumani
Touré, dit ATT, le nomma comme diplomate en Arabie saoudite. Il en fut rapidement
rappelé, les autorités saoudiennes le soupçonnant d’activités illicites et lui
reprochant un mode de vie peu conforme aux lois islamistes en vigueur dans le
pays. Il s’installa alors à Bamako où il afficha une subite et radicale
conversion à l’islam le plus rigoriste, ce qui surprit ses amis, ses goûts plus que connus
pour les divers plaisirs de la vie n’étant pas un secret…Contrairement à ce qui
est souvent dit, ce n’est pas en Arabie saoudite qu’il reçut l’ « illumination
religieuse », mais à Bamako, auprès des islamistes locaux dont il
entreprit de se faire des alliés. Ceux qui l’ont fréquenté avant cette
« conversion » pensent qu’il fit là un choix peut-être d’abord
politique.
Au mois d’octobre 2011, les contingents touareg malien et nigérien de
l’armée du colonel Kadhafi rentrèrent au pays. Au mois de janvier 2012, Iyad Ag
Ghali passa à l’action en ordonnant aux touareg Iforas de l’armée malienne de
déserter. Au même moment, eut lieu l’insurrection touareg qui fut rapidement
maîtresse de tout le nord du Mali où le MNLA proclama l’indépendance de
l’Azawad. Cependant, des tensions éclatèrent entre les chefs touareg et Iyad Ag Ghali qui ne put s’imposer à la tête
du mouvement décida de se rapprocher des diverticules d’Aqmi. Allié aux
islamistes, il mit le MNLA en déroute.
Au mois de décembre 2013, des rivalités stratégiques importantes
opposèrent les chefs des divers mouvements islamistes et islamo-touareg. Pour
Aqmi, la priorité était alors de consolider l’implantation des Iforas afin d’en
faire le point de rayonnement du Sahélistan islamiste. Iyad Ag Ghali avait une
toute autre stratégie : certes, il était devenu « islamiste »,
mais avant tout, c’était un Touareg qui luttait pour la reconnaissance des droits
de son peuple. En fin analyste de la situation politique, il savait que jamais
la communauté internationale n’accepterait la sécession du nord Mali proclamée
par le MNLA ; c’est pourquoi il décida de prendre Bamako afin d’y être en
position de force pour imposer de l’intérieur la réorganisation confédérale du
pays. Or, il disposait de solides appuis dans la ville parmi les
fondamentalistes islamistes dont j’ai dit qu’il fut très proche entre 2007 et
2011, et qui devaient constituer sa 5°colonne.
Il pensait également que les Français ne réagiraient pas car le
président Hollande avait solennellement déclaré que, et quoiqu’il advienne,
l’armée française demeurerait passive. D’ailleurs, sur zone, la France n’avait
aucun moyen d’intervention, à l’exception de deux hélicoptères gazelle des
forces spéciales, l’Elysée ayant refusé de déployer préventivement des
hélicoptères d’attaque afin de ne pas être accusé d’ingérence. Comme en plus,
Iyad Ag Ghali n’avait jamais interrompu ses rapports avec les services français,
il était persuadé que Paris allait le laisser prendre Bamako pour ensuite
traiter avec lui.
Au début du mois de janvier, il surprit tous ses rivaux en lançant un raid
sur Bamako avec une centaine de véhicules armés ; son plan s’effondra
quand les deux hélicoptères des forces spéciales attaquèrent son convoi.
Comprenant que les Français ne le laisseraient pas avancer et alors qu’il
n’avait perdu que quatre véhicules, il décida de se replier vers le nord,
laissant les jihadistes qui n’avaient pas voulu cette opération seuls face aux
troupes françaises.
L’Opération Serval qui fut
déclenchée en réponse à son raid avorté sur Bamako lui rendit ensuite un grand
service. Avec le noyau dur d’Ansar Dine,
à savoir sa composante touareg, il se dilua dans le désert, laissant les
islamistes d’Aqmi se faire proprement liquider par les forces françaises. Plus
de 600 combattants trouvèrent ainsi la mort dans les Iforas.
Pour Iyad Ag Ghali la situation était claire: ses rivaux touareg du MNLA
bien affaiblis avaient collaboré avec les Français, ce qui les discrédita,
cependant que ses rivaux islamistes d’Aqmi avaient été en partie éliminés par
Serval. Il était donc redevenu l’homme fort de la région.
Cependant, il lui fallait rentrer en grâce auprès des Français. Or, le
président Hollande aux abois avait un besoin urgent de nouvelles
« positives » pour tenter de freiner une courbe « sondagière »
plus qu’alarmante. Tout allait donc s’accélérer et Iyad Ag Ghali qui n’avait jamais
cessé d’ « avoir des nouvelles » des otages, trouva les
« arguments » pour les faire libérer.
Comme il n’a pas directement participé à leur enlèvement et à leur
détention, il ne peut donc être inculpé par la justice française. Pour le
reste, la situation du Mali est telle que son retour sera considéré par Paris
comme un élément positif qui permettra de lutter contre les jihadistes car Iyad
Ag Ghali va naturellement les combattre…
Et c’est ainsi qu’en ne perdant jamais de vue l’intérêt de son peuple et
en utilisant tous les moyens politiques, militaires, religieux et maffieux,
Iyad Ag Ghali a montré qu’il est la clé de tout règlement politique régional
ou, à défaut, de toute nouvelle « aventure »...
Bernard Lugan
31/10/2013