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mardi 28 juin 2022
jeudi 16 juin 2022
Kivu : pourquoi cette nouvelle guerre ?
La
guerre a repris au Kivu sur fond de veillée d’armes entre la RDC et le Rwanda.
En réalité, nous sommes face à la résurgence d’un conflit qui n’a jamais cessé
d’ensanglanter cette partie de l’Afrique des Grands Lacs depuis 1996, et
dont la cause est claire : le Rwanda s’emploie à créer au Kivu une
situation de non-retour débouchant sur une sorte d’autonomie régionale sous son
contrôle. Et cela, pour trois raisons constituant autant d’objectifs
géostratégiques vitaux pour lui:
1) Etouffant
démographiquement sur ses hautes terres surpeuplées (14 millions d’habitants
sur 26.338 km2), le Rwanda va droit au
collapsus si, d’une manière ou d’une autre, il ne déverse pas son trop-plein
humain vers les régions peu peuplées du
Kivu congolais. En comparaison, l’’immense RDC a une superficie de 2,345
millions de km2 et une population de 90
millions d’habitants.
2) Sans
une ouverture vers le Kivu, le Rwanda qui est naturellement tourné vers l’océan
indien, n’est que le cul de sac de l’Afrique de l’Est, la forêt de la cuvette
congolaise formant une barrière naturelle, politique, ethnique, culturelle et
linguistique (kiswahili oriental et lingala occidental).
3) La
« réussite » économique actuelle du Rwanda repose largement sur le
pillage des ressources de la RDC. Ainsi en est-il du coltan (la
colombite-tantalite), un métal précieux indispensable à l’industrie
électronique dont le Kivu congolais détient les ¾ des réserves mondiales, mais
dont l’exportation se fait en grande partie par le Rwanda …Selon
l’ONU, Kigali constituerait ainsi la plaque tournante du commerce illicite
des métaux rares et des pierres précieuses congolais.
En
2019, avant le Covid, le Rwanda a exporté pour
56,6 millions de dollars de minerais qu’il ne produit pas, ou alors de
manière anecdotique. Le trafic se fait à travers des sociétés écran et des
coopératives minières qui donnent le label « Rwanda » aux productions
congolaises. En plus du coltan, de l’or, des diamants et autres minerais rares,
le pétrole de la région de Rutshuru, prolongement de celui du bassin du lac
Albert, fait que le Rwanda ne peut pas se retirer d’une région au riche
sous-sol. De plus, si Kinshasa reprenait le contrôle du Kivu, les acheteurs de
ses productions minières ne seraient plus les alliés anglo-américains de Kigali,
mais les Chinois…
Signe
que le Rwanda n’est pas disposé à abandonner sa politique expansionniste dans
le Kivu congolais, la société rwandaise Power
Resources achève actuellement la construction d’une raffinerie de coltan à
Kigali, ce qui fera du pays un acteur mondial essentiel pour la fourniture de
ce minerai stratégique.
Voilà les trois grandes raisons pour lesquelles le Rwanda fomente
les rébellions successives de la région
du Kivu. Aujourd’hui, le relais de sa politique est le mouvement dit « M23 », qu’il
aide en matériel et en hommes[1].
Jusqu’à ces derniers temps, adossé à la tragique mémoire du génocide de 1994, soutenu
par l’opinion mondiale, le régime du général Kagamé a pu agir impunément en
RDC. Aujourd’hui, bientôt trois décennies après la tragédie, la situation est
différente car le voilà mis en accusation de plus en plus régulièrement.
[1] Le numéro de juillet de l’Afrique réelle
que les abonnés recevront le 1er juillet contiendra un dossier consacré à cette
question. Pour en savoir plus, voir mon Histoire de l’Afrique publiée aux
éditions Ellipses, notamment les pages 948 à 989.
mercredi 15 juin 2022
mercredi 8 juin 2022
Congo : les nouveaux regrettables « regrets » du roi des Belges
Le mardi 30 juin 2020, pliant à son tour sous l’air du
temps, le roi des Belges avait présenté « ses plus profonds regrets pour
les blessures infligées lors de la période coloniale belge au Congo ».
Le mercredi 8 juin 2022, en visite officielle à Kinshasa,
le roi Philippe a une nouvelle fois fait repentance pour « les blessures
infligées au Congo durant la période coloniale ». Une repentance qui n’a
pas lieu d’être. Pour trois raisons principales :
1) En
1885 quand fut internationalement reconnu l’État indépendant du Congo
(EIC), les esclavagistes musulmans venus de Zanzibar avaient franchi le
fleuve Congo, dépeuplant les régions de la Lualaba, de l’Uélé, du bassin de la
Lomami, et ils avançaient vers la rivière Mongala. A cette époque, les
Africains étaient enlevés par dizaines de milliers pour être vendus sur le
littoral de l’océan indien ou sur le marché aux esclaves de Zanzibar. De 1890 à
1896, de courageux belges menèrent alors ce qui fut à l’époque baptisé de
« campagne antiesclavagiste » ou « campagne arabe ».
A la
place de ces injustifiables et répétitifs « regrets », c’est donc
tout au contraire la mémoire de ces hommes généreux que le roi des Belges
devrait célébrer. Parmi eux, les capitaines Francis Dhanis, Oscar Michaux, Guillaume-François
van Kerckhoven, Pierre Ponthier, Alphonse Jacques, Cyriaque Gillain, Louis
Napoléon Chaltin, Nicolas Tobback et bien d’autres.
Pour
avoir voulu arracher les malheureux noirs aux esclavagistes, Arthur Hodister et
ses compagnons ainsi que le lieutenant Joseph Lippens et le sergent Henri De
Bruyne furent massacrés. Les deux derniers eurent, alors qu’ils étaient encore
vivants, les mains et les pieds coupés par les esclavagistes.
Certains
fanatiques demandent que leurs statues soient déboulonnées. Cela se fera
probablement tant, outre-Quiévrain comme partout ailleurs en Europe, l’ethno-masochisme
est désormais sans limites.
2) La Belgique n’a pas pillé le
Congo. Et pourtant, cette colonie fut une de celles dans lesquelles les profits
privés et ceux des consortiums furent les plus importants. L’originalité du Congo belge était qu’il subvenait
à ses besoins, le plan de développement décennal ainsi que les investissements
étant financés par l’impôt des grandes sociétés qui était payé et investi sur
place. La colonie s'autofinançait donc, un cas à peu près unique dans l’histoire
coloniale de l’Afrique qui contredit à lui seul le postulat culpabilisateur.
Mais, pour mettre en valeur cet immense territoire, il
fallut commencer par y créer des voies de communication et notamment une voie
ferrée reliant l’estuaire du Congo (Matadi), à la partie navigable du fleuve.
En 1898, au bout de neuf années d’efforts surhumains, les 390 kilomètres de la
ligne Matadi-Léopoldville furent achevés, mais 1800 travailleurs noirs et 132
cadres et contremaîtres blancs étaient morts durant les travaux. Rapportées aux
effectifs engagés, les pertes des Blancs étaient 10 fois supérieures à celles
des Noirs.
En 1908, le Congo, propriété personnelle du roi Léopold II, fut repris par
la Belgique. De 1908 à 1950, les dépenses engagées par Bruxelles dans sa
colonie furent de 259 millions de francs-or et durant la même période, le Congo
rapporta 24 millions de francs-or à l’Etat belge[1].
La Belgique n’a donc pas bâti sa richesse sur le Congo, même si des Belges
y ont fait fortune, et parfois de colossales fortunes, mais ce n’est pas la
même chose.
3) Parmi toutes les puissances
coloniales, la Belgique fut la seule à avoir défini un plan cohérent de
développement en partant d’une réalité qui était que tout devait être fait à
partir du néant. En matière d’éducation, la France et la Grande Bretagne
saupoudrèrent leurs colonies d’Afrique sud-saharienne tandis que la Belgique
choisit de procéder par étapes et de commencer par bien développer le primaire,
puis le secondaire et enfin seulement le supérieur. Mais, pour que ce plan
puisse être efficace, il lui fallait une certaine durée. Or, il fut interrompu
par une indépendance précipitée et alors qu’il fallait à la Belgique au moins encore
deux décennies pour le mener à son terme. Si le roi des Belges doit exprimer
des « regrets », c’est donc d’avoir décolonisé trop tôt, trop vite,
précipitamment, sous la pression de l’émotionnel … comme aujourd’hui !!!
Alors, certes, et il serait
historiquement mensonger de le nier, il y eut effectivement une période sombre au Congo avec une
authentique politique d’exploitation fondée sur le travail forcé dénoncée dès
1899 par Joseph Conrad dans son livre
« Au cœur des ténèbres ».
Ce fut l’époque de la Fondation de
la Couronne à laquelle le roi
Léopold attribua environ 1/10° de la superficie de tout le Congo et qui perçut
les revenus domaniaux des concessions. Mais ce ne fut qu’une parenthèse de
quelques années qui, de plus, ne concerna que le 1/10° de l’immense Congo. A
partir de 1908, le Congo rentra en effet dans l’Etat de droit et ses ressources
ne servirent plus qu’à sa mise en valeur.
Voilà pourquoi les « regrets » du roi des
Belges qui sont aussi injustifiés qu’injustifiables, sont d’abord et avant tout
une véritable insulte à l’Histoire. Mais également une insulte à la mémoire de
ceux qui donnèrent leur vie pour combattre les esclavagistes. A la mémoire de
ces fonctionnaires et de ces colons qui firent que dans le Congo belge les
populations mangeaient à leur faim, étaient soignées et connaissaient la paix… A
l’époque, les habitants du Kivu et de l’Ituri n’étaient ainsi pas massacrés comme
aujourd’hui par des bandes armées… Une insulte à la mémoire de ceux qui firent
que les services publics fonctionnaient, que les voies de communication créées à partir du
néant, tant pour ce qui était de la navigation fluviale, que des voies ferrées,
des aérodromes ou des ports étaient entretenues. Quant au réseau routier, il était
exceptionnellement dense, des pistes permettant de traverser le pays d’ouest en
est et du nord au sud en toutes saisons. Après l’indépendance, ces voies de
communication disparurent, littéralement « mangées » par la brousse
ou par la forêt.
Pour en savoir plus, voir mon Histoire de l’Afrique des origines à nos jours pages 552-555 et 705-715
[1]
Stengers, J., (1957) « Combien le Congo a- t-il coûté à la
Belgique ? » Académie Royale des Sciences Coloniales,
T.XI, fasc 1, 1957, 354 pages.