mardi 25 janvier 2011

Tunisie : la révolution des privilégiés ?

En France, les tartuffes politiques ont applaudi la chute d’une dictature qu’ils fréquentaient assidûment peu auparavant, à commencer par ceux qui voulaient cacher que le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), le parti du président déchu était membre de l’Internationale socialiste[1].
Tous ont oublié qu’en 1987, l’accession au pouvoir du général Ben Ali avait été unanimement saluée comme une avancée démocratique, que sous sa ferme direction, la subversion islamiste avait été jugulée, que la Tunisie était devenue un pays moderne dont la crédibilité permettait un accès au marché financier international. Attirant capitaux et industries, le pays avait à ce point progressé que 80% des Tunisiens étaient devenus propriétaires de leur logement. Ce pôle de stabilité et de tolérance dans un univers musulman souvent chaotique voyait venir à lui des millions de touristes recherchant un exotisme tempéré par une grande modernité. Des milliers de patients venaient s’y faire opérer à des coûts inférieurs et pour une même qualité de soins qu’en Europe. Dans ce pays qui consacrait plus de 8% de son PIB à l’éducation, la jeunesse était scolarisée à 100%, le taux d’alphabétisation était de plus de 75%, les femmes étaient libres et ne portaient pas le voile ; quant à la démographie, avec un taux de croissance de 1,02%, elle avait atteint un quasi niveau européen. 20% du PIB national était investi dans le social et plus de 90% de la population bénéficiait d’une couverture médicale. Autant de réussites quasiment uniques dans le monde arabo-musulman, réussites d’autant plus remarquables qu’à la différence de l’Algérie et de la Libye, ses deux voisines, la Tunisie ne dispose que de faibles ressources naturelles. Les Tunisiens étaient donc des privilégiés auxquels ne manquait qu’une liberté politique généralement inexistante dans le monde arabo-musulman. Ils se sont donc offert le luxe d’une révolution en ne voyant pas qu’ils se tiraient une balle dans le pied. Leur euphorie risque d’ailleurs d’être de courte durée car le pays va devoir faire le bilan d’évènements ayant provoqué des pertes qui s’élevaient déjà à plus de 2 milliards d’euros à la mi-janvier et qui représentaient alors 4% du PIB. La Tunisie va donc sortir de l’épreuve durablement affaiblie, à l’image du secteur touristique qui recevait annuellement plus de 7 millions de visiteurs et qui est aujourd’hui totalement sinistré, ses 350 000 employés ayant rejoint les 13,2% de chômeurs que comptait le pays en décembre 2010.

Pour le moment, les Tunisiens ont l’illusion d’être libres. Les plus naïfs croient même que la démocratie va résoudre tous leurs maux, que la corruption va disparaître, que le chômage des jeunes va être résorbé, tandis que les droits de la femme seront sauvegardés… Quand ils constateront qu’ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient en définitive relativement confortablement assis, leur réveil sera immanquablement douloureux. Déjà, dans les mosquées, les prêches radicaux ont recommencé et ils visent directement le Code de statut personnel (CSP), ce statut des femmes unique dans le monde musulman. Imposé par Bourguiba en 1956, puis renforcé par Ben Ali en 1993, il fait en effet des femmes tunisiennes les totales égales des hommes. Désormais menacée, la laïcité va peu à peu, mais directement être remise en cause par les islamistes et la Tunisie sera donc, tôt ou tard, placée devant un choix très clair : l’anarchie avec l’effondrement économique et social ou un nouveau pouvoir fort. Toute l’Afrique du Nord subit actuellement l’onde de choc tunisienne. L’Egypte est particulièrement menacée en raison de son effarante surpopulation, de l’âge de son président, de la quasi disparition des classes moyennes et de ses considérables inégalités sociales. Partout, la première revendication est l’emploi des jeunes et notamment des jeunes diplômés qui sont les plus frappés par le chômage. En Tunisie, à la veille de la révolution, deux chômeurs sur trois avaient moins de 30 ans et ils sortaient souvent de l’université. Le paradoxe est que, de Rabat à Tunis en passant par Alger, les diplômés sont trop nombreux par rapport aux besoins. Une fois encore, le mythe du progrès à l’européenne a provoqué un désastre dans des sociétés qui, n’étant pas préparées à le recevoir, le subissent. En Algérie, où la cleptocratie d’Etat a dilapidé les immenses richesses pétrolières et gazières découvertes et mises en activité par les Français, la jeunesse n’en peut plus de devoir supporter une oligarchie de vieillards justifiant des positions acquises et un total immobilisme social au nom de la lutte pour l’indépendance menée il y a plus d’un demi-siècle. Même si les problèmes sociaux y sont énormes, le Maroc semble quant à lui mieux armé dans la mesure où la monarchie y est garante de la stabilité, parce qu’un jeune roi a su hisser aux responsabilités une nouvelle génération et parce que l’union sacrée existe autour de la récupération des provinces sahariennes. Mais d’abord parce que le Maroc est un authentique Etat-nation dont l’histoire est millénaire. Là est toute la différence avec une Algérie dont la jeunesse ne croit pas en l’avenir car le pays n’a pas passé, la France lui ayant donné ses frontières et jusqu’à son nom.
 
Bernard Lugan
25/01/2011

[1] Comme l’est d’ailleurs également le parti de M. Gbagbo.

17 commentaires:

  1. Merci pour tout ce que vous faites M. Lugan. C'est toujours un plaisir de vous lire ou d'ecouter vos interventions, toujours d'une grande intelligence.

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  2. Je ne comprend pas vraiment pourquoi un pays comme la Tunisie serait inapte à la démocratie quand un pays comme la Turquie y arrive bien (ou même l'Iran avec ses particularités).

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  3. «Désormais menacée, la laïcité va peu à peu, mais directement être remise en cause par les islamistes et la Tunisie sera donc, tôt ou tard, placée devant un choix très clair : l’anarchie avec l’effondrement économique et social ou un nouveau pouvoir fort.»

    Ce raisonnement me semble tout de même un peu rapide et, pour tout dire, faible.

    Il y a loin de la remise en cause de la laïcité et du statut de la femme à l'anarchie. Même si, une chose entrainant l'autre, c'est possible. Il y a aussi quelques autres chemins possibles.

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  4. Le Royaume millénaire et stable... merci Pétain d'avoir sauvegardé le makhzen d'AbdelKrim et de sa République Berbère du Rif..
    Malheureusement pour votre interprétation, les faits sont têtus :
    IDH - Algérie 0.754, Tunisie 0.769, Maroc 0.654
    Espérance de Vie - Algérie 72.2, Tunisie 73.8, Maroc 71
    Alphabétisation - Algérie 75.4, Tunisie 77.7, Maroc 55.6
    Scolarisation - Algérie 73.6, Tunisie 76.2, Maroc 61
    etc... je ne continue pas la liste, ce serait des chapitres à durer jusques aux soirs...

    Pour adhérer à tort ou à raison au mot démocratie, encore faut-il pouvoir le lire..

    Tanemirt

    a mis umazigh

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  5. Mais tout cela est très bon ! Les "arabes" se libèrent, ils n'ont plus d'excuses pour immigrer en masse chez nous ! Il faut même encourager au nom de la démocratie, leur retour au pays, pour la construction de l'avenir de leur patrie blabla... et là on va voir les faux cul, qui sont ici pour profiter des allocs en chiant sur le france et en n'en foutant pas une, à part pondre des pelletés de délinquants-traficants nés qui viennent nous jouer le mélo du pauvre immigré exploité (ahahah) et discriminé blabla.

    Et si tous ces pays virent à l'islam dur, théocratique, alors quel repoussoir ! même le plus xénophile des plus abrutis de gauche sera bien obligé de reconnaitre que ces pays sont un dangern et donc leur ressortissants également. Quoi de mieux pour élargir le fossé entre l'Europe et nous ? Pour faire prendre conscience aux européens que leur avenir c"est le rejet de l'immigration, de la mondialisation, du délire multiculturel, et que les gentils arabes sont en fait de dangereux envahisseurs en tous points !

    Non, non. Tout cela est bon. Il faut juste être un peu machiavélique, sans plus !

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  6. Un peu d'air frais dans celui, si confiné, de la pensée officielle. Merci !

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  7. je rejoins mon voisin du dessus, M. Boizard, pour vous dire que je trouve votre analyse tout à fait expéditive.

    Je vous invite à lire cet article de Libération, dont les journalistes sont sur place et vivent la révolution au quotidien :
    http://www.liberation.fr/medias/01012315439-tunisiens-ou-est-l-islamisme

    Une démocratie est en train de naitre et elle sera à l'image du peuple qui la construit. De grâce, épargnez nous vos tableaux noirs sur le pays. La situation économique n'est sûrement pas reluisante, mais on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs.
    La vraie question est : où sera la Tunisie dans 50 ans ? Et là, je suis prêt à parier avec vous qu'elle ressemblera beaucoup à nos voisins ... européens !

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  8. Trop simpliste comme analyse. Dire que le Maroc est un havre de stabilité en raison de la monarchie existante relève de l'inconscience la plus totale.

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  9. Mr Lugan, je ne comprends pas votre déterminisme. A vous lire, on croirait que nous sommes condamnés à ne jamais devenir une démocratie. J'aimerais rappeler que la société Japonaise était féodale et archaique. Une bonne partie des diplomates américains disaient que ce pays ne sera jamais comme nous et que leur culture et leurs valeurs sont archaiques.

    L'histoire a démontré le contraire. La tunisie est laique et c'est un point crucial à mon avis pour qu'un pays musulmans se démocratise

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  10. Bof.. une pseudo-analyse vue et reprise en boucle par tout le monde.. "les islamistes par là, les islamistes par çi"
    Dingue cette nostalgie de la dictature..
    la France a le FN pourquoi pas un parti islamiste si les tunisiens le veulent?

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  11. L'islamisme couve, c'est un fait. De nombreux Tunisien n'aspire pas à l'islamisme, c'est un autre fait. La révolution, pour l'heure, n'est pas une révolution islamiste. La dynamique est celle d'une révolution sociale, de gauche, légitime, contre les abus du pouvoir en place.
    Pour mettre tout le monde d'accord, je prédis que la Tunisie va s'islamiser, mais pas pour des raisons endogènes, mais par effet de ricochet avec l'islamisation prochaine de l'Égypte et de l'Algérie; ce qui est, pour le coup, inéluctable.

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  12. Bonsoir,

    Je me permets de faire deux remarques. Celles-ci visent à remettre les choses à l'endroit.

    D'une part, on a trop vite oublié le nom de fleur donné à cette "révolution" tunisienne. Il est de notoriété commune que tout cela a été fait avec l'aval, sinon le coup de pouce, des USA.

    Idem en Egypte.

    Aussi je le permets de souligner qu'une révolution, une vraie, c'est le changement des bénéficiaires des richesses de l'état. Les cuillers sont les mêmes, mais ceux qui y goutent sont différents. Donc c'est violent. Sinon, c'est un amusement pour le bon peuple.

    Il aura échappé à beaucoup que l'évolution de la Tunisie et de l'Egypte (surtout de l'Egypte) dépend intégralement des USA.

    Et je me demande dans quelle mesure mon pays, la France, n'est pas au même niveau que la Tunisie.

    J'ai anticipé un compte à rebours il y a peu.

    Il est en marche.

    10 ans maxi.

    Et l'on vient nous gaver avec les discours de repentance ?

    Chaque GI qui meurt hors de son pays doit être conscient de pourquoi il meurt: pour rien.

    Est en train de se produire en afrique du nord ce qui s'est produit en cochinchine. En plus grave, car aucun grand frère encadrant n'est là. Aucun ??

    La seule zone géographique à conquérir sur la planète .... c'est l'afrique. Tout le reste est verrouillé.

    Vous verrez, même les nègres ont le sang rouge de la vie ...

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  13. Bonjour Monsieur Lugan,

    cet article m'a inspiré quelques brèves réflexions, dans l'ensemble critiques, que vous pouvez consulter, si le coeur vous en dit, ici : http://cafeducommerce.blogspot.com/2011/02/toujours-la-bourre.html

    Bien cordialement,

    AMG.

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  14. cher monsieur, je plains le temps que vous avez passé a concocter cette analyse du moins qu'on puisse dire vide et trop rapidement conçue
    j'aime croire que vous savez déjà que la base d'une bonne économie est une encore meilleure politique!!
    les privilèges que vous vous êtes amusé à énumérer pour nous faire sentir ce qu'on perd importent peu devant ce qu'on vient de gagner
    je parie que votre sarko national vous déplait et que vos problèmes de chômages vous pèsent,c'est vos médias qui le disent mais de là à attaquer les tunisiens pour la seule chose juste qu'ils ont effectué depuis 23ans celà me semble absurde!!
    quant à votre peur des islamistes,je vous rassure ils ne seront jamais maitres du sort des tunisiens rien que parce que nous refusons farouchement toute sorte d'extrémisme donc vos vacances exotiques chez nous sont saines et sauves quitte a ce que personne ne vous reconnaisse après cet article désolant!
    bonne continuation

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  15. Mr Lugan je partage votre opinion pour y vivre depuis longtemps et y travailler la tunisie passera par une longue période d'instabilité, rien a voir avec les Turques, les Japonais la philosophie est differente.
    La Tunisie attirait ... elle n'attire plus c'est simple a comprendre , c'est comme ça la mondialisation est là et les investisseurs iront ailleurs de de la pure économie et pas de la politique. Quant au tourisme bas de gamme au service douteux ( mais si mais il faut le dire) il aura du mal a s'en remettre. Je ne suis spécialiste en rien j'y suis depuis 1990 et j'en tire mes conclusions elles peuvent déplaires je le comprendrai.

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  16. Je viens de lire avec deux mois de decalage l'article de Libé du 24 janvier "Rien a craindre des islamistes" interrogez les Tunisiennes aujourd'hui et vous verrez la place qu'ils ont pris en 8 semaines et les craintes qu'ils aspirent. Je souhaite le retour d'un gouvernement fort non pas pour mes interets mais pour ceux des tunisiens. Deja certains craignent de sortir et les cambriolages se multiplient... oui oui c'est les anciens du CRD... croyez-y !

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  17. je pence qu'il faut faire le bilan mnt...

    www.yatout.tn

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