Le Salon du livre d'Histoire qui se tiendra à Blois du 10 au 12 octobre aura pour thème les Rebelles. Je n'aurai pas la cruauté de donner ici les noms de certains invités que les organisateurs considèrent comme dignes de figurer parmi cette estimable mais très restreinte phalange...
Puisque, dans l'affadissement général et la
dévirilisation ambiante, l'image des Rebelles fait fantasmer, je vais évoquer
ici Dominique Venner qui fut, lui, un vrai rebelle et dont le dernier livre[1]
publié après sa mort porte en sous-titre : Le Bréviaire des
insoumis.
Engagé volontaire en Algérie, militant de
choc et de raison, Dominique Venner comprit dès la décennie 1960 que l’excès
d’intellectualisme est à la fois source d'inaction et de divisions
artificielles, que les controverses du présent divisent et que les solutions
proposées par la vieille droite ne permettent pas de faire face aux dangers
mortels qui menacent nos peuples européens.
Pour lui, il était donc nécessaire d’ancrer
nos réflexions sur la roche mère, à travers un bond traversant les siècles afin
de renouer avec notre commune matrice européenne. D’où son constant recours à Homère.
Cependant, cette démarche n’était pas chez
lui synonyme de repli dans une tour d’ivoire, dans un douillet cabinet coupé
des fracas du monde. Tout au contraire et il l’a bien expliqué :
« Je
crois aux bienfaits d’une pensée
radicale. En dépit de tous ses travers, elle favorise le dynamisme de la
pensée. Je crois également aux bienfaits formateurs de tout militantisme radical (…) sans cette expérience excitante et cruelle, jamais
je ne serais devenu l’historien méditatif que je suis devenu ».
Dominique Venner devenu un historien méditatif
ne cessa jamais d’être un rebelle engagé. Dans le Cœur rebelle il écrit
à ce propos :
« Comment
peut-on être rebelle aujourd’hui ? Je me demande surtout comment on
pourrait ne pas l’être ! Exister, c’est combattre ce qui me nie. Etre
rebelle, ce n’est pas collectionner les livres impies, rêver de complots
fantasmagoriques ou de maquis dans les Cévennes. C’est être à soi-même sa
propre norme. S’en tenir à soi quoiqu’il en coûte. Veiller à ne jamais guérir
de sa jeunesse. Préférer se mettre tout le monde à dos que se mettre à plat
ventre. Pratiquer aussi en corsaire et sans vergogne le droit de prise. Piller
dans l’époque tout ce que l’on peut convertir à sa norme, sans s’arrêter sur
les apparences. Dans les revers, ne jamais se poser la question de l’inutilité
d’un combat perdu »
Nous voilà loin des prétendus
"rebelles" de Blois...
A travers ces lignes, l’on retrouve un autre
livre majeur de Dominique Venner, Baltikum, ouvrage qu’il publia en
1974, soit moins de dix ans après son
retrait de la vie militante. La dédicace qu’il me fit alors est
particulièrement éclairante :« Pour
Bernard Lugan, aux porteurs maudits de forces créatrices ».
Que voulait dire Dominique Venner avec cet
envoi ? A travers l’épopée des corps-francs de la Baltique, c’était un puissant
message qu’il adressait à ses lecteurs, montrant que, quand tout se délite,
comme aujourd’hui, rien n’est perdu tant que subsiste l'esprit rebelle, ce
« germe d’ordre au sein du chaos ».
Avant lui, Jacques Benoît-Méchin avait bien
exprimé cette idée dans le tome I de son
Histoire de l’armée allemande :
« Lorsque
l’armée impériale s’était volatilisée dans cette fournaise chauffée à blanc
qu’était l’Allemagne révolutionnaire, les corps francs s’étaient constitués
spontanément autour de quelques chefs résolus. Ils avaient pris eux-mêmes
l’initiative de l’action, décidés à périr plutôt que de subir ».
Dominique Venner est allé plus loin que
Benoît-Méchin car il a montré qu’existaient deux catégories d’hommes parmi ceux
qui, rentrant du front, se virent confrontés au bolchevisme et à l’anarchie.
Tous partageaient les mêmes idées, tous
sortaient du même moule, tous avaient survécu aux mêmes épreuves et
aux "Orages d'acier", mais seule une minorité s’engagea dans
l’aventure des corps francs.
Ce qui les distinguait, ce n’était pas une
idéologie, mais une différence de tempérament. Les premiers étaient des
conservateurs mus par cet esprit « bourgeois » qui n’est jamais
moteur de l’histoire. Au mieux peuvent-ils être occasionnellement des suivistes
à la fiabilité volage.
Les seconds étaient les Réprouvés, les
modernes condottieri, les Rebelles en un mot; il ne leur manqua d'ailleurs que
l’ « imprévu de l’histoire » pour sortir vainqueurs de la
tourmente.
En écrivant leur épopée, Dominique Venner a
montré que la vraie rébellion est créatrice, jamais nihiliste, encore moins
contemplative ou narcissique et que, grâce aux Rebelles, il existera toujours
un recours ultime.
Quand l’autorité s’est délitée, quand les
repères sont perdus, quand le plus grand nombre désespère, quand certains se laissent aller à des sentiments
morbides en voyant dans la défaite une pénitence divine, alors, se lèvent de
petits groupes sachant ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont et ce
qu’ils veulent. Rassemblés derrière un chef figure de proue alliant éthique et
esthétique, ils sont les Rebelles.
Rebelle et insoumis, Dominique Venner nous a
transmis les principes fondamentaux de la triade homérique :
La nature comme socle
L’excellence comme but
La beauté comme horizon
Voilà ce qu’est l’esprit rebelle ! L'on
conviendra sans mal qu'il n'a qu'une très lointaine parenté avec l'ersatz
de Blois.
[1] Un samouraï d'Occident: le bréviaire des insoumis.
Merci Monsieur de mettre des mots sur le malaise ressenti en lisant la programmation de Blois, celle des rebelles institutionnels de salon célébrant l'ego et la rebellion narcissique d'une société qui, faute d'idéal fait de cette même rébellion un but en soi.
RépondreSupprimerMerci pour ce billet. S'il est bien un signe que notre époque est sous le signe de la déréliction c'est bien ce fait que de nombreux "rebelles" autoproclamés se sentent concernés par le portrait que nous en livre Venner. Or sa définition ne saurait mêler le véritable rebelle conservateur avec les flots ahurissants de "rebelles" modernes qui vomissent la tradition, alors qu'elle seule autorise un détour salutaire.
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