SOMMAIRE :
Dossier : Côte d'Ivoire
- Retour sur les élections présidentielles
- Un pays, trois peuples
- Une artificielle création coloniale
- Un pays détruit par l'ethno-démocratie
- Les atermoiements français
- La guerre franco-ivoirienne de novembre 2004
- La fausse question religieuse
EDITORIAL :
En Côte d’Ivoire, le premier tour des élections présidentielles avait fait apparaître un pays coupé en trois, la coalition Kru Lagunaires de M. Gbagbo totalisant 37% des voix, le parti Baoulé 25% et l’ensemble nordiste 33%. Au second tour, M. Ouattara l’a emporté après qu’eut été reconstituée autour de sa candidature l’alliance entre Baoulé et Nordistes qui avait jadis permis au président Houphouët-Boigny de gouverner. Dans un réflexe de survie, M. Gbagbo a alors fait un coup d’Etat et mis le pays en situation de quasi guerre civile. La « communauté internationale » est la grande responsable de ce gâchis pourtant prévisible. Après la partition du pays intervenue à la suite des évènements de 2002, elle a en effet voulu, au nom de la démocratie et de la « bonne gouvernance », contraindre au dialogue, à la réconciliation, à la réunification et au partage du pouvoir des populations qui n’avaient jamais eu de passé commun. Postulant que la paix allait sortir des urnes, elle a englouti des sommes considérables dans un processus électoral bancal. Le résultat de cette cécité ethnologique et politique est catastrophique. Les positions des deux camps sont en effet inconciliables car elles sont ancrées sur des mentalités inscrites dans la longue durée. Pour les Kru du sud forestier, ensemble ethnique auquel appartient M. Gbagbo, les Nordistes forment un monde rattaché à l’univers du Sahel. Selon eux, ce vaste ensemble malinkédioula-mossi, rêve de reprendre vers le Sud une expansion bloquée durant la parenthèse coloniale. La coupure Nord-Sud entre le monde sahélien, ouvert et structuré en chefferies ou en royaumes d’une part, et le monde forestier littoral peuplé d’ethnies à la géopolitique cloisonnée d’autre part, est bien la grande réalité géopolitique régionale[1].
La priorité est désormais de tenter de circonscrire l’incendie afin d’éviter son extension à toute l’Afrique de l’Ouest, tant les imbrications ethniques y sont importantes. Le problème est que la question ivoirienne étant d’abord ethnique, sa résolution ne passe certainement pas par une artificielle recomposition démocratique à l’ « européenne », mais bien par une redéfinition de l’Etat. Comme il n’existe plus de fédérateur et que tous les dirigeants politiques sont discrédités, tout replâtrage faussement consensuel avec un gouvernement dit d’ « unité nationale », ne serait qu’une solution artificielle, fragile, provisoire et porteuse d’embrasements futurs. Dans ces conditions, et dans l’état actuel de la situation, la seule issue réaliste n’est-elle pas la reconnaissance de la partition entre des Nord pro-Ouattara et des Sud pro-Gbagbo ? Plus tard, peut-être, une nouvelle union pourrait naître, mais sur des bases solides, c'est-à-dire dans le cadre d’une confédération à définition clairement ethnique. Dans l’immédiat, maître du pays Kru et du cordon littoral peuplé par ses alliés Akié, Abouré et autres Lagunaires, Laurent Gbagbo contrôle la Côte d’Ivoire « utile ». Grâce aux revenus du pétrole, du café, du cacao, des ports, appuyé sur l’armée et la gendarmerie, il va tenter de contraindre les acteurs économiques internationaux à composer avec lui. Jouant la carte nationaliste il va s’opposer avec virulence au « diktat » de l’ONU et accusera tout particulièrement la France, bouc émissaire idéal. Mais dans ce très périlleux jeu du « quitte ou double », il n’est pas certain qu’il ait toujours avec lui sa chance légendaire… Quant à Alassane Ouattara, chef de l’Etat légitime mais désarmé, il n’est encore que le « roi de Bourges » d’un Nord déshérité et il risque d’apparaître bientôt aux yeux des Ivoiriens comme l’homme de l’étranger. Le temps jouant contre lui, il est donc condamné à brusquer les évènements. En a-t-il seulement les moyens ?
Bernard Lugan
[1] Accrochés d’une manière pathétique à leurs vieilles croyances « new age » et post-marxiste, Jean-Loup Amselle, Jean-Pierre Chrétien et Elikia M’Bokolo du CNRS soutiennent que les ethnies sont des créations coloniales. Plus encore selon Jean-Loup Amselle, la notion même de Sahel est le produit de la colonisation. Dans la même veine il serait possible de soutenir que le phénomène des grandes marées en Bretagne est une conséquence de l’occupation allemande de 1940…
Dossier : Côte d'Ivoire
- Retour sur les élections présidentielles
- Un pays, trois peuples
- Une artificielle création coloniale
- Un pays détruit par l'ethno-démocratie
- Les atermoiements français
- La guerre franco-ivoirienne de novembre 2004
- La fausse question religieuse
EDITORIAL :
En Côte d’Ivoire, le premier tour des élections présidentielles avait fait apparaître un pays coupé en trois, la coalition Kru Lagunaires de M. Gbagbo totalisant 37% des voix, le parti Baoulé 25% et l’ensemble nordiste 33%. Au second tour, M. Ouattara l’a emporté après qu’eut été reconstituée autour de sa candidature l’alliance entre Baoulé et Nordistes qui avait jadis permis au président Houphouët-Boigny de gouverner. Dans un réflexe de survie, M. Gbagbo a alors fait un coup d’Etat et mis le pays en situation de quasi guerre civile. La « communauté internationale » est la grande responsable de ce gâchis pourtant prévisible. Après la partition du pays intervenue à la suite des évènements de 2002, elle a en effet voulu, au nom de la démocratie et de la « bonne gouvernance », contraindre au dialogue, à la réconciliation, à la réunification et au partage du pouvoir des populations qui n’avaient jamais eu de passé commun. Postulant que la paix allait sortir des urnes, elle a englouti des sommes considérables dans un processus électoral bancal. Le résultat de cette cécité ethnologique et politique est catastrophique. Les positions des deux camps sont en effet inconciliables car elles sont ancrées sur des mentalités inscrites dans la longue durée. Pour les Kru du sud forestier, ensemble ethnique auquel appartient M. Gbagbo, les Nordistes forment un monde rattaché à l’univers du Sahel. Selon eux, ce vaste ensemble malinkédioula-mossi, rêve de reprendre vers le Sud une expansion bloquée durant la parenthèse coloniale. La coupure Nord-Sud entre le monde sahélien, ouvert et structuré en chefferies ou en royaumes d’une part, et le monde forestier littoral peuplé d’ethnies à la géopolitique cloisonnée d’autre part, est bien la grande réalité géopolitique régionale[1].
La priorité est désormais de tenter de circonscrire l’incendie afin d’éviter son extension à toute l’Afrique de l’Ouest, tant les imbrications ethniques y sont importantes. Le problème est que la question ivoirienne étant d’abord ethnique, sa résolution ne passe certainement pas par une artificielle recomposition démocratique à l’ « européenne », mais bien par une redéfinition de l’Etat. Comme il n’existe plus de fédérateur et que tous les dirigeants politiques sont discrédités, tout replâtrage faussement consensuel avec un gouvernement dit d’ « unité nationale », ne serait qu’une solution artificielle, fragile, provisoire et porteuse d’embrasements futurs. Dans ces conditions, et dans l’état actuel de la situation, la seule issue réaliste n’est-elle pas la reconnaissance de la partition entre des Nord pro-Ouattara et des Sud pro-Gbagbo ? Plus tard, peut-être, une nouvelle union pourrait naître, mais sur des bases solides, c'est-à-dire dans le cadre d’une confédération à définition clairement ethnique. Dans l’immédiat, maître du pays Kru et du cordon littoral peuplé par ses alliés Akié, Abouré et autres Lagunaires, Laurent Gbagbo contrôle la Côte d’Ivoire « utile ». Grâce aux revenus du pétrole, du café, du cacao, des ports, appuyé sur l’armée et la gendarmerie, il va tenter de contraindre les acteurs économiques internationaux à composer avec lui. Jouant la carte nationaliste il va s’opposer avec virulence au « diktat » de l’ONU et accusera tout particulièrement la France, bouc émissaire idéal. Mais dans ce très périlleux jeu du « quitte ou double », il n’est pas certain qu’il ait toujours avec lui sa chance légendaire… Quant à Alassane Ouattara, chef de l’Etat légitime mais désarmé, il n’est encore que le « roi de Bourges » d’un Nord déshérité et il risque d’apparaître bientôt aux yeux des Ivoiriens comme l’homme de l’étranger. Le temps jouant contre lui, il est donc condamné à brusquer les évènements. En a-t-il seulement les moyens ?
Bernard Lugan
[1] Accrochés d’une manière pathétique à leurs vieilles croyances « new age » et post-marxiste, Jean-Loup Amselle, Jean-Pierre Chrétien et Elikia M’Bokolo du CNRS soutiennent que les ethnies sont des créations coloniales. Plus encore selon Jean-Loup Amselle, la notion même de Sahel est le produit de la colonisation. Dans la même veine il serait possible de soutenir que le phénomène des grandes marées en Bretagne est une conséquence de l’occupation allemande de 1940…
Bonjour,
RépondreSupprimerJe crois que c'est le premier article que je lis sur les problèmes actuels et brûlants de RCI et où l'aspect tribale est abordé d'une façon on ne peut plus pertinente.
J'ai assez longuement séjourné en Côte d'Ivoire à plusieurs reprises avant, pendant et après la mort d'Houphouët-Boigny. Grâce à mon activité professionnelle, j'ai pu découvrir ce pays dans toutes ses dimensions et apprécier le côté pacifique de sa population. Si le Vieux peut le faire, il doit se retourner dans sa tombe vu le gâchis actuel et le piètre spectacle donné par la classe politique locale (peut être une des rares choses de qualité que notre pays exporte encore?).
Plusieurs choses m'avaient frappé à l'époque:
- Tout d'abord, l'irruption d'une nouvelle classe de dirigeants dans la sphère publique totalement désinhibés de la "peur" et du respect du Blanc tels que ça a pu exister après l'indépendance. Je me souviens de certains regards qui n'étaient pas animés par de doux sentiments d'amitiés entre les peuples. Normal, me direz-vous, mais l'irruption de cette nouvelle génération explique, à mon sens, en partie la crise actuelle.
- Ensuite, la perte d'influence soudaine et importante de la France après le décès d'Houphouët comme si les crânes d'œufs du Quai d'Orsay n'avaient rien anticipé. A ce titre, le choix de Konan-Bedié (il n'est pas pensable un instant que Paris n'ait pas été mêlé à ce choix) a été une catastrophe qui a culminé avec ce concept hasardeux, risible et tragique d'ivoirité. Outre le mauvais choix, cette catastrophe a démontré l'incapacité de l'ancienne puissance coloniale à contrôler une situation potentiellement conflictuelle là où les troupes françaises stationnées à Port-Bouet suffisaient encore à tenir le pays et la ville il y a peu. Ce n'est pas sans raison qu'Houphouët avait sagement veillé à ce que ses forces armées restent plutôt symboliques. Du coup, Abidjan était une ville plutôt sûr et tous les ivoiriens que j'ai pu rencontrer appréciaient le havre de sécurité qu'était la RCI (surtout en comparaison de la situation au Sierra Léone ou au Libéria voisins). Du point de vue ivoirien, deux autres vexations (pouvait-il en être autrement?) sont alors survenues: primo, l'instauration d'un visa pour les ressortissants ivoiriens se rendant en France (là on touchait à l'image du pays "frère"), secundo, l'abandon de la « libre convertibilité » du franc CFA (là, c'était le portefeuille qui était touché).
- Enfin, j'ai assisté en direct à l'impressionnant "rentre-dedans" des américains auprès des autorités locales. Je crois, et cela est en partie confirmé par Pierre Péan dans son dernier ouvrage "Carnages" aux éditions Fayard, que les anglo-saxons cherchent à évincer la France des ses anciennes colonies, éviction rendue facile par la dégringolade que connaît notre pays en matière économique, culturel et politique depuis vingt ans.
(suite et fin)
RépondreSupprimerDerrière les gesticulations des uns et des autres, je m'interroge quant à la position officieuse de la France dans le conflit actuel. Après tout, pour fermer l'accès au Plateau à Abidjan, il n'y a que deux ponts à bloquer. Quant à l'aéroport, l'installation des troupes françaises à Port-Bouet ne doit rien au hasard. Pour Laurent Bagbo et vu le choix fait au plan international, pourquoi continuer à l'appeler du nom de président, pourquoi n'avoir pas geler immédiatement ses avoirs et le tenir pour quantité négligeable. Exfiltrer Ouatara de sa résidence actuelle ne présente pas de difficultés particulières vu la proximité existante entre la lagune et l'Hôtel du Golf, c'est une simple question de volonté.
Après avoir été tenu à l'écart des tourments africains pendant près de quarante ans, la RCI a malheureusement contacté par impéritie de l'ancienne puissance coloniale et du fait d'ambitions nauséabondes un SIDA politique dévastateur. J'emploie le mot SIDA à dessein car il n'y a pas de remède.
Vous avez raison de souligner la position inconfortable de Ouatara et la comparaison avec "le roi de Bourges" est très opportune. J'ai bien peur qu'il ne trouve jamais sa Jeanne d'Arc.
Bonne soirée
Monsieur,
RépondreSupprimerJe vous remercie de vos explications à la fois claires et factuelles.
En réalité si la France perd en influence dans ses anciennes colonies, c'est moins par ses capacités économiques (la France dispose de grands groupes industriels mondiaux dans tous les secteurs stratégiques) que par l'intérêt décroissant de ses élites pour ces sujets. D'autre part les français ont peur de l'immigration potentielle que ces états représentent et ont le sentiment qu'ils sont devenus des boulets (financiers et humains).
Il est normal dans ces conditions que les grands états prédateurs (USA, Chine...) se précipitent sur ces proies faciles, l'europe actuelle n'ayant pas politique étrangère (par définition, puisque c'est un club réunissant des états)
Tout ça est bien sûr trés complexe si on tient compte des aventuriers locaux, des aspects ethniques et financiers. Je crois que vous avez raison de revenir aux fondamentaux : les découpages issus de la colonisation sont et vont de plus en plus être remis en cause avec des phases de purification ethnique. C'était indissociable du processus de décolonisation : les grands états démocratiques eux-mêmes ont souvent beaucoup de mal à maîtriser ces forces centripètes (cf le pays basque et beaucoup d'autres...)
Il est toutefois regrettable qu'aucune tribune ne parle de ces sujets en métropole : cela pourrait être un thème suffisamment riche en soi pour alimenter une chronique régulière à la télévision. Vous devriez proposer vos services aux grands média.
JPR
Votre représentation de la Côte d'Ivoire est plutôt taillée à la serpe: pour vous la crise ivoirienne est une ènième controverse tribale? Ok, mais alors, dites-moi un peu s'il vous plaît, Sarko,Obama et Choy,ils sont-y, eux aussi, des malinkédioulamossi pour être à ce point cul et chemise avec Wattara? n'est-ce pas plutôt et la belle perspective d'affriolantes ventes d'armes pour de jolis carnages en perspective, et l'odeur du pétrole ivoirien,et les beaux bois de Côte d'Ivoire et l'arôme du cacao ivoirien qui font courir tous ces boute-feu prétendument défenseurs de démocraties? Puissent-ils aussi voler au secours de la Biélorussie ou de la Palestine, pays où la démocratie est si mal en point...Ah mais! y a pas de pétrole à ramasser à l'oeil dans ces pays perdus...
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