Première remarque : personne ne regrettera le « guide satrape » libyen, ni les attentats qu’il commandita pas plus les provocations devant lesquelles cédèrent avec faiblesse tant de responsables politiques mondiaux. Pour autant, la chasse à l’homme, « mort ou vif », lancée contre lui et ses fils, prime à l’appui, par certains de ceux qui, hier encore, rampaient à ses pieds est insupportable autant que nauséabonde. Elle en dit long sur l’ « ancrage » éthique des futurs responsables libyens… Cette mise au point étant faite, venons-en aux considérations politiques. Le CNT (Conseil national de Transition) qui a fini par l’emporter grâce à l’Otan étant un volapuk idéologique, l’avenir de la Libye paraît bien sombre. En effet :
- Il s’est agi au départ du mouvement d’une dissidence régionaliste arabo-musulmane née en Cyrénaïque, donc à l’est du pays, renforcée d’une manière opportuniste et tout à fait artificielle par le soulèvement de la minorité berbère vivant dans le djebel Nefusa, à cheval sur la frontière tunisienne, donc à l’ouest. A la différence de la Tunisie et de l’Egypte, rien n’est parti de la capitale, mais de deux régions excentrées.
- L’épicentre de la « révolution » fut la région de Benghazi qui avait des comptes à régler avec le régime depuis la féroce répression d’un précédent soulèvement islamiste. Cette Cyrénaïque dissidente à l’époque ottomane, rebelle durant l’Impero italien et insoumise depuis les années 1990, présente plusieurs originalités : elle est le fief des partisans de l’ancienne monarchie islamo-senoussiste, le phénomène jihadiste y est fortement ancré et la contestation y a reçu le renfort des mafias locales dont les ressources étaient coupées depuis plusieurs mois à la suite de l’accord italo-libyen concernant la lutte contre les filières de l’immigration africaine clandestine.
- Toujours à la différence de la Tunisie et de l’Egypte, et cela a constamment été caché à l’opinion française afin de ne pas écorner l’image « positive » des insurgés, ce soulèvement fut extrêmement violent. Il fut en effet, dans certaines villes tombées aux mains des rebelles, accompagné de la mise à mort d’une manière cruelle et rappelant les méthodes des islamistes algériens, des partisans du régime et parfois même des membres de leurs familles.
- Ce fut donc dans une atroce guerre civile que la France s’immisça pour des raisons officiellement éthiques. Sans son intervention, le colonel Kadhafi aurait repris le contrôle de la situation.
A la date du vendredi 26 août, l’avenir de la Libye est pour le moins incertain. Le CNT qui a annoncé qu’il allait quitter Benghazi pour venir s’installer à Tripoli demande des sommes astronomiques à la « communauté internationale » pour reconstruire le pays prospère qu’il vient de détruire. Pour mémoire, avant les « évènements », la Libye était le pays d’Afrique le plus développé et le chômage des jeunes qui fut un des leviers des évènements tunisiens y était inexistant. Politiquement, la tâche qui attend ce mystérieux CNT est immense. Reconnu par la France comme « le seul représentant légitime des populations libyennes » le 10 mars 2011, soit à peine 5 jours après qu’il se fut lui-même pompeusement auto proclamé « seul représentant du Peuple libyen », il s’agit d’un mélange instable et explosif rassemblant des monarchistes senoussistes, des républicains laïcs, des islamistes jihadistes, des islamistes modernistes, des démocrates, des fédéralistes berbères et d’anciens responsables du régime ayant fait défection au gré de leurs intérêts fluctuants. Sa première tâche va être de prendre en compte les véritables rapports de force existant en son sein. Ensuite, il va lui falloir, et cela très rapidement, tenter de trouver une solution constitutionnelle permettant de concilier les constantes tribales, régionales et religieuses avec la définition d’un véritable Etat libyen.
Comment s’organisera la Libye de demain ? Là est en effet toute la question. La Tripolitaine et la Cyrénaïque se combattront-elles, partageront-elles le pouvoir ou bien l’une l’emportera t-elle sur l’autre ? Comment va réagir la minorité berbère quand elle constatera qu’elle aura une fois de plus été flouée ?
Avant de se lancer dans cette guerre les autorités françaises ont-elles pris en compte l’hypothèse de l’apparition de guerres tribales et claniques, comme en Somalie ? Ont-elles bien évalué le risque islamiste, éventualité qui ouvrirait un espace inespéré pour Aqmi qui prospère déjà plus au sud dans la région du Sahel ? Vaincre dans une guerre aérienne et électronique sophistiquée un dictateur usé et anachronique dont l’état-major était incapable de coordonner la moindre action militaire interarmes et dont les blindés à bout de souffle manoeuvraient quasiment au fanion, presque comme en 1916, est une chose. Gérer une situation géopolitique instable née de cette guerre va en être une autre...
Bernard Lugan
26/08/2011
- Il s’est agi au départ du mouvement d’une dissidence régionaliste arabo-musulmane née en Cyrénaïque, donc à l’est du pays, renforcée d’une manière opportuniste et tout à fait artificielle par le soulèvement de la minorité berbère vivant dans le djebel Nefusa, à cheval sur la frontière tunisienne, donc à l’ouest. A la différence de la Tunisie et de l’Egypte, rien n’est parti de la capitale, mais de deux régions excentrées.
- L’épicentre de la « révolution » fut la région de Benghazi qui avait des comptes à régler avec le régime depuis la féroce répression d’un précédent soulèvement islamiste. Cette Cyrénaïque dissidente à l’époque ottomane, rebelle durant l’Impero italien et insoumise depuis les années 1990, présente plusieurs originalités : elle est le fief des partisans de l’ancienne monarchie islamo-senoussiste, le phénomène jihadiste y est fortement ancré et la contestation y a reçu le renfort des mafias locales dont les ressources étaient coupées depuis plusieurs mois à la suite de l’accord italo-libyen concernant la lutte contre les filières de l’immigration africaine clandestine.
- Toujours à la différence de la Tunisie et de l’Egypte, et cela a constamment été caché à l’opinion française afin de ne pas écorner l’image « positive » des insurgés, ce soulèvement fut extrêmement violent. Il fut en effet, dans certaines villes tombées aux mains des rebelles, accompagné de la mise à mort d’une manière cruelle et rappelant les méthodes des islamistes algériens, des partisans du régime et parfois même des membres de leurs familles.
- Ce fut donc dans une atroce guerre civile que la France s’immisça pour des raisons officiellement éthiques. Sans son intervention, le colonel Kadhafi aurait repris le contrôle de la situation.
A la date du vendredi 26 août, l’avenir de la Libye est pour le moins incertain. Le CNT qui a annoncé qu’il allait quitter Benghazi pour venir s’installer à Tripoli demande des sommes astronomiques à la « communauté internationale » pour reconstruire le pays prospère qu’il vient de détruire. Pour mémoire, avant les « évènements », la Libye était le pays d’Afrique le plus développé et le chômage des jeunes qui fut un des leviers des évènements tunisiens y était inexistant. Politiquement, la tâche qui attend ce mystérieux CNT est immense. Reconnu par la France comme « le seul représentant légitime des populations libyennes » le 10 mars 2011, soit à peine 5 jours après qu’il se fut lui-même pompeusement auto proclamé « seul représentant du Peuple libyen », il s’agit d’un mélange instable et explosif rassemblant des monarchistes senoussistes, des républicains laïcs, des islamistes jihadistes, des islamistes modernistes, des démocrates, des fédéralistes berbères et d’anciens responsables du régime ayant fait défection au gré de leurs intérêts fluctuants. Sa première tâche va être de prendre en compte les véritables rapports de force existant en son sein. Ensuite, il va lui falloir, et cela très rapidement, tenter de trouver une solution constitutionnelle permettant de concilier les constantes tribales, régionales et religieuses avec la définition d’un véritable Etat libyen.
Comment s’organisera la Libye de demain ? Là est en effet toute la question. La Tripolitaine et la Cyrénaïque se combattront-elles, partageront-elles le pouvoir ou bien l’une l’emportera t-elle sur l’autre ? Comment va réagir la minorité berbère quand elle constatera qu’elle aura une fois de plus été flouée ?
Avant de se lancer dans cette guerre les autorités françaises ont-elles pris en compte l’hypothèse de l’apparition de guerres tribales et claniques, comme en Somalie ? Ont-elles bien évalué le risque islamiste, éventualité qui ouvrirait un espace inespéré pour Aqmi qui prospère déjà plus au sud dans la région du Sahel ? Vaincre dans une guerre aérienne et électronique sophistiquée un dictateur usé et anachronique dont l’état-major était incapable de coordonner la moindre action militaire interarmes et dont les blindés à bout de souffle manoeuvraient quasiment au fanion, presque comme en 1916, est une chose. Gérer une situation géopolitique instable née de cette guerre va en être une autre...
Bernard Lugan
26/08/2011
Je vous lis toujours avec le plus grand intérêt.
RépondreSupprimerEn particulier pour vos analyses documentées et intelligentes sur ce qui se passe en Libye. Cela me change des articles de notre presse "ordinaire" qui sur ce sujet également s'efforce de nous montrer les fameux (fumeux !) "printemps arabes".
barakat
Cher Monsieur Lugan,
RépondreSupprimerBHL et l'Elysée ne vous ont probablement pas consulté.
Depuis le début de la cinquième république et sauf erreur de ma part, je n'ai pas souvenir d'un engagement aussi intense et multiforme de nos forces armées en TOE. Il est vrai que c'est aussi la première fois que nous avons un seconde classe de réserve à la plus haute fonction. Ceci explique probablement cela...
Tous ces bouffons de corridors qui envahissent via nos moyens militaires à tour de bras sous des prétextes humanitaires des pays en révolution interieure nous conduisent au chaos international. Qu'ils relisent donc notre histoire, celle que l'on enseigne plus cette année dans nos collèges... et n'y voyez aucun lien...
Trop dur d'écrire en quelques lignes ce qu'il faudrait en dire. Que les lecteurs et notre hôte me pardonnent
Merci pour vos analyses reprises par ailleurs avec une question alternative d'un citoyen de base qui ignore tout de la réalité sur le terrain mais qui pressent confusément que les bouffons de corridors dont fait état un commentaire précédent nous conduisent vers le chaos international et national ...
RépondreSupprimerMonsieur Lugan
RépondreSupprimerVotre connaissance de l'Afrique et l'analyse que vous faites de la situation en Libye montrent que l'avenir de ce pays risque fort de ressembler à celui de la Somalie. Un pays qui n'a pas d'Etat, constitué de tribus ennemies les unes des autres, voilà ce qui a échappé à la "sagacité" de "omniprésident" français, inspiré par l'inepte BHL. C'est dans cette situation que la France a été fourvoyée. Je ne suis même pas sûr qu'elle retire les bénéfices escomptés du pétrole libyen pour prix de son agression commise, comme il se doit, au nom de l'éthique et de la sacrosainte démocratie. Comme le grand "allié" américain en Irak. Il y a de quoi frémir.
Un éclairage iconoclaste et salutaire
RépondreSupprimerMonsieur Lugan
RépondreSupprimerVotre analyse se concrétise !
http://www.afriscoop.net/journal/spip.php?breve7754
Cordialement.
Guillaume Farfaro.