Les
apparences
Après
plusieurs semaines de manifestations, le Ramadan n’ayant pas démobilisé la rue,
le mouvement de contestation ne s’essouffle pas,
Face
à cette réalité, la stratégie du « Système »[1] actuellement incarné par
le général Ahmed Gaïd Salah a échoué. Elle avait pour but de gagner du temps et
de diviser les contestataires à travers la manipulation d’une justice spectacle
illustrée par une vague d’arrestations de «corrompus ». Mais les Algériens
ne furent pas dupes car ils savent bien
que c’est tout le « Système » qui est corrompu. A commencer par le
général Gaïd Salah dont l’affairisme familial à Annaba fut dénoncé par
l’opposante Louisa Hanoune… qui a donc été jetée en prison…
Entre
la rue et le « Système », les positions sont inconciliables :
-Les
manifestants exigent une période de «transition » menée par des
personnalités indépendantes,
-Le général Gaïd Salah veut, à travers l’élection
présidentielle prévue le 4 juillet 2019, faire élire un candidat désigné par
lui. Or, ce scrutin paraissant impossible à organiser, à l’issue des 90 jours
de présidence intérimaire prévus par la Constitution, le général va se trouver face à un vide
institutionnel.
… et
derrière les apparences
La
lecture d’El Djeich, la revue de
l’armée permet d’aller au-delà des apparences. Depuis plusieurs semaines, y est
en effet dénoncé l’existence d’un « complot », ce qui confirme que la guerre est
bien ouverte à l’intérieur de la caste militaire.
Or,
depuis 1962, l’armée avait toujours réglé ses comptes à huis-clos, s’abritant derrière un pouvoir
civil de façade délégué au FLN. De plus, jusqu’à aujourd’hui, en dépit de leurs
oppositions, les différents clans militaires n’avaient à aucun moment transgressé l’ultime
tabou qui était de ne jamais aller
jusqu’à mettre en danger la pérennité du « Système ». L’incarcération
de plusieurs généraux dont Mediene « Toufik » et Tartag, montre que
les haines claniques et personnelles ont pris le dessus sur le consensus
indispensable à la survie commune.
La
crise au sein de l’institution militaire est donc profonde et la multiplication
des slogans dirigés contre sa personne montre que le général Gaïd Salah se trouve désormais seul face
à la population.
De
plus en plus nombreux sont donc ceux qui se demandent si l’impopularité de leur
chef ne va pas finir par provoquer un divorce entre l’armée et le peuple. Le
risque serait alors de voir la lame de fond contestataire emporter
l’institution militaire avec le « Système ».
Selon
des rumeurs qui commencent à se faire insistantes, plusieurs de ses pairs
tiendraient le général Gaïd Salah pour responsable de l’impasse politique actuelle.
Le seul obstacle à son éviction serait que les généraux ne se seraient pas
encore accordés sur le nom d’un
successeur. Compte tenu du climat actuel, la difficulté est en effet de trouver
un général s’étant tenu au-dessus des intrigues du sérail et donc susceptible
de rétablit le consensus interne à l’armée, ce qui passe par la redéfinition de la place de chacun de ses
clans.
Loin
de l’agitation de la rue, mais en ayant le regard constamment tourné vers elle,
les janissaires marchandent donc afin de
trouver parmi eux celui qui pourra sauver le « Système ». Le proche avenir dira s’ils ont réussi à
trouver l’ « oiseau rare ». Mais en ont-ils encore
la possibilité ?
Bernard Lugan
[1] Voir le dossier consacré au « Système » algérien dans le numéro du mois de mai 2019 de l’Afrique Réelle.
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