Une furieuse polémique divise actuellement l’Algérie. Elle est d’autant
plus vive qu’elle a fait remonter à la surface l’artificialité de la nation
algérienne et l’opposition entre la berbérité et l’arabo-islamisme. Et cela, à
travers la mise en lumière du coup d’Etat par lequel, en 1962 les
« planqués »[1]
de l’ALN (Armée de libération nationale) ont évincé les combattants de
l’intérieur.
Tout est parti des déclarations de Noureddine Aït Hamouda à une chaîne de
télévision privée au sujet d’Abd el-Kader, de Messali Hadj, de Ben Bella, ainsi
que des présidents Boumediene et Bouteflika qu’il qualifia de « traîtres ».
Ce faisant, Amrane (dit Nouredine) Aït Hamouda, ancien député du
parti kabyle RCD
(Rassemblement pour la Culture et la
Démocratie), fils du colonel
Amirouche Aït Hamouda, chef emblématique du maquis kabyle de la willaya III,
tué au combat le 29 mars 1959, visait le cœur même du « Système »
algérien à travers son histoire fabriquée. La réaction de ce dernier a été
immédiate : Noureddine Aït Hamouda a été jeté en prison…
En 2008, Nouredine Aït Hamouda avait déjà provoqué
un tumulte quand il avait dénoncé les faux moudjahidine
légitimés par l’ONM (Office national
des Moujahidine, le Ministère des anciens combattants), socle du
« Système » algérien dont la « légitimité » repose sur le
mythe de 1,5 million de morts de la guerre
d’indépendance, chiffre surréaliste permettant de justifier ces deux millions
de porteurs de la carte de moudjahidine
et d’ayants-droit qui forment sa clientèle. Pour le « Système », la
dénonciation des faux moudjahidine
représentait donc déjà un danger mortel. Or, l’actuelle polémique est
encore plus dangereuse pour ceux qui dirigent et qui pillent l’Algérie depuis
1962 car, ceux que Noureddine Aït Hamouda accuse de « traitrise » sont les chefs de
la tendance arabo-islamiste du courant nationaliste algérien actuellement au
pouvoir.
Je laisse de côté le cas historique de l’émir Abd el-Kader qui sera traité
dans le numéro de juillet de l’Afrique
Réelle, pour m’en tenir aux accusations portées par Nouredine Aït Hamouda contre des personnages contemporains.
Un retour en arrière s’impose. Dès le lendemain du second conflit mondial,
la question berbère divisa le courant nationaliste algérien. En 1948, dans son
appel à l’ONU, le PPA/MTLD (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe
des libertés démocratiques) dirigé par Messali Hadj, inscrivit la phrase
suivante : « La nation algérienne, arabe et musulmane existe
depuis le VIIe siècle », ce qui provoqua la fureur de la composante kabyle
du mouvement.
Puis, en 1949, au sein du PPA-MTLD, éclata la « crise
berbériste » qui opposa les Kabyles voulant faire reconnaître la
« berbérité » comme partie intégrante du nationalisme algérien, à la
direction arabo-islamique du mouvement laquelle s’y opposait farouchement. Ce fut alors que fut
posée la question de l’identité algérienne : est-elle exclusivement
arabo-islamique ou berbère et arabo-islamique ? (Voir à ce sujet mon livre Algérie l’histoire à l’endroit).
Pour
la direction du mouvement et pour Messali Hadj, arabisme et islamisme étaient les éléments
constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire
« coaguler » des populations qui n’avaient jamais formé un tout
commun.
Tout était donc clair : l’Algérie était une composante de la nation arabe,
sa religion était l’islam et le berbérisme un moyen pour le colonisateur de
diviser les Algériens.
Les berbéristes furent donc écartés de la direction du PPA/MTLD, et ce
fut alors que le Kabyle Hocine Aït-Ahmed perdit la direction de l’OS (Organisation Spéciale) au profit de
l’Arabe Ben Bella.
L’opposition entre berbéristes et arabo-islamistes se prolongea durant
toute la guerre d’indépendance algérienne qui, sur le terrain, fut
essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane
Ramdane, Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem ou Hocine Aït Hamed, etc. Or, les
dirigeants du FLN, notamment
Ben Bella, Boussouf, Bentobbal, Boumediene et Bouteflika, qui se réclamaient de la
ligne arabo-islamique, même quand à l’image de Boumediene, ils n’étaient pas Arabes, firent tout
pour marginaliser
les chefs politiques et militaires kabyles à leurs yeux suspects de
berbérisme. La liquidation physique d'Abane Ramdane et la mort d’Amirouche,
illustrent cette lutte à mort.
Durant
plusieurs années après l’indépendance, les souvenirs de l’éviction des Berbères
par les tenants de la ligne de l’arabo-islamisme furent enfouis sous forme de
non-dit. Mais, en 2010, ils resurgirent avec une grande intensité avec la
parution du livre « Amirouche, une
vie, deux morts, un testament »,
que Saïd
Sadi consacra à Amirouche Aït Hamouda, le père de Nouredine Aït Hamouda.
La
thèse du livre qui est au cœur du contentieux qui divise actuellement
l’Algérie, est que le colonel Amirouche Aït Hamouda, chef du maquis kabyle
et de la willaya III, tué dans une embuscade, aurait été donné aux Français par
ses rivaux arabo-islamistes du MALG (Ministère
de l’Armement et des Liaisons Générales, le service de renseignement de
l’ALN), notamment par Abdelhafid Boussouf et Houari Boumediene, afin d’éliminer
un dangereux rival, ce qui a permis de coup d’Etat de l’ALN durant
l’été 1962.
Or, les héritiers de ceux qui livrèrent
Amirouche forment aujourd’hui le « Système » algérien…
Bernard Lugan
[1]
Planqués parce que, réfugiés au Maroc et en Tunisie, ils n’ont pas
véritablement combattu l’armée française et cela, à différence des maquisards
de l’intérieur auxquels ils volèrent l’indépendance.