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lundi 30 décembre 2019
lundi 23 décembre 2019
Que pourrait avoir voulu dire Emmanuel Macron en parlant du colonialisme comme d’une « faute de la République » ?
Le 21 décembre 2019, à Abidjan, en
dénonçant le « colonialisme faute de la République » et non
de la France (à moins que, pour lui, France=République), Emmanuel Macron a désigné
les vrais responsables de la colonisation, ce « péché » qui sert
aujourd’hui à désarmer la résistance au « grand remplacement ».
Etat
de la question :
1) Dans
les années 1880-1890, l’idée coloniale fut portée par la gauche républicaine alors
que la droite monarchiste et nationaliste majoritaire dans le pays s’y opposait[1].
2) Les
chefs de cette gauche républicaine étaient profondément imprégnés par les idées
de la révolution de 1789. Pour eux, la France républicaine, « patrie des
Lumières » se devait, en les colonisant, de faire connaître aux peuples
qui l’ignoraient encore le message universaliste dont elle était porteuse. La
dimension économique était initialement secondaire dans leur esprit car, à
l’époque, l’on ignorait que l’Afrique encore très largement inexplorée pouvait
receler des richesses. Et quand Jules Ferry parlait du futur Empire comme d’une
« bonne affaire », ce n’était qu’un souhait (voir à ce sujet les
travaux de Jacques Marseille).
3) Dans
la réflexion de la gauche républicaine, la dimension idéologique et morale de
la colonisation a tenu une part considérable et même fondatrice. L’on trouve
ainsi chez Jules Ferry la notion de « colonisation émancipatrice »,
idée qui fut parfaitement résumée en 1931 lors du congrès de la Ligue des
droits de l’Homme qui se tint à Vichy, quand Albert Bayet, son président,
déclara que la colonisation française était légitime puisqu’elle était porteuse
du message des « grands ancêtres de 1789 ». Dans ces conditions ajouta-t-il,
en colonisant, c’est-à-dire en
faisant :
« (…) connaître aux peuples les
droits de l’homme, ce n’est pas une besogne d’impérialisme, c’est une tâche de
fraternité »
4) La
gauche républicaine coloniale utilisa à l’époque des arguments qui, aujourd’hui,
conduiraient directement leurs auteurs devant les tribunaux. Dans son célèbre
discours du 28 juillet 1885, Jules Ferry déclara ainsi :
« Il faut dire ouvertement qu’en
effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races
inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de
civiliser les races inférieures »
Le
9 juillet 1925, l’icône socialiste Léon Blum affirma devant les députés :
« Nous admettons le droit et même le
devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues
au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux
efforts de la science et de l'industrie. »
Les
bonnes consciences humanistes peuvent cependant être rassurées puisque Jules
Ferry avait pris le soin de préciser que :
« La race supérieure ne conquiert
pas pour le plaisir, dans le dessein d’exploiter le faible, mais bien de le
civiliser et de l’élever jusqu’à elle ».
5) La
maçonnerie à laquelle appartenaient la plupart des dirigeants républicains
voyait dans la colonisation le moyen de mondialiser les idées de 1789. En 1931,
toujours à Vichy, lors du congrès annuel de la Ligue des droits de l’homme dont
j’ai parlé plus haut et dont le thème était la question coloniale, Albert Bayet
déclara :
« La colonisation est légitime
quand le peuple qui colonise apporte avec lui un trésor d’idées et de
sentiments qui enrichira d’autres peuples (…) la France moderne, héritière du
XVIIIe siècle et de la Révolution, représente dans le monde un idéal qui a sa
valeur propre et qu’elle peut et doit répandre dans l’univers (…)Le pays qui a
proclamé les droits de l’homme (…) qui a fait l’enseignement laïque, le
pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté a (…) la
mission de répandre où il peut les idées qui ont fait sa propre
grandeur ».
6) Alors
que toute la philosophie qui animait ses membres reposait sur le contrat
social, la colonisation républicaine s’ancra sur une sorte de racisme
philanthropique établissant une hiérarchie entre les « races » et les
civilisations. Au nom de sa supériorité philosophique postulée, la république
française avait en effet un devoir, celui d’un aîné devant guider, grâce à la
colonisation, ses cadets ultra-marins non encore parvenus à « l’éclairage
des Lumières ».
7) Pour
ces hommes de gauche, la conquête coloniale n’était brutale qu’en
apparence puisqu’il s’agissait in
fine d’une « mission civilisatrice ». D’ailleurs, la république égalisatrice
n’avait-t-elle pas fait de même en
transformant les Bretons, les Occitans, les Corses et les Basques en
Français, c’est-à-dire en porteurs du message émancipateur universaliste? La
gauche républicaine coloniale se devait donc de combattre tous les
particularismes et tous les enracinements car il s’agissait d’autant de freins
à l’universalisme. Coloniser était donc un devoir révolutionnaire et
républicain. D’autant que la colonisation allait permettre de briser les
chaînes des peuples tenus en sujétion par les « tyrans » qui les
gouvernaient. La colonisation républicaine fut donc d’abord le moyen d’exporter
la révolution de 1789 à travers le monde.
Jusque
dans les années 1890, la position de la
droite monarchiste, nationaliste et identitaire fut claire : l’expansion
coloniale était une chimère détournant les Français de la « ligne
bleue des Vosges » et les aventures coloniales étaient donc considérées à
la fois comme une trahison et un ralliement aux idées républicaines. Le 11
décembre 1884, devant le Sénat, le duc de Broglie, sénateur monarchiste,
déclara ainsi :
« (…) Les colonies affaiblissent la patrie qui les fonde. Bien loin de la
fortifier, elles lui soutirent son sang et ses forces. »
Cet
anticolonialisme de droite fut bien représenté par Paul Déroulède et par
Maurice Barrès. Pour Déroulède, le mirage colonial était un piège dangereux
tendu par les ennemis de la France. Dans une formule particulièrement parlante,
il opposa ainsi la chimère de « la plus grande France »,
c'est-à-dire l’Empire colonial, qui menaçait de faire oublier aux Français le
« relèvement de la vraie France ».
En
dehors des milieux d’affaires « orléanistes » qui, à travers les
Loges, avaient adhéré à la pensée de Jules Ferry, la « droite » fut anticoloniale
quand la « gauche », à l’exception notable des radicaux de
Clemenceau, soutenait massivement l’expansion ultramarine.
Et
pourtant, quelques années plus tard, à quelques très rares exceptions, monarchistes,
nationalistes et catholiques se rallièrent à la vision coloniale définie par la
gauche républicaine, donc aux principes philosophiques qu’ils combattaient
depuis 1789… La fusion fut effective en 1890 quand, par le « toast
d’Alger », le cardinal Lavigerie demanda le ralliement des catholiques à
la République. La boucle révolutionnaire fut alors bouclée. Les Lumières
l’avaient emporté sur la Tradition.
Par
« devoir patriotique », la droite militaire et missionnaire partit alors
conquérir les « terres de soleil et de sommeil ». Elle s’y fit tuer avec
courage et abnégation, en ne voyant pas que son sang versé permettait la
réalisation des idéaux philosophiques de ses ennemis de toujours… Ces derniers demeurèrent
quant à eux confortablement en France, attendant de chevaucher ultérieurement les
chimères idéologiques de l’anticolonialisme au nom duquel ils dénonceront et combattront
férocement et implacablement une droite suiviste devenue coloniale quand eux ne
l’étaient plus…
En
parlant de « faute de la République » et non de faute de la France,
le président Macron a donc (involontairement ?), mis la gauche
républicaine face à ses responsabilités historiques. Car, et nous venons de le
voir, ce furent des républicains, des hommes de gauche, des laïcs et des
maçons, qui lancèrent la France dans l’entreprise coloniale qui l’épuisa, la
ruina et la divisa.
Leurs
héritiers qui dirigent aujourd’hui la France politique, judiciaire, médiatique
et « morale » ont curieusement oublié cette filiation. Plus encore, ayant
adhéré à une nouvelle idéologie universaliste, celle du
« village-terre » et de l’antiracisme, ils font réciter ad nauseam aux Français le credo de
l’accueil de « l’autre » afin d’achever de diluer les derniers
enracinements dans l’universel. Et ils le font au prétexte de la réparation de
la « faute » coloniale commise hier par
leurs maîtres à penser…
[1] Je développe cette idée dans mon livre « Mythes et manipulations de l’histoire africaine »
dimanche 15 décembre 2019
Que faisons-nous encore au Sahel où le changement de paradigme s’impose désormais ?
Un sondage édifiant vient d’être publié
au Mali : 82% des Maliens ont une opinion défavorable de la France, 77%
pensent qu’elle n’y défend militairement que ses intérêts, 62,1% considèrent que Barkhane doit quitter immédiatement le Mali et 73% estiment que la
France est complice des jihadistes…
Ce sondage confirme l’ampleur du
sentiment anti Français largement affirmé le 10 février 2019 à Bamako, quand,
devant plusieurs dizaines de milliers de partisans, l’imam wahhabite Mahmoud
Dicko déclara : « Pourquoi c’est la France qui dicte sa loi
ici ? Cette France qui nous a colonisés et continue toujours de nous
coloniser et de dicter tout ce que nous devons faire. Que la France mette fin à
son ingérence dans notre pays ».
Ce rejet de la France se retrouve également au Niger et au Burkina Faso
où des manifestations quasi quotidiennes demandent le départ de l’armée
française.
Au moment où la France engage la
fleur de sa jeunesse pour les défendre, les populations concernées demandent donc
le retrait de Barkhane... En même
temps, des dizaines de milliers de déserteurs maliens vivent en France où ils
bénéficient des largesses « néocoloniales » d’un pays devenu masochiste…
Dans ces conditions, puisque
notre présence n’y est pas désirée, et qu’elle y est même rejetée, que faisons-nous
encore au Sahel ? Allons-nous continuer à y exposer la vie de nos soldats
alors que la région totalise moins de
0,25% du commerce extérieur de la France, que les 2900 tonnes d’uranium du
Niger ne pèsent rien dans une production mondiale de 63 000 tonnes, et que
l’or du Burkina Faso et du Mali est extrait par des sociétés canadiennes,
australiennes et turques ?
Les Maliens, les Nigériens et les
Burkinabé ne veulent donc plus de la France ? Dont acte ! Les 10 milliards d’euros que nous leur donnons
annuellement en cadeau gracieux, et en pure perte, vont donc pouvoir être mis au service des
Français. Notamment dans les hôpitaux où 660 médecins menacent de démissionner
si l’Etat ne renfloue pas les caisses, alors que moins de 3 milliards
permettraient d’y régler définitivement tous les problèmes…
Ceci étant, puisque, au Sahel,
nous évoluons désormais en milieu hostile, pourquoi ne pas profiter de
l’opportunité offerte par l’ingratitude de ses populations pour enfin changer
de paradigme ?
Jusque-là, portant avec constance,
et même abnégation, le « fardeau de l’Homme blanc », nous y avons
combattu pour empêcher le chaos régional. Aujourd’hui, une question iconoclaste
doit être posée : et si nous partions en laissant se développer le
chaos?
Notre départ provoquerait certes une période d’anarchie, mais, à son
terme, les contentieux régionaux mis entre parenthèse par la colonisation et aggravés
par la démocratie auront été « purgés ». Pourrait ainsi naître l’indispensable
réorganisation politique et territoriale qui, seule, pourrait régler la crise
régionale en profondeur. Ce que refusent de faire les rentiers de
l’indépendance, ces sédentaires qui ne sont au pouvoir que parce qu’ils sont
électoralement plus nombreux que les nomades. Et cela parce que leurs femmes
ont été plus fécondes que celles des pasteurs, lesquelles eurent la sagesse
d’aligner leur développement démographique sur les possibilités offertes par le
milieu. Ces mêmes sédentaires qui demandent aujourd’hui le départ de Barkhane, ne voyant pas que le nouvel
ordre régional qui suivra ne se fera pas en leur faveur car les Touareg, les
Maures et les Peul auront en effet vite fait de les remettre sous leur coupe… comme
avant qu’ils en aient été libérés par l’ « odieuse »
colonisation…
Au lieu de continuer à chercher dans les jihadistes un « ennemi de
confort », regardons plutôt la réalité en face.
Au Sahel, nous ne sommes pas dans l’Indochine de 1953, avec la descente
de divisions entières du Vietminh vers Hanoï. Ici, nous avons face à nous
quelques centaines de combattants qui se meuvent dans un vivier de quelques
milliers de trafiquants abritant leur « négoce » derrière l’étendard
du Prophète. La frontière entre jihadistes « authentiques » et jihadistes
« opportunistes » est donc plus que floue. Quant aux alliances de
circonstance nouées entre les groupes,
elles sont cloisonnées par d’énormes fossés ethno-raciaux empêchant
l’engerbage.
Placées à la confluence de l’islamisme, de la contrebande, des rivalités
ethniques et des luttes pour le contrôle des ressources, Barkhane percute régulièrement les constantes et les dynamiques
locales, bloquant ainsi toute possibilité de recomposition politique et
territoriale.
Notre départ permettrait donc la
reprise de ce vaste mouvement des Maures,
des Touareg et des Peul bloqué hier par la colonisation. Comme je ne cesse de
le dire et de l’écrire depuis des années, et comme je l’explique dans mon livre
Les Guerres du Sahel des origines à nos jours, les nomades
guerriers touareg, maures ou peul, n’accepteront jamais que
l’ethno-mathématique électorale les soumette au bon vouloir des agriculteurs
sédentaires que leurs ancêtres razziaient. Or, depuis les indépendances, l’introduction
de la démocratie a fait qu’étant électoralement les plus nombreux, les sédentaires
sudistes ont voulu prendre une revanche historique.
Seul notre départ et l’abandon de notre
protection militaire leur fera - certes tragiquement -, comprendre qu’ils ne sont
pas de taille à vouloir dicter leur loi à ceux qui, avant la colonisation
libératrice, réduisaient leurs aïeux en esclavage.
Ces problématiques régionales millénaires étant à la source des
problèmes actuels, tout règlement de la crise sahélienne passe donc par leur
prise en compte et non par leur négation.
Une telle politique devrait impérativement passer par le recentrage de
notre ligne de défense sur la Méditerranée. D’où un renforcement de nos
capacités maritimes, ce qui ne devrait pas poser de problèmes financiers
puisque les 10 milliards d’euros que nous donnons annuellement aux pays du
Sahel représentent le coût de trois porte-avions.
Cette politique serait ancrée sur
un nouveau paradigme impliquant l’établissement de partenariats avec les pays
de l’Afrique du Nord qui seraient les premiers à subir les vagues migratoires
venues du sud. Dans ces conditions, la priorité serait de vider l’abcès libyen en
aidant les forces du général Haftar à prendre le contrôle du pays.
dimanche 8 décembre 2019
La France va-t-elle continuer à faire tuer ses soldats pour défendre des pays dans lesquels ils sont insultés?
Au
Sahel, alors que des soldats français tombent pour la défense de pays menacés
par le jihadisme, des manifestations désormais quasi quotidiennes accusent la
France de « néocolonialisme » et exigent le départ de l’armée
française… Une telle indécence a
conduit le président Macron à « convier » les chefs des cinq Etats du
G5 Sahel à une réunion d’ « éclaircissement »
qui se tiendra 16 décembre à Pau, base du 5e Régiment d’Hélicoptères de Combat, unité qui vient de subir de lourdes pertes
au Mali.
Lors
de ce sommet de la dernière chance, trois points devront être abordés :
1) Les
accusations de « néocolonialisme » portées contre la France doivent
cesser car :
- L’armée française ne combat pas au
Sahel pour des intérêts économiques puisque la région totalise moins de 0,25%
du commerce extérieur de la France. Elle ne combat pas davantage pour son
uranium. Sur les 63.000 tonnes extraites de par le monde, le Sahel n’en
produit en effet que 2900... Quant à l’or du Burkina Faso et du Mali, il est
extrait par des sociétés canadiennes, australiennes et turques. Au point de vue
économique, le Sahel est donc inexistant pour la France.
- La France consacre 0,43% de son PIB à
l’APD (Aide publique au développement), soit un peu plus de 12 milliards
d’euros en 2018 (7,8 mds de dons et 4,3 de prêts dont tout le monde sait qu’ils
ne seront jamais remboursés…). Les trois-quarts le sont à destination du Sahel,
soit 9 milliards d’euros directement pris dans la poche des contribuables
français. Soit le prix de trois porte-avions. Employée en France, cette somme colossale
aurait permis de régler définitivement la question du financement des hôpitaux
et de la Justice, tout en effaçant la dette de la SNCF…
Cependant, paraissant davantage
préoccupé par le sort des habitants du Zambèze que par celui de ses
compatriotes de la Corrèze, le gouvernement vient de décider, par oukase, de porter cette APD à 0,55% du
PIB de la France d’ici 2022… Les « restos du cœur » n’auront donc qu’à
s’adresser à la générosité publique…cependant que les « porteurs de
valises » continueront à parler de « néocolonialisme » !!!
2) L’armée
française n’a pas pour vocation de combattre à la place des Africains. C’est
ainsi que des dizaines de milliers de Maliens en âge de porter les armes vivent
en France, notamment à Montreuil, « deuxième ville du Mali ». Touchant
des subventions et percevant des allocations généreusement versées par le
« néocolonialisme » français, ils laissent nos soldats se faire tuer pour
eux… et à leur place. Le comble est
qu’au sein de cette diaspora, des blogs très suivis déversent quotidiennement des
tombereaux de haine sur la France et son
armée.
S’il
veut être crédible, le président Macron devra donc annoncer que les animateurs
de ces blogs, ainsi que leurs contributeurs les plus virulents seront expulsés de
France et remis à l’armée malienne pour incorporation éventuelle.
3) Trois
questions devront ensuite être posées aux chefs des Etats du G5 Sahel, plus particulièrement à ceux du Mali et du
Burkina Faso, le cas du Tchad étant différent car l’armée tchadienne a
loyalement et efficacement combattu aux côtés de nos forces :
- Combattons-nous le même ennemi ?
Si oui, vous devez en fournir rapidement la preuve.
- Désirez-vous le maintien d’une présence
militaire qui coûte à la France plus d’un million d’euros par jour ? Si
oui, il n’est plus question de tolérer les indécentes manifestations anti-françaises
qui se déroulent à Bamako et à Ouagadougou.
- Quels sont vos buts de guerre ?
S’il s’agit du retour à l’état antérieur, quand, adossés à l’ethno-mathématique
électorale, vous exploitiez vos minorités ethniques (Touareg et Peul), ce qui a
provoqué la guerre actuelle, alors, votre combat n’est pas le nôtre.
Les
guerres du Sahel ont en effet des causes historiques, politiques et anthropologiques
(voir à ce sujet mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours). Quant à l’actuel islamisme, il est d’abord la surinfection
de plaies ethno-raciales que les responsables politiques des pays du Sahel
refusent de fermer. Barkhane ne peut évidemment le faire à leur place, sa
présence n’ayant qu’un but : éviter la désintégration régionale.
dimanche 1 décembre 2019
L'Afrique Réelle n°120 - Décembre 2019
Sommaire
Actualité :
Vladimir Poutine enterre le « discours de la Baule »
- Le grand retour de la Russie en Afrique
- Une stratégie de désencerclement qui a commencé en Méditerranée
- La realpolitique russe en Afrique ne date pas d'aujourd'hui
Dossier :
Le suicide démographique de l'Afrique
- L’exception démographique africaine
- Le planning familial ou l’apocalypse
- Quand la démographie bloque le développement
- Le cas du Sahel
- Radiographie de l’explosion démographique de l’Afrique
Editorial de Bernard Lugan
Les derniers échos qui nous parviennent de Libye montrent que le retour de la Russie s’accélère et qu’il semble même se faire en « fanfare ».
Après ses succès en Syrie, la Russie parait en effet vouloir s’impliquer directement dans la question libyenne. Deux indices permettent de le penser :
1) Moscou vient d’envoyer des « conseillers militaires » afin d’épauler les forces du général Haftar. Vladimir Poutine aurait en effet très mal pris l’intervention des forces spéciales turques qui, il y a quelques semaines, avait empêché son allié de prendre Tripoli, la capitale libyenne. Depuis, via Misrata, Ankara a acheminé des chars, des drones et des hélicoptères.
2) Second indice, plusieurs responsables de Misrata, ville étroitement liée à la Turquie, auraient compris que l’intervention russe allait donner la victoire au général Haftar. Or, Misrata est détestée par les tribus kadhafistes qui combattent aux côtés du général. Ces dernières n’ont en effet pas oublié que ce furent les milices de cette ville qui lynchèrent ignominieusement le colonel Kadhafi après l’avoir sodomisé avec une baïonnette. Voilà pourquoi, Fathi Bachaga, ministre de l’Intérieur du GUN (Gouvernement d’union nationale) installé à Tripoli, et homme chargé de la défense de la capitale, aurait décidé de changer de camp et d’abandonner le GUN pour traiter avec le général Haftar. Afin de sauver l’autonomie, et peut-être même l’existence de la cité-Etat. Ce changement de politique sera-t-il accepté par les Frères musulmans qui dominent à Misrata et par leurs soutiens turcs ?
Si ces indices étaient confirmés, la Russie serait donc en position de « faiseur de paix ». Loin des palabres de la communauté internationale, elle aurait en effet décidé de trancher le nœud gordien en faisant éclater la baudruche GUN soutenue par l’ONU, l’UE et les Etats-Unis, pour la remplacer par un régime fort, seul capable de mettre au pas les centaines de milices qui se partagent la Tripolitaine. Une tâche ardue…
Les conséquences d’un tel renversement de situation se feraient alors sentir en Europe car les trafics de migrants à partir des ports libyens cesseraient. Mais également au Sahel où les jihadistes ne seraient plus ravitaillés en armes par la Turquie via Misrata. La tâche de Barkhane s’en trouverait alors simplifiée.
Prise dans le cercle hostile que l’OTAN tentait de refermer sur elle, en butte à des sanctions de la part des pays européens, la Russie brise donc peu à peu son isolement. En Afrique, elle se place au cœur des véritables structures de pouvoir et d’influence, à savoir les forces armées. Par la fourniture d’armes et des techniciens chargés de leur maintenance, Moscou prend le contrepied du diktat démocratique imposé à l’Afrique à la suite du discours prononcé à la Baule par François Mitterrand en 1990.
La recette de la Russie est simple : partir du réel, donc des vrais rapports de force, en tournant le dos à l’irréaliste préalable démocratico-humanitaire. La réalpolitique en un mot. Loin des jérémiades morales et des a-priori d’une classe politique européenne moribonde car corsetée dans les paradigmes imposés par les ONG, les médias, l’Otan et autres archipels de la « bien-pensance ».
jeudi 28 novembre 2019
Opération Barkhane : une mise au point nécessaire
Les pertes cruelles que
viennent de subir nos Armées -et qui ne seront hélas pas les dernières-, ont donné
à certains l’occasion de s’interroger sur le bien-fondé de la présence militaire
française au Sahel. Cette démarche est légitime, mais à la condition de ne pas
sombrer dans la caricature, les raccourcis ou l’idéologie.
J’ai longuement exposé
l’état de la question sur ce blog, notamment dans mon communiqué en date du 7
novembre 2019 intitulé « Sahel : et maintenant quoi
faire ?» , ainsi que dans les colonnes de l’Afrique Réelle et dans mon
livre Les guerres du Sahel des
origines à nos jours qui replace la question dans sa longue durée
historique et dans son environnement géographique. Je n’y reviens donc pas.
Cependant, trois points doivent être soulignés :
1) Dupliquées d’un logiciel datant des années 1960-1970, les accusations de néocolonialisme faites à la France sont totalement décalées, inacceptables et même indignes. Au Sahel, nos Armées ne mènent en effet pas la guerre pour des intérêts économiques. En effet :
- La zone CFA dans sa totalité, pays du Sahel inclus, représente à peine plus de 1% de tout le commerce extérieur de la France, les pays du Sahel totalisant au maximum le quart de ce 1%. Autant dire que le Sahel n’existe pas pour l’économie française.
- Quant à l’uranium du Niger, que de fadaises et de contre-vérités entendues à son sujet puisqu’en réalité, il ne nous est pas indispensable. Sur 63.000 tonnes extraites de par le monde, le Niger n’en produit en effet que 2900…C’est à meilleur compte, et sans nous poser des problèmes de sécurité que nous pouvons nous fournir au Kazakhstan qui en extrait 22.000 tonnes, soit presque dix fois plus, au Canada (7000 t.), en Namibie (5500 t.), en Russie (3000 t.), en Ouzbékistan (2400 t.), ou encore en Ukraine (1200 t.) etc..
- Pour ce qui est de l’or du Burkina Faso et du Mali, la réalité est qu’il est très majoritairement extrait par des sociétés canadiennes, australiennes et turques.
2) Militairement, et avec des
moyens qui ne lui permettront jamais de pacifier les immensités sahéliennes,
mais là n’était pas sa mission, Barkhane a réussi à empêcher la reformation d’unités jihadistes
constituées. Voilà pourquoi, pariant sur notre lassitude, les islamistes
attaquent les cadres civils et les armées locales, leur objectif étant de
déstructurer administrativement des régions entières dans l’attente de notre
départ éventuel, ce qui leur permettrait de créer autant de califats. Notre
présence qui ne peut naturellement empêcher les actions des terroristes, interdit
donc à ces derniers de prendre le contrôle effectif de vastes zones.
3) Nous sommes en réalité en présence de deux guerres :
- Celle du nord ne pourra pas
être réglée sans de véritables concessions politiques faites aux Touareg par
les autorités de Bamako. Egalement sans une implication de l’Algérie, ce qui,
dans le contexte actuel semble difficile. Si ce point était réglé, et si les
forces du général Haftar ou de son futur successeur tenaient effectivement le
Fezzan, les voies libyennes de ravitaillement des jihadistes auxquelles Misrata et la Turquie ne sont pas
étrangères, seraient alors coupées. Resterait à dissocier les trafiquants des
jihadistes, ce qui serait une autre affaire…
- Au sud du fleuve Niger les
jihadistes puisent dans le vivier peul et dans celui de leurs anciens
tributaires. Leur but est de pousser vers le sud afin de déstabiliser la Côte
d’Ivoire. Voilà pourquoi notre effort doit porter sur le soutien au bloc ethnique
mossi. Aujourd’hui comme à l’époque des grands jihad peul du XIXe siècle ( là
encore, voir mon livre sur les guerres du Sahel), il constitue en effet un môle
de résistance. Le renforcement des défenses du bastion mossi implique d’engager
à ses côtés les ethnies vivant sur son glacis et qui ont tout à craindre de la
résurgence d’un certain expansionnisme peul abrité derrière le paravent du
jihadisme. Cependant, si les jihadistes régionaux sont majoritairement Peul,
tous les Peul ne sont pas jihadistes. Ceci fait que, là encore, il sera
nécessaire de « tordre le bras » aux autorités politiques locales
pour que des assurances soient données aux Peul afin d’éviter un basculement
généralisé de ces derniers aux côtés des jihadistes. Car, et comme je l’ai
écrit dans un ancien numéro de l’Afrique
Réelle « Quand le monde peul s’éveillera, le Sahel s’embrasera ».
Il y a donc urgence.
Par-delà les prestations
médiatiques des « experts », une chose est donc claire : la paix
au nord dépend des Touareg, la paix au sud dépend des Peul. Tout
le reste découle de cette réalité. Dans ces conditions, comment contraindre les
gouvernements concernés à prendre en
compte cette double donnée qui est la seule voie pouvant conduire à la
paix ?
lundi 25 novembre 2019
L’affaire du « sabre d’el-Hadj Omar » : une restitution «modérément appréciée » par les Bambara, les Dogon, les Malinké, les Soninké, les Songhay, les Kunta… et les autres descendants des victimes du conquérant islamiste
Le 28 novembre 2017, en
voyage officiel au Burkina Faso, Emmanuel Macron déclara : « D’ici à
cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour des restitutions
temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique ».
Le 17 novembre 2019, à Dakar, cette forte parole
a connu un début de mise en pratique avec la remise officielle du « sabre
d’el-Hadj Omar » au président sénégalais Macky Sall -d’ethnie toucouleur
comme El-Hadj Omar-, par le Premier ministre français Edouard Philippe.
Or, cette première
« restitution » restera dans les annales du confusionnisme idéologico-historique
pour trois grandes raisons:
1) Cet objet
« africain » est en réalité un sabre d’infanterie de l’armée
française modèle 1821 forgé
à Kligenthal, en Alsace. Ainsi donc, dans l’Afrique « authentique »
et non encore « pillée » par la colonisation, l’on se battait déjà
avec des armes fabriquées en Europe…Singulière permanence de l’histoire…
2) En faisant cette remise
officielle, Edouard Philippe a certes honoré les autorités politiques du
Sénégal, mais en même temps, il a humilié celles du Mali, pays qui fut dévasté
par l’ancien possesseur de ce sabre.
3) En piétinant en toute
ignorance l’histoire régionale et sa complexe alchimie ethno-confrérique, la
France complique singulièrement la tâche de nos soldats de l’Opération Barkhane en butte à l’hostilité
grandissante des populations maliennes. Sans parler de l’insolite message adressé
aux populations concernées.
Un peu d’histoire est donc nécessaire.
Omar Tall dit el-Hadj-Omar créa
l’empire Toucouleur (ou Torodbe) sur les ruines des royaumes animistes de
l’actuel Mali, dont ceux des Bambara. Les Toucouleur, branche métissée des Peul,
se désignent sous le nom Haalpulaaren « ceux qui parlent le pulaar »,
la langue des Peul.
Omar Tall naquit vers 1796 dans
la région de Podor, au Fouta Toro, dans l’actuel Sénégal, au sein d’une famille
peul (fulbé) convertie à l’islam et membre de la confrérie kadiriya. Il adhéra ensuite
à la confrérie tijaniya, sa grande rivale, qui avait une interprétation
différente de l’islam, avant de partir pour vingt années de voyages qui le
menèrent en Arabie et en Afrique du Nord.
De 1830 à 1838, il
vécut dans l’empire peul de Sokoto où il se forma militairement. Revenu dans
l’actuel Sénégal, il fut nommé grand calife de la confrérie tijaniya et il
s’installa à Dinguiraye, près de Diourbel.
Vers 1852, il lança son jihad en s’attaquant aux peuples
animistes de la vallée du Niger. La principale résistance à ce jihad fut le fait des Bambara des
royaumes de Segou et du Kaarta dans l’actuel Mali qui avaient réussi à échapper
au précédent jihad peul, celui de
Seku Ahmadou. Etant demeurés animistes, ils allaient donc pouvoir être vendus
comme esclaves, but économique abrité
derrière le paravent de l’islamisation.
En 1856, El-Hadj Omar prit
Nioro la capitale du Kaarta. En juillet 1857 il tenta d’enlever Médine, poste
français très avancé situé sur le haut Sénégal, afin de s’ouvrir une voie vers
le sud, mais, au grand soulagement des populations du bas-Sénégal, il fut
défait par les troupes françaises commandées par le colonel Louis Faidherbe.
Il s’attaqua ensuite à
Ségou, la principale cité bambara qui fut prise et pillée en 1861. Suivi d’une
partie de son armée, le souverain bambara trouva refuge au Macina où régnait le
chef peul Ahmadou-Ahmadou, le petit-fils de Seku Ahmadou. La rivalité
religieuse confrérique (kadirya-tijanya) et économique, opposant les deux Haalpulaaren
se transforma en guerre ouverte. El-Hadj Omar l’emporta et conquit le Macina. En
1862, Hamdallahi, la capitale d’Ahmadou-Ahmadou fut prise.
Tout l’actuel Mali n’était
cependant pas conquis. C’est ainsi qu’à Tombouctou, ville contrôlée par le clan
arabe des Kunta, et dont le chef, El Bekay, était un notable de la confrérie kadiriya
rivale de la tijaniya, la résistance s’organisa. Craignant la conquête d’El-Hadj
Omar, El Bekay avait ainsi soutenu les Bambara avant d’entrer lui-même en
guerre. Ce fut d’ailleurs en le combattant qu’en 1864, El Hadj Omar trouva la
mort sur les plateaux de Bandiagara, en pays dogon.
Ceci fait que :
« Pour les Sénégalais, Umar et ses talibés
(disciples-guerriers) furent des héros de la cause islamique, des croisés
contre les infidèles. Les Maliens, quant à eux, perçoivent leurs ancêtres comme
des défenseurs face à un envahisseur qui masquait ses visées impérialistes et
sa cupidité sous le couvert de l’islam » (Robinson, D., La guerre sainte d’al-Hadj Umar. Le Soudan
occidental au milieu du XIX° siècle. Paris, 1988, page 317).
Résumé de la question :
1) A travers cette
« restitution », la France a distingué la mémoire d’un conquérant
« sénégalais » qui mit en coupe réglée les ancêtres de 90% de la
population de l’actuel Mali…et d’une partie de celle du Burkina Faso...
2) Aujourd’hui, les
descendants maliens et burkinabe des victimes de ce conquérant subissent les
attaques de jihadistes recrutant au sein
de certains des groupes qui, jadis, lui fournirent ses guerriers…
La restitution du
« sabre d’el-Hadj Omar » est donc un double « coup de
maître » politique rendu possible par la totale ignorance de
l’histoire régionale - y compris celle du non-dit de l’éclatement de la
Fédération du Mali (Sénégal-Soudan) au mois d’août 1960 -, par ceux qui
prétendent « gérer » la politique de la France en Afrique…[1]
L’on attend donc avec
curiosité les prochaines « restitutions ». En « pole position »
se trouve ainsi le Bénin où l’on suivra avec attention les
« remises » d’objets ayant appartenu à ses souverains esclavagistes, ainsi que les réactions des descendants des peuples qu’ils
capturèrent pour les vendre aux négriers européens…
[1] Pour tout ce qui concerne ces évènements et la complexe histoire régionale et les guerres opposant ses populations, on se reportera à mon livre « Les Guerres du Sahel des origines à nos jours » publié aux éditions de l’Afrique Réelle.
[1] Pour tout ce qui concerne ces évènements et la complexe histoire régionale et les guerres opposant ses populations, on se reportera à mon livre « Les Guerres du Sahel des origines à nos jours » publié aux éditions de l’Afrique Réelle.
mercredi 20 novembre 2019
vendredi 15 novembre 2019
Mort d’un esprit libre
Patrick
d’Hondt (Tepa) s’est éteint le 14 novembre dernier à l’âge de 48 ans. Après avoir mené une carrière de rappeur, il
lança en 2014 MetaTV, une web-télévision
« dissidente » qui connut un succès considérable. Puis, en 2017, sans
moyens, il lança le site Patriote.info qui fut, lui aussi, suivi par des
centaines de milliers d’internautes. Réalisant ses émissions dans son salon, avec
un seul technicien bénévole, il démontra qu’une structure plus que légère, mais
totalement originale, pouvait obtenir une considérable force de frappe. Atteint
d’un cancer, il suspendit ses émissions au début de l’année 2019.
Au
mois de décembre 2018, il avait invité Bernard Lugan pour une émission
consacrée à son livre « Mythes et manipulations de l’histoire africaine ». Ce véritable
courant d’air intellectuel a été suivi par 144 000 internautes.
jeudi 7 novembre 2019
Sahel : et maintenant, que faire ?
Au Sahel, dans la même
semaine, un militaire français a été tué, les armées du Mali et du Burkina Faso
ont subi plusieurs graves défaites, perdant plus d’une centaine de morts, cependant
que cinquante travailleurs civils employés d’une mine canadienne ont été
massacrés au Burkina Faso, un pays en phase de désintégration. Même si la
France annonce avoir tué un important chef jihadiste, la situation échappe donc
peu à peu à tout contrôle.
La réalité est que les Etats
africains faillis étant incapables d’assurer leur propre défense, le G5 Sahel étant une coquille vide et les
forces internationales déployées au Mali utilisant l’essentiel de leurs moyens
à leur autoprotection, sur le terrain, tout repose donc sur les 4500 hommes de
la force Barkhane.
Or :
1) Avons-nous des intérêts
vitaux dans la région qui justifient notre implication militaire ? La
réponse est non.
2) Comment mener une
véritable guerre quand, par idéologie, nous refusons de nommer l’ennemi ?
Comment combattre ce dernier alors-que nous faisons comme s’il était surgi de
nulle part, qu’il n’appartenait pas à des ethnies, à des tribus et à des clans pourtant
parfaitement identifiés par nos services?
3) Quels
sont les buts de notre intervention ? Le moins que l’on puisse en dire est
qu’ils sont « fumeux » : combattre le terrorisme par le
développement, la démocratie et la bonne gouvernance, tout en nous obstinant,
toujours par idéologie, à minorer, ou parfois même, à refuser de prendre en
compte l’histoire régionale et le déterminant ethnique qui en constituent
pourtant les soubassements ?
4) Les Etats africains
impliqués ont-ils les mêmes buts que la France ? Il est permis d’en douter…
L’échec est-il donc
inéluctable ? Oui si nous ne changeons pas rapidement de paradigme. D’autant
plus que le but prioritaire de l’ennemi est de nous causer des pertes qui
seront ressenties comme intolérables par l’opinion française.
Dans ces conditions, comment
éviter la catastrophe qui s’annonce ?
Trois options sont possibles :
- Envoyer au moins 50.000 hommes sur le terrain
afin de le quadriller et de le pacifier. Cela est évidemment totalement
irréaliste car nos moyens nous l’interdisent et parce que nous ne sommes plus à
l’époque coloniale.
- Replier nos forces. Barkhane est en effet dans une impasse avec des possibilités de
manœuvre de plus en plus réduites, notamment en raison de la multiplication des
mines posées sur les axes de communication obligés. Mais aussi parce qu’elle
consacre désormais une part de plus en plus importante de ses faibles moyens à
son autoprotection.
- Donner enfin à Barkhane les moyens « doctrinaux » de mener efficacement
la contre-insurrection. Et nous savons faire cela, mais à la condition de ne
plus nous embarrasser de paralysantes considérations « morales » et
idéologiques.
Cette troisième option reposerait
sur trois piliers :
1) Prise en compte de la
réalité qui est que la conflictualité sahélo-saharienne s’inscrit dans un
continuum historique millénaire et que, comme je le démontre dans mon livre
Les Guerres du Sahel des origines à nos jours, nous ne pouvons prétendre avec 4500 hommes
changer des problématiques régionales inscrites dans la nuit des temps.
2) Eteindre prioritairement le
foyer primaire de l’incendie, à savoir la question touareg qui, en 2011, fut à
l’origine de la guerre actuelle. En effet, si nous réussissions à régler ce
problème, nous assécherions les fronts du Macina, du Soum et du Liptako en les
coupant des filières sahariennes. Mais, pour cela, il sera impératif de « tordre
le bras » aux autorités de Bamako en leur mettant un marché en main :
soit vous faites de véritables concessions politiques et constitutionnelles aux
Touareg qui assureront eux-mêmes la police dans leur région, soit nous partons
et nous vous laissons vous débrouiller seuls. Sans parler du fait qu’il devient
insupportable de constater que le gouvernement malien tolère des manifestations
dénonçant Barkhane comme une force
coloniale alors que, sans l’intervention française, les Touareg auraient pris
Bamako…
3) Ensuite, une fois le foyer
nordiste éteint et les Touareg devenus les garants de la sécurité locale, il
sera alors possible de nous attaquer sérieusement aux conflits du sud en n’hésitant
pas à désigner ceux qui soutiennent les GAT (Groupes armés terroristes) et à armer et à
encadrer ceux qui leur sont hostiles. En d’autres termes, nous devrons opérer
comme les Britanniques le firent si efficacement avec les Mau-Mau du Kenya
quand ils lancèrent contre les Kikuyu, ethnie-matrice des Mau-Mau, les tribus hostiles
à ces derniers. Certes, les partisans éthérés des « droits de
l’homme » hurleront, mais, si nous voulons gagner la guerre et d’abord éviter
d’avoir à pleurer des morts, il faudra en passer par là. Donc, avoir à
l’esprit, que, comme le disait Kipling, « le loup d’Afghanistan se chasse avec le
lévrier afghan ». Il ne faudra donc plus craindre de dénoncer les
fractions Peul et celles de leurs anciens tributaires qui constituent le vivier
des jihadistes. Mais, en même temps, et une fois encore, il faudra imposer aux
gouvernements concernés de proposer une solution de sortie aux Peul.
Il sera alors possible
d’isoler les quelques clans donnant des combattants aux « GAT », ce
qui empêchera l’engerbage régional. Le jihadisme qui affirme vouloir dépasser
l’ethnisme en le fondant dans un califat universel se trouvera ainsi pris au
piège d’affrontements ethno-centrés et il pourra alors être réduit, puis
éradiqué. Restera la question démographique et celle de l’ethno-mathématique
électorale qui ne pourront évidemment pas être réglées par Barkhane.
Placées à la confluence de
l’islamisme, de la contrebande, des rivalités ethniques et des luttes pour le
contrôle de territoires ou de ressources, nos forces percutent régulièrement les constantes et les
dynamiques locales. Or, le chemin de la victoire passe par la prise en compte et par l’utilisation
de ces dernières. Mais encore faut-il les connaître...
lundi 28 octobre 2019
L'Afrique Réelle n°119 - Novembre 2019
Actualité :
- Nigeria : la montée en puissance du jihadisme
- Egypte-Ethiopie : la crise pour les eaux du Nil
Dossier :
Comprendre la crise algérienne
Polémique :
La grande ombre du général von Lettow-Vorbeck face à cette gauche qui n’en finit pas de faire la guerre aux morts
Editorial de Bernard Lugan
L’impasse algérienne
Trente-six semaines après le début de la protestation - le hirak -, alors que des dizaines d’opposants au régime militaire ont rejoint en prison des dizaines de notables du clan Bouteflika et que la police pourchasse les porteurs du drapeau berbère, le général Gaïd Salah a décidé que, coûte que coûte, les élections présidentielles auraient lieu le 12 décembre prochain.
En 2019, la candidature de la momie d’Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat a mis le feu aux poudres. La rue algérienne s’est alors massivement mobilisée, faisant oublier l’incroyable résilience dont elle avait fait preuve jusque-là. Or, ce mouvement n’était pas une simple contestation, mais une claire volonté de refondation en profondeur des institutions algériennes dans l’esprit du « congrès de la Soummam ».
Fin août 1956, en Kabylie, les représentants de 4 des 5 wilayas de l’intérieur avaient en effet discuté de l’avenir de la future Algérie indépendante. L’accord s’était fait sur trois grands points : primauté du politique sur le militaire, primauté des combattants de l’intérieur sur les structures politico-militaires de l’extérieur et refus de tout projet théocratique islamique. Le résultat fut qu’une guerre fratricide éclata à l’intérieur du mouvement nationaliste, ceux qui étaient réfugiés au Caire et à Tunis accusant les congressistes de la Soummam d’avoir réalisé un coup de force berbère. Ils rejetèrent donc ses conclusions et son concepteur, Abane Ramdane fut étranglé par les tenants de la ligne arabo-islamiste. Puis, ces derniers firent un coup de force durant l’été 1962. Aujourd'hui, leurs héritiers qui forment le cœur du « Système » ne veulent pas lâcher le pouvoir et ses « avantages » car ils craignent de devoir rendre des comptes.
Dans un premier temps, le « Système » a utilisé le mouvement pour éliminer à la fois le clan Bouteflika et le clan du DRS. En d’autres termes, au sein du « Système », le clan composé par le haut état-major, utilisa la rue pour se débarrasser de deux clans rivaux et concurrents. Petits « Machiavel », ils avaient cru qu’en mettant au cachot des personnalités honnies, les manifestants allaient s’estimer satisfaits et qu’il allaient leur donner quitus.
Puis, ils comprirent que la rue ne se satisfaisait pas de la mise en prison de plusieurs dizaines de dignitaires du clan Bouteflika, car, ce n’était pas la fin d’un clan dont elle voulait, mais celle de TOUS les clans composant le « Système ». A commencer par son cœur, celui des hauts gradés.
Le « Système » est donc dans une impasse. Comme il considère, du moins pour le moment, que les temps ne sont pas à l’épreuve de force, il n’a qu’un moyen pour tenter de sortir du piège dans lequel il est entré : organiser coûte que coûte une élection présidentielle, même parodique, afin de ne plus apparaître en première ligne face à la rue.
Or, cette dernière ne veut pas de cette élection et comme le « Système » ne peut pas céder à ses revendications, au risque d’ouvrir les vannes de la révolution, il y a donc désormais casus belli.
mardi 22 octobre 2019
23 octobre 1956 : le massacre oublié de Meknès
Bernard Lugan a écrit pour le site Herodote.net un article consacré au massacre des Européens de Meknès le 23 octobre 1956.
Pour le consulter :
https://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19561024&ID_dossier=87
Pour le consulter :
https://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19561024&ID_dossier=87
samedi 5 octobre 2019
Cours n°3 : Algérie, l'implosion d'un Etat sans nation
Pour comprendre l'implosion de l'Algérie, Bernard Lugan propose un cours vidéo illustré en ligne
Présentation
En s'appuyant sur les faits historiques, ce cours décrypte la double crise que traverse l'Algérie actuellement : une crise politico-économique et une crise identitaire.
« Depuis 1962, l’écriture officielle de l’histoire algérienne s’est appuyée sur un triple postulat :
- Celui de l’arabité du pays nie sa composante berbère ou la relègue à un rang subalterne, coupant de ce fait, l’arbre algérien de ses racines.
- Celui d’une Algérie préexistant à sa création par la France à travers les royaumes de Tlemcen et de Bougie (Bejaia) présentés comme des noyaux pré-nationaux.
- Celui de l’unité d’un peuple prétendument levé en bloc contre le colonisateur alors qu’entre 1954 et 1962, les Algériens qui combattirent dans les rangs de l’armée française avaient été plus nombreux que les indépendantistes.
En Algérie, ces postulats biaisés constituent le fonds de commerce des rentiers de l’indépendance. En France, ils sont entretenus par une université morte du refus de la disputatio et accommodante envers les falsifications, pourvu qu’elles servent ses intérêts idéologiques. Dans les deux pays, ces postulats ont fini par rendre le récit historique officiel algérien aussi faux qu’incompréhensible.
Plus de cinquante ans après l’indépendance, l’heure est donc venue de mettre à jour une histoire qui doit, comme l’écrit l’historien Mohamed Harbi, cesser d’être tout à la fois « l’enfer et le paradis des Algériens ».
Bande annonce
Pour visionner le cours, s'inscrire sur Les Cours de Bernard Lugan
Le cours est divisé en 6 parties (format HD) consultables pour une durée illimitée.
mardi 1 octobre 2019
L'Afrique Réelle n°118 - Octobre 2019
Sommaire
Actualité :
Zimbabwe : « Comrade Bob », dernier chef d’Etat marxiste et héros
africain
Dossier : Le Sahel central à la dérive
- Quelle est la vraie nature des guerres du Sahel ?
- Les trois principaux groupes jihadistes régionaux
- Burkina Faso : Le bloc mossi va-t-il tenir ?
- Les Européens face à l’islam jihadiste africain : une
totale incommunicabilité
Editorial de Bernard Lugan :
Comprendre l’embrasement sahélien
Dans le sahel centre-occidental, après le Mali et le Niger, le Burkina Faso se trouve désormais en première ligne face à des jihadistes-GAT (Groupes armés terroristes). La stratégie de ces derniers semble être de couper les villes de la brousse en jouant sur les fractures ethno-tribales. Tout en se plaçant à la confluence d’anciennes et mouvantes alliances rafraichies par de modernes apparentements.
Face à eux, les 4500 hommes de la force Barkhane, les 13 000 Casques bleus déployés au Mali et les fantômes de la force africaine G5 Sahel paraissent impuissants. Et, s’ils le sont, c’est parce que, coupés des réalités, leurs donneurs d’ordre appliquent des grilles d’analyse inadaptées :
Les « experts » parlent ainsi de combattre le terrorisme par le développement, la démocratie et la bonne gouvernance, tout en s’obstinant à minorer, ou parfois même, à refuser de prendre en compte l’histoire régionale et le déterminant ethnique.
La connaissance du milieu et des hommes, de leurs mentalités et de leur histoire, est pourtant indispensable à la compréhension des actuels évènements. C’est ainsi que dans les immensités sahéliennes, domaine du temps long, l’histoire nous apprend que l’affirmation d’un islamisme radical, a toujours été le paravent d’intérêts économiques ou politiques, le plus souvent à base ethnique.
Aujourd’hui, le jihadisme prospère sur des plaies dont il n’est que la surinfection.
Dans le sud du Mali, dans l’ouest du Niger, dans le nord et dans l’est du Burkina Faso, les massacres « communautaires » (traduction : ethniques), qui se multiplient, sont ainsi pour une grande part des résurgences de conflits anciens habilement réactivés par les GAT.
Avant la colonisation, les sédentaires étaient en effet pris dans une double tenaille prédatrice, Touareg au nord et Peul au sud. Au Mali, les principales victimes étaient notamment les Bambara et les Dogon. Au Burkina Faso, la constitution de l’émirat peul du Liptako se fit par l’ethnocide des Gourmantché et des Kurumba[1].
Or, ce sont ces souvenirs qui constituent l’arrière-plan des actuels affrontements. Les ignorer conduit à l’impasse.
D’autant plus que leur connaissance ouvre la voie de la contre-insurrection. Aujourd’hui, si les jihadistes tirent des avantages tactiques de ces affrontements, en revanche, leur stratégie s’en trouve bloquée. En effet, même si des alliances de circonstance sont nouées, les énormes fossés ethniques séparant les protagonistes empêchent l’engerbage. C’est même un phénomène contraire qui est apparu. Le jihadisme affirmait en effet vouloir dépasser l’ethnisme en le fondant dans un califat universel. Or, tout au contraire, il s’est trouvé pris au piège d’affrontements ethno-centrés. Là est sa faiblesse. Mais encore faut-il être capable de l'exploiter[2].
[1] Le numéro de juillet 2019 de l’Afrique Réelle contient un dossier consacré à la question du Gourma-Liptako et à la région dite des « Trois frontières ».
[2] Pour en savoir plus : Les guerres du Sahel des origines à nos jours ainsi que mon cours en ligne sur le Sahel.
vendredi 20 septembre 2019
La mort du président Ben Ali, l’homme qui avait sauvé la Tunisie de la révolution islamiste et qui l’avait sortie du sous-développement
La révolution tunisienne a éclaté
le 17 décembre 2010. Moins d’un mois plus tard, le 14 janvier 2011, lâché par
ses « amis » occidentaux auxquels il n’avait jamais rien refusé, et trahi
par l’état-major d’une armée qu’il n’avait cessé de combler, le président Ben
Ali était chassé du pouvoir et contraint à l’exil. En quelques semaines, la
Tunisie dilapida ensuite le capital confiance qu’il avait mis deux décennies à
constituer.
Né le 3 septembre 1936, diplômé
de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr et de l’école d’application de
l’artillerie de Châlons-sur-Marne, Zine el-Abidine Ben Ali fut chargé par le président Bourguiba de
la création de la direction de la sécurité militaire qu’il dirigea de 1964 à
1974. Il eut ensuite une carrière diplomatique comme attaché militaire au Maroc
puis en Espagne.
Au mois de janvier 1978, la
Tunisie étant alors en pleine insurrection, il fut rappelé pour être nommé chef
de la Sûreté générale, poste qu’il occupa jusqu’en 1980. Puis il redémarra une
carrière diplomatique comme ambassadeur en Pologne.
Après les graves émeutes du mois
de janvier 1984, il fut de nouveau rappelé. Tout alla ensuite très vite
puisque, le 23 octobre 1985, il fut nommé ministre de la Sûreté nationale, puis
ministre de l’Intérieur le 28 avril 1986. Il devint ensuite le secrétaire général adjoint du PSD (Parti socialiste destourien). Enfin, au
mois de mai 1987, sous le gouvernement de Rachid Sfar, il fut nommé ministre
d’Etat chargé de l’intérieur. Sa nomination comme secrétaire général du PSD en
fit le dauphin du président Bourguiba. Le 2 octobre 1987, ce dernier le nomma
Premier ministre.
Un mois plus tard, le 7 novembre
1987, appuyé sur l’expertise de sept médecins qui attestèrent de son incapacité
mentale, le général Ben Ali déposa Habib Bourguiba.
A l’époque, comme la Tunisie
était menacée d’effondrement, avec toutes les conséquences géopolitiques qui en
auraient découlé, l’accession au pouvoir du général Ben Ali fut unanimement
saluée. Sous sa ferme direction, la subversion islamiste fut jugulée et la
Tunisie devint un pays moderne attirant les investisseurs étrangers.
Se présentant comme le fils
spirituel de son prédécesseur, le général Ben Ali multiplia les gestes
d’ouverture démocratique. Le 25 juillet 1988, il abrogea ainsi la présidence à vie,
limita la présidence à trois mandats, imposa la limite d’âge de 65 ans pour les
candidats aux élections présidentielles et légalisa plusieurs partis
politiques. En 1989, il transforma le PSD en RCD (Rassemblement constitutionnel et démocratique).
Il fut pour une première fois élu
à la présidence de la République le 2 avril 1989, et étant seul candidat, il
recueillit plus de 99% des voix.
En 1991 le gouvernement fit état
de la découverte d’un plan islamiste visant à la prise du pouvoir et les
enquêteurs mirent au jour d’importantes ramifications dans la police et dans
l’armée. Des procès eurent lieu durant l’été 1992. Le parti islamiste
clandestin Ennahdha fut démantelé et
son chef, Rachid Ghannouchi se réfugia à
Londres d’où il organisa la subversion qui allait finir par emporter le régime
vingt ans plus tard.
Réélu à la présidence de la
République en 1994, puis en 1999, le général Ben Ali fut attaqué de toutes
parts en dépit des remarquables réussites économiques de la Tunisie. Même si de
fortes disparités sociales existaient toujours, en vingt ans, le régime Ben Ali
réussit en effet à transformer un Etat du tiers monde en un pays moderne
attirant capitaux et industries, en un pôle de stabilité et de tolérance dans
un monde nord-africain souvent chaotique.
Les Tunisiens qui étaient en
quelque sorte devenus des « privilégiés » n’acceptèrent alors plus de
voir leur expression politique muselée et ils réclamèrent des évolutions
démocratiques. A partir de l’année 2000, la contestation des intellectuels prit
alors de l’ampleur, cependant que le
président, mis sous influence par le clan affairiste gravitant autour de
sa seconde épouse, perdait de sa popularité.
Au début de l’année 2000, le
journaliste Taoufik Ben Brik entama une
grève de la faim qui eut un énorme retentissement médiatique en Europe.
Au même moment, les islamistes se montraient de plus en plus combatifs. Ainsi
le 11 avril 2002, quand ils firent exploser un camion piégé devant la synagogue
de la Ghriba à Djerba, tuant 19 personnes dont 14 touristes allemands.
C’est dans ce contexte de danger
islamiste que le président Ben Ali ralentit ou même revint sur le processus de
démocratisation qu’il avait initié. Mais, ce faisant, il accéléra encore
davantage la désaffection des élites citadines envers son régime.
Le 26 mai 2002, par référendum,
les Tunisiens approuvèrent que l’âge limite de candidature à la présidence de
la République soit repoussé à 75 ans et que les mandats présidentiels ne
soient plus limités à trois, ce qui permit au président Ben Ali de se faire
élire pour un quatrième mandat le 24 octobre 2004. Après les assurances données
en 1987, il venait donc de rétablir en quelque sorte la présidence à vie.
A partir de ce moment, la
contestation s’amplifia et les élites « bourgeoises » qui avaient
profité de l’essor économique du pays rompirent avec le régime, cependant que
la répression se durcissait au fur et à mesure de la montée des périls
islamistes.
Le 17 décembre 2010, un évènement
a priori secondaire qui se produisit à Sidi Bouzid mit le feu aux poudres. Il
s’agissait de l’immolation par le feu d’un vendeur à la criée qui refusait
d’être rançonné par la police. Or, cet homme qui était un chômeur diplômé
devint le symbole de la révolte de tout un peuple.
Le 28 décembre, n’ayant pas pris
la mesure du mouvement, le président Ben Ali s’exprima à la télévision et parla
des manifestants comme d’une « minorité d’extrémistes», ce qui amplifia
encore la révolte qui devint une révolution.
Cette dernière réussit car elle
fut la synthèse de tous les mécontentements : révolte contre l’arbitraire
de la police, révolte contre les inégalités sociales et révolte des nantis pour
des droits démocratiques. A ces trois éléments, et les utilisant avec habileté,
les islamistes donnèrent une cohésion et une organisation qui emporta le régime
sous les applaudissements béats de l’internationale des médias -notamment
français-, qui eut, comme de coutume, un rôle quasiment militant.
Ayant perdu le contrôle de la
situation, le président Ben Ali fut finalement trahi par l’armée, donc par les
siens, et le 14 janvier 2011, après 23 ans de pouvoir, il fut mis dans un avion
par le haut état-major et envoyé en exil en Arabie saoudite où il est mort
le 19 septembre dernier.