lundi 28 juin 2021

Algérie : le « Système » touché en plein cœur de sa pseudo « légitimité » historique

Une furieuse polémique divise actuellement l’Algérie. Elle est d’autant plus vive qu’elle a fait remonter à la surface l’artificialité de la nation algérienne et l’opposition entre la berbérité et l’arabo-islamisme. Et cela, à travers la mise en lumière du coup d’Etat par lequel, en 1962 les « planqués »[1] de l’ALN (Armée de libération nationale) ont évincé les combattants de l’intérieur.
 
Tout est parti des déclarations de Noureddine Aït Hamouda à une chaîne de télévision privée au sujet d’Abd el-Kader, de Messali Hadj, de Ben Bella, ainsi que des présidents Boumediene et Bouteflika qu’il qualifia de « traîtres ». Ce faisant, Amrane (dit Nouredine) Aït Hamouda, ancien député du parti kabyle RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), fils du colonel Amirouche Aït Hamouda, chef emblématique du maquis kabyle de la willaya III, tué au combat le 29 mars 1959, visait le cœur même du « Système » algérien à travers son histoire fabriquée. La réaction de ce dernier a été immédiate : Noureddine Aït Hamouda a été jeté en prison…
 
En 2008, Nouredine Aït Hamouda avait déjà provoqué un tumulte quand il avait dénoncé les faux moudjahidine légitimés par l’ONM (Office national des Moujahidine, le Ministère des anciens combattants), socle du « Système » algérien dont la « légitimité » repose sur le mythe de 1,5 million de morts de la guerre d’indépendance, chiffre surréaliste permettant de justifier ces deux millions de porteurs de la carte de moudjahidine et d’ayants-droit qui forment sa clientèle. Pour le « Système », la dénonciation des faux moudjahidine représentait donc déjà un danger mortel. Or, l’actuelle polémique est encore plus dangereuse pour ceux qui dirigent et qui pillent l’Algérie depuis 1962 car, ceux que Noureddine Aït Hamouda accuse de « traitrise » sont les chefs de la tendance arabo-islamiste du courant nationaliste algérien actuellement au pouvoir.
Je laisse de côté le cas historique de l’émir Abd el-Kader qui sera traité dans le numéro de juillet de l’Afrique Réelle, pour m’en tenir aux accusations portées par Nouredine Aït Hamouda contre des personnages contemporains.
 
Un retour en arrière s’impose. Dès le lendemain du second conflit mondial, la question berbère divisa le courant nationaliste algérien. En 1948, dans son appel à l’ONU, le PPA/MTLD (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) dirigé par Messali Hadj, inscrivit la phrase suivante : « La nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle », ce qui provoqua la fureur de la composante kabyle du mouvement.
Puis, en 1949, au sein du PPA-MTLD, éclata la « crise berbériste » qui opposa les Kabyles voulant faire reconnaître la « berbérité » comme partie intégrante du nationalisme algérien, à la direction arabo-islamique du mouvement laquelle s’y opposait farouchement. Ce fut alors que fut posée la question de l’identité algérienne : est-elle exclusivement arabo-islamique ou berbère et arabo-islamique ? (Voir à ce sujet mon livre Algérie l’histoire à l’endroit).
Pour la direction du mouvement et pour Messali Hadj, arabisme et islamisme étaient les éléments constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire « coaguler » des populations qui n’avaient jamais formé un tout commun. Tout était donc clair : l’Algérie était une composante de la nation arabe, sa religion était l’islam et le berbérisme un moyen pour le colonisateur de diviser les Algériens.
 
Les berbéristes furent donc écartés de la direction du PPA/MTLD, et ce fut alors que le Kabyle Hocine Aït-Ahmed perdit la direction de l’OS (Organisation Spéciale) au profit de l’Arabe Ben Bella.
L’opposition entre berbéristes et arabo-islamistes se prolongea durant toute la guerre d’indépendance algérienne qui, sur le terrain, fut essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane Ramdane, Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem ou Hocine Aït Hamed, etc. Or, les dirigeants du FLN, notamment Ben Bella, Boussouf, Bentobbal, Boumediene et Bouteflika, qui se réclamaient de la ligne arabo-islamique, même quand à l’image de Boumediene, ils n’étaient pas Arabes, firent tout pour marginaliser les chefs politiques et militaires kabyles à leurs yeux suspects de berbérisme. La liquidation physique d'Abane Ramdane et la mort d’Amirouche, illustrent cette lutte à mort.
 
Durant plusieurs années après l’indépendance, les souvenirs de l’éviction des Berbères par les tenants de la ligne de l’arabo-islamisme furent enfouis sous forme de non-dit. Mais, en 2010, ils resurgirent avec une grande intensité avec la parution du livre « Amirouche, une vie, deux morts, un testament », que Saïd Sadi consacra à Amirouche Aït Hamouda, le père de Nouredine Aït Hamouda.
La thèse du livre qui est au cœur du contentieux qui divise actuellement l’Algérie, est que le colonel Amirouche Aït Hamouda, chef du maquis kabyle et de la willaya III, tué dans une embuscade, aurait été donné aux Français par ses rivaux arabo-islamistes du MALG (Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales, le service de renseignement de l’ALN), notamment par Abdelhafid Boussouf et Houari Boumediene, afin d’éliminer un dangereux rival, ce qui a permis de coup d’Etat de l’ALN durant l’été 1962.

Or, les héritiers de ceux qui livrèrent Amirouche forment aujourd’hui le « Système » algérien…

Bernard Lugan

[1] Planqués parce que, réfugiés au Maroc et en Tunisie, ils n’ont pas véritablement combattu l’armée française et cela, à différence des maquisards de l’intérieur auxquels ils volèrent l’indépendance.

samedi 19 juin 2021

Article de Valeurs Actuelles consacré à Bernard Lugan

La France debout

Pas un jour ne se passe sans que la France soit mise au ban des accusés, son passé montré du doigt, le pays et ses habitants sommés de s’excuser et de faire « repentance » pour les crimes prétendument commis, au premier rang desquels l’esclavage et la colonisation. Derrière cette offensive, une idéologie est à l’oeuvre, autrement dit une idée appliquée à l’histoire, une idée qui suit sa propre logique sans se soucier de l’expérience et des événements, ainsi qu'Hannah Arendt avait défini l’idéologie.

Qu’on la nomme « mouvance décoloniale » ou « indigénisme », elle est un poison qui gangrène lentement le corps social avec la complicité et la lâcheté des pouvoirs publics. Leur nom dit tout du mensonge: ces idéologues souvent venus d’ailleurs se prétendent « indigènes » quand ils sont allogènes, et veulent « décoloniser » un pays vis-à-vis duquel ils se comportent eux-mêmes en colons. Leur acte d’accusation tient en quelques mots : l’homme blanc est coupable par essence, son histoire est une infamie et les descendants des peuples colonisés sont victimes de discriminations « systémiques ». La solution ? S’effacer et leur laisser la place, pardi.

C’est à ces « décoloniaux » alliés aux islamo-gauchistes (dont ils seront un jour les dupes) que Bernard Lugan répond dans un livre fort utile. Spécialiste de l’histoire africaine, expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda de l’Onu et ancien professeur à l’École de guerre, c’est peu de dire qu’il connaît son affaire. La France a pillé l’Afrique, affirment les « décoloniaux » et elle a ainsi une dette vis-à-vis des peuples colonisés. La vérité, c’est que l’empire colonial fut le véritable tonneau des Danaïdes de la France qui s’y ruina plus qu’autre chose.

Lugan rappelle que lorsque la gauche républicaine lança le pays dans la course impériale à la fin du XIXe siècle, la dimension économique était secondaire. C’est l’ « émancipation » et le progrès que l’on voulait apporter à l’Afrique, au nom d’une supériorité philosophique supposée, quoi qu’on en pense.

Et en matière de pillage, c’est 50 000 kilomètres de routes bitumées laissées par la France à son départ, 18 000 kilomètres de voies ferrées, 63 ports équipés, 196 aérodromes, 2000 dispensaires modernes, 600 maternités, etc. La vérité, c’est qu'au moment des décolonisations, la situation de l’Afrique était en tout point meilleure qu’elle ne l’est aujourd'hui et que c’est par conséquent la décolonisation qui a créé la catastrophe africaine !

Quant à l’Algérie, c’est d’avoir choisi un modèle rentier au moment de son indépendance et de s’être livrée à des dirigeants cleptocrates et incompétents qu’elle doit son naufrage, et non à la France qui l’a unifiée, lui a donné son nom, a bonifié ses terres et a soigné sa population, laissant à son départ routes, voies ferrées, ports, ponts, tunnels, viaducs, barrages, centrales hydroélectriques et thermiques, etc.

Plutôt que d’écouter des idéologues qui rêvent de nous voir mettre genou à terre, lisons Lugan et l’on verra que non seulement nous n’avons pas à avoir honte de notre histoire mais que nous avons tout lieu d’en être fiers.

Olivier Maulin, Valeurs actuelles, 3 juin 2021


Pour commander le livre « Pour répondre aux décoloniaux »cliquer ici

vendredi 11 juin 2021

Barkhane victime de quatre principales erreurs commises par l’Elysée

Prenant pour prétexte le coup d’Etat du colonel Assimi Goïta au Mali, Emmanuel Macron a décidé de « transformer », en réalité il convient de lire « démonter » Barkhane[1]
.

Et pourtant, le coup de force de l’ancien commandant des Forces spéciales maliennes était au contraire une chance pour la paix. Ayant par ses fonctions une juste appréciation des réalités du terrain, ce Minianka, branche minoritaire du grand ensemble sénoufo, n’a de contentieux historique, ni avec les Touareg, ni avec les Peul, les deux peuples à l’origine du conflit[2]. Il pouvait donc ouvrir une discussion de paix en corrigeant quatre grandes erreurs commises par les décideurs parisiens depuis 2020, erreurs qui ont interdit à Barkhane de donner toute sa mesure.

La suite de cette analyse (87%) est réservée aux abonnés à l'Afrique Réelle. 

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[1] Le bilan de l’Opération Barkhane sera fait dans le numéro du mois de juillet de l’Afrique Réelle.
[2] Voir à ce sujet mon livre Les guerres du Sahel, des origines à nos jours.

mardi 1 juin 2021

L'Afrique Réelle n°138 - Juin 2021


























Sommaire

Actualité :
Ceuta et Melilla Plazas de soberiano et portes de l’immigration

Dossier : La question ethnique et ses conséquences sur la stabilité du Tchad
- Les trois grands groupes ethno-régionaux et leurs conflits traditionnels
- Les guerres des années 1965-1979 : nordistes contre sudistes
- 1980-1990 : de la guerre inter-Toubou à la guerre Zaghawa contre Goranes
- 2004-2021: Les guerres d’Idriss Déby
- Le Tchad pourra-t-il surmonter ses déterminismes ethno-claniques ?


Editorial de Bernard Lugan :

L’explication de la déferlante migratoire sur l’enclave espagnole de Ceuta est pourtant simple à comprendre : la gauche espagnole a les « yeux de Chimène » pour le Polisario, organisation révolutionnaire, butte témoin des « mouvements de libération » des années 1970.  
Le Polisario a pour but le démembrement du Maroc par la création d’un « Etat saharaoui » indépendant, ce qui permettrait à son parrain algérien  de s’ouvrir une fenêtre sur l’océan atlantique… Pour le Maroc, auquel il serait alors demandé d’entériner les amputations territoriales sahariennes subies à l’époque coloniale, cela est évidemment inacceptable.

Or, cette gauche au pouvoir à Madrid à travers le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), a minutieusement et clandestinement organisé l’hospitalisation en Espagne, sous un faux nom, de Brahim Ghali, chef de ce même Polisario que Rabat considère comme une organisation séparatiste. Sous un faux nom car Brahim Ghali est poursuivi par la justice espagnole pour, entre autres, tortures, assassinats et disparitions à la suite de plaintes déposées par plusieurs espagnols d’origine saharaoui ayant réussi à s’enfuir des camps où ils étaient retenus.  
Depuis des décennies, le Polisario, diverticule des Services algériens, retient en effet plusieurs dizaines de milliers de civils saharaouis dans des camps installés en Algérie et à côté desquels l’Albanie hier et la Corée du Nord aujourd’hui, pourraient faire penser à d’aimables villégiatures... Toutes réalités naturellement occultées par la bien-pensance espagnole de gauche qui considère au contraire le Polisario comme porteur des idéaux « démocratiques » face au Maroc « féodal ».
Et, comme en même temps, jouant sur deux tableaux à la fois, le gouvernement  espagnol lui demande d’empêcher le passage des migrants, le Maroc a donc lancé un avertissement aux dirigeants socialistes espagnols… et, à travers eux, à la gauche européenne qui, à Bruxelles, par idéologie, soutient le Polisario.

A Kigali, genou à terre, Emmanuel Macron a commis deux très graves fautes politiques et historiques :

1) Il a parlé d’une « responsabilité accablante » de la France dans le génocide du Rwanda.  
Or, la France est à l’origine des  Accords de paix d’Arusha d’août 1993 à la suite desquels elle s’est retirée, laissant le relais à une force militaire de l’ONU qui s’est par la suite montrée totalement incompétente. Ses forces n’étaient donc plus au Rwanda le 6 avril 1994, au début du génocide. Enfin, elle fut le seul pays au monde à proposer une opération humanitaire laquelle ne fut autorisée par le Conseil de sécurité que le 22 juin, soit plus de deux mois après le début du génocide, en raison du blocage des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne qui soutenaient les forces du général Kagamé…  
2) Alors qu’une profonde réécriture de l’histoire du génocide du Rwanda a été faite,  deux décennies durant, devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) (voir à ce sujet mes livres Rwanda, un génocide en questions et Dix ans d’expertises devant le TPIR) le président Macron a délibérément fait l’impasse sur l’état des connaissances scientifiques, pour cautionner d’une manière plus qu’insolite l’histoire officielle  écrite par le régime du général Kagamé. 
L’Histoire lui en demandera des comptes.