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lundi 30 janvier 2023

L'Afrique Réelle N°158 - Février 2023

Sommaire

Actualité
- Qui est responsable de l’échec politique français au Sahel ?
- Les Peul sont-ils menacés de génocide ?

Economie
La Chine ne croit pas dans l’avenir de l’Afrique

Histoire
La question des sources du Nil


Editorial de Bernard Lugan

Selon Rémi Carayol, journaliste présenté comme « spécialiste », la France a échoué au Mali parce que : « Au Sahel, les officiers français réfléchissaient avec un logiciel issu de la colonisation ». 
Cette phrase mérite une analyse à plusieurs niveaux :

1) En imputant clairement aux officiers l’échec politique sahélien de la France, Rémi Carayol fonde son approche sur un grave contre-sens. En effet, et il suffit d’avoir fréquenté les états-majors pour l’avoir constaté, les cadres de Barkhane ne furent pas les décideurs de la politique française au Sahel. Ils ne firent qu’appliquer une politique définie - sans eux - à l’Elysée, et même plus que régulièrement, contre leurs propres préconisations. Peut-être est-il utile de rappeler à notre « spécialiste » qu’en France, ce sont les dirigeants politiques qui donnent des ordres et qui définissent les missions des Armées, et non le contraire… 

2) Au Sahel, les officiers français ont très vite constaté que si l’ethnisme n’explique pas tout, rien ne s’explique cependant sans lui. Or, par idéologie, les décideurs français successifs ont refusé de prendre en compte cette évidence, mettant donc dès le départ nos Armées entre l’enclume et le marteau, ainsi que je l’ai écrit dès 2012...

3) Les décideurs politiques français ont postulé que la solution de la question sahélienne passait par des élections. Or, l’ethno-mathématique électorale confirmant, scrutin après scrutin, la domination démographique, donc démocratique, des plus nombreux, les élections entretiennent le conflit… Et Paris s’étonne que Touareg et Peul aient refusé un processus destiné à les marginaliser une nouvelle fois…
 
4) Au Sahel où Rémi Carayol ramène le problème à la colonisation - forme exotique de reductio ad Hitlerum -, le cœur de la question est bien identifié. Depuis le néolithique, sudistes et nordistes y sont en rivalité pour le contrôle des zones intermédiaires situées entre le désert du nord et les savanes du sud (voir à ce sujet mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours). Or, cette constante séculaire est aujourd’hui dramatiquement aggravée par la suicidaire démographie qui y amplifie encore davantage la compétition territoriale entre pasteurs et agriculteurs. Une situation opportunément utilisée par le jihadisme qui est d’abord la surinfection de plaies ethno-géographiques séculaires.
 
5) Illustration du point 4, depuis plusieurs mois, au Burkina Faso, ayant en tête le souvenir des conquêtes peul de la période précoloniale, certaines ethnies subissant les exactions des jihadistes accusent les Peul d’être leurs complices. Victimes de représailles aveugles, les Peul se regroupent pour se défendre, cependant que les terroristes utilisent leur ressentiment et leur implantation transnationale pour tenter d’étendre leurs actions à tout le Sahel et à la région soudanienne.

En définitive :
1) Au nord la paix dépend des Touareg.
2) Au sud la paix dépend des Peul. 

Une évidence relevant d’ « un logiciel issu de la colonisation »…

2 commentaires:

  1. Merci pour votre éditorial, qui rend justice à ceux mis en cause si légèrement par ce « spécialiste ».
    Une question peut-être un peu naïve :
    sachant la très grande proximité entre le principal rebelle touareg, Iyad ag Ghali, chef du JNIM et la DRS algérienne qui pratiquement le protège, est-il envisageable que des négociations entre la junte malienne et l’intéressé, sous patronage d’Alger, voire même de Moscou cette fois-ci, puissent aboutir à une relative pacification, du moins dans la zone d’évolution du JNIM ?
    Le cas échéant, peut-on aller jusqu’à imaginer que le JNIM aide ensuite la junte et WAGNER à contenir, voire à réduire l’EIS ?

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  2. Merci pour votre éditorial, qui rend justice à ceux mis en cause si légèrement par ce « spécialiste ».
    Une question peut-être un peu naïve :
    sachant la très grande proximité entre le principal rebelle touareg, Iyad ag Ghali, chef du JNIM et la DRS algérienne qui pratiquement le protège, est-il envisageable que des négociations entre la junte malienne et l’intéressé, sous patronage d’Alger, voire même de Moscou cette fois-ci, puissent aboutir à une relative pacification, du moins dans la zone d’évolution du JNIM ?
    Le cas échéant, peut-on aller jusqu’à imaginer que le JNIM aide ensuite la junte et WAGNER à contenir, voire à réduire l’EIS ?

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