Au Sahel, dix ans après
l’accueil triomphal fait aux forces françaises, et après que 52 des meilleurs
enfants de France soient tombés pour défendre des Maliens préférant émigrer en
France plutôt que se battre pour leur pays, les manifestations anti-françaises
se succèdent. Les convois militaires circulent désormais sous les insultes, les
crachats et les jets de pierre. Sur l’axe routier partant de la Côte d’Ivoire, la
situation devient à ce point difficile que la question du ravitaillement de Barkhane
commence à se poser. Fin novembre 2021, au Niger, après la mort de plusieurs
manifestants qui avaient bloqué un convoi militaire français, le gouvernement
nigérien a mis en accusation Barkhane… La stratégie française de redéploiement
au Niger des forces jusque-là stationnées au Mali va donc relever de
l’équilibrisme…
La situation régionale est à
ce point dégradée que, par crainte de manifestations, le président Macron vient
de renoncer à se rendre sur place afin d’y rencontrer les responsables
régionaux. Peut-être se rendra-t-il uniquement sur une emprise militaire pour
fêter Noël avec une unité française.
Pourquoi un tel désastre
politique? Après nous être auto-chassés de Centrafrique par l’accumulation de
nos erreurs, allons-nous donc connaître un nouvel et humiliant échec, mais dans
la BSS cette fois ?
Comme je ne cesse de le dire
et de l’écrire depuis des années, et comme je le démontre dans mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours, les décideurs français, ont dès le départ
fait une fausse analyse en voyant le conflit régional à travers le prisme de
l’islamisme. Or, la réalité est différente car l’islamisme est d’abord la
surinfection de plaies ethno-raciales millénaires qu’aucune intervention
militaire n’est en mesure de refermer.
Au nord, il s’agit de la
résurgence d’une fracture inscrite dans la nuit des temps, d’une guerre ethno-historico-économico-politique
menée depuis 1963 par les Touareg. Ici, la solution du problème est détenue par
Iyad Ag Ghali, chef historique des précédentes rebellions touareg. Depuis 2012,
je n’ai cessé de dire qu’il fallait nous entendre avec ce chef Ifora avec
lequel nous avions des contacts, des intérêts communs, et dont le combat est d’abord
identitaire. Or, par idéologie, par refus de prendre en compte les constantes
ethniques séculaires, ceux qui définissent la politique africaine française ont
considéré tout au contraire qu’il était l’homme à abattre… Le président Macron
a même plusieurs fois ordonné aux forces de Barkhane de l’éliminer et cela, jusqu’à
dernièrement, au moment où les autorités de Bamako, négociaient directement avec
lui une paix régionale…Déjà, le 10 novembre 2020, Bag Ag Moussa, son
lieutenant, avait été tué par une frappe aérienne.
Le conflit du sud (Macina,
Liptako, région dite des « Trois frontières » nord et est du Burkina
Faso), a lui aussi des racines ethno-historiques résultant de la confrontation
séculaire entre Peul et diverses populations sédentaires. A la différence du
nord, deux guerres très différentes s’y déroulent. L’une est l’émanation de
larges fractions Peul conjoncturellement regroupées sous le drapeau d’AQMI (Al-Quaïda pour le Maghreb islamique). L’autre
est effectivement d’abord religieuse et elle est menée par l’Etat islamique l’EIGS
(Etat islamique dans le Grand Sahara).
L’EIGS a pour objectif la création dans toute la BSS (Bande sahélo-saharienne),
d’un vaste califat trans-ethnique remplaçant et englobant les actuels Etats.
Tout au contraire, les chefs régionaux d’AQMI qui sont des ethno-islamistes, ont
des objectifs d’abord locaux et ils ne prônent pas la destruction des Etats
sahéliens.
Avec un minimum d’intelligence
tactique, en jouant sur les rapports de force régionaux et ethniques, la
question du nord Mali pouvait être rapidement réglée, ce qui aurait permis un rapide
désengagement permettant d’opérer la concentration de nos moyens sur la région
des « 3 frontières », donc contre l’EIGS[1]. Or, à l’inverse de ce que
préconisaient les chefs militaires de Barkhane, Paris s’obstina dans une
stratégie « à l’américaine », « tapant » indistinctement les
GAT (Groupes armées terroristes), et refusant toute approche
« fine »… « à la Française »...comme nos anciens l’avaient
si bien réussi en Indochine et en Algérie. Le fond du problème est que, pour les
dirigeants français, la question ethnique est secondaire ou même artificielle,
quand elle ne relève pas, selon eux, du romantisme colonial...
Le dernier et caricatural exemple
de l’aveuglement idéologique, fut la réaction de Paris face au coup d’Etat du
colonel Assimi Goïta qui s’est produit au Mali au mois d’août 2020. Au nom de
la démocratie, de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit, notions relevant
ici du surréalisme politique, la France a coupé les ponts avec l’ancien
commandant des Forces spéciales maliennes dont la prise de pouvoir était
pourtant une chance pour la paix. Ayant par ses fonctions une juste
appréciation des réalités du terrain, ce Minianka, branche minoritaire du grand
ensemble sénoufo, n’avait en effet de contentieux historico-ethnique, ni avec
les Touareg, ni avec les Peul, les deux peuples à l’origine des deux conflits
du Mali. Il ouvrit donc des négociations avec Iyad Ag Ghali, ce qui ulcéra les
décideurs parisiens. Englués dans leurs a priori idéologiques, ces derniers ne
prirent pas la mesure du changement de contexte qui venait de s’opérer, et ils continuèrent
à parler de refus de « négocier avec le terrorisme ». Prenant pour
prétexte ce coup d’Etat, Emmanuel Macron décida de replier Barkhane, ce qui fut
compris comme un abandon. Et, pour achever le tout, Bamako ayant demandé l’aide
de la Russie, la France menaça, ce qui fut dénoncé comme étant du néo-colonialisme….
Reposant sur un refus obstiné
de prise en compte des réalités du terrain, cette accumulation d’erreurs a donc
conduit à une impasse. Désormais, la question est de savoir comment en sortir sans
danger pour nos forces. Et sans que notre départ ouvre la porte à un génocide
qui nous serait reproché. Pour mémoire, au Rwanda, c’est parce que l’armée
française s’était retirée qu’il y eut génocide, car, si les forces du général
Kagamé n’avaient pas exigé leur départ, ce génocide n’aurait en effet pas eu
lieu.
Quatre grandes leçons
doivent être tirées de ce nouvel et cuisant échec politique africain :
1) L’urgente priorité étant de savoir ce que
nous faisons dans la BSS, il nous faut donc définir enfin, et très rapidement, nos
intérêts stratégiques actuels et à long terme afin de savoir si oui ou non,
nous devons nous désengager, et si oui, à quel niveau, et sans perdre la face.
2) A l’avenir, nous ne devrons plus intervenir
systématiquement et directement au profit d’armées locales que nous formons
inlassablement et en vain depuis la décennie 1960 et qui, à l’exception de
celle du Sénégal et de la garde présidentielle tchadienne, sont incompétentes.
Et si elles le sont, c’est pour une simple raison qui est que les Etats étant artificiels,
aucun véritable sentiment patriotique n’y existe.
3) Il faudra privilégier les interventions indirectes
ou les actions rapides et ponctuelles menées à partir de navires, ce qui
supprimerait l’inconvénient d’emprises terrestres perçues localement comme une
insupportable présence néocoloniale. Une redéfinition et une montée en
puissance de nos moyens maritimes projetables serait alors nécessaire.
4) Enfin et d’abord, nous devrons laisser l’ordre
naturel africain se dérouler. Cela implique que nos intellectuels comprennent
enfin que les anciens dominants n’accepteront jamais que, par le jeu de
l’ethno-mathématique électorale, et uniquement parce qu’ils sont plus nombreux
qu’eux, leurs anciens sujets ou tributaires soient maintenant leurs maîtres. Cela
choque les conceptions éthérées de la philosophie politique occidentale, mais
telle est pourtant la réalité africaine.
Depuis
plus d’un demi-siècle, en Afrique, l’obsession occidentale des droits de
l’homme conduit aux massacres, l’impératif démocratique provoque la guerre et
les élections débouchent sur le chaos.
Plus que jamais, il
importe donc de méditer cette profonde réflexion que le Gouverneur général de
l’AOF fit en 1953 : « Moins d’élections et plus d’ethnographie, et tout le monde y
trouvera son compte »… En un
mot, le retour au réel et le renoncement aux nuées.
[1] L’on pourra à ce sujet se reporter à mon communiqué en date du 24 octobre 2020 intitulé « Mali : le changement de paradigme s’impose ».
Bonjour
RépondreSupprimerLa France doit reconsidérer avec intelligence ses relations avec ses anciennes colonies. On sait quand un incendie commence, mais on ne sait pas comment ni quand il va s'éteindre. Les populations ne sont plus les mêmes qu'il y a soixante, voir trente ans. Avec l'ère des réseaux sociaux, tout est à découvert.
Jacques