Pages

mercredi 25 avril 2012

Soudan : les causes d’une guerre annoncée


Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir que le Nord et le Sud Soudan allaient immanquablement se faire la guerre. Dans le numéro de l’Afrique Réelle daté du mois de juin 2011, j’avais ainsi signé un article titré : « Soudan : guerre pour le saillant d’Abyei ? ». Moins d’un an plus tard, le 10 avril 2012, la guerre a effectivement éclaté à Heglig, zone produisant 50% de tout le pétrole extrait dans le Nord Soudan et qui touche le saillant d’Abyei. Une violente contre-attaque accompagnée de raids aériens contre certaines villes du Sud, dont Bentiu, permit ensuite aux forces de Khartoum de reprendre le terrain perdu ; le 20 avril, après de durs combats, les forces sudistes se replièrent.

Trois grandes raisons expliquent cette guerre :

1) La région d’Abyei et d’Heglig est le homeland de certaines tribus Dinka dont les Ngok. Elle est actuellement occupée par l’armée nordiste. Un référendum devrait décider de l’appartenance d’Abyei au Nord ou au Sud Soudan ; or, les Dinka y ayant été l’objet d’un vaste nettoyage ethnique opéré par les milices islamiques favorables à Khartoum, la composition du corps électoral y a profondément changé.

2) Au mois de juillet 2009, la Cour d’arbitrage de La Haye préconisa le partage de toute la région entre Dinka et Arabes de la tribu des Misseryia sur la base de l’occupation actuelle, entérinant ainsi la spoliation des Dinka, la zone pétrolière d’Heglig étant, elle, définitivement rattachée au Soudan Khartoum.

3) Avant la partition de 2011, le Soudan produisait 470 000 barils/jour dont les ¾ au Sud. Or, les 350 000 barils/jour extraits dans le nouvel Etat du Sud Soudan sont exportés par un pipe line traversant tout le Nord Soudan pour aboutir sur la mer Rouge. Les négociations entre les deux pays portant sur les droits de transport du brut du Sud à travers le pipe line du Nord ont été rompues. Pour ne plus dépendre du Nord Soudan, le Sud Soudan a signé deux accords de désenclavement prévoyant la construction de deux nouveaux pipe line, l’un avec le Kenya et l’autre avec l’Ethiopie. Puis, le 26 janvier 2012, le Sud Soudan a  fermé tous ses puits situés à proximité de la frontière avec le Nord Soudan. Avec cette mesure, certes il se pénalisait, mais il privait en même temps le Soudan du Nord des droits de transit de son propre pétrole.

Quand, le 10 avril 2012, le Sud Soudan lança son offensive surprise à Heglig, il n’avait pas pour objectif de s’emparer de cette région, ce que Khartoum n’aurait jamais accepté. Son but était d’y détruire les infrastructures pétrolières afin d’affaiblir encore davantage le Nord Soudan pour le contraindre à accepter, à la fois ses revendications territoriales et celles portant sur le coût du transit de son pétrole en attendant la construction des deux pipe line sudistes.

Bernard Lugan
25/04/2012

dimanche 15 avril 2012

L'Afrique Réelle N° 28 - Avril 2012


























Sommaire

Actualité :

- La guerre du Mali : un conflit dont la résolution passe par le retour au réel ethnique
- Libye : la guerre Toubou-Arabes peut-elle embraser le Tchad ?
- Le Somaliland en quête d’une reconnaissance par l’Union Européenne

Dossier : Les berbères

- Le long combat identitaire des Berbères
- Entretien avec Bernard Lugan
- L'Egypte et les Berbères
- Les royaumes berbères durant l'antiquité
- L'arabisation ethnique de la Berberie
- L’opposition entre Berbères et Arabes dans le mouvement nationaliste algérien
- Le Maroc, l'Algérie et la Berbérité

Editorial de Bernard Lugan

La guerre du Mali a fait exploser sous nos yeux ces deux grands mythes destructeurs de l’Afrique que je ne cesse de dénoncer depuis des décennies : celui de l’Etat-nation pluri ethnique et celui de la démocratie fondée sur le principe du « un homme, une voix ». En effet :

1) Le mélange ethnique au sein d’un même Etat artificiel est par lui-même crisogène ; d’autant plus que le phénomène est aggravé par la démocratie, cette ethno-mathématique qui donne le pouvoir aux plus nombreux, réduisant les peuples minoritaires à l’esclavage ou les contraignant à la rébellion armée.
2) Après les guerres Nord contre Sud au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Soudan, le Mali montre à son tour que les Etats post-coloniaux sont des coquilles vides. En ce sens, la malencontreuse intervention franco-otanienne en Libye aura au moins eu un effet positif : le colonel Kadhafi n’étant plus là pour les contenir, les Touaregs qui ont repris leur liberté ont en effet fait sauter le principal tabou qui interdit à l’Afrique de redevenir elle-même, donc d’exister.

Or, au moment où les Touaregs démontrent que les lois historiques inscrites dans la longue durée sont plus fortes que nos fantasmes universalistes et démocratiques, au moment où le réel triomphe des idéologies, nos dirigeants, incapables de prendre la mesure de la situation, s’accrochent tels des automates à ces frontières cicatrices, ces lignes prisons tracées au mépris de toutes les réalités physiques et humaines.
Relisons Ferhat Mehenni et son livre manifeste dans lequel il parle d’«_Etats sans nations ». Méditons une réflexion de l’auteur pour qui les dirigeants européens, au lieu de s’interroger sur l’avenir d’Etats artificiels, mettent au contraire en cause les Peuples qui les combattent au nom de légitimes revendications identitaires.

Plus que jamais, la solution, au Mali comme ailleurs en Afrique, est la partition. On objectera que ce serait alors la porte ouverte à la balkanisation. Probablement. Mais de la Balkanisation peuvent sortir de nouveaux équilibres ; pas du néant actuel. N’oublions pas que pour mettre fin à la Guerre de Trente ans les Traités de Westphalie dotèrent l’Europe d’une poussière d’Etats dont des dizaines de micro-Etats. D’ailleurs, pourquoi toujours penser en termes de vastes ensembles ; y aurait-il un étalon maître à ce sujet ?
L’avenir de l’Afrique est à des Etats plus « petits » et aux frontières épousant plus fidèlement les réalités des peuples.
Faisons un retour en arrière et oublions les invectives et les anathèmes pour ne parler que de la pertinence du système : les Sud-africains avaient tenté, maladroitement certes, cette expérience avec la politique des Etats nationaux ethniques, dite politique des Bantustan, solution visionnaire qui fut rejetée avec indignation par la bien-pensance internationale engluée dans ses dogmes.
Aujourd’hui, après l’indépendance de l’Erythrée, du Sud Soudan, demain du Somaliland et de l’Azawad, après plus d’un demi siècle de guerres qui ont bloqué tout développement en Afrique, le débat ne mérite t-il pas d’être à nouveau ouvert dans un climat enfin dépassionné ?

jeudi 5 avril 2012

Histoire des Berbères



















 

Histoire des Berbères, des origines à nos jours. 
Un combat identitaire pluri-millénaire.

Présentation de l'ouvrage

Les Berbères ou Imazighen (Amazigh au singulier) constituent le fond ancien de la population de l’Afrique du Nord. Ils formaient à l’origine un seul Peuple peu à peu fragmenté  par une histoire à la fois riche, complexe et mouvementée. Des dynasties berbères régnèrent  sur le Maghreb jusqu’au XVI° siècle.
Les partisans de l’arabo-islamisme affirment que les Berbères sont sortis de l’histoire, leur conversion à l’Islam les ayant inscrits de façon irréversible dans l’aire politico-culturelle de l’arabité. Dans les années 1950, la revue Al Maghrib alla ainsi jusqu’à écrire qu’ils ne peuvent accéder au Paradis que s’ils se rattachent à des lignées arabes. Quant au ministre algérien de l’Education nationale, il déclara en 1962 qu’ils « sont une invention des Pères Blancs ».
Aujourd’hui, les dirigeants arabo-islamiques nord africains doivent faire face au réveil berbère si fortement exprimé en 2004 par Mohammed Chafik au travers de sa célèbre question réponse: « Au fait, pourquoi le Maghreb arabe n’arrive-t-il pas à se former ? C’est précisément parce qu’il n’est pas Arabe ». Cette phrase était incluse dans un article dont le titre explosif était : « Et si l’on décolonisait l’Afrique du Nord pour de bon ! », intitulé signifiant qu’après avoir chassé les Français, il convenait désormais pour les Berbères d’en faire de même avec les Arabes…
Qui sont donc les Berbères ? Quelle est leur origine ? Comment furent-ils islamisés ? Quelle est leur longue histoire ? Comment se fait aujourd’hui la renaissance de la berbérité? Peut-elle être une alternative au fondamentalisme islamique ?
C’est à ces questions qu’est consacré ce livre qui n’a pas d’équivalent. Son approche est ethno historique et couvre une période de 10 000 ans. Il est illustré par de nombreuses cartes en couleur et par des photographies.

IMPORTANT : Ce livre édité par l'Afrique Réelle n'est pas disponible dans les librairies ou les sites de commandes en ligne. Seule l'Afrique Réelle le distribue.

Prix : 22€

Frais de livraison (Colissimo suivi) :
7€ pour la France métropolitaine
11€ pour l'Europe
25€ pour le reste du monde

Pour le commander, 2 possibilités :

1) Par carte bleue ou Paypal :

Livraison

2) Par chèque, avec ce bon de commande à imprimer et à nous retourner (cliquer pour télécharger) :



Le poisson d’avril du « directeur de la cellule Libye » au Quai d’Orsay

Je ne résiste pas au plaisir de faire connaître aux lecteurs de mon blog le texte qui suit et qui mérite de passer à la postérité comme exemple archétypique de l’aveuglement d’une certaine diplomatie française et du suivisme de certains organes de presse.
Ce texte a été publié dans l’édition du 5 avril du Figaro  sous le titre : « Libye : l’optimisme de l’ex ambassadeur de France ».

«  Ambassadeur de France à Tripoli de 2008 à 2011, François Gouyette se dit « optimiste sur le moyen terme » pour l’avenir de la Libye. Pour ce diplomate qui dirige la cellule Libye au Quai d’Orsay, les fondamentaux du pays sont bons, la situation sécuritaire « globalement maîtrisée ». Sans nier les problèmes de l’après-Kadhafi, il se félicite aussi de l’affirmation d’un sentiment national « qui se superpose à l’identité tribale toujours très présente». « Je n’ai jamais cru au risque de l’éclatement de la Libye » souligne le diplomate ». Le Figaro, 5 avril 2012.

Si le responsable de la  « cellule Mali » du Quai d’Orsay a une approche de la situation aussi « réaliste » que celle de son homologue en charge de la Libye, nul doute que les autorités françaises sauront, une fois de plus, faire les bons choix…Quant aux lecteurs du Figaro, cette Pravda des mollassons, les voilà une fois de plus bien informés…

Bernard Lugan
05/04/12

mardi 3 avril 2012

Mali : une guerre qui en cache une autre

Au Mali, deux guerres  sont en cours :

- La première qui concerne les seuls Touaregs est menée par le MNLA. Son but est l’indépendance de l’Azawag, la terre touareg, ce qui passe par la partition du Mali.

- La seconde est menée par un petit mouvement islamiste du nom d’Ansar Dine dont l’objectif est totalement différent puisqu’il veut contrôler tout le Mali pour y instaurer la charia. Même s’il est dirigé par un Touareg Ifora, tribu qui fournit l’essentiel des troupes du MNLA, Ansar Dine est composé de sahéliens de diverses ethnies et d’abord d’Arabes sahariens comme les Chamba, les Reguibat ou les Maures. En effet, les Touaregs ne peuplent pas tout le Sahara, mais seulement sa partie centrale, tout l’ouest du désert jusqu’à l’Atlantique étant une zone arabe ou arabisée.

Tombouctou est considérée comme hors du territoire touareg, la capitale de l’Azawag étant Kidal. C’est d’ailleurs pourquoi le MNLA qui a une force militaire supérieure à celle d’Ansar Dine, a laissé la ville à ce dernier qui fait désormais  tampon entre ce qui reste d’armée malienne et le territoire touareg « libéré ».
L’évolution de la situation va dépendre des réponses qui seront données aux questions suivantes :

1) Depuis Tombouctou, Ansar Dine va-t’il tenter de remonter le Niger jusqu’à Mopti, Ségou et au-delà jusqu’à Bamako? Mais avec quelles troupes ? Quant aux Etats voisins, vont-ils laisser le sud du Mali passer sous la coupe d’islamistes ?

2) Combien de temps l’alliance de circonstance entre le MNLA et Ansar Dine peut-elle tenir ?

3) Ne sommes-nous pas en réalité face à une habile manœuvre d’ « enfumage » mise au point par les chefs des deux mouvements et dont le but serait d’attirer l’attention sur les islamistes afin de crédibiliser la revendication touareg?

Quoiqu’il en soit, la seule politique réaliste consiste à prendre en compte la division de l’Etat sans Nation qu’est le Mali, mais tout en évitant la contagion islamiste. Or, et je le redis une fois de plus, une telle politique passe par un appui donné aux Touaregs. Faute de quoi, acculés, ils basculeront du côté des groupes islamistes et la situation dans tout le Sahara ainsi que dans l’ensemble sahélien deviendra alors ingérable.

Une situation à suivre.

Bernard Lugan
03/04/12

dimanche 1 avril 2012

Du Mali à la Libye, la recomposition de l’Afrique sahélo-saharienne est en cours.


Au Mali, après Gao, Tombouctou, la « cité mystérieuse » qui fit tant rêver les explorateurs du XIX° siècle, semble désormais à la portée des combattants touaregs. Sans une intervention étrangère de dernière heure, on ne voit pas comment la ville pourrait leur échapper. Toute la rive nord du fleuve Niger sera donc entre leurs mains. L’actuel conflit a débuté le 17 janvier 2012, à Menaka et dans la région de Kidal, les Touaregs revendiquant l’autodétermination et l’indépendance, leur guerre étant destinée à « libérer le peuple de l’Azawag de l’occupation malienne ».

Plus à l’Est, en Libye, dans les régions de Sebha et de Koufra, les combats meurtriers entre les Toubou et les tribus arabes  ont repris le 26 mars et les Toubou revendiquent désormais, eux aussi, un Etat indépendant.  Comme la moitié de l’ethnie toubou vit au Tchad où elle est connue sous le nom de Goranes, les actuels évènements risquent d’y rallumer par contagion une autre guerre, interne celle là, entre les Toubou-Goranes et les  Zaghawa qui sont au pouvoir à N’Djamena.  

Voilà le double résultat de l’intervention franco-otanienne en Libye. Le président tchadien Idriss Déby Itno avait vu juste quand il avait mis en garde Paris, affirmant qu’elle allait déstabiliser toute une région aux fragiles équilibres[1].

Face à cette situation, qu’est-il possible de faire ?

Pour le moment, au Tchad, le président Déby a la situation sous contrôle, mais il ne peut pas laisser les Toubou de Libye se faire massacrer au risque de voir les Toubou-Goranes échapper à son autorité.

Au Mali, l’alternative est simple :

- Soit nous laissons le cours de la longue histoire reprendre son déroulé et nous admettons la réalité qui est que le Mali n’a jamais existé et que les Touaregs ne veulent plus être soumis aux Noirs du Sud. Dans ce cas, nous entérinons le fait accompli séparatiste et nous veillons à ce que les Touaregs qui auront obtenu ce qu’ils demandaient deviennent nos alliés dans le combat contre Aqmi.
- Soit, de concert avec les Etats de l’Ouest africain, nous intervenons militairement contre les Touaregs pour reconstituer une fiction d’Etat malien et nous  jetons ces derniers dans les bras d’Aqmi avec tous les risques de contagion qu’une telle politique implique.

Bernard Lugan
01/04/2012

[1] Le point sur ces conflits sera fait dans le numéro de l’Afrique Réelle du mois d’avril que les abonnés recevront prochainement.