samedi 14 janvier 2012

Rwanda : réponse de Bernard Lugan à l’association Enquête Citoyenne Rwanda

« L'enfumage consiste aussi à faire prendre aux militaires français des vessies pour des lanternes. L'ordre de conduite N° 2 de l'opération Amaryllis considère que le FPR a repris l'offensive le 10 avril dans l'après-midi et non, soulignent les députés français dans leur rapport, le 6 avril « comme certains l’ont parfois hâtivement affirmé ». 
Mais nous sommes d'accord sur un point : le rapport des experts n'a fait que déterminer, avec une précision qui n'est pas contestée, le lieu des tirs : le camp militaire de Kanombe, sanctuaire de la garde présidentielle rwandaise. Il confirme aussi que des Sam 16 furent utilisés.

Pour le reste, les juges vont devoir pousser leur enquête dans trois directions principales :
1) La possibilité pour le FPR de pénétrer dans le sanctuaire de la garde présidentielle pour y tirer deux missiles et s’enfuir sans se faire intercepter.
2) Commencer, enfin, à enquêter sur l'éventualité que ce soient les FAR qui aient commis « ce crime terroriste en temps de paix »
3) Et, si ce ne sont pas les FAR, choisir entre les militaires français et leurs mercenaires pour comprendre qui a saboté le processus de paix par cet « acte terroriste ». »  

Emmanuel Cattier
Enquête Citoyenne Rwanda

Réponse de Bernard Lugan

Cher Monsieur, je relève trois erreurs ou approximations dans votre message :

1) Le Rapport parlementaire français date de 1998. Or, depuis, les connaissances que nous avons de la question ont considérablement progressé. C’est ainsi que devant les quatre Chambres du TPIR, des centaines de témoins ont parlé, des milliers de documents ont été présentés, de nombreux experts de toutes disciplines ont déposé des rapports. L’histoire a donc avancé. Vous semblez l’ignorer et c’est pourquoi votre analyse des évènements est obsolète.

Expert dans les principaux procès qui se sont tenus devant le TPIR[1], et étant intervenu en fin de chaque procédure, j’ai très exactement eu à faire le bilan de ces avancées historiographiques. Pour être clair, disons que je fus à plusieurs reprises assermenté par le TPIR, à la demande de la Défense, pour montrer au Tribunal en quoi les avancées scientifiques résultant d’années de procédure contredisaient l’acte d’accusation dressé dans les années 1995-1997, et le rendaient par conséquent obsolète.
Assermenté dans les deux principaux procès des responsables militaires (Militaires I et Militaires II TPIR-98-41-T et TPIR- 2000-56-T), j’ai tout particulièrement travaillé sur la question du « timing » de l’offensive du FPR.
Cette question est en effet fondamentale car, depuis 1994, le FPR soutient qu’il l’a lancée plusieurs jours après l’attentat pour se porter au secours des populations massacrées.
Or, non seulement cette thèse n’a pas prospéré devant le TPIR, mais il a même été établi et cela sans le moindre doute, que cette offensive - qui avait été programmée puisque les forces et les moyens avaient été prépositionnés -, a suivi l’attentat et qu’elle débuta dès la nuit du 6 au 7 avril 1994. Nous avons le nom des chefs de colonnes, leur lieu de concentration dans  le nord du Rwanda, leur effectif, leur ordre de marche et le minutage précis de leur progression. Les premiers combats ont commencé à Kigali le 7 avril très précisément entre 5 et 6 heures du matin[2].

Il est insolite de constater que vous semblez l’ignorer ; mais il est vrai que votre association n’a pas eu, comme moi, accès à l’ensemble des travaux du TPIR.

2) Contrairement à ce que vous écrivez, les experts n’ont pas déterminé avec une précision « qui n’est pas contestée » le lieu du tir des deux missiles lequel est d’ailleurs en contradiction avec les témoignages des acteurs de l’attentat. Mais, ce sera au juge de les confronter.
Dans l’immédiat, je vous livre quelques informations qui ont leur importance au sujet de l’expertise acoustique puisque c’est elle qui l’a emporté sur les hésitations des autres experts :

- L’expert acoustique ne s’est pas rendu au Rwanda et il a fait son expertise « en chambre ».
- Il n’a jamais entendu un départ de SA 16.
- Selon certaines informations « officieuses » en cours de vérification, cette expertise aurait été faite sur simulation, avec un missile d’un type voisin du SA 16 et dans un camp militaire français de la région de Vierzon. Pour mémoire, la région de Vierzon est plate alors que celle du lieu de l’attentat est un cirque de collines…, ce qui a tout de même une certaine importance dans la propagation des sons !!!
Si ces informations étaient vérifiées, nous serions donc en plein amateurisme, pour ne pas dire en pleine dérive…

3) Le camp Kanombe n’était pas comme vous l’écrivez, le « sanctuaire » de la garde présidentielle dont le cantonnement principal était situé au centre ville de Kigali, face au CND, casernement de l’APR depuis la signature des Accords d’Arusha.
J’ai bien connu le camp Kanombe quand je vivais au Rwanda. Je puis certifier qu’à cette époque - peut-être y eut-il des changements ensuite -, il n’avait rien d’une caserne de la Légion étrangère… et on y pénétrait facilement à condition de ne pas franchir l’entrée principale. A mon époque toujours, c’était un vaste espace en partie  clôturé par deux rangs de barbelés souvent détendus, ouvert vers Masaka sur des friches et des taillis. J’y ai chassé la perdrix sur ses limites hautes vers la colline Masaka, et la bécassine  dans  le vallon séparant la colline Kanombe de celle de Masaka.
Ceci pour dire qu’effectivement, il n’est pas exclu qu’un commando FPR ait pu s’y introduire. Mais les acteurs de l’attentat parlent tous de Masaka.
Or, vous faites totalement l’impasse sur ces témoignages extrêmement détaillés qui figurent pourtant au dossier et que le juge confrontera au rapport des experts.
Afin de précéder votre question, je porte à votre connaissance, car vous semblez définitivement ignorer les travaux du TPIR, que l’un de ces témoins, Abdul Ruzibiza, a fait sous serment devant la Cour les mêmes déclarations que celles antérieurement faites au juge Bruguière et que, quelques semaines avant sa mort, il les confirma devant la justice française, revenant ainsi sur une précédente rétractation. Depuis, d’autres témoins ou acteurs se sont déclarés qui, tous, confirment l’hypothèse avancée par le juge Bruguière.

Nous sommes d’accord sur un point : l’avion présidentiel a bien été abattu par deux missiles Sam7. Or, et là encore, et vous semblez l’ignorer, la traçabilité de ces deux missiles a été établie. Grâce à la coopération judiciaire de la Russie nous savons en effet que ces deux missiles portables SAM 16 dont les numéros de série étaient respectivement 04-87-04814 et 04-87-04835 faisaient  partie d’un lot de 40 missiles SA 16 IGLA livrés à l’armée ougandaise quelques années auparavant. Or, vous n’êtes pas sans savoir que Paul Kagamé et ses principaux adjoints furent officiers supérieurs dans l’armée ougandaise avant la guerre civile rwandaise et que, de 1990 à 1994, l’Ouganda fut la base arrière mais aussi l’arsenal de l’APR. Sur ce point également, les travaux du TPIR permettent des certitudes.
De plus, comme cela a été établi, une fois encore devant le TPIR, l’armée rwandaise ne disposait pas de tels missiles.
Le FPR a tenté de faire croire qu’en 1991, quand il était chef d’état-major des FAR, le colonel Serubuga en aurait commandé à l’Egypte. Cet argument a été balayé de la manière la plus formelle par le TPIR qui a admis qu’il s’agissait d’un faux, ou plus exactement d’une tentative de manipulation à partir d’une facture pro forma (je donne la photocopie du document dans mon livre page 297) que l’on avait tenté de faire passer pour une facture authentique. Cette curieuse méthode attira d’ailleurs une réponse cinglante du président de la Chambre que je cite pages 261-264 de mon livre.

Voilà, cher Monsieur, quelques éléments de réponse qui, j’en suis sûr, n’entameront pas vos certitudes militantes.
Que peuvent en effet les preuves face à une croyance quasi religieuses puisque vous êtes persuadé d’être le Bien contre le Mal ? L’historien dont la position a évolué au fur et à mesure du dossier a, quant à lui, toujours à l’esprit cette phrase de Beaumarchais que je vous invite à méditer : « Je ne blâme ni ne loue, je raconte ». 

Bernard Lugan
14/01/2012

[1] Expert assermenté dans les affaires Emmanuel Ndindabahizi (TPIR-2001-71-T), Théoneste Bagosora (TPIR-98-41-T), Tharcisse Renzaho (TPIR-97-31-I), Protais Zigiranyirazo. (TPIR-2001-73-T), Innocent Sagahutu (TPIR-2000-56-T), Augustin Bizimungu (TPIR- 2000-56-T). Commissionné dans les affaires Edouard Karemera (TPIR-98-44 I) et J.C Bicamumpaka. (TPIR-99-50-T). La synthèse de ces rapports et des travaux du TPIR a été faite dans Bernard Lugan (2007) Rwanda : Contre-enquête sur le génocide et l’actualisation du dossier dans l’Afrique Réelle, n°4, avril 2010, disponible par PDF à la revue www.bernard-lugan.com
[2] Pour la chronologie détaillée de cette question, je vous renvoie à mon livre (Rwanda : Contre-Enquête sur le Génocide à partir de la page 84.) Depuis la parution de ce livre, la chronologie a encore été affinée.

9 commentaires:

  1. Euh ... l'association Enquête Citoyenne Rwanda, c'est qui et c'est quoi ?

    Avec un peu de chance elle a reçu une subvention publique. Et la boucle est bouclée : non seulement on casse la compétence, mais on promeut l'ignorance.

    Même pas assez malin pour se douter qu'un ignorant en vient pas faire la leçon à Lugan !!

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  2. Cher Mr Lugan, votre belle analyse ne sort hélas pas grandie de votre pique finale bien superflue...

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    1. Bonsoir,

      Je ne souhaite pas que ce blog de haute tenue devienne un vulgaire post.

      Mais il me semble que Mr Lugan parle du fond sur son site, et de façon à tout le moins très argumentée. Il me semble aussi qu'il est en droit de se formaliser, à la longue, de divers manquements éthiques à son égard: pillages anonymes et faits erronés jetés à la face.

      Sa pique finale renvoie à la maxime du philosophe Alain: le fait de pouvoir penser exige de bien penser. Et cela passe, avant toute discussion sur le fond, par la présentation de faits établis.

      Que Monsieur Lugan, qui offre somme toute gracieusement ses analyses, se permette de demander la même rigueur intellectuelle à ses détracteurs ne me choque pas.

      Un cortex et des génitoires. Voici un mélange que l'on avait oublié ......

      Les chimistes vous diront qu'en général mélanger les deux en atmosphère d'indépendance financière donne un mélange explosif !!!

      Un ancien qui meurt en Afrique, dit-on, et c'est une bibliothèque qui disparaît, et c'est vrai.

      Quand Monsieur Lugan ne sera plus là, se ne sera pas une bibliothèque qui disparaîtra. Se sera pire.

      Se seront tous les rayons, de toutes les bibliothèques, des kilomètres de rayons d'une "certaine idée de l'Afrique" qui disparaîtront.

      Vous aimez ce continent, et le comprenez. Cela se respire Monsieur.

      Bravo Mr Lugan !!!

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  3. Seuls les rwandais (Hutu, Tutsi et Twa)ont tout intérêt à ce que la vérité éclate le plutôt possible. Mais cela ne pourra jamais se faire sans notre participation. Le chemin est long, mais la thérapie et la réconciliation des rwandais, des peuples voisins et même de la communauté internationale en dépendent largement.Merci et courage à tous ceux qui se battent pour protéger la petite lumière qui reste.

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  4. Le rapport dit abusivement "rapport Trévidic", qui n'est en fait que le rapport des experts et non celui du juge, n'évoque certainement pas "un sanctuaire de la Garde Présidentielle" comme le prétend CATTIER puisqu'il n'y avait aucune unité de la garde présidentielle dans le camp de Kanombe. Cette enceinte était tout sauf un sanctuaire avec un hôpital tenu par les belges, un garages tenu par les allemands, une unité de l'armée rwandaise conseillée par les français..... le tout au milieu d'un vrai foutoir..... sans aucun garde présidentiel!

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  5. La mémoire auditive et visuelle de VIERZON face aux morts rwandais:pourquoi pas au moins à MBARARA ou Bugarama?!
    Les experts pouvaient bien se rendre au Rwanda. Pourquoi ont-ils choisi la région Centre?!!
    Devons-nous restés suspendus à l'acoustique du département du Cher , 17 ans après l'attentat ou demander aux juges d'entendre les témoins?
    La responsabilité rwandaise est là , mais que le juge sache que les morts (français, rwandais et burundais)demandent une sépulture dans la dignité et la réconciliation des rwandais.

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  6. La mémoire auditive et visuelle de deux belges et un français compte plus que celle des rwandais de Kigali?
    A 20h,les rwandais de Masaka, Kanombe , Ndera et Remera-Kicukiro ont vu les missiles abattre l'avion. Evidemment, on peut dire qu'ils sont Hutu ou Tutsi!! J'ose dire que ce n'est pas vrai. Il y a autant de Tutsi que de Hutu qui, jusque dans la nuit du 6 Avril, étaient là et aujourd'hui attendent la vérité sur l'assassinat des Présidents et l'équipage français.
    Les deux juges ont une page à écrire!! Ayons confiance.

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  7. Monsieur Lugan,

    Ma réponse se trouve ici :
    http://cec.rwanda.free.fr/informations/Bernard-Lugan.html

    Je n'avais pas assez de place sur votre blog et nous aurions du attendre assez longtemps pour que vous la publiez.

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  8. Monsieur Cattier, dans sa réponse Bernard Lugan, a cette phrase :

    " L’acousticien est intervenu pour analyser les témoignages de ceux qui ont entendu le souffle de départ des missiles et ensuite vu leur trajectoire, puis l’explosion de l’avion. Le timing de ces faits de quelques secondes montre que ces personnes ne pouvaient être qu’à un endroit où le son du souffle leur est parvenu plus vite que la lumière de l’explosion de l’avion1. "

    Monsieur Cattier vit dans un monde où les lois de la physique sont autres et où le son peut aller plus vite que la lumière ! Hallucinant ! J'irais même plus loin : propre à détruire le plus maçonné des brushing de B.H.L. ! C'est dire si on frôle la révélation ...

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