La rupture des relations
diplomatiques entre le Maroc et l’Iran intervenue au mois d’avril 2018 constitue
un des derniers épisodes du conflit opposant l’Arabie saoudite à l’Iran. Elle
complique encore davantage les relations entre un Maroc aligné sur Ryad et une
Algérie veillant à conserver son autonomie par rapport au système d’alliance
saoudien. Constitué autour des monarchies du golfe (sauf le Qatar), ce dernier
est soutenu directement par les Etats-Unis et indirectement par Israël.
Le contexte est clair :
l’Arabie saoudite connaît ses faiblesses face à l’Iran. Elle sait que, seule,
elle serait militairement balayée. Elle a conscience que sa famille royale est
haïe par des populations qu’elle méprise depuis des décennies. Elle n’ignore
pas que sa légitimité historique et religieuse est discutable et que, si elle a
pu s’emparer des lieux saints de l’Islam, ce fut grâce aux anglo-saxons. Pour assurer sa survie, elle doit rassembler
autour d’elle tous les « Arabes » (lire les sunnites), contre
l’ennemi séculaire perse (lire les chiites). En même temps, elle cherche à
donner une nouvelle image d’elle en finançant de colossales campagnes de
publicité dans la presse occidentale vantant l’aggiornamento qui en ferait désormais
un pays ouvert, moderne et tolérant…
Avec la guerre en Syrie,
Ryad a amorcé la constitution d’une alliance offensive contre le « terrorisme
iranien ». La manœuvre est cousue de fil blanc car le terrorisme islamiste
n’est pas chiite, mais sunnite. Nulle marque de chiisme en effet dans les
attentats de septembre 2001, dans ceux qui ont frappé l’Europe ou la Russie,
dans Al-Qaïda, dans l’Etat islamique ou dans Boko Haram. Tous sont au contraire
liés à des branches du sunnisme et dans bien des cas, financés par les
officines wahhabites gravitant autour des cercles princiers saoudiens.
Le plan de Ryad s’est
déroulé en trois phases :
1) Guerre du Yémen contre les
miliciens Houthi proches de l’Iran.
2) Isolement du Qatar qui a
le tort de ne pas rompre avec l’ennemi perso-irano-chiite.
3) Lutte à mort contre le
Hezbollah libanais désigné par le ministre saoudien des Affaires étrangères, Mohamed
al Khalifa, comme « une menace pour la sécurité nationale arabe ». On
ne peut être plus clair dans la dénonciation en creux de l’Iran perse…
L’Arabie saoudite et Israël
ont en commun d’avoir le même ennemi iranien et le même allié américain. Un
allié lui aussi totalement obsédé par le « danger » iranien. Les
voilà donc tous trois partenaires dans la grande manœuvre d’encerclement de
l’Iran. Ils ont cependant subi un grave échec en Syrie où, non seulement ils
n’ont pas réussi à chasser du pouvoir un allié de Téhéran, mais où, en plus,
l’enchaînement des évènements a fait que leur partenaire turc s’est détourné
d’eux pour finalement, réalpolitique oblige, se rapprocher de la Russie, donc,
de facto, de l’Iran.
Dans le monde dit
« arabe », et fidèle à sa politique d’indépendance, l’Algérie garde
la tête froide, conservant de bonnes relations avec tous les protagonistes,
dont l’Iran et la Syrie. Consciente de son isolement, elle a renoué des
relations un moment distendues avec la Russie et elle s’est spectaculairement
rapprochée de la Turquie. C’est alors qu’est intervenu un évènement aussi grave
qu’insolite et dont les conséquences pourraient être considérables. Il s’agit
d’une « livraison d’armes » du Hezbollah libanais allié de l’Iran, au
Polisario, lequel est un appendice des services algériens.
Une telle livraison, si
toutefois elle était avérée, conduit à faire trois remarques :
- Militairement, elle ne présente aucun intérêt
car le Polisario dispose déjà de toutes les facilités dans les arsenaux
algériens.
- En revanche, une telle livraison, réelle ou
supposée, a eu un très fort impact au Maroc où l’on est plus que chatouilleux
dès-lors qu’est posée la question du Sahara. Les services iraniens ont-ils donc
voulu faire comprendre au Maroc qu’ils ont les moyens de lui compliquer la tâche
dans ses provinces sahariennes revendiquées par le Polisario s’il persiste à
s’aligner sur Ryad ?
- Mais ce faisant, Téhéran ayant violé cette
souveraineté qu’elle défend si jalousement, comment va réagir l’Algérie ?
En définitive, cet épisode montre deux choses :
1) Face à la menace algéro-polisarienne sur ses provinces sahariennes, le Maroc est condamné à un
quasi alignement sur la position américano-saoudienne.
2) L’Algérie qui porte à bout de bras le
Polisario depuis sa création n’est pas à l’abri d’une provocation de la part de
ce dernier qui pourrait déclencher une crise majeure avec le Maroc. L’épisode en
cours pourrait alors lui faire enfin comprendre qu’un accord avec Rabat lui
serait plus profitable qu’un soutien aveugle à un Polisario paraissant chercher
de nouveaux parrains, avec pour conséquence qu’Alger risquerait de moins le contrôler
dans l’avenir. Cette livraison pourrait alors être un bon prétexte pour couper
les ailes à un mouvement dont les ramifications islamo-mafieuses commencent à
poser bien des problèmes dans toute la région saharo-sahélienne.
Un tel accord serait
bénéfique pour les deux pays. Le Maroc qui n’aurait plus à craindre un conflit
avec l’Algérie, pourrait alors moins dépendre des Etats-Unis et de l’Arabie
saoudite, ce qui, par voie de conséquence renforcerait l’Algérie dans sa
constante d’indépendance et permettrait enfin la définition d’une politique
maghrébine commune.
"le ministre saoudien des Affaires étrangères, Mohamed al Khalifa" : petite confusion ici entre le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Joubeir et celui de Bahreïn Khalid ben Ahmed ben Mohammed al-Khalifah.
RépondreSupprimerBravo et merci à M. Bernard Lugan pour son expertise. J'ai pu écouter depuis fort longtemps sur Radio Courtoisie certaines de ses analyses déjà à la toute première époque notamment chez Serge De Beketch.
RépondreSupprimerJe suis tombé sur votre blog par hasard. Même si je ne suis certainement pas du même bord politique que vous, je trouve votre billet très intéressant doté d'un esprit de synthèse rare...comme nous n'en croisons pas sur les médias en général.
RépondreSupprimer" une politique maghrébine commune"
RépondreSupprimerUne politique d' Afrique septentrionale commune basée sur un socle Berbère ( Amazigh) afin d' éviter toute ingérence de la part d' un Moyen-Orient infatué.
Il est dommage et triste sur le plan historique que la France alliée de l' Espagne ait participé à l' extermination culurelle de la population Berbère au Maroc, en cassant la rébellion et en mettant en place un régime islamique despotique; brisant ainsi le rêve et l' espoir d' un rif indépendant autrement dit d' une nation Berbère indépendante.
M. Lugan, merci pour cette analyse. Analyse que je n'ai pu trouver dans les articles des insipides grands média. Au plaisir de vous relire.
RépondreSupprimerAnalyse intéressante en début d'article mais qui se termine en queue de poisson dés lors que la conclusion est basée sur une donnée (les armes envoyées par le Hezbollah au Polisario) dont seul le Maroc officiel et ses affidés parlent.
RépondreSupprimer