vendredi 30 avril 2021

L'Afrique Réelle n°137 - Mai 2021


























Sommaire

ActualitéLe Tchad après la mort d'Idriss Déby
- Idriss Déby une vie de combats
- Les dernières guerres d’Idriss Déby (2019-2021)
- Les nordistes tchadiens
Repentance :
Génocide du Rwanda : la commission Duclert n'a pas vu que le vrai responsable est le diktat démocratique
Histoire :
Bonaparte en Egypte

Editorial de Bernard Lugan

Conséquence de la guerre insensée faite au colonel Kadhafi, la Libye est devenue le sanctuaire des rebelles tchadiens. Durant des années, ces derniers se vendirent aux belligérants libyens en fonction de leurs intérêts du moment. 
Le 16 octobre 2018, le général Haftar effectua une visite officielle à N’Djamena. En échange de l’appui tchadien, il s’engagea à pourchasser les opposants au président Idriss Déby. D'autant plus volontiers que ces derniers s’étaient entretemps alliés à la ville de Misrata, son ennemie mortelle.
Afin de ne pas tomber entre les mains des forces du général Haftar, au mois de janvier 2019, les frères Timan et Tom Erdibi, Zaghawa et neveux du président Idriss Déby, tentèrent alors le tout pour le tout en se lançant à la conquête de N’Djamena sous la bannière de l’UFR (Union des forces de la résistance). Mais ils furent pulvérisés les 4, 5 et 6 février par l’aviation française. 

A partir du mois de juillet 2020, profitant de la défaite du général Haftar devant Tripoli et de son repli à l’est de la Libye, les opposants tchadiens se réinstallèrent dans le Fezzan. Ils y furent armés par la Turquie qui avait décidé de se servir d’eux dans sa stratégie de poussée vers la région péri-tchadique, renaissance de la politique ottomane de jadis. 

Au mois d’avril 2021, sous le drapeau du FACT (Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad) de Mahamat Mahdi Ali, des Toubou-Gorane lancèrent alors une offensive depuis le Fezzan en longeant la frontière du Niger. Pour mémoire, Gorane est le nom arabe désignant les Toubou de l’Ennedi et d’Oum Chalouba. C’est en les combattant qu’Idriss Déby trouva la mort.

Désormais, que vont faire les Toubou ? Dans les années 1970, les deux composantes toubou s’opposèrent dans une lutte fratricide. L’une était dirigée par Goukouni Weddeye, fils du Derdéi, le chef spirituel des Tomagra du Tibesti. L’autre, par Hissène Habré, Gorane du clan Anakaza d’Oum Chalouba qui fut renversé en 1990 par Idriss Déby. Si, les Toubou s’unissaient et si la Turquie les poussait à agir, le régime de Mahamat Idriss Déby serait alors extrêmement fragilisé.
N’oublions cependant pas que Mahamat Idriss Déby, étant de mère Gorane et ayant lui-même épousé une Gorane, tous les clans gorane ne se dresseront donc pas contre lui. Certes encore, mais certains clans Zaghawa considèrent donc qu’il n’est qu’en partie des leurs… Quant au clan arabe du Ouadaï auquel appartient Hinda, l’une des épouses d’Idriss Déby, il est détesté à la fois par les Zaghawa et par ceux des Gorane qui suivaient son mari… 
L’avenir du Tchad, verrou de l’Afrique centrale, dépend donc de la manière dont vont s’exprimer ces puissants déterminismes ethno-claniques dans un contexte régional conflictuel aggravé par les solidarités ethniques transfrontalières (Libye, Soudan, Nigeria, Niger et RCA). Et par les manœuvres de la Turquie depuis la Libye, et celles de la Russie depuis la RCA…. 

Pour tout ce qui concerne ces constantes de longue durée qui font l'histoire de la région, on lira mon livre « Les guerres du Sahel des origines à nos jours ». 

jeudi 22 avril 2021

Tchad : les clés de compréhension passent par la reconnaissance des fondamentaux ethno-claniques, non par les incantations démocratiques

Dans l’incertitude actuelle, en dépit des rumeurs, des jeux politiques, des déclarations des-uns et des autres, des questions sur l’avenir du G5 Sahel, du jeu de plus en plus « clair » de la Turquie, de celui la Russie, de la Chine et de la navigation à vue de la France, l’essentiel est de voir que la question du Tchad est d’abord ethno-clanique.

Les Zaghawa, les Toubou du Tibesti (les Teda), les Toubou de l’Ennedi-Oum Chalouba (les Daza-Gorane) et les Arabes du Ouadaï sont divisés en une multitude de sous-groupes. Tous additionnés, ils totalisent moins d’un quart de la population du Tchad. Démocratiquement, c’est à dire « occidentalement » parlant, ils ne comptent donc pas puisque, toute élection « loyale » les écarterait mathématiquement du pouvoir. Or, ils constituent la fraction dominante de ce qui est devenu le Tchad. C’est autour de leurs rapports internes de longue durée, de leurs alliances, de leurs ruptures et de leurs réconciliations plus ou moins éphémères que s’est écrite l’histoire du pays depuis l’indépendance. C’est autour d’eux que se sont faites toutes les guerres du Tchad depuis 1963. C’est de leurs relations que dépend le futur du pays, la majorité de la population n’étant que la spectatrice-victime de leurs déchirements et de leurs ambitions. Voilà qui est difficile à faire comprendre aux universalistes démocrates du monde occidental.

Pour résumer la question :

- Idriss Déby Itno était Zaghawa du clan Bideyat. Or, les Zaghawa sont à ce point divisés que, depuis 2004, les frères Timan et Tom Erdibi, ses propres neveux, étaient en guerre contre lui. Comment vont donc maintenant se positionner les divers clans zaghawa dans la lutte pour le pouvoir ? Là est la première interrogation.

- Le nouveau chef de l’Etat, Mahamat Idriss Déby, l’un des fils d’Idriss Déby Itno est de mère gorane. Gorane est le nom arabe désignant les Toubou de l’Ennedi et d’Oum Chalouba dont la langue est le daza. Lui-même a épousé une Gorane. D’où la méfiance de certains Zaghawa qui considèrent qu’il n’est qu’en partie des leurs. Même si, par le passé, des alliances plus qu’étroites ont pu régulièrement associer Zaghawa et certains clans Gorane, que vont donc faire ceux des Gorane qui suivaient Idriss Déby ? Là est une deuxième grande question.

- Hinda, l’épouse favorite d’Idriss Déby Itno, est une Arabe du Ouadaï. Favorisé par Idriss Déby, son clan qui faisait partie du premier cercle présidentiel est détesté à la fois par les Zaghawa et par ceux des Gorane qui suivaient son mari. Quel est alors l’avenir du cercle arabe ouadaïen qui gravite autour d’Hinda ? S’il y avait rupture avec lui, la triple alliance ethno-clanique constituée par Idriss Déby serait alors réduite à deux, à savoir une fraction zaghawa et une fraction gorane.
 
Une autre grande question concerne les rebelles qui sont divisés en trois principaux mouvements militaires. Deux sont des émanations de certains clans toubou-gorane qui n’ont pas pardonné à Idriss Déby de s’être soulevé contre Hissène Habré, lui-même Gorane du clan Anakaza de la région d’Oum Chalouba :

- Idriss Déby a perdu la vie en combattant le Fact (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad). Fondé au mois d’avril 2016 par Mahamat Mahdi-Ali, le Fact rassemblait à l’origine des Toubou parlant le daza, donc essentiellement des Toubou-Gorane de l’Ennedi. En Libye, le Fact a combattu avec les milices de Misrata contre les forces du maréchal Haftar. Aujourd’hui, il est armé par la Turquie qui s’en sert dans sa poussée vers la région péri-tchadique, renaissance contemporaine de la grande politique ottomane de jadis dont le but était le contrôle de l’Afrique centrale et de ses ressources en ivoire et en esclaves.

- Au mois de juin 2016, les Toubou du clan Kreda qui sont également des locuteurs daza quittèrent le Fact pour suivre Mahamat Hassane Boulmaye qui fonda le Ccmsr (Conseil de commandement militaire pour le salut de la République).

- L’Ufr (Union des forces de la résistance) qui a été fondée en 2009, est essentiellement composée  de certains clans zaghawa et tama. Ce mouvement a, lui aussi, combattu les forces du général Haftar en Libye. C’est lui que l’aviation française a stoppé dans sa marche sur N’Djamena au mois de février 2019. L’Ufr aurait apporté son soutien au Fact.

Déstabilisée par sa mort, l’alchimie ethno-clanique constituée par Idriss Déby Itno est actuellement en ébullition. Si, à la faveur de ses rivalités internes et des règlements de compte qui s’annoncent, les Toubou refaisaient leur unité, comme en 1998 quand Youssouf Togoïmi fonda le Mdjt (Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad) pour fédérer les opposants toubou à Idriss Déby, et si l’une ou l’autre des fractions ou des sous-fractions de l’ancienne matrice ethno-clanique constituée autour d’Idriss Déby, rejoignait les rebelles, le régime de son fils serait alors extrêmement fragilisé.
Tout le reste, à commencer par les sempiternelles références à l’Etat de droit, par la psalmodie de la « bonne gouvernance » et par les artificielles incantations à la tenue d’élections, n’est hélas, et en réalité, que bavardage européo-centré… 

Pour tout ce qui concerne l’historique des complexités des rapports ethniques tchadiens, l’on se reportera à mon livre : Les Guerre du Sahel des origines à nos jours. Dans le numéro du mois de mai de l’Afrique Réelle que les abonnés recevront au début du mois, un dossier sera consacré à la question du Tchad.

lundi 19 avril 2021

La France peut-elle laisser sauter le verrou tchadien ?

Le 11 avril, au Tchad, au moment où se tenaient les élections présidentielles, une colonne rebelle venue de Libye a traversé le Tibesti, dans le nord du pays. Donnant le change, elle a laissé croire que son objectif était Faya, ce qui lui a permis d’y attirer les forces gouvernementales, l’ANT (Armée nationale tchadienne), dont une partie des meilleurs éléments se trouve actuellement au Mali en appui des forces françaises de Barkhane. 

Pendant ce temps, une colonne rebelle marchait vers le sud en longeant à l’ouest la frontière avec le Niger. Son but était-il de  prendre N’Djamena ou bien d’opérer une  diversion ? Quoiqu'il en soit, dans l’urgence, les forces gouvernementales directement commandées par le président Déby ont alors opéré un mouvement vers le sud, et, le 17 avril, elles ont accroché et détruit cette colonne rebelle à une centaine de kilomètres au nord de la ville de Mao. A ce moment-là, l’état-major tchadien a annoncé sa victoire.

Mais les forces gouvernementales étaient tombées dans un piège car les rebelles s’étaient divisés, seule une de leurs  colonnes étant entrée en contact avec l’ANT. Puis, lundi 19 avril, plusieurs attaques simultanées se déroulèrent, provoquant un mouvement de panique à N'Djaména où les ambassades américaine et britannique demandèrent à leurs ressortissants de quitter le pays. 

Pour mémoire, une précédente attaque avait eu lieu au mois de janvier 2019, déjà depuis la Libye. Mais en direction de l’Ennedi, cette fois quand des rebelles tchadiens dirigés par les frères Timan et Tom Erdibi, tous deux Zaghawa Bideyat et neveux du président Idriss Déby Itno avec lequel ils sont brouillés depuis 2004 avaient tenté de prendre N'Djamena, sous la bannière de l'UFR (Union des forces  de la résistance), un mouvement fondé au Darfour en 2009 et étroitement ethno-centré sur des fractions  Zaghawa et Tama. Les 4,5 et 6 février, l’aviation française avait détruit la colonne dans la région de Bao dans le nord-est de l'Ennedi, sauvant ainsi le régime du président Déby. 

Une intervention militairement justifiée du côté français car la sécurité du Tchad devait impérativement être garantie, faute de quoi l’avenir du G5 et de Barkhane aurait été compromis. D’autant plus qu’Idriss Déby Itno avait fait valoir un argument de poids auprès des autorités françaises à savoir que, faute d’aide française, il serait contraint de retirer son contingent du Mali. 

L’attaque qui se déroule actuellement est menée par le FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) bras armé des Toubou-Gorane du clan Daza. Son armement lui est largement fourni par la Turquie dont le but est de chasser la France  du Sahel central afin de pouvoir renouer avec sa pénétrante péri-tchadique, comme avant 1912, quand l’empire ottoman exerçait son autorité sur cette partie du Sahara (voir à ce sujet mon livre « Les Guerre du Sahel des origines à nos jours). Or, l'UFR vient d’apporter son soutien au FACT… ce qui pourrait signifier qu’en dépit de leurs multiples rivalités ethniques, toutes les forces rebelles auraient décidé de se coaliser contre le président Déby.

Ce dernier réussira-t-il une fois de plus à triompher de ses adversaires ? L’avenir le dira. Mais si son régime tombait, c’en serait fini du « verrou tchadien » avec toutes les conséquences régionales qui en découleraient…mais également de Barkhane dont l’état-major est, comme je n’ai cessé de le dire,  plus que très imprudemment installé à N’Djamena...

Le numéro du mois de mai de l’Afrique Réelle reviendra sur cette question.

jeudi 15 avril 2021

Danièle Obono contre Valeurs Actuelles, ou quand intellectuellement défaits, les décoloniaux se tournent vers les juges…

Le 14 avril 2021, le Parquet de Paris a donné suite à la plainte de Madame le Député Obono contre Valeurs Actuelles, décidant que l’hebdomadaire serait jugé le 23 juin par le tribunal correctionnel pour « injure publique à caractère raciste ».

Figure de proue du mouvement « décolonial », Madame le Député Obono partage bien des combats des islamo-gauchistes. Membre de La France Insoumise, parti qui, au mois de juin 2020, devant le Parlement européen, déposa un amendement visant à ne reconnaître comme « crime contre l’humanité » que la Traite européenne, la seule traite européenne, et non pas toutes les traites, dont la traite arabo-musulmane et la traite interafricaine, comme cela était prévu dans le texte initial, Madame le député Obono ne trouve pas choquante la formule « nique la France ».

Réponse « du berger à la bergère », au mois d’août 2020, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles publia un article humoristique illustré d’un dessin représentant Madame le Député Obono enchaînée et prisonnière de chasseurs d’esclaves noirs. Le journal entendait ainsi mettre en évidence la grande réalité de l’histoire de la traite qui est que cette dernière eut été impossible sans leurs associés pourvoyeurs-associés africains auxquels les négriers européens achetaient les captifs. Sans ces partenaires locaux, cette traite eut été en effet, et par définition, impossible puisque les esclaves étaient capturés, transportés, parqués et vendus par des chasseurs d’esclaves noirs. Et comme les acheteurs blancs attendaient sur le littoral ou à bord de leurs navires que les captifs leur soient livrés, il dépendait donc in fine des négriers africains d’accepter ou de refuser de leur vendre leurs « frères » noirs. Une réalité essentielle que je développe largement dans mon livre « Esclavage, l’histoire à l’endroit » en démontrant qu’une partie de l’Afrique s’est enrichie en vendant l’autre partie…

Une évidence historique notamment mise en lumière par Mathieu Kérékou, l’ancien président du Bénin qui n’a pas hésité à écrire que « Les Africains ont joué un rôle honteux durant la Traite », ainsi que par les évêques africains en des termes très forts :

« Commençons donc par avouer notre part de responsabilité dans la vente et l’achat de l’homme noir… Nos pères ont pris part à l’histoire d’ignominie qu’a été celle de la traite et de l’esclavage noir. Ils ont été vendeurs dans l’ignoble traite atlantique et transsaharienne » (Déclaration des évêques africains réunis à Gorée au mois d’octobre 2003). 

Tout aurait pu en rester là de l’article de Valeurs Actuelles écrit dans la grande lignée culturelle française du pastiche. Or, à travers la caricature la représentant, la mise en évidence des responsabilités historiques d’une partie des Africains dans la vente de leurs « frères » noirs aux négriers européens, ulcéra Madame le Député Obono. Elle décida donc de porter l’affaire en justice et, le 14 avril 2021, le Parquet de Paris donna suite à sa plainte, décidant que Valeurs Actuelles serait jugé le 23 juin par le tribunal correctionnel pour « injure publique à caractère raciste ». 
En revanche, l’on attend toujours une réaction de ce même Parquet de Paris après les déclarations clairement racistes et les appels au génocide des Blancs proférés par Madame Hafsa Askar, vice-présidente du syndicat étudiant UNEF qui se définit elle-même comme « une extrémiste anti-blanc »:

« Je m’en fiche de Notre-Dame de Paris, car je m’en fiche de l’histoire de France…Wallah …on s’en balek (traduction : on s’en bat les c…), objectivement, c’est votre délire de petits blancs » (15 avril 2019).
 
« On devrait gazer tout (sic) les blancs (resic) » cette sous race (25 mai 2014).

Lors de ce procès dont l’arrière-plan sera le « deux poids, deux mesures », les avocats de Valeurs Actuelles auront beau jeu d’avancer que, revendiquant fièrement, et à juste titre, sa double ascendance maternelle Punu, et paternelle Fang (Ballart.fr, 3 juillet 2017), deux grandes ethnies du Gabon, Madame le Député Obono peut difficilement se poser en descendante de victimes. En effet, l’expansion parfaitement documentée de ces deux grands peuples conquérants et colonisateurs, s’est faite en forme de tenaille dans laquelle les ethnies indigènes furent broyées avant d’être soumises et en partie vendues aux négriers européens. 

La galanterie imposant de commencer par l’ethnie de Madame Mère, les avocats de Valeurs Actuelles ne manqueront pas de s’intéresser tout d’abord aux Punu. Qualifiés de « peuple belliqueux » par l’universitaire gabonaise Cerena Tomba Diogo, les Punu se désignent sous le nom de « batu diba di badi » ou « gens de guerre », leur nom étant lui-même, et toujours selon Cerena Tomba , une « déformation du terme puni qui signifie tueur ». A partir des années 1550, venus de l’actuelle RDC, les Punu dévastèrent et ruinèrent le brillant royaume de Kongo qui fut sauvé de justesse de la totale destruction grâce à une intervention portugaise. En 1574, les Punu franchirent le fleuve Congo pour aller conquérir une partie des actuels Congo-Brazzaville et Gabon, réduisant au passage les pygmées en esclavage (Rey, 1969). Puis, ils lancèrent d’incessantes incursions chez les peuples voisins, devenant ainsi les principaux pourvoyeurs d’esclaves d’une partie de la côte de l’actuel Gabon (Picard-Tortorici, 1993). 

Quant aux Fang, les Pahouin de la littérature coloniale, il s’agit de l’ethnie paternelle de Madame le Député Obono. Cet autre grand peuple, lui aussi au riche passé expansionniste vit aujourd’hui à cheval sur le Cameroun, la Guinée équatoriale et le Gabon, régions conquises à la suite d’un vaste et rapide mouvement de colonisation. A la suite des récits de Paul du Chaillu, explorateur-naturaliste qui voyagea dans le pays dans les années 1855-1865, leur fut associée une réputation de cruauté doublée de cannibalisme. Cette dernière mention qui fut à l’origine d’interminables débats et controverses, a été exhumée d’un passé oublié par Frédéric Lewino dans un article de l’hebdomadaire le Point en date du 4 août 2018, intitulé « Le tour du monde des cannibales : les Fang d’Afrique centrale ». 

Que les Fang aient été cannibales ou non, peu importe. Là n’est en effet, et en aucun cas l’essentiel car nos ancêtres Cro-Magnon faisaient bien leurs délices de nos autres ancêtres Neandertal… En revanche, il est clairement établi que la conquête Fang du Moyen-Ogooué s’opéra notamment aux dépens des Seke, des Mpongwe, des Kele, etc. 

Dans leurs plaidoiries, les avocats de Valeurs Actuelles ne manqueront évidemment pas de citer le célèbre ethnologue Georges Balandier, pour lequel les Fang constituaient un « groupe mobile, organisé pour la conquête (…) dont la poussée continue a été entretenue par la terreur au sein des populations refoulées ». Un mouvement de conquête qui, là encore, n’en déplaise aux « décoloniaux » et à Madame le député Obono, fut bloqué par la colonisation vue comme libératrice et émancipatrice par les populations qui le subissaient….

Conclusion : l’erreur de Valeurs Actuelles fut de représenter Madame le député Obono en esclave, sous les traits d’une malheureuse victime, alors que son ascendance ethnique la rangerait au contraire parmi les peuples conquérants, non parmi les peuples conquis. Une « affaire » qui n’en n’est pas une et une plainte qui, en d’autres temps eut été qualifiée de « corne-cul », mais qui illustre à merveille, les contradictions du mouvement « décolonial ». Ce dernier prétend en effet vouloir détruire la société française, mais il n’hésite pas à s’adresser à sa justice quand il se trouve mis en difficulté intellectuelle... Voir à ce sujet mon livre « Répondre aux décoloniaux, aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance ». 

Références bibliographiques
- Balandier,G., (1949) « Les Fan (Fang), conquérants en disponibilité » Tropiques, n° 3/6, décembre 1949, pp 23-26.
- Du Chaillu, P., (1863) Voyages et aventures dans l’Afrique équatoriale. Paris.
- Hombert, J-M et Perrois, L., (2007) « Cœur d’Afrique, gorilles, cannibales et Pygmées dans le Gabon de Paul du Chaillu ». Paris, éditions du CNRS. 
- Picard-Tortorici, N et François, M., (1993) « La traite des esclaves au Gabon du XVII° au XIX° siècle. Essai de quantification pour le XVIII° siècle ». Les Etudes du CEPED (Centre français sur la population et le développement), n°6, Paris, juin 1993.
- Rey, P-P., (1969) « Articulation des modes de dépendance et des modes de reproduction dans deux sociétés lignagères (Punu et Kunyi du Congo-Brazzaville). En ligne
- Tomba Diogo, C.A., ( 2015) « Etude d’un genre de la littérature orale : la devise « kûmbu » chez les Punu du Gabon ». Université Sorbonne Paris, en ligne.
 

vendredi 9 avril 2021

Pourquoi il est illusoire de s’obstiner à continuer de croire qu’une « pacification des mémoires » avec l’Algérie et le Rwanda est possible

Emmanuel Macron s’obstine à refuser de voir que la France, l’Algérie et le Rwanda ne parlent pas de la même chose quand est évoquée la question mémorielle. Pour Paris, l’histoire est une science permettant de connaître et comprendre le passé. Pour Alger et pour Kigali, il s’agit d’un moyen servant à légitimer les régimes en place à travers une histoire « arrangée ». L’incommunicabilité étant totale, les dés sont donc pipés dès le départ. D'où le naufrage du « Rapport Stora » et du « Rapport Duclert ».

L’Algérie et le Rwanda ne veulent en effet pas d’une « pacification des mémoires » au sens où l’entend la France puisque toute normalisation passerait obligatoirement par des concessions mémorielles qui feraient exploser les fausses histoires sur lesquelles reposent les « légitimités » des deux régimes. Le président algérien Tebboune l’a d’ailleurs plus que clairement reconnu quand il a déclaré que « la mémoire nationale ne saurait faire l’objet de renonciation, ni de marchandage ».
En définitive, la France recherche une paix mémorielle fondée sur une connaissance scientifique des évènements du passé quand l’Algérie et le Rwanda exigent son alignement sur leurs propres histoires fabriquées.

Avant de se lancer d’une manière évaporée dans le processus de mise à plat des mémoires, Emmanuel Macron aurait peut-être pu entrevoir la considérable différence d’approche des pays concernés, ce qui lui aurait alors permis de comprendre que sa démarche était vouée à l’échec. Mais, pour cela, il lui aurait fallu demander conseil aux véritables spécialistes de l’histoire de l’Algérie et du Rwanda, aux connaisseurs des mentalités leurs dirigeants. Or, et tout au contraire, pour le dossier algérien le président français a choisi de s’adresser à un historien militant signataire d’une pétition de soutien aux dérives islamo-gauchistes de l'UNEF, et, pour le dossier rwandais, à un historien totalement incompétent en la matière. Benjamin Stora s’inscrit dans la ligne de l’histoire officielle algérienne écrite par le FLN quand la thèse de Vincent Duclert portant sur « L’engagement des savants dans l’affaire Dreyfus », ne fait pas de lui un connaisseur de la complexe alchimie ethno-historique du Rwanda… et ne l’autorise pas à oser parler, contre toute la culture régionale, d' « absence d’antagonismes ethniques dans la société traditionnelle rwandaise » (!!!).

Comment Emmanuel Macron pouvait-il d’ailleurs attendre une « avancée » de la part du « Système » vampirique pompant la substance de l’Algérie depuis 1962 quand celui-ci veille avec un soin plus que jaloux à ce que l’histoire légitimant sa domination sur le pays ne soit pas remise en question ? Il en va en effet de sa survie. L’homologue algérien de Benjamin Stora n’a ainsi fait aucune proposition de révision historique, laissant au chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, le soin de faire monter les enchères avec la France en évoquant, contre l’état des connaissances, des « millions de martyrs  de la guerre d’indépendance »… D'une phrase, la pauvre tentative élyséenne de rapprocher les points de vue entre la France et l’Algérie était ainsi pulvérisée. De plus, tout en dynamitant la relation de confiance établie entre les présidents Macron et Tebboune, le général Chengriha montrait clairement que le président algérien n’est qu’une marionnette et que c’est l’institution militaire qui gouverne et  impose sa loi.

Maîtres du temps, les généraux algériens vont maintenant faire pression sur Emmanuel Macron, exigeant de lui qu’il livre ou qu’il expulse quelques grandes figures de l’opposition actuellement réfugiées en France… L’éthérée et idéologique recherche d’un consensus historique aura donc abouti à une déroute française.

Dans le cas du Rwanda la situation est carrément caricaturale car le « Rapport Duclert » va encore plus loin que le « Rapport Stora » dans la mesure où il s’aligne quasi intégralement sur les positions de Kigali, légitimant ainsi la fausse histoire sur laquelle repose la « légitimité » du régime du général Kagamé. Une histoire ancrée sur trois principaux postulats :
- La France a aveuglement soutenu le régime du président Habyarimana.
- Ce furent des Hutu qui, le 6 avril 1994, abattirent en vol l’avion du président Habyrarimana afin de faire un coup d’Etat permettant de déclencher le génocide.
- Le génocide des Tutsi était programmé.

Or, tout au contraire :

- Alors que la tragédie du Rwanda fut provoquée par l’attaque lancée depuis l’Ouganda au mois d’octobre 1990 par des Tutsi réfugiés ou déserteurs de l’armée ougandaise, le « Rapport Duclert » affirme, comme le fait Kigali, qu’entre 1990 et 1993, la France a aveuglement soutenu le régime  du Rwanda. Or, chaque intervention militaire française fut subordonnée à une avancée obtenue du président Habyarimana dans le partage du pouvoir avec ceux qui lui avaient déclaré la guerre au mois d’octobre 1990… La différence est de taille.

- Tournant le dos à l’état des connaissances et s’alignant là encore sur la thèse officielle de Kigali, le « Rapport Duclert » laisse entendre que ce seraient ses propres partisans qui, le 6 avril 1994, auraient abattu l’avion du président Habyarimana. Une hypothèse que même les juges Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux, en charge de l’affaire de l’attentat, ont estimé n’être étayée par aucun des éléments du dossier. De plus, s’ils avaient pris la peine de s’intéresser véritablement aux travaux du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), et non d’en parler à travers des lectures de seconde ou de troisième main, les auteurs du « Rapport Duclert » auraient appris que ce tribunal qui a travaillé plus de vingt ans sur la question, a clairement écarté toute responsabilité des Hutu dans l’attentat déclencheur du génocide.

- Pour les rédacteurs du « Rapport Duclert », tout cela n’a d’ailleurs pas d’importance car, selon eux, et toujours ainsi que le soutient Kigali, comme le génocide était programmé, il aurait eu lieu de toutes les façons, même sans l’attentat… Or, et une fois encore, il a été plus que clairement établi devant le TPIR que le génocide était la conséquence de l’assassinat du président Habyarimana…

Grâce au « Rapport Duclert», voilà donc désormais Kigali en position de force  pour exiger de la France des excuses officielles qui devront être soutenues par le versement d’espèces « sonnantes et trébuchantes »… Et si Paris se montrait indocile, comme le « Rapport Duclert » a, contre toute vérité historique, reconnu une part de responsabilité française dans la genèse du génocide, conseillé par l’un ou l’autre cabinet juridique d’Outre-Atlantique, le Rwanda pourrait alors décider de poursuivre la France devant un tribunal international… Un nouveau chantage pourrait donc s’annoncer. Résultat de la faiblesse française et de la volonté du président Macron de mettre à plat le contentieux avec le Rwanda, c’est désormais la France qui est à plat ventre…

Bibliographie
- Pour tout ce qui concerne la critique de l’histoire officielle de l’Algérie popularisée en France par Benjamin Stora, on se reportera à mon livre Algérie, l’Histoire à l’endroit.
- Pour tout ce qui concerne la critique de l’histoire officielle du génocide du Rwanda reprise dans le « Rapport Duclert », on se reportera à mon livre Rwanda, un génocide en questions et à mes rapports d’expertise devant le TPIR intitulés Dix ans d’expertises devant le Tribunal Pénal international pour le Rwanda (TPIR)
- Pour tout ce qui concerne la repentance en général, on se reportera à mon livre Répondre aux décoloniaux, aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance.

vendredi 2 avril 2021

jeudi 1 avril 2021

L'Afrique Réelle n°136 - Avril 2021


























Sommaire du n°136 (avril 2021)

Actualité :
Darfour : la guerre raciale
Climat :
Les causes du réchauffement de l'Afrique
Histoire :
Les Egyptiens anciens étaient-ils noirs de peau ?


Editorial de Bernard Lugan

Au Mali où nous sommes face à trois guerres, la situation évolue différemment sur chacun des trois fronts.

- La première guerre, celle qui a tout déclenché, a éclaté au nord fin 2011 - début 2012. Sur ce front, où le problème n’est pas tant celui de l’islamisme que celui de l’irrédentisme touareg, les rapports de force locaux ont changé depuis 2012. En effet, ses « émirs » algériens ayant été tués les uns après les autres par Barkhane, Al-Qaïda-Aqmi est désormais localement dirigée par le Touareg Iyad ag Ghali ; même si. au début du mois de février 2021, Aqmi a nommé un successeur à Abdelmalek Droukdel tué au mois de juin 2021 par Barkhane, en la personne d’un autre Algérien, Abou Oubéida Youssef. Pour le moment, résultat des négociations menées avec Bamako, le nord du Mali, c’est à dire la région de Kidal est « calme ». L’Algérie qui ne veut pas d’un embrasement à sa frontière soutient Iyad ag Ghali et les trafics qui font vivre la région ont repris.

- Au centre et au sud du Mali, c’est la résurgence de conflits antérieurs à la période coloniale (voir à ce sujet mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours) qui a fait entrer des querelles paysannes amplifiées par la surpopulation et par la péjoration climatique, dans le champ du jihad régional. Ici aussi, l’approche ethnique actuellement suivie par les négociateurs maliens devrait permettre de faire baisser l’intensité des affrontements.

- Reste la région des « Trois frontières » - Niger, Mali, Burkina Faso - où les massacres qui se succèdent provoquent une situation apocalyptique. Ici, l’alchimie ethnique avec son mille-feuille de revendications contradictoires offre un terrain favorable à Daech à travers l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara).

En dépit d’actions violentes de plus en plus meurtrières dans la région des « Trois frontières », le jihadisme sahélien stagne. Cependant, le non règlement des grandes questions ethno-politiques qui sont à la base des conflits lui permet de maintenir des foyers d’infection qui pourraient lui permettre de déclencher une septicémie sahélienne. Mais, pour le moment, les trois conflits dont nous venons de parler n’ont pas « coagulé » car les jihadistes se trouvent face à une grande contradiction. Leur islam qui se veut universel, n’a en effet pas réussi, à ce jour, à transcender les ethnies. Tout au contraire, puisque, face à l’échec de leur projet universaliste, ils ont été contraints de prendre appui sur certaines d’entre elles. S’obstiner à ne pas le voir comme continuent à le faire certains conduit à l’impasse.
Le jihadisme se trouve en effet pris au piège des rivalités ethno-centrées qui constituent la vraie réalité sociologique régionale. Tout le reste n’est que bavardage européocentré.

Le conflit ouvert localement entre l’EIGS et Al-Qaïda, s’explique ainsi parce que le premier accuse les chefs locaux d’Al-Qaïda d’être des ethno-jihadistes privilégiant leurs ethnies et voulant conserver le cadre politique du Mali aux dépens du califat transfrontalier. La clé de la paix est dans cette donnée..