Il ne fallait pas être grand
clerc pour prévoir que le Nord et le Sud Soudan allaient immanquablement se
faire la guerre. Dans le numéro de l’Afrique Réelle daté du mois de juin 2011, j’avais ainsi signé un article
titré : « Soudan : guerre pour le saillant d’Abyei ? ». Moins d’un an plus tard,
le 10 avril 2012, la guerre a effectivement éclaté à Heglig, zone
produisant 50% de tout le pétrole extrait dans le Nord Soudan et qui touche le
saillant d’Abyei. Une violente contre-attaque accompagnée de raids aériens
contre certaines villes du Sud, dont Bentiu, permit ensuite aux forces de
Khartoum de reprendre le terrain perdu ; le 20 avril, après de durs combats, les
forces sudistes se replièrent.
Trois grandes raisons expliquent cette guerre :
1) La
région d’Abyei et d’Heglig est le homeland de certaines tribus Dinka dont les
Ngok. Elle est actuellement occupée par l’armée nordiste. Un référendum devrait
décider de l’appartenance d’Abyei au Nord ou au Sud Soudan ; or, les Dinka y
ayant été l’objet d’un vaste nettoyage
ethnique opéré par les milices islamiques favorables à Khartoum, la composition
du corps électoral y a profondément changé.
2) Au mois de juillet 2009, la Cour
d’arbitrage de La Haye préconisa le partage de toute la région entre Dinka et
Arabes de la tribu des Misseryia sur la base de l’occupation actuelle,
entérinant ainsi la spoliation des Dinka, la zone pétrolière d’Heglig étant,
elle, définitivement rattachée au Soudan Khartoum.
3) Avant la partition de 2011, le
Soudan produisait 470 000 barils/jour dont les ¾ au Sud. Or, les 350 000
barils/jour extraits dans le nouvel Etat du Sud Soudan sont exportés par un pipe
line traversant tout le Nord Soudan pour aboutir sur la mer Rouge. Les
négociations entre les deux pays portant sur les droits de transport du brut du
Sud à travers le pipe line du Nord ont été rompues. Pour ne plus dépendre du
Nord Soudan, le Sud Soudan a signé deux accords de désenclavement prévoyant la
construction de deux nouveaux pipe line, l’un avec le Kenya et l’autre avec
l’Ethiopie. Puis, le 26 janvier 2012, le Sud Soudan a fermé tous ses puits situés à proximité de la
frontière avec le Nord Soudan. Avec cette mesure, certes il se pénalisait, mais
il privait en même temps le Soudan du Nord des droits de transit de son propre
pétrole.
Quand, le 10 avril 2012, le Sud Soudan lança son offensive surprise à
Heglig, il n’avait pas pour objectif de s’emparer de cette région, ce que
Khartoum n’aurait jamais accepté. Son but était d’y détruire les infrastructures
pétrolières afin d’affaiblir encore davantage le Nord Soudan pour le contraindre
à accepter, à la fois ses revendications territoriales et celles portant sur le
coût du transit de son pétrole en attendant la construction des deux pipe line
sudistes.
Bernard Lugan
25/04/2012