Leurs conseillers ayant négligé
de prendre en compte le poids de l’ethno-histoire, les dirigeants français ont
défini une politique brumeuse confondant les effets et les causes. D’où l’impasse
stratégique actuelle de laquelle il est d’autant plus difficile de nous
extraire que les rapports de force locaux ont changé. En effet, ses « émirs »
algériens ayant été tués les-uns après les autres par Barkhane, Al-Qaïda-Aqmi
n’est donc plus localement dirigée par des étrangers, mais par le Touareg Iyad
ag Ghali. Or, et comme je l’avais également annoncé, ce dernier a fini par
reprendre en main les diverses factions touareg un moment officiellement et
artificiellement rivales. L’accueil personnel qu’il réserva à Kidal aux
« jihadistes » récemment libérés a ainsi éloquemment montré que le nord du Mali est désormais sous
son contrôle.
C’est donc avec cette nouvelle
réalité à l’esprit que doivent être analysées et comprises les déclarations en
date du 14 octobre d’Aqmi et du GSIM (Groupe
de soutien à l’islam et aux musulmans), deux faux-nez d’Iyad ag Ghali, exigeant
le départ de Barkhane à travers une rhétorique belliqueuse parlant de combattre
les « croisés ». Or, il s’agit avant tout d’un nuage de fumée destiné
à ne pas laisser le champ libre à l’EIGS (Etat
islamique dans le Grand Sahara) affilié à Daech et dont le chef régional
est Adnane Abou Walid al-Saharaoui, un Arabe marocain de la tribu des Réguibat.
Cet ancien cadre du Polisario, accuse Iyad ag Ghali de trahison pour avoir privilégié
la revendication touareg à travers la négociation avec Bamako et cela, aux dépens
du califat transethnique devant engerber les actuels Etats sahéliens.
A moins de choisir délibérément la voie de l’enlisement, ces récents changements vont donc contraindre les décideurs français à revoir très rapidement les missions de Barkhane. Faute de quoi, la guerre au nord va immanquablement se rallumer et nous devrons alors faire face à un front supplémentaire, celui des Touareg. De plus, comme la « légitimité » de notre intervention est devenue pour le moins « incertaine » depuis le coup d’Etat intervenu à Bamako au mois d’août dernier, il est donc temps de poser la question de notre stratégie régionale dans la BSS (Bande sahélo-saharienne).
Trois zones sont à distinguer qui méritent chacune un traitement particulier :
- Dans le nord du Mali où, politiquement et militairement, nous n’avons rien à défendre, l’erreur serait de continuer à nous obstiner dans une analyse reposant sur l’artificiel slogan de la lutte contre le « terrorisme islamiste » et dont le seul résultat serait l’ouverture des hostilités avec les Touareg. Dans ces conditions, puisque l’Algérie considère le nord du Mali comme son arrière-cour, laissons ses services s’accommoder des « subtilités » politiques locales, ce qu’ils feront d’autant plus facilement qu’ils ne seront pas paralysés par les « vapeurs » humanitaires interdisant toute véritable action efficace sur le terrain…
- La région des « trois frontières » présente un cas différent car elle est le verrou du Burkina Faso et plus au sud celui des pays du littoral, dont la Côte d’Ivoire, avec lesquels nous avons des accords. Notre effort doit donc y être concentré à travers l’appui donné aux armées du Niger et du Burkina Faso.
- La région tchadienne au sens large, car l’on doit y inclure le Cameroun et la RCA, est une future grande zone de déstabilisation. C’est pourquoi elle doit être surveillée avec la plus grande attention. Un renforcement de notre présence militaire y est donc impératif.
[1] Elles sont mises en évidence et développées dans mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours.
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