Le 21 décembre 2019, à Abidjan, en
dénonçant le « colonialisme faute de la République » et non
de la France (à moins que, pour lui, France=République), Emmanuel Macron a désigné
les vrais responsables de la colonisation, ce « péché » qui sert
aujourd’hui à désarmer la résistance au « grand remplacement ».
Etat
de la question :
1) Dans
les années 1880-1890, l’idée coloniale fut portée par la gauche républicaine alors
que la droite monarchiste et nationaliste majoritaire dans le pays s’y opposait[1].
2) Les
chefs de cette gauche républicaine étaient profondément imprégnés par les idées
de la révolution de 1789. Pour eux, la France républicaine, « patrie des
Lumières » se devait, en les colonisant, de faire connaître aux peuples
qui l’ignoraient encore le message universaliste dont elle était porteuse. La
dimension économique était initialement secondaire dans leur esprit car, à
l’époque, l’on ignorait que l’Afrique encore très largement inexplorée pouvait
receler des richesses. Et quand Jules Ferry parlait du futur Empire comme d’une
« bonne affaire », ce n’était qu’un souhait (voir à ce sujet les
travaux de Jacques Marseille).
3) Dans
la réflexion de la gauche républicaine, la dimension idéologique et morale de
la colonisation a tenu une part considérable et même fondatrice. L’on trouve
ainsi chez Jules Ferry la notion de « colonisation émancipatrice »,
idée qui fut parfaitement résumée en 1931 lors du congrès de la Ligue des
droits de l’Homme qui se tint à Vichy, quand Albert Bayet, son président,
déclara que la colonisation française était légitime puisqu’elle était porteuse
du message des « grands ancêtres de 1789 ». Dans ces conditions ajouta-t-il,
en colonisant, c’est-à-dire en
faisant :
« (…) connaître aux peuples les
droits de l’homme, ce n’est pas une besogne d’impérialisme, c’est une tâche de
fraternité »
4) La
gauche républicaine coloniale utilisa à l’époque des arguments qui, aujourd’hui,
conduiraient directement leurs auteurs devant les tribunaux. Dans son célèbre
discours du 28 juillet 1885, Jules Ferry déclara ainsi :
« Il faut dire ouvertement qu’en
effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races
inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de
civiliser les races inférieures »
Le
9 juillet 1925, l’icône socialiste Léon Blum affirma devant les députés :
« Nous admettons le droit et même le
devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues
au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux
efforts de la science et de l'industrie. »
Les
bonnes consciences humanistes peuvent cependant être rassurées puisque Jules
Ferry avait pris le soin de préciser que :
« La race supérieure ne conquiert
pas pour le plaisir, dans le dessein d’exploiter le faible, mais bien de le
civiliser et de l’élever jusqu’à elle ».
5) La
maçonnerie à laquelle appartenaient la plupart des dirigeants républicains
voyait dans la colonisation le moyen de mondialiser les idées de 1789. En 1931,
toujours à Vichy, lors du congrès annuel de la Ligue des droits de l’homme dont
j’ai parlé plus haut et dont le thème était la question coloniale, Albert Bayet
déclara :
« La colonisation est légitime
quand le peuple qui colonise apporte avec lui un trésor d’idées et de
sentiments qui enrichira d’autres peuples (…) la France moderne, héritière du
XVIIIe siècle et de la Révolution, représente dans le monde un idéal qui a sa
valeur propre et qu’elle peut et doit répandre dans l’univers (…)Le pays qui a
proclamé les droits de l’homme (…) qui a fait l’enseignement laïque, le
pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté a (…) la
mission de répandre où il peut les idées qui ont fait sa propre
grandeur ».
6) Alors
que toute la philosophie qui animait ses membres reposait sur le contrat
social, la colonisation républicaine s’ancra sur une sorte de racisme
philanthropique établissant une hiérarchie entre les « races » et les
civilisations. Au nom de sa supériorité philosophique postulée, la république
française avait en effet un devoir, celui d’un aîné devant guider, grâce à la
colonisation, ses cadets ultra-marins non encore parvenus à « l’éclairage
des Lumières ».
7) Pour
ces hommes de gauche, la conquête coloniale n’était brutale qu’en
apparence puisqu’il s’agissait in
fine d’une « mission civilisatrice ». D’ailleurs, la république égalisatrice
n’avait-t-elle pas fait de même en
transformant les Bretons, les Occitans, les Corses et les Basques en
Français, c’est-à-dire en porteurs du message émancipateur universaliste? La
gauche républicaine coloniale se devait donc de combattre tous les
particularismes et tous les enracinements car il s’agissait d’autant de freins
à l’universalisme. Coloniser était donc un devoir révolutionnaire et
républicain. D’autant que la colonisation allait permettre de briser les
chaînes des peuples tenus en sujétion par les « tyrans » qui les
gouvernaient. La colonisation républicaine fut donc d’abord le moyen d’exporter
la révolution de 1789 à travers le monde.
Jusque
dans les années 1890, la position de la
droite monarchiste, nationaliste et identitaire fut claire : l’expansion
coloniale était une chimère détournant les Français de la « ligne
bleue des Vosges » et les aventures coloniales étaient donc considérées à
la fois comme une trahison et un ralliement aux idées républicaines. Le 11
décembre 1884, devant le Sénat, le duc de Broglie, sénateur monarchiste,
déclara ainsi :
« (…) Les colonies affaiblissent la patrie qui les fonde. Bien loin de la
fortifier, elles lui soutirent son sang et ses forces. »
Cet
anticolonialisme de droite fut bien représenté par Paul Déroulède et par
Maurice Barrès. Pour Déroulède, le mirage colonial était un piège dangereux
tendu par les ennemis de la France. Dans une formule particulièrement parlante,
il opposa ainsi la chimère de « la plus grande France »,
c'est-à-dire l’Empire colonial, qui menaçait de faire oublier aux Français le
« relèvement de la vraie France ».
En
dehors des milieux d’affaires « orléanistes » qui, à travers les
Loges, avaient adhéré à la pensée de Jules Ferry, la « droite » fut anticoloniale
quand la « gauche », à l’exception notable des radicaux de
Clemenceau, soutenait massivement l’expansion ultramarine.
Et
pourtant, quelques années plus tard, à quelques très rares exceptions, monarchistes,
nationalistes et catholiques se rallièrent à la vision coloniale définie par la
gauche républicaine, donc aux principes philosophiques qu’ils combattaient
depuis 1789… La fusion fut effective en 1890 quand, par le « toast
d’Alger », le cardinal Lavigerie demanda le ralliement des catholiques à
la République. La boucle révolutionnaire fut alors bouclée. Les Lumières
l’avaient emporté sur la Tradition.
Par
« devoir patriotique », la droite militaire et missionnaire partit alors
conquérir les « terres de soleil et de sommeil ». Elle s’y fit tuer avec
courage et abnégation, en ne voyant pas que son sang versé permettait la
réalisation des idéaux philosophiques de ses ennemis de toujours… Ces derniers demeurèrent
quant à eux confortablement en France, attendant de chevaucher ultérieurement les
chimères idéologiques de l’anticolonialisme au nom duquel ils dénonceront et combattront
férocement et implacablement une droite suiviste devenue coloniale quand eux ne
l’étaient plus…
En
parlant de « faute de la République » et non de faute de la France,
le président Macron a donc (involontairement ?), mis la gauche
républicaine face à ses responsabilités historiques. Car, et nous venons de le
voir, ce furent des républicains, des hommes de gauche, des laïcs et des
maçons, qui lancèrent la France dans l’entreprise coloniale qui l’épuisa, la
ruina et la divisa.
Leurs
héritiers qui dirigent aujourd’hui la France politique, judiciaire, médiatique
et « morale » ont curieusement oublié cette filiation. Plus encore, ayant
adhéré à une nouvelle idéologie universaliste, celle du
« village-terre » et de l’antiracisme, ils font réciter ad nauseam aux Français le credo de
l’accueil de « l’autre » afin d’achever de diluer les derniers
enracinements dans l’universel. Et ils le font au prétexte de la réparation de
la « faute » coloniale commise hier par
leurs maîtres à penser…
[1] Je développe cette idée dans mon livre « Mythes et manipulations de l’histoire africaine »
Ah bon parce que selon vous la monarchie de juillet de Charles X en 1830, ce n'était pas une monarchie ? Et Louis Philippe non plus ? Et Napoléon III n'a rien fait la bas non plus ? Et selon vous le but était de leur apporter la civilisation ? Je pense que les espagnols eux l'ont fait avec toutes leurs colonies dont toutes les populations otochtones ont été christianisées.
RépondreSupprimerExcellent document à mettre entre toutes les mains...
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