En Afrique
du Sud, les fins de mandat des présidents se ressemblent : par un coup d’Etat
interne à l’ANC, le vice-président Cyril Ramaphosa a évincé le président Jacob
Zuma, lequel avait fait de même avec Thabo Mbeki en 2008. En dehors du fait
qu’un Venda va remplacer un Zulu, cette révolution de palais ne changera pas
grand-chose dans le pays. A un Jacob Zuma lié au gang indien Gupta[1], va en
effet succéder l’ex avocat-syndicaliste Cyril Ramaphosa. Ce dernier a bâti sa
colossale fortune dans les conseils d’administration des sociétés minières
blanches au sein desquels il fut coopté en échange de son « expertise »
syndicale. En réalité, il fut adoubé par le patronat pour contrer les
revendications des mineurs noirs dont il fut le représentant avant 1994 !!!
Le leader
révolutionnaire Julius Malema a donc raison de dire qu': « En Afrique du Sud,
la situation est pire que sous l’apartheid (et que) la seule chose qui a
changé, c’est qu’un gouvernement blanc a été remplacé par un gouvernement de
Noirs ». Avec une différence cependant : avant 1994 les Noirs ne mouraient pas
de faim, ils étaient gratuitement soignés et éduqués, l’électricité
fonctionnait, les pénuries d’eau étaient inconnues et la police faisait son
travail…
La
présidence de Jacob Zuma s’est donc achevée dans le désastre. Englué dans
plusieurs affaires de corruption, le président sud-africain a été pris la main
dans le sac d’une gigantesque entreprise de favoritisme d’Etat au profit de la
famille Gupta. Une commission judiciaire fut même désignée pour enquêter sur la
gravissime accusation de « State Capture » car ces gangsters affairistes
avaient réussi à imposer leur droit de regard sur les nominations officielles,
ce qui leur avait permis de placer leurs agents à tous les rouages de décision
de l’Etat et des entreprises publiques.
Ne nous
trompons pas d’analyse, car le départ de Jacob Zuma ne va pas permettre
d’ouvrir des fontaines laissant couler le lait et le miel. Contrairement à ce
qu’écrivent les journalistes, l’affaire Zuma est en effet, et d’abord, la
conséquence de l’incurie du parti gouvernemental ANC, l’arbre qui cache la
forêt d’un gangstérisme d’Etat. C’est la faillite de l’ANC qui est mise en
évidence à travers elle car, entre 1994 et 2018, le mouvement de Nelson Mandela
a conduit le pays vers un naufrage qui se mesure en quelques chiffres :
- Bien que
réalisant ¼ du PIB de tout le continent, l’Afrique du Sud est aujourd’hui
devenue un des 5 pays « les moins performants » d’Afrique, juste devant les
Comores, Madagascar, le Soudan et le Swaziland.
- Au mois
de mai 2017, l’Afrique du Sud est entrée en récession. Or, en 2000, il fut acté
par l’ONU que les Objectifs du Millénaire
pour le Développement (OMD) dont le principal était le recul de la
pauvreté, ne pourraient être atteints sans un minimum de croissance annuelle de
7% durant plusieurs années.
- Le
chômage touche plus de 40% des actifs quand les chiffres officiels sont de 25%
- Le revenu
de la tranche la plus démunie de la population noire est inférieur de près de
50% à celui qu’il était sous le régime blanc d’avant 1994.
- Un
habitant sur trois survit grâce aux aides sociales, le Social Grant.
- A
l’exception de l’agriculture, branche encore contrôlée par les Blancs - mais
pour combien de temps? -, tous les secteurs économiques sud-africains sont en
recul, à commencer par les industries de main d’œuvre (textile, vêtement,
chaussures), qui n’ont pu résister aux importations chinoises. Quant aux
secteurs de la mécanique dans lesquels, avant 1994, l’Afrique du Sud produisait
la majeure partie des pièces dont ses industries avaient besoin, ils sont
moribonds.
- Même les
mines ont sombré. Pertes de production et de revenus, plus coûts d’exploitation
en hausse constants, ont eu pour conséquence la fermeture des puits secondaires
et la mise à pied de dizaines de milliers de mineurs. Pour maintenir la
production, il aurait fallu investir des sommes colossales, mais le climat
social, la corruption et l’insécurité ont découragé les investisseurs qui ont
préféré faire glisser leurs activités vers des pays moins incertains.
L’industrie minière est également pénalisée par les coupures de courant à
répétition car la compagnie publique Eskom, littéralement pillée par ses
nouveaux dirigeants nommés par l’ANC a, de plus, vécu sur l’héritage laissé par
le régime blanc et sans procéder aux investissements indispensables. Résultat :
les mines qui représentent aujourd’hui 10% du PIB sud-africain, qui emploient
8% de la population active et qui sont le premier employeur du pays avec
500.000 emplois directs, ont perdu plus de 300.000 emplois depuis 1994.
Le soit
disant héritage négatif de «l 'apartheid » a, des années durant, servi d’excuse
aux dirigeants sud-africains. Or, personne ne peut plus nier qu’en 1994, quand
le président De Klerk hissa au pouvoir un Nelson Mandela bien incapable de le
conquérir par les armes, il légua à l’ANC la première économie du continent, un
pays doté d’infrastructures de communication et de transport à l’égal des pays
développés, un secteur financier moderne et prospère, une large indépendance
énergétique, une industrie diversifiée, des capacités techniques de haut niveau
et la première armée africaine. Force est également de constater que, libérée
de l’ « oppression raciste », la « nouvelle Afrique du Sud » fut immédiatement
la proie du parti prédateur ANC dont les cadres, aussi incapables que
corrompus, eurent comme objectif principal leur propre enrichissement.
La leçon
sud-africaine est donc limpide : en 24 ans de pouvoir sans partage, l’ANC a
ruiné un pays prospère, le transformant en un Etat du « tiers-monde » dérivant
dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violences.
Les gogos occidentaux continueront pourtant à se pâmer devant la figure
tutélaire de Nelson Mandela, le chef de l’ANC, tout en continuant à avoir « les
yeux de Chimène » pour le fantasme de la « nation arc-en-ciel ». Dans les jours
qui viennent, tétanisés par leurs certitudes, les « spécialistes »
auto-proclamés vont donc disserter à l’infini sur le remplacement du « maffieux
» Zuma par le « vertueux » Ramaphosa. « Vertueux » par définition puisqu’il
était prétendument l’héritier préféré de « l’icône » Mandela…
La seule
question qui mériterait d’être posée, mais ils ne la poseront pas, ou alors
très partiellement, est de savoir comment le nouveau président va pouvoir gérer
le naufrage de l’économie sud-africaine, comment il va pouvoir gouverner en
étant pris entre des pressions internes et externes contradictoires. Vont en
effet se confronter deux plaques tectoniques, celle des milieux d’affaires
pro-occidentaux qui ont fait sa fortune et celle des tendances
radicales-racialistes lourdes qui constituent le fonds de commerce de l’ANC et
des partisans de Julius Malema.
Bernard Lugan
14/02/2017
[1] Voir à ce sujet le
dossier consacré à cette question publié dans le numéro du mois de juillet 2017 de l’Afrique
Réelle (n°91) sous le titre « Jacob Zuma peut-il survivre au Gupta
Gate ? ».