samedi 31 mai 2025

L'Afrique Réelle n°186 - Juin 2025

Sommaire

Actualité
- Les quatre guerres du Sahel
- Le piège des hydrocarbures se referme inexorablement sur l’Algérie
Dossier : Les Etats-Unis et l'Afrique
- La politique africaine des Etats-Unis de Clinton à Trump
- La RDC entre Pékin et Washington
Histoire
Quand Paul Kruger tissa le linceul du peuple boer-afrikaner

Editorial de Bernard Lugan

Ce numéro de l’Afrique Réelle contient quatre dossiers :

1) Les jihadistes sahéliens se trouvent face à une grande contradiction. Leur islam qui se veut universel, n’a en effet pas réussi - du moins à ce jour -, à transcender les ethnies. Face à l’échec de leur projet universaliste, ils ont tout au contraire été contraints de prendre appui sur elles, notamment sur les Peul. 
Au Mali, au Niger, au Burkina Faso et au Nigeria, le phénomène jihadiste a ainsi débouché sur la parcellisation des pays, les islamistes soutenant chacune des revendications ethno-tribales contradictoires les-unes aux autres. Le jihad qui a pour but la fondation d’un califat trans-ethnique bute donc sur la réalité ethnique qui, jusqu’à présent, a empêché l’engerbage. N’en déplaise aux « africanistes » du CNRS et du Quai d’Orsay, le jihadisme se trouve donc pris au piège des rivalités ethnocentrées ancestrales qui constituent la vraie réalité sociologique régionale.

2) La décision du président Trump d’imposer des droits de douane aux pays africains marque un total changement de paradigme dans la politique africaine des Etats-Unis. Désormais, le donnant-donnant remplace en effet une politique reposant depuis 1976 sur la « générosité ». Cette dernière était fondée sur le GSP (Generalized System of Preference), dispositif accordé sans réciprocité à tous les pays sous-développés, et sur le « Trade not Aid » assorti de propositions visant à exempter de droits de douane, et sous conditions, certaines productions africaines entrant sur le marché américain. Désormais, les pays africains devront faire face à des barèmes douaniers plus élevés pour accéder au marché américain. 

3) L’économie algérienne dépend quasi totalement des hydrocarbures (pétrole et gaz) qui fournissent entre 95 et 98% des exportations, quasiment les seules entrées en devises du pays, et environ 75% de ses recettes budgétaires. Or, cette dépendance fait peser une menace existentielle sur l’Algérie dont l’économie est à la merci de la variabilité des cours. 

4) Le terrible destin du peuple afrikaner aujourd’hui est une conséquence lointaine de la « Guerre des Boers ». Or, en 1898, si le général Joubert, avait été élu contre Paul Kruger, cette guerre aurait été évitée. Londres ne voulait en effet pas de ce conflit car son but n'était pas la fin des Républiques boers, mais tout au contraire leur entrée dans une vaste fédération blanche d'Afrique australe (voir la carte page 16 de la revue). Alors que le général Joubert avait compris que la démographie condamnait les Boers s’ils ne s’alliaient pas aux autres ensembles blancs, Paul Kruger, dont la vision politique était bétonnée sur les certitudes bibliques faisant des Boers le « peuple élu », refusa toutes les propositions anglaises. Si le général Joubert avait été élu, le Transvaal et l’Etat libre d’Orange auraient été pacifiquement intégrés à l’Empire britannique, et à leurs conditions. Une guerre terriblement destructrice aurait donc été épargnée aux Boers, avec les traumatismes qui en furent la conséquence et dont ils ne se sont jamais remis (voir mon livre Histoire de l'Afrique du Sud).

mercredi 21 mai 2025

Avec la fin des investigations visant Agathe Habyarimana, et sans mise en examen, seize années après le TPIR, la justice française reconnaît donc à son tour que l’Akazu était un mythe et qu’Agathe Habyarimana n’eut aucune responsabilité dans le génocide des Tutsi

Le régime de Kigali et ses relais français soutiennent obstinément contre toutes les avancées historiques et juridiques, que le génocide des Tutsi fut préparé par l’Akazu,  du nom de la hutte dans laquelle, dans l’ancien Rwanda, étaient isolés les lépreux. L’Akazu est présentée par eux comme un cercle clandestin criminel constitué autour de la belle famille du président Habyarimana et dont Protais Zigiranyirazo, dit « Monsieur Z », frère d’Agathe Habyarimana, épouse du président, aurait été le chef. Selon l’histoire officielle rwandaise, ce fut ce petit groupe qui aurait comploté et planifié l’extermination des Tutsi. Voilà pourquoi, depuis 1995, les relais de Kigali en France persécutent médiatiquement et juridiquement Agathe Habyarimana, veuve du président assassiné le 6 avril 1994, exigeant sa mise en examen et son extradition vers le Rwanda.

Or, pour les juristes et pour les historiens l’affaire dite de l’Akazu a été définitivement réglée devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). En effet à travers le procès de Protais Zigiranyirazo, dit « Monsieur Z », frère d’Agathe Habyarimana, et présenté comme le chef de ce cercle criminel, procès dans lequel je fus expert, il fut clairement démontré que l’Akazu n’avait jamais existé.

Et pourtant, comme ce procès était censé mettre en évidence le cœur même de la préparation du génocide, le Procureur mit tout son poids pour faire condamner Protais Zigiranyirazo.  Or, cités par M° John Philpot l’avocat canadien de l’accusé, MM. Jean Marie Vianney Nkezabera et Anastase Munyandekwe, tous deux anciens hauts responsables de l’opposition au président Habyarimana, expliquèrent que l’Akazu n’avait jamais existé puisqu’il s’agissait en réalité d’une invention dont ils étaient les deux auteurs et qui était destinée à discréditer l’entourage du président…

A l’issue de leurs témoignages, la thèse de l’Accusation ayant été réduite à néant, le 18 décembre 2008 le jugement de première instance (TPIR-01-73-T) écarta la thèse du complot ourdi par M. Zigiranyirazo et sa belle-famille, l’acquittant du principal chef d’accusation, à savoir d’avoir prémédité le génocide des Tutsi avec Agathe Kanziga épouse du président Habyarimana. Puis, le 16 novembre 2009, devant la Cour d’Appel, M. Zigiranyirazo fut totalement innocenté et immédiatement libéré (TPIR-01-73-T, jugement d’appel rendu contre Protais Ziriganyirazo le 16 novembre 2009).

L’acquittement suivi de la libération de M. Zigiranyirazo aurait normalement dû conduire la justice française à cesser de s’acharner sur Madame Agathe Habyarimana qui était réfugiée en France, puisque le TPIR avait montré qu’elle n’avait aucune responsabilité dans le génocide des Tutsi. Or, c’était compter sans l’acharnement de certains « justiciers », journalistes et historiens.

Enfin, au bout de plusieurs décennies, les juges français chargés du dossier, ont conclu, dans une ordonnance datée de vendredi 16 mai 2025, qu’il « n’existe pas à ce stade d’indices graves et concordants contre Agathe Kanziga (Habyarimana) qu’elle ait pu être complice d’acte de génocide » ou pu « participer à une entente en vue de commettre le génocide ». « Si la rumeur est tenace, elle ne peut faire office de preuve en l’absence d’éléments circonstanciés et concordants ». D’autant plus que les juges ont noté que les témoignages à charge étaient «contradictoires, incohérents, voire mensongers ». 

Cette décision est donc un désaveu cinglant de ceux qui, depuis plusieurs décennies harcèlent Agathe Habyarimana. D’autant plus que, pour les juges, la veuve de l’ancien président assassiné « apparaît non comme autrice du génocide, mais bien comme victime » de l’attentat terroriste du 6 avril 1994 qui a causé la mort de son mari et qui a déclenché le génocide contre la minorité tutsi.

Avec cette Ordonnance, seize années plus tard, la justice française aboutit donc aux mêmes conclusions que le TPIR, à savoir que l’affaire dite de l’Akazu est une manipulation grossière et qu’Agathe Habyarimana a injustement été désignée à la vindicte… Mais cela ne ralentira pas le zèle des « justiciers-épurateurs » dont les divagations seront naturellement reprises avec empressement par nombre de butors de la sous-culture journalistique.

Pour en savoir plus sur la construction et la déconstruction de l’histoire du génocide des Tutsi, on se reportera :

1) Au PDF : Dix ans d’expertises devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda dans lequel je publie la totalité de mes rapports d’expertises dans les procès dans lesquels je fus expert assermenté.