Fidèle caisse de résonance du régime de Kigali, la presse française donne actuellement une énorme publicité à un insignifiant article de M. Patrick de Saint-Exupéry dans lequel, sans la moindre preuve, sans la publication du moindre document nouveau, et uniquement sur la base de sous-entendus orientés, il accuse la France d’avoir voulu « réarmer » les génocidaires rwandais durant l’été 1994.
Plus
encore, voilà maintenant la BNP qui est désormais soupçonnée d’être partie
prenante dans cette rocambolesque affaire.
L’explication
d’une telle campagne orchestrée depuis le Rwanda est pourtant limpide: l’étau
se refermant peu à peu sur le régime Kagamé, dans le cadre de l’enquête sur
l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, ses amis français sont
actuellement à la manœuvre afin d’intimider Emmanuel Macron, comme ils avaient
si bien réussi à le faire avec Nicolas Sarkozy et François Hollande. A une
différence près : depuis quelques mois, les éléments qui s’accumulent sur
le bureau des magistrats français et qui mettent directement en cause le régime
de Kigali dans le déroulé des évènements de l’année 1994 sont tels qu’il est
désormais impossible d’étouffer l’affaire…
Deux points sont établis :
1) L’attentat du 6 avril 1994 qui provoqua la mort du président hutu Habyarimana fut le déclencheur du génocide.
2) La thèse du régime de Kigali, à savoir celle du génocide « programmé » et « planifié » par les « extrémistes » hutu, a volé en éclats devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Ce tribunal créé par le Conseil de sécurité de l’ONU et siégeant à Arusha de 1995 à 2016, a en effet, dans ses jugements concernant les « principaux responsables du génocide » -dont celui du colonel Bagosora présenté comme l’architecte du génocide-, que ce soit en première instance ou en appel, clairement établi qu’il n’y avait pas eu « entente » pour le commettre[2]. Si ce génocide n’était pas programmé, c’est donc qu’il fut spontané, et ce qui le provoqua fut l’assassinat du président Habyarimana.
Voilà pourquoi la question de savoir qui a ourdi cet attentat est primordiale. Or, il n’y a jamais eu d’enquête internationale menée sur ce crime qui coûta la vie à deux présidents en exercice élus, celui du Rwanda et celui du Burundi, qui avaient pris place dans le même avion.
Par les énormes pressions qu’ils exercèrent sur le Conseil de sécurité de l’ONU, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, alliés indéfectibles du régime de Kigali, réussirent en effet à interdire au TPIR de mener cette enquête.
Au mois de janvier 1997, Madame Louise Arbour, Procureur du TPIR de septembre 1996 à septembre 1999, ordonna ainsi à Michael Hourigan de cesser ses investigations. Ce fonctionnaire de l’ONU avait pourtant été personnellement chargé par elle, d’identifier les commanditaires et les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994. Madame Arbour voulait alors étayer l’acte d’accusation rachitique qu’elle était occupée à dresser contre les anciens dirigeants du régime Habyarimana, en montrant que cet attentat avait été commis par des « extrémistes hutu », et qu’en le commettant, ces derniers avaient donné le signal du génocide qu’ils avaient programmé.
Or, sur
place, à Kigali, menant son enquête, Michael Hourigan découvrit tout au
contraire que les auteurs de l’attentat n’étaient pas des « Hutu
extrémistes », mais des Tutsi du FPR… et il obtint même les noms de ceux
qui, selon lui, auraient abattu l’avion du président Habyarimana. Il rédigea un
rapport qu’il remit personnellement à Madame Arbour qui le somma alors de mettre
un terme à ses recherches, exigeant la confidentialité absolue sur ses
découvertes. Le contrat de Michael Hourigan avec l’ONU ne fut pas
renouvelé.
Saisie par les familles de l’équipage français de l’avion présidentiel abattu, la justice française s’est ensuite risquée sur cette affaire qui fut confiée au juge Bruguière. Bien que le TPIR ait refusé de le lui communiquer, et cela au prétexte qu’il n’existait pas ( !!!), le juge Bruguière obtint malgré tout une copie du « Rapport Hourigan ». Puis, devant le juge, Michael Hourigan authentifia son texte dont il confirma la teneur. Poussant plus loin ses investigations, le juge Bruguière interrogea le capitaine sénégalais Amadou Deme, adjoint de Michael Hourigan et ancien numéro 2 du renseignement de l’ONU au Rwanda. Cet officier lui confirma à la fois les résultats de l’enquête à laquelle il avait personnellement participé, et l’insolite changement d’attitude de madame Arbour à partir du moment où le FPR fut suspecté d’avoir assassiné le président Habyarimana.
Le 16 novembre
2006, au terme de son enquête, le juge Bruguière accusa à son tour le
général Kagamé et il lança neuf mandats d’arrêt contre des membres importants
de son premier cercle. Après le départ à la retraite de ce magistrat, l’enquête
fut reprise par le juge Trévidic, puis par les juges Herbaut et Poux.
Au mois
de juillet 2013 puis en janvier 2014, le juge Trévidic interrogea Jean-Marie
Micombero, ancien secrétaire général au ministère rwandais de la Défense et
qui, le 6 avril 1994, était affecté à une section chargée du renseignement
dépendant directement de Paul Kagamé. Le témoin lui confirma les noms des deux
membres de l'armée de Paul Kagamé qui, le 6 avril 1994, auraient tiré les deux
missiles qui abattirent l’avion présidentiel. Il livra également au juge nombre
de détails sur les préparatifs et sur le déroulement de l’attentat[3]. Ces
déclarations recoupaient en les confirmant celles recueillies en leur temps par
le juge Bruguière auprès d’autres témoins.
La
contre-attaque du général Kagamé se fit à travers ses puissants réseaux
d’influence français et par le biais d’une presse qui ne cessa jamais de lui
servir de porte-voix, notamment Libération, Le
Monde et Le Figaro.
Appuyé
sur les uns et sur les autres, il tenta de répétitives manœuvres dilatoires
destinées à discréditer le travail du juge Bruguière. Mais, au moment où, de
guerre lasse, le juge Trévidic s’apprêtait à clôturer son instruction, trois
témoins de la plus haute importance se manifestèrent.
Il
s’agissait du général Faustin Kayumba Nyamwaza, ancien chef d’état-major de
l’APR (Armée patriotique rwandaise, l’armée tutsi), à l’époque responsable du
renseignement militaire, du colonel Patrick Karegeya, ancien chef des
renseignements du Rwanda, tous deux réfugiés en Afrique du Sud d’où ils
accusaient de la façon la plus claire le président Kagamé d’être le responsable
de l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie au président hutu Habyarimana,
et d’Emile Gafarita qui prétendait être l'un des trois membres du FPR qui
transportèrent depuis l'Ouganda jusqu'à Kigali les missiles qui abattirent
l'avion du président Habyarimana.
Au mois
de juin 2010, le général Kayumba survécut par miracle à une tentative
d’assassinat dont les auteurs, des Rwandais, furent arrêtés et jugés en Afrique
du Sud. Le colonel Patrick Karegeya fut étranglé le 31 décembre 2013 dans sa
chambre d’hôtel de Johannesburg.
Emile
Gafarita fut quant à lui enlevé à Nairobi le 13 novembre 2014 à la veille de
son départ pour la France où il devait être interrogé par le juge Trévidic.
Dans la procédure de réouverture d'instruction qui était alors en cours, la
teneur de ce que le témoin-acteur allait dire aux juges était accessible à la
Défense. Cette dernière informa ses clients de l’existence d’Emile Gafirita et
de son prochain témoignage. Avocat de l’Etat rwandais (Afrikarabia, 19
octobre 2016) et de 6 des 7 mis en examen, M° Léon-Lef Forster, dans un
entretien avec la journaliste canadienne Judi Rever[4] l’a reconnu:« J’ai
informé les mis en examen, un avocat a l’obligation d’indiquer à ses clients où
en est la procédure…il est parfaitement légitime que les clients soient
informés des raisons pour lesquelles le dossier est ré-ouvert ».
A
partir de ce moment, Emile Gafirita fut en danger de mort[5]. Dans ces
conditions, il est pour le moins « insolite » que les juges français
qui allaient l’interroger n’aient pas pris la précaution de le mettre sous
protection. D’autant plus qu’Emile Gafirita se savait menacé et que, dans
l’attente de sa convocation qui arriva le jour de sa disparition,
il avait écrit par mail à son avocat, M° Cantier, qu’il souhaitait être
entendu : « le plus vite serait le mieux avant qu’ils ne me fassent
taire à jamais ».
Emile
Gafirita avait demandé à être entendu sous X avec le statut de « témoin
protégé », ce qui ne lui fut pas accordé par le juge Trévidic. Et
pourtant, comme l’a révélé plus tard Emmanuel Fansten dans Libération du
4 mars 2015, à la même époque, le juge Trévidic qui enquêtait sur l’attentat de
la rue Copernic entendit sous X un ancien membre du groupe Abou Nidal.
Pourquoi
une telle différence de traitement ? Le
juge Trévidic justifia son refus d’entendre anonymement Emile Gafarita « par
le nombre conséquent de manipulations constatées dans l’instruction» (Jeune
Afrique, 9 décembre 2014). Cette explication laisse pour le moins
perplexe car le juge d’instruction a précisément parmi ses missions celle de
faire le tri entre les éléments qu’il recueille. Dans tous les cas, ceux qui
enlevèrent Emile Gafirita ne partageaient pas ses doutes…
La
justice française a donc été incapable de protéger ce témoin essentiel puisque
ses ravisseurs ont été prévenus qu'il était depuis quelques semaines à Nairobi
où il vivait clandestinement sous un nom d'emprunt dans l'attente de son départ
pour la France.
Dans
son livre "La France dans la terreur rwandaise" (Editions Duboiris,
2014, page 302), le journaliste Onana rapporte de graves propos tenus par le
colonel Karegeya peu avant son assassinat: " (...) tout ce que fait votre
juge (Trévidic) se trouve dans les médias, même les noms des témoins qui
peuvent ainsi être retournés par Kigali ou assassinés".
Allons
plus loin : certaines sources sud-africaines laisseraient entendre que des
fonctionnaires de l’ambassade de France à Pretoria auraient oralement tenté de
dissuader, fin novembre 2016, les autorités judiciaires sud-africaines
d’accorder aux magistrats français les possibilités d’entraide judiciaire leur
permettant d’interroger le général Nyamwaza.
Le 30
novembre 2016, interloquées par cette demande orale insolite, les autorités
sud-africaines auraient alors demandé que cette requête soit formulée par
écrit… ce qui aurait mis un terme à cette tentative d’entrave à la justice…et,
les quatre « visas » des autorités judiciaires sud-africaines
nécessaires à l’exécution de l’entraide judiciaire internationale furent
accordés aux juges français mi-février 2017. Avant d’être bloqués à la fin du
mois à la suite de la visite exceptionnelle faite en Afrique du Sud par le
général Joseph Nzabamwita, Responsable des services nationaux de
renseignement et de sécurité (NISS), envoyé du général Kagamé.
Dans
une enquête très documentée parue dans le « UN », n°140 du 1° février
2017 sous le titre « Récit d’une manipulation », Pierre Péan explique
comment, à partir de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy et jusqu’au départ
du juge Trévidic, un groupe comprenant diplomates, magistrats, politiques et
hommes de l’ombre, groupe relayé par les réseaux pro-Kagamé français se serait
ingénié à saboter l’enquête du juge Bruguière. Cet article n’a été relayé par
aucun média français bien qu’il détaille de nombreux et très graves faits
d’entrave à la justice.
Quoiqu’il
en soit, loin des tumultes et des manipulations médiatiques, un dossier existe
et, pour le régime de Kigali, ses avancées pourraient être dévastatrices. Voilà
pourquoi ses amis ont reçu l’ordre d’allumer des contre-feux et voilà pourquoi,
la presse française est actuellement et une nouvelle fois à la manœuvre.
Que
contient en effet le dossier des juges Herbaut et Poux ?
Les
éléments qui figurent dans le dossier d’instruction pèsent plus lourd que les
sous-entendus de M. de Saint-Exupéry :
1) Le
dossier donne, entre autres, le lieu du tir des missiles, les noms des deux
tireurs et des membres de leur escorte, la marque et la couleur des véhicules
utilisés pour transporter les missiles depuis l’Ouganda jusqu’au casernement de
l’APR situé au centre de Kigali et de là, jusqu’au lieu de tir à travers les
lignes de l’armée rwandaise, ainsi que le déroulé de l’action.
2) Le
dossier contient la preuve que l’avion présidentiel rwandais a été engagé par
deux missiles dont la traçabilité a été établie. Grâce à la coopération
judiciaire de la Russie, la justice française sait en effet que ces deux
missiles dont les numéros de série étaient respectivement 04-87-04814 et 04-87-04835 faisaient
partie d’un lot de 40 missiles SA-16 IGLA livrés à l’armée ougandaise
quelques années auparavant. Or, Paul Kagamé et ses principaux adjoints furent
officiers supérieurs dans l’armée ougandaise avant la guerre civile rwandaise
et, de 1990 à 1994, l’Ouganda fut la base arrière, mais aussi l’arsenal du FPR.
De plus, devant le TPIR, il fut amplement démontré que l’armée rwandaise ne
disposait pas de tels missiles et que l’arme du crime était bien entre les
mains du FPR.
D’autant
plus qu’au mois d’août 2016, la MONUSCO a saisi en RDC un missile de type SA-16
de la même série que ceux qui furent tirés contre l’avion du président
Habyarimana le 6 avril 1994. Or, ce missile avait appartenu à une milice
soutenue par le Rwanda. Un rapport officiel de la MONUSCO a été transmis au
siège de l’ONU à New-York qui visiblement tarde à le transmettre au juge
français malgré les recommandations du rédacteur du rapport en question
(Référence : Strictly Confidential. Goma, 20 septembre 2016).
En
dépit de toutes les pressions qu’ils subissent et qui vont aller croissant, il
faudra bien que, tôt ou tard, les juges fassent la balance entre les éléments
que contient le dossier de l’assassinat du président Habyarimana. Or, comme les
magistrats instructeurs auraient entre les mains suffisamment d’éléments pour
étayer la thèse de la responsabilité du général Kagamé dans l’attentat du 6
avril 1994 qui coûta vie au président Habyarimana, attentat qui fut l’élément
déclencheur du génocide, tout va in fine dépendre du Parquet
chargé de porter l’accusation à l’audience.
Nous
voilà donc revenus à la politique, donc aux réseaux d’influence que Kigali
entretient en France et dont la mission est de tenter d’influencer la Justice
pour que soit étouffé le dossier car, comme l’a dit Madame Carla Del Ponte qui
succéda à Louise Arbour au poste de Procureur du TPIR : « S’il
était avéré que c’est le FPR qui a abattu l’avion du président Habyarimana,
c’est toute l’histoire du génocide du Rwanda qu’il faudrait re-écrire ».
Et de
cela, les alliés, les soutiens et les obligés du général Kagamé ne veulent
évidemment pas entendre parler.
Pour en savoir plus, voir le livre de Bernard Lugan :
Rwanda
: un génocide en questions
Editions
du Rocher, 2014, 286 pages, cahier de cartes en couleur.
[1] Expert assermenté devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) dans les affaires Emmanuel Ndindabahizi (TPIR-2001-71-T), Théoneste Bagosora ( TPIR-98-41-T), Tharcisse Renzaho (TPIR-97-31-I), Protais Zigiranyirazo. (TPIR-2001-73-T), Innocent Sagahutu (TPIR-2000-56-T), Augustin Bizimungu (TPIR- 2000-56-T) et commissionné dans les affaires Edouard Karemera (TPIR-98-44 I) et J.C Bicamumpaka (TPIR-99-50-T).
[2] A
l’exception du jugement de Jean Kambanda, ancien Premier ministre condamné en
1998, après qu’il eut plaidé coupable contre la promesse d’une peine réduite,
procédure qui de facto lui avait fait accepter l’acte
d’accusation du procureur. Depuis, il est revenu sur cette reconnaissance.
[3] Voir
à ce sujet l’interview recueillie par Pierre Péan intitulée « J’ai assisté
à la préparation de l’attentat qui a déclenché le génocide » (Marianne numéro
du 28 mars au 3 avril 2014).
[4] Judi
Rever « Witness in French inquiry into 1994 Rwanda plane crash
disappears ». 20 novembre 2014 en ligne.
[5] Le
18 novembre 2014, le professeur belge Filip Reyntjens, juriste spécialiste du
Rwanda et expert devant le TPIR, écrivit à M° Bernard Maingain, avocat belge
des mêmes officiels rwandais mis en examen par le juge
Bruguière : « Si vous avez communiqué le nom de M. Gafirita,
qu’on ne verra probablement plus, à vos clients rwandais, vous devriez avoir
honte et votre conscience devrait être lourde » (cité par Jeune
Afrique, 9 décembre 2014).