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jeudi 29 octobre 2020

Il y a quatre siècles, l’Espagne expulsait les Morisques

De 1609 à 1614, après avoir vainement tenté une politique d’assimilation-intégration, l'Espagne procéda à l’expulsion des Morisques (convertis au catholicisme mais demeurant secrètement musulmans), et des Mudéjar (musulmans demeurés en Espagne après la Reconquista). Fernand Braudel  a justement écrit à ce sujet qu’ : « II ne s'agit point de savoir si l'Espagne a bien ou mal fait en expulsant les Morisques, mais de savoir pourquoi elle l'a fait. »

Quelles furent donc les raisons de ces expulsions ?

La politique suivie depuis les débuts de la Reconquista par les souverains espagnols avait été la tolérance religieuse. Du Xe au XVe siècle, de nombreuses communautés musulmanes étaient ainsi passées sous le contrôle chrétien tout en conservant officiellement (les Mudejar) ou clandestinement (les Morisques), leur religion. Durant des décennies, l’Espagne choisit la politique de  l’intégration et de l’assimilation à travers la conversion, tout en n’ignorant pas qu’aux yeux de la loi islamique il était possible à un croyant de faire semblant de s’être rallié au catholicisme tout en continuant à pratiquer en secret sa religion. Néanmoins, en 1526, à la « Sainte Inquisition » chargée de veiller à la sincérité des conversions  Charles-Quint demanda de ne pas s’exercer avec rigueur contre les Morisques au motif qu’ils n’étaient pas encore totalement instruits dans la religion catholique.

La monarchie espagnole fit d’ailleurs longtemps preuve de tolérance et même de patience, avant de devoir finalement constater que deux religions, deux philosophies de l’existence aussi irréductibles l’une à l’autre ne pouvaient cohabiter sur un même sol. L’Espagne devait être catholique ou musulmane, pas les deux à la fois. En dépit de l’instruction religieuse qui leur était donnée, les Morisques conservaient en effet leur particularisme culturel, vestimentaire, alimentaire, linguistique et, secrètement, ils continuaient à célébrer le culte musulman, à respecter le jeûne du ramadan et à faire circoncire leurs garçons. Les autorités acceptèrent cette situation jusqu’au moment où, au XVIe siècle, l'Espagne fut confrontée au danger turc. Il fut alors impossible de continuer à tolérer des noyaux de peuplement dissidents disposés à servir de « cinquième colonne » à un débarquement turc.

L’Espagne du XVI° siècle abritait en effet une population de 8 à 9 millions de personnes dont au moins 500 000 Mudejar et Morisques restés sur place après la fin de la Reconquista intervenue en 1492 avec la prise de Grenade. Dans la seule région de Valence, ils totalisaient 25% de la population et des enclaves  demeuraient à travers tout le pays. Toute l’Espagne comptait en effet des noyaux de population morisque ou mudejar, notamment en Andalousie, dans l'ancien royaume de Grenade, en Estrémadure, dans le Levant valencien et dans la vallée de l'Ebre. Dans certaines localités, ils étaient majoritaires, notamment à Hornachos, en Estrémadure, devenue de fait un petit Etat musulman enclavé en territoire chrétien. Or, les autorités espagnoles n’ignoraient pas que ces communautés attendaient que les Turcs viennent les délivrer du « joug catholique ».

De nombreux soulèvements armés se produisent d’ailleurs au cours du XVIe siècle. En 1502, une révolte éclata dans la région de Grenade et, durant deux années, les insurgés tinrent la montagne. En 1526 ce fut le tour de la région de Valence, puis de 1568 à 1570, eut lieu la "deuxième guerre de Grenade", quand des dizaines de milliers de Morisques et de Mudejar répondirent  à l’appel d’un meneur qui proclama le  jihad. Les villages chrétiens furent alors attaqués et leurs habitants massacrés. Les insurgés demandèrent l'aide de la Porte ottomane, l’ennemie mortelle de l'Espagne, et que, dans tout le monde musulman, la guerre sainte soit prêchée pour leur venir en aide.

En 1570, le duc d’Albe vint finalement à bout de cette guerre et il déporta les rebelles dans d’autres provinces du pays afin de casser leur principal noyau d’implantation. Dispersés en zone chrétienne, ils prirent alors des noms espagnols mais en demeurant secrètement fidèles à l'Islam.

Toutes les communautés morisques et mudejar  posant un problème d’ordre public, le roi Philippe III qui avait compris qu’il n’était pas possible d’intégrer une population menaçant l’unité du pays, eut alors le choix entre trois solutions, la conversion réelle, de force et en profondeur sous le strict contrôle de l’Inquisition, le massacre ou l’expulsion.

Ce fut la troisième option qu’il choisit et en 1609, il prit la décision d’expulsion vers le Maghreb. Humainement, ce fut probablement la « moins mauvaise » des solutions car elle évita et les dures méthodes de l’Inquisition généralisée, et le massacre à grande échelle.

Les premiers à être chassés furent les Morisques de Castille, de la Marche et de l'Estrémadure. Ils furent suivis en 1610 par ceux d'Andalousie et d'Aragon, puis en 1611 par les Catalans et enfin par ceux de Murcie en 1614. L'expulsion se fit essentiellement vers le Maroc, mais également vers Alger et Tunis. Trois cent mille Morisques furent concernés. Quant aux deux cent mille qui restaient, ils se fondirent dans la population espagnole, sous étroite surveillance de l’Inquisition qui veilla à la sincérité de leur conversion.

samedi 24 octobre 2020

Mali : le changement de paradigme s’impose

Dans le nord du Mali, j’écris depuis des années que le  problème n’est pas d’abord celui de l’islamisme, mais celui de l’irrédentisme touareg. Cette donnée de longue durée enracinée dans la nuit des temps se manifeste depuis 1962 à travers des résurgences périodiques[1]. Selon le rapport de force du moment, elle s’exprime sous divers drapeaux. Aujourd’hui, c’est sous celui de l’islamisme.

Leurs conseillers ayant négligé de prendre en compte le poids de l’ethno-histoire, les dirigeants français ont défini une politique brumeuse confondant les effets et les causes. D’où l’impasse stratégique actuelle de laquelle il est d’autant plus difficile de nous extraire que les rapports de force locaux ont changé. En effet, ses « émirs » algériens  ayant été tués les-uns après les autres par Barkhane, Al-Qaïda-Aqmi n’est donc plus localement dirigée par des étrangers, mais par le Touareg Iyad ag Ghali. Or, et comme je l’avais également annoncé, ce dernier a fini par reprendre en main les diverses factions touareg un moment officiellement et artificiellement rivales. L’accueil personnel qu’il réserva à Kidal aux « jihadistes » récemment libérés a ainsi éloquemment  montré que le nord du Mali est désormais sous son contrôle.

C’est donc avec cette nouvelle réalité à l’esprit que doivent être analysées et comprises les déclarations en date du 14 octobre d’Aqmi et du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), deux faux-nez d’Iyad ag Ghali, exigeant le départ de Barkhane à travers une rhétorique belliqueuse parlant de combattre les « croisés ». Or, il s’agit avant tout d’un nuage de fumée destiné à ne pas laisser le champ libre à l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara) affilié à Daech et dont le chef régional est Adnane Abou Walid al-Saharaoui, un Arabe marocain de la tribu des Réguibat. Cet ancien cadre du Polisario, accuse Iyad ag Ghali de trahison pour avoir privilégié la revendication touareg à travers la négociation avec Bamako et cela, aux dépens du califat transethnique devant engerber les actuels Etats sahéliens.

A moins de choisir délibérément la voie de l’enlisement, ces récents changements vont donc contraindre les décideurs français à revoir très rapidement les missions de Barkhane. Faute de quoi, la guerre au nord va immanquablement se rallumer et nous devrons alors faire face à un front supplémentaire, celui des Touareg. De plus, comme la « légitimité » de notre intervention est devenue pour le moins « incertaine » depuis le coup d’Etat intervenu à Bamako au mois d’août dernier, il est donc temps de poser la question de notre stratégie régionale dans la BSS (Bande sahélo-saharienne).

Trois zones sont à distinguer  qui méritent chacune un traitement particulier :

- Dans le nord du Mali où, politiquement et militairement, nous n’avons rien à défendre, l’erreur serait de continuer à nous obstiner dans une analyse reposant sur l’artificiel slogan de la lutte contre le « terrorisme islamiste » et dont le seul résultat serait l’ouverture des hostilités avec les Touareg. Dans ces conditions, puisque l’Algérie considère le nord du Mali comme son arrière-cour, laissons ses services s’accommoder des « subtilités » politiques locales, ce qu’ils feront d’autant plus facilement qu’ils ne seront pas paralysés par les « vapeurs » humanitaires interdisant  toute véritable action efficace sur le terrain…

- La région des « trois frontières » présente un cas différent car elle est le verrou du Burkina Faso et plus au sud celui des pays du littoral, dont la Côte d’Ivoire, avec lesquels nous avons des accords. Notre effort doit donc y être concentré à travers l’appui donné aux armées du Niger et du Burkina Faso.

- La région tchadienne au sens large, car l’on doit y inclure le Cameroun et la RCA, est une future grande zone de déstabilisation. C’est pourquoi elle doit être surveillée avec la plus grande attention. Un renforcement de notre présence militaire y est donc impératif.

[1] Elles sont mises en évidence et développées dans mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours.

mercredi 14 octobre 2020

Bernard Lugan présente Esclavage l'histoire à l'endroit et Les Guerres du Sahel


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mardi 13 octobre 2020

dimanche 11 octobre 2020

Mali : une libération d’otages qui marque un vrai tournant dans la guerre

Au Mali, la libération des otages dont celle de la propagandiste musulmane Myriam Pétronin et des « jihadistes » détenus par Bamako, cache en réalité la phase 2 d’une opération complexe dont j’avais annoncé le début dans mes communiqués du samedi 6 juin et du jeudi 20 août 2020 respectivement titrés « Les véritables raisons de la mort d’Abdelmalek Droukdal » et  « Mali : ce coup d’Etat qui pourrait enclencher un processus de paix ».

En effet :

1) L’Algérie est redevenue maîtresse du jeu à travers son relais régional  Iyad ag Ghali avec lequel a été négociée la libération des otages et celle des jihadistes.

2) L’universalisme jihadiste a été ramené à ses réalités ethniques, les « jihadistes » libérés étant en effet majoritairement des Touareg obéissant à Iyad ag Ghali et qui ont directement été acheminés dans son fief de Kidal.

Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il faut bien voir que tout a débuté au mois de juin 2020 avec la mort d’Abdelmalek Droukdal, le chef d’Al-Quaïda pour toute l’Afrique du Nord et pour la bande sahélienne, abattu par l’armée française sur renseignement algérien. Cette liquidation s’inscrivait dans le cadre d’un conflit ouvert qui avait éclaté entre l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara), rattaché à Daech, et les groupes se réclamant de la mouvance Al-Qaïda, dont celui d’Iyad ag Ghali associé aux services algériens.

A partir de 2018-2019, l’intrusion de DAECH à travers l’EIGS, avait en effet provoqué une évolution de la position algérienne, Alger ne contrôlant pas ces nouveaux venus dont le but était la création d’un califat régional. Entre l’EIGS et les groupes ethno-islamistes se réclamant de la mouvance Al-Qaïda, le conflit était dès-lors inévitable, puisque les premiers privilégiaient l’ethnie (Touareg et Peul) aux dépens du califat.

Or, le coup d’Etat qui s’est produit au Mali au mois d’août 2020, a permis de donner toute liberté à la négociation qui a pour but de régler deux conflits différents qui ne sont pas à racine islamiste. Il s’agit en effet comme je le montre dans mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours de conflits inscrits dans la nuit des temps, de résurgences ethno-historico-politiques conjoncturellement abritées derrière le paravent islamique. Ces deux conflits qui ont chacun leur propre dynamique sont :

- Celui du Soum-Macina-Liptako, qui est porté par les Peul, d’où l’importance d’Ahmadou Koufa.

- Celui du nord Mali, qui est l’actualisation de la traditionnelle contestation touareg, d’où l’importance d’Iyad ag Ghali.

Or, Abdelmalek Droukdal qui était opposé à ces négociations, avait décidé de reprendre en main et d’imposer son autorité, à la fois à Ahmadou Koufa et à Iyad ag Ghali. Il était donc l’obstacle au plan de paix régional algérien soutenu par la France et qui vise à isoler les groupes de Daech. Voilà pourquoi il est mort.

A travers la libération des otages, le plan franco-algérien  qui a pour but le retour dans le jeu politique des Touareg ralliés au leadership d’Iyad ag Ghali,  et de ceux des Peul suivant Ahmadou Koufa, se déroule donc pour le moment parfaitement. L’Algérie éloigne ainsi le danger EIGS de ses frontières, et la France va pouvoir concentrer tous ses efforts sur ce dernier avant d’alléger le dispositif Barkhane.

Nous voilà une fois encore loin des analyses superficielles du monde médiatique.