Les pertes cruelles que
viennent de subir nos Armées -et qui ne seront hélas pas les dernières-, ont donné
à certains l’occasion de s’interroger sur le bien-fondé de la présence militaire
française au Sahel. Cette démarche est légitime, mais à la condition de ne pas
sombrer dans la caricature, les raccourcis ou l’idéologie.
J’ai longuement exposé
l’état de la question sur ce blog, notamment dans mon communiqué en date du 7
novembre 2019 intitulé « Sahel : et maintenant quoi
faire ?» , ainsi que dans les colonnes de l’Afrique Réelle et dans mon
livre Les guerres du Sahel des
origines à nos jours qui replace la question dans sa longue durée
historique et dans son environnement géographique. Je n’y reviens donc pas.
Cependant, trois points doivent être soulignés :
1) Dupliquées d’un logiciel datant des années 1960-1970, les accusations de néocolonialisme faites à la France sont totalement décalées, inacceptables et même indignes. Au Sahel, nos Armées ne mènent en effet pas la guerre pour des intérêts économiques. En effet :
- La zone CFA dans sa totalité, pays du Sahel inclus, représente à peine plus de 1% de tout le commerce extérieur de la France, les pays du Sahel totalisant au maximum le quart de ce 1%. Autant dire que le Sahel n’existe pas pour l’économie française.
- Quant à l’uranium du Niger, que de fadaises et de contre-vérités entendues à son sujet puisqu’en réalité, il ne nous est pas indispensable. Sur 63.000 tonnes extraites de par le monde, le Niger n’en produit en effet que 2900…C’est à meilleur compte, et sans nous poser des problèmes de sécurité que nous pouvons nous fournir au Kazakhstan qui en extrait 22.000 tonnes, soit presque dix fois plus, au Canada (7000 t.), en Namibie (5500 t.), en Russie (3000 t.), en Ouzbékistan (2400 t.), ou encore en Ukraine (1200 t.) etc..
- Pour ce qui est de l’or du Burkina Faso et du Mali, la réalité est qu’il est très majoritairement extrait par des sociétés canadiennes, australiennes et turques.
2) Militairement, et avec des
moyens qui ne lui permettront jamais de pacifier les immensités sahéliennes,
mais là n’était pas sa mission, Barkhane a réussi à empêcher la reformation d’unités jihadistes
constituées. Voilà pourquoi, pariant sur notre lassitude, les islamistes
attaquent les cadres civils et les armées locales, leur objectif étant de
déstructurer administrativement des régions entières dans l’attente de notre
départ éventuel, ce qui leur permettrait de créer autant de califats. Notre
présence qui ne peut naturellement empêcher les actions des terroristes, interdit
donc à ces derniers de prendre le contrôle effectif de vastes zones.
3) Nous sommes en réalité en présence de deux guerres :
- Celle du nord ne pourra pas
être réglée sans de véritables concessions politiques faites aux Touareg par
les autorités de Bamako. Egalement sans une implication de l’Algérie, ce qui,
dans le contexte actuel semble difficile. Si ce point était réglé, et si les
forces du général Haftar ou de son futur successeur tenaient effectivement le
Fezzan, les voies libyennes de ravitaillement des jihadistes auxquelles Misrata et la Turquie ne sont pas
étrangères, seraient alors coupées. Resterait à dissocier les trafiquants des
jihadistes, ce qui serait une autre affaire…
- Au sud du fleuve Niger les
jihadistes puisent dans le vivier peul et dans celui de leurs anciens
tributaires. Leur but est de pousser vers le sud afin de déstabiliser la Côte
d’Ivoire. Voilà pourquoi notre effort doit porter sur le soutien au bloc ethnique
mossi. Aujourd’hui comme à l’époque des grands jihad peul du XIXe siècle ( là
encore, voir mon livre sur les guerres du Sahel), il constitue en effet un môle
de résistance. Le renforcement des défenses du bastion mossi implique d’engager
à ses côtés les ethnies vivant sur son glacis et qui ont tout à craindre de la
résurgence d’un certain expansionnisme peul abrité derrière le paravent du
jihadisme. Cependant, si les jihadistes régionaux sont majoritairement Peul,
tous les Peul ne sont pas jihadistes. Ceci fait que, là encore, il sera
nécessaire de « tordre le bras » aux autorités politiques locales
pour que des assurances soient données aux Peul afin d’éviter un basculement
généralisé de ces derniers aux côtés des jihadistes. Car, et comme je l’ai
écrit dans un ancien numéro de l’Afrique
Réelle « Quand le monde peul s’éveillera, le Sahel s’embrasera ».
Il y a donc urgence.
Par-delà les prestations
médiatiques des « experts », une chose est donc claire : la paix
au nord dépend des Touareg, la paix au sud dépend des Peul. Tout
le reste découle de cette réalité. Dans ces conditions, comment contraindre les
gouvernements concernés à prendre en
compte cette double donnée qui est la seule voie pouvant conduire à la
paix ?