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vendredi 19 décembre 2014

Pourquoi François Hollande a-t-il décidé d'abandonner la Centrafrique à la Séléka ?

Les affrontements qui opposent actuellement anti-balaka et Séléka montrent que la Centrafrique est plus que jamais en perdition. Or, c'est le moment choisi par Paris pour annoncer que d'ici le printemps 2015, l'essentiel du dispositif Sangaris sera retiré. Une décision ahurissante et insolite tout à la fois. En effet :

1) Des élections présidentielles étant "prévues" en 2015, le retrait français va laisser le champ libre à la Séléka qui occupe déjà le centre, le nord et l'est du pays, ainsi que les zones minières. Dans les territoires qu'elle contrôle, les chrétiens sont persécutés ou islamisés et les élections seront "arrangées".

2) Comme les 8000 hommes du volapük militaire baptisé Minusca (Mission des Nations Unies pour la Centrafrique) seront incapables de se faire respecter, le pays va donc être de fait abandonné à la Séléka. L'Opération Sangaris n'aura donc finalement servi à rien.

Dans le dossier de la RCA, François Hollande a constamment tergiversé et accumulé les erreurs :

1) La première date de la fin de l'année 2012 (voir mes communiqués de l’époque) quand, avec peu de moyens, il était possible de « traiter » rapidement et efficacement les coupeurs de route de la Séléka[1]. Mais François Hollande hésita.

2) Au mois de mars 2013, alors que tous les connaisseurs du pays le pressaient d'agir, il laissa la Séléka prendre Bangui. La Centrafrique sombra alors dans le chaos cependant que les chrétiens - 95% de la population de souche -, étaient persécutés.

3) Début 2014, face au désastre humanitaire dont ses hésitations étaient la cause, François Hollande décida finalement d’intervenir mais en précisant que l'entrée en scène des forces françaises n'avait pas de but militaire... Nos troupes ne reçurent donc pas d'ordres clairs puisque ni l’ « ami », ni l’ « ennemi » ne furent désignés, Paris demandant simplement à nos soldats de jouer les « bons samaritains ».

4) Le déploiement de notre contingent se fit d'une manière insolite. Alors que l'objectif militaire prioritaire aurait dû être le verrou de Birao dans l'extrême nord du pays[2], il fut au contraire décidé d'enliser les forces françaises à Bangui dans une mission d'interposition relevant de la gendarmerie mobile. L'intérieur de la Centrafrique fut donc laissé à la Séléka qui eut tout le loisir d'y poursuivre ses massacres. L'actuelle situation catastrophique est clairement la conséquence de ce choix incompréhensible par tous ceux qui connaissent la Centrafrique car la prise de Birao aurait forcé la Séléka à se replier au Soudan et donc à abandonner le pays.

5) Dès le début de l’Opération Sangaris, au lieu de leur demander de détruire les bandes de la Séléka, Paris demanda à nos soldats de simplement séparer agresseurs et agressés, bourreaux et victimes. Alors qu’il fallait leur donner les moyens de sidérer l’adversaire et de saturer l’objectif, les chiches moyens alloués à nos troupes ne leur permirent que de lancer des patrouilles, non de quadriller et de tenir le terrain. L’impression d’impuissance fut accentuée par le fait qu’à Bangui, au lieu d’être désarmée, la Séléka voulut bien accepter d’être cantonnée...en conservant ses armes et en gardant ses gains territoriaux à travers le pays.

6) Alors que la solution était d'abord militaire, le Quai d’Orsay ne cessa d'affirmer que la résolution de la crise se ferait par la reconstruction de l’Etat à travers un mirage électoral prévu pour 2015. L’aveuglement des diplomates semble sans limite car le fossé de sang creusé entre nordistes et sudistes interdit toute reconstitution d’un « Etat » centrafricain lequel n'a d'ailleurs jamais existé ; sauf peut-être à l'époque de Bokassa. Quel administrateur sudiste osera en effet s’aventurer dans le Nord pour s’y faire massacrer et quel fonctionnaire nordiste décidera de venir se faire lyncher à Bangui ?

Aujourd’hui, après avoir désolé une grande partie de la RCA, les bandes de la Séléka tiennent plus de la moitié du pays. Les malheureuses populations occupées sont ainsi revenues aux temps des raids à esclaves lancés depuis le Soudan et dont leurs grands-parents avaient été délivrés par la colonisation. Elles avaient naïvement cru que les troupes françaises étaient venues pour les libérer. Leur illusion fut de courte durée car l'Elysée n'avait décidé qu'une gesticulation humanitaire sous habillage militaire.

Pourquoi un tel gâchis ? Pourquoi François Hollande abandonne-t-il au pire moment la Centrafrique à des bandes islamo-mafieuses qui vont être tentées d'en faire une base idéalement située au cœur du continent ? Pourquoi avoir décidé de lancer l'Opération Sangaris si c'était pour lui donner une fin aussi "discutable" ?
Ces questions sont sans réponse.

Bernard Lugan

[1] « La Séléka, une nébuleuse criminelle (…) une internationale criminelle organisée et prospère ». Rapport de la fédération internationale des droits de l’homme du mois de septembre 2013 intitulé « RCA : un pays aux mains des criminels de guerre de la Séléka ».
[2] Cette position clé avait été évacuée le 30 mars 2010 sur ordre du président Sarkozy.

mercredi 10 décembre 2014

Nelson Mandela, héros de Patrick Ollier, député-maire UMP de Rueil-Malmaison

Jadis, dans la "banlieue rouge", les maires communistes donnaient aux rues le nom de Gagarine, de Karl Marx, de Robespierre ou encore de Maurice Thorez. Aujourd'hui, dans la banlieue chic, les maires UMP baptisent des places du nom de Nelson Mandela. Les premiers avaient l'excuse de la croyance dans des lendemains qui allaient chanter quand les seconds sont simplement en génuflexion devant le conformisme médiatico-idéologique le plus niais.
Le 8 novembre 2014, Monsieur Patrick Ollier, député-maire UMP de la bourgeoise Rueil-Malmaison a ainsi bien mérité de la pensée unique. En ce jour anniversaire du débarquement allié en Afrique du Nord, ceint de tricolore et entouré de son conseil municipal, marchant avec une grande originalité dans les traces de nombreux maires socialistes, écologistes et communistes, il baptisa en effet une place de sa cité du nom de Nelson Mandela.
Au delà du minuscule calcul visant à grappiller quelques voix d'électeurs issus du "grand remplacement", une telle décision prise par un conseil municipal de "droite" en dit long sur le naufrage intellectuel d'un courant politique sans colonne vertébrale, sans points de repère et peut-être encore plus affligeant, sans mémoire.
Aussi, afin de "rafraîchir" celle de Monsieur le député-maire, je reproduis ici le communiqué que j'ai publié le  21 décembre 2013 sur le blog de l'Afrique Réelle :

"Un communiqué du SACP (South African Communist Party) en date du 6 décembre 2013 nous apprend officiellement ce dont l’on se doutait, mais qui n’avait jamais été réellement établi, à savoir que selon les propres termes du document,  le « camarade Nelson Mandela » était un haut dirigeant communiste puisqu’il « (…) ne faisait pas seulement partie du SACP, mais également de son Comité central ».
Pourquoi Nelson Mandela a-t-il toujours démenti, tant oralement que par écrit, avoir été membre du SACP ? Pourquoi donc a-t-il menti ?

Un retour en arrière s’impose. En 1960, quand Nelson Mandela fut nommé-coopté au Comité central du SACP, le monde était en pleine « guerre froide » et les soviétiques avaient décidé de menacer la route du Cap, vitale pour ce qui était alors l’ « Occident », en déstabilisant le pays qui en était le gardien, à savoir l’Afrique du Sud. Pour l’URSS, la lutte contre l’apartheid fut le moyen de populariser cette stratégie en lui donnant un « habillage » moral. La mission que le KGB confia alors à Nelson Mandela, fut de prendre le contrôle de l’ANC au profit du SACP en évinçant la vieille garde réformiste et non-violente qui le contrôlait, afin de lui faire adopter  la lutte armée.

Aidé par Yossef Mashel Slovo, dit Joe Slovo, un officier supérieur du KGB, Nelson Mandela s’acquitta parfaitement de ces deux missions. Il réussit ainsi à imposer la création de l’Umkhonto we Sizwe, l’aile militaire et terroriste de l’ANC dont il fut le premier chef. Il transforma également l’ANC en une simple courroie de transmission du SACP. En 1989, sur les 30 membres de son comité directeur, quatre ou cinq revendiquaient ainsi officiellement leur appartenance au SACP cependant que plus d’une vingtaine étaient des membres clandestins du parti ayant reçu l’ordre de cacher leur appartenance afin de ne pas effaroucher les « compagnons de route » et les « idiots utiles ». 

Le SACP a donc brisé un secret jusque là bien gardé et cela, au risque d’écorner le mythe Mandela. Pourquoi?
La réponse est d’une grande simplicité : le SACP est politiquement en perdition car il est perçu par les Noirs comme un parti archaïque « blanc » et « indien ». Or, depuis 1994, la vie politique sud-africaine repose sur un partage du pouvoir, donc des postes et des prébendes, entre l’ANC, le syndicat Cosatu et le SACP. Il s’agit de l’Alliance tripartite. Cette rente de situation est aujourd’hui fortement contestée par de nouvelles forces politiques noires demandant que les « dépouilles opimes » étatiques soient repartagées à la lumière de la véritable représentativité des uns et des autres. Afin de tenter de conserver sa place au sein de l’Alliance tripartite, le SACP à bout de souffle a donc révélé que le « grand homme » était un de ses dirigeants…
Ce misérable calcul boutiquier aura du moins un grand avantage car il permettra peut-être d’ouvrir les yeux à ceux qui pleurent un Nelson Mandela pacificateur-rédempteur alors qu’il était en réalité un agent du KGB, une « taupe communiste » dans le vocabulaire de la « guerre froide »…
Je souhaite donc un  bon réveil après l’hypnose à ceux qui ont cru voir en lui le messie d’une nouvelle religion universelle".

Monsieur Patrick Ollier et le conseil municipal UMP de Rueil-Malmaison semblent donc être toujours sous hypnose...Mais qu'importe, dans un peu plus de deux ans, leur famille politique sera probablement revenue aux affaires... Une famille politique aux solides convictions exprimées à l'Assemblée. Ainsi le 10 mai 2001, sous la présidence de Jacques Chirac, quand, à l’unanimité, ses députés votèrent la loi « Taubira », loi qui qualifie de « crime contre l’humanité » la seule traite esclavagiste européenne...
Ne boudant pas son plaisir devant la dhimitude doctrinale de la "droite" parlementaire, Christiane Taubira eut la cruauté de préciser que si sa loi votée à l'unanimité par les amis de Monsieur Ollier passe sous silence la traite arabo-musulmane, c'est afin que les « jeunes Arabes (…) ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes »[1].

Que les électeurs cocus sortent des rangs et avancent de trois pas...

Bernard Lugan
10/12/2014

[1] L'Express, 4 mai 2006.

vendredi 5 décembre 2014

L'Afrique Réelle N°60 - Décembre 2014


























SOMMAIRE :

Actualite :
La Libye a t-elle atteint le point de non retour ?

Dossier : Pétrole
- La nouvelle géopolitique du pétrole africain
- L'Europe et le pétrole africain

Livres :
Afrique, la guerre en cartes

Dossier : La Turquie et l'Afrique
- Pourquoi la Turquie s'intéresse t-elle à l'Afrique ?
- Quand la Libye était turque

Editorial de Bernard Lugan : Le vrai scandale d'Ebola

Les médias nous disent que si l'Afrique ne parvient pas à combattre Ebola c'est parce qu'elle manque de médecins. Faux ! L'Afrique a des médecins, mais ils ont émigré en Europe ou aux Amériques. Ceux qui furent formés en Afrique sont partis vers des cieux meilleurs et ceux qui le furent en Europe y sont restés... La vérité est que l’Afrique exporte ses personnels médicaux alors qu’en moyenne, elle compte moins de 15 médecins pour 100 000 habitants contre 380 en France[1].
En 2008, le Center for Global Development chiffrait à 135 000 les personnels médicaux africains (médecins, infirmiers et autres) exerçant hors d'Afrique, dont 28_000 médecins originaires d'Afrique sud-saharienne. S'il n'y a pas de médecins au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée et au Mali c'est parce que ces déserteurs ont abandonné leur continent pour aller s'employer dans les pays du Nord[2].

Les conséquences de ce scandale sont clairement apparues le 26 novembre 2014, quand, pour tenter d'enrayer la propagation d'Ebola, la Commission européenne proposa de mobiliser 5000 (!!!) médecins européens. Le Commissaire à l'Aide humanitaire, M. Andriukaitis déclara ainsi qu'il avait « (...) appelé les ministres de 14 Etats membres pour les exhorter à envoyer plus de personnel médical dans les pays frappés par Ebola ».
Avant de faire appel aux médecins européens, pourquoi M. Andriukaitis n'a t-il pas songé à exiger des milliers de médecins africains exerçant au sein de l'UE, de se porter volontaires pour aller soigner leurs frères dans le malheur ?

L'exemple d'Ebola n'est pas isolé. Impuissantes, les autorités de Madagascar qui font actuellement face à une épidémie de peste viennent de lancer un appel à l'aide à l'Europe alors que des centaines de médecins malgaches exercent dans les limites de l'UE. Rien qu'en France, ils sont 770 (!!!)[3]. Ne seraient-ils pas plus utiles dans leur pays ? Pour les remplacer, l'UE va donc devoir faire appel à des médecins européens. Comme toujours.

Cette question des médecins africains dans l'UE est révélatrice de ce « grand remplacement » qui se fait à tous les niveaux de la société et que certains considèrent comme un « fantasme ». En 2008, le président sénégalais Abdoulaye Wade la qualifia de « pillage des élites des pays en voie de développement », ajoutant « (...) ce n'est pas honnête de vouloir prendre nos meilleurs fils ».
Disons le clairement, cette nouvelle forme de la traite des Noirs, porte sur les plus précieux des Africains, ses diplômés, et elle se fait avec l’habituelle complicité des « gentils » de l’anti-ségrégation et des requins du capitalisme associés pour la circonstance. Au nom du paradigme de la culpabilité qui les hante, les premiers s’interdisent de voir qu’en les accueillant, ils saignent l’Afrique. Les seconds les encouragent à venir au nom des lois du marché, du travail global et de la mobilité de la main d’œuvre.
Madame Taubira et le Cran sont étrangement silencieux sur cette question. Pourquoi ?

[1] Center for Global Development (CGD), 2008.
[2] Contrairement à l'idée-reçue, ils ne vont pas combler le désert médical français, ce résultat d'une stupide et suicidaire politique de numerus clausus, puisqu'ils vont quasiment tous s'installer en ville, là où l'on ne manque pas de praticiens (Ordre des médecins, novembre 2014).
[3] Atlas national de la démographie médicale, Conseil de l'ordre des médecins, 4 juin 2013. Concernant les 19.762 médecins exerçant en France et titulaires de diplômes étrangers hors Union européenne, 31,5% étaient originaires d'Afrique du Nord dont 22,2% d'Algérie, 5,8% du Maroc, 2,5% de Tunisie et 1% d'Egypte.

mercredi 19 novembre 2014

Question à Madame Taubira, garde des Sceaux : comment la justice française va-t-elle réagir alors qu'à la veille d'être interrogés, les témoins du juge Trévidic sont "liquidés" ?

Deux témoins du juge Trévidic ne témoigneront plus. Le colonel Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements extérieurs de Paul Kagamé prétendait prouver au juge l'implication de ce dernier, dans l'assassinat du président Habyarimana; il fut étranglé le 31 décembre 2013 dans sa chambre d’hôtel de Johannesburg. Emile Gafarita, l'un des trois membres du FPR qui transportèrent depuis l'Ouganda jusqu'à Kigali les missiles qui abattirent l'avion du président Habyarimana a été enlevé à Nairobi le 13 novembre 2014. Il n'a pas réapparu depuis.
Tous deux étaient à la veille d'être auditionnés par les juges Trévidic et Poux qui enquêtent sur l'attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie au président Habyarimana, assassinat qui fut le déclencheur du génocide du Rwanda.

Après le meurtre de Patrick Karegeya, le général Kagamé avait prévenu : "Celui qui trahit son pays, celui qui trahit le Rwanda, quel qu'il soit, ne peut pas s'en sortir sans payer le prix". 
La semonce était claire et nul ne pouvait ignorer que la vie d'Emile Gafarita serait menacée si sa volonté de témoigner contre son ancien chef venait à être connue. Dans une procédure de réouverture d'instruction, le résumé de ce qu'il allait dire au juge étant en théorie normalement accessible aux avocats, le général Kagamé avait bien conscience des conséquences mortelles de telles déclarations pour son régime.
Malgré cela, la justice française a été incapable de protéger ce témoin essentiel puisque ses ravisseurs ont été prévenus qu'il était depuis quelques semaines à Nairobi où il vivait clandestinement sous un nom d'emprunt dans l'attente de son départ pour la France afin d'y être entendu par le juge Trévidic. 

Qui a livré l'adresse secrète d'Emile Gafarita à ses ravisseurs, se rendant ainsi complice d'enlèvement, probablement de torture et peut-être d'assassinat ? La convocation à comparaître devant le juge Trévidic est en effet directement arrivée chez son avocat français chez qui il était domicilié, or, ne connaissant pas son adresse au Kenya, ce dernier lui a transmis la convocation du juge par mail.

Une enquête administrative s'impose car il n'existe que trois hypothèses :

1) Celle d'une fuite au niveau du cabinet du juge,
2) Celle d'une interception des communications de l'avocat français par les ravisseurs,
3) Celle d'une fuite au niveau de l'ambassade France à Nairobi, cette dernière étant probablement chargée d'organiser le voyage du témoin.

Dans son livre La France dans la terreur rwandaise (Editions Duboiris, 2014, page 302), le journaliste Onana rapporte de graves propos tenus par le colonel Karegeya peu avant son assassinat : " (...) tout ce que fait votre juge (Trévidic) se trouve dans les médias, même les noms des témoins qui peuvent ainsi être retournés par Kigali ou assassinés".

L'affaire qui est gravissime n'est plus du niveau du juge Trévidic, mais de celui de Madame Taubira et du Quai d'Orsay. La France peut-elle en effet, et cela sans réagir, laisser ainsi "liquider" des témoins qui s'apprêtent à parler à un juge anti-terroriste ? Le silence des autorités françaises étant à ce jour assourdissant, la question doit être posée ; compte tenu de la gravité de l'évènement, il serait logique qu'elle le soit par des députés. 

Même si l'enlèvement d'Emile Gafarita porte un coup très sévère à la crédibilité de la lutte anti-terroriste française, il n'anéantit pas pour autant l'instruction en cours sur l'attentat du 6 avril 1994.
Le juge Trévidic qui a succédé au juge Bruguière en 2007 n'est en effet pas désarmé car son dossier contient les nombreux éléments rassemblés par son prédécesseur: témoignages, numéros de série des missiles (respectivement 04-87-04814 et 04-87-04835) qui faisaient  partie d’un lot de 40 missiles SA 16 IGLA livrés par l'URSS à l’armée ougandaise quelques années auparavant, lieu du tir des missiles, marque et couleur des véhicules utilisés pour transporter ces derniers depuis l’Ouganda jusqu’au casernement de l’APR situé au centre de Kigali et de là jusqu’au lieu de tir à travers les lignes de l’armée rwandaise, ainsi que le déroulé de l’action. Emile Gafirata, le témoin enlevé à Nairobi allait  raconter au juge comment il avait véhiculé ces missiles depuis l’Ouganda.
En juillet 2013 puis en janvier 2014, le juge Trévidic a pu interroger Jean-Marie Micombero, ancien secrétaire général au ministère rwandais de la Défense et qui, le 6 avril 1994, était affecté à une section chargée du renseignement dépendant directement de Paul Kagamé ; le témoin  lui a donné les noms des deux membres de l'armée de Paul Kagamé qui, le 6 avril 1994, tirèrent les deux missiles qui abattirent l’avion présidentiel. Il a également livré nombre de détails sur les préparatifs et sur le déroulement de l’attentat [1]. Ces déclarations recoupaient en les confirmant celles recueillies en leur temps par le juge Bruguière auprès d’autres témoins.

Relais constant des thèses du régime de Kigali, la presse française n'a fait aucun écho au scandale judiciaire et humain que constitue l'enlèvement d'Emile Gafirata venant après l'assassinat du colonel Karegeya. C'est pourquoi j'invite les lecteurs de ce blog à donner toute la publicité nécessaire à ce communiqué [2].  

Bernard Lugan
19/11/2014

[1] Voir à ce sujet l’interview recueillie par Pierre Péan intitulée « J’ai assisté à la préparation de l’attentat qui a déclenché le génocide » (Marianne numéro du 28 mars au 3 avril 2014). Pour l'état des connaissances, on se reportera à B. Lugan (2013) Rwanda : un génocide en questions. Le Rocher.
[2] Ils pourront également visionner un documentaire de la BBC qui, pour la première fois, présente une analyse objective du génocide du Rwanda et des vraies responsabilités concernant son déclenchement : Rwanda's Untold Story http://vimeo.com

vendredi 14 novembre 2014

L'Algérie au bord du gouffre


La nouvelle hospitalisation du président Bouteflika intervient à un moment critique pour une Algérie frappée au coeur par l'effondrement du prix du pétrole. En effet, si la bombe sociale algérienne n'a pas encore explosé, c'est grâce à la manne pétrolière qui permet à l'Etat de subventionner pour 60 milliards de dollars par an la consommation des "classes défavorisées". A cette somme, il convient d'ajouter 20% du budget de l'Etat qui est consacré au clientélisme. Un exemple : avec 6% de toutes les dotations ministérielles, le budget du ministère des Anciens combattants est  supérieur à ceux de l'Agriculture (5%) et de la Justice (2%).
Avec un pétrole à 85 ou même à 80 dollars le baril, il va donc falloir tailler dans les subventions, ce qui va bousculer les équilibres sociaux et politiques.
Etat des lieux d'un pays qui risque d'exploser à tout moment.

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vendredi 31 octobre 2014

L'Afrique Réelle N°59 - Novembre 2014


























Sommaire :

Actualité :
- L'Algérie est-elle au bord du précipice ?
- Mozambique : la coupure nord-sud s'accentue

Livres :
Afrique : la guerre en cartes

Rwanda :
Le TPIR confirme sa jurisprudence : le génocide n'était pas programmé.

Préhistoire :
L'Afrique n'est pas le berceau de toute l'humanité


Editorial de Bernard Lugan :

A en croire les médias, l'Afrique serait sur le point de « démarrer » puisque son taux moyen de PIB est supérieur à celui du reste du monde. Or, il ne s'agit là, hélas, que d'une illusion fondée sur des chiffres qui ne tiennent aucun compte des tensions, des problèmes politico-ethniques, des héritages et des divers blocages que connaît le continent.

En dépit des effets d'annonce, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, la situation africaine est en réalité apocalyptique :

- la « bonne gouvernance » n'y a pas mis fin aux conflits,
- la démocratie n'y a résolu aucun problème,
- les crises alimentaires sont de plus en plus fréquentes,
- les infrastructures de santé ont disparu,
- l'insécurité y est généralisée,
- la pauvreté y atteint des niveaux sidérants. En 15 ans, le nombre de pauvres est ainsi passé de 376 millions à 670 millions ; il a donc doublé.

Nous voilà loin de la « méthode Coué_». Quatre grandes raisons expliquent ces échecs :

1) La priorité donnée à l'économie. Dans tous les modèles proposés ou imposés à l’Afrique sud saharienne, l’économie est toujours mise en avant. Or les vrais problèmes du continent ne sont pas fondamentalement économiques, mais politiques, institutionnels, ethniques et sociologiques.

2) Le refus d'admettre la différence car les Africains ne sont pas des Européens pauvres à la peau noire. Comme le dit le proverbe congolais: « l'arbre qui pousse sur les bords du marigot ne deviendra jamais crocodile ».

3) Le diktat démocratique imposé à l'Afrique a eu pour résultat la destruction de ses corps sociaux et le triomphe de la mathématique électorale, le pouvoir revenant automatiquement aux ethnies les plus nombreuses, ce que j’ai défini comme étant l’ethno mathématique électorale.

4) La démographie insensée et suicidaire qui va plus vite que la création des infrastructures, va provoquer de véritables cataclysmes dont il est difficile d'imaginer l'ampleur.

De plus, ne perdons pas de vue que la courbe de croissance africaine n'est que la conséquence des prix, par définition fluctuants, des matières premières; elle est donc à la fois fragile et artificielle. Cette croissance n'étant pas homogène, la différence est considérable entre les pays producteurs de pétrole ou de gaz et les autres. Enfin, les hydrocarbures font peut-être enfler les courbes de croissance, mais ils n'empêchent pas la faillite économique et sociale. Les exemples du Nigeria et de l'Algérie sont éloquents à ce sujet.

jeudi 9 octobre 2014

Réflexions sur les "Rebelles"

A propos du Salon du livre d'Histoire de Blois

Le Salon du livre d'Histoire qui se tiendra à Blois du 10 au 12 octobre aura pour thème les Rebelles. Je n'aurai pas la cruauté de donner ici les noms de certains invités que les organisateurs considèrent comme dignes de figurer parmi cette estimable mais très restreinte phalange...
Puisque, dans l'affadissement général et la dévirilisation ambiante, l'image des Rebelles fait fantasmer, je vais évoquer ici Dominique Venner qui fut, lui, un vrai rebelle et dont le dernier livre[1] publié après sa mort porte en sous-titre : Le Bréviaire des insoumis.

Engagé volontaire en Algérie, militant de choc et de raison, Dominique Venner comprit dès la décennie 1960 que l’excès d’intellectualisme est à la fois source d'inaction et de divisions artificielles, que les controverses du présent divisent et que les solutions proposées par la vieille droite ne permettent pas de faire face aux dangers mortels qui menacent nos peuples européens.
Pour lui, il était donc nécessaire d’ancrer nos réflexions sur la roche mère, à travers un bond traversant les siècles afin de renouer avec notre commune matrice européenne. D’où son constant  recours à Homère.
Cependant, cette démarche n’était pas chez lui synonyme de repli dans une tour d’ivoire, dans un douillet cabinet coupé des fracas du monde. Tout au contraire et il l’a bien expliqué :

« Je crois aux bienfaits  d’une pensée radicale. En dépit de tous ses travers, elle favorise le dynamisme de la pensée. Je crois également aux bienfaits formateurs de tout militantisme  radical (…) sans  cette expérience excitante et cruelle, jamais je ne serais devenu l’historien méditatif que je suis devenu ».

Dominique Venner devenu un historien méditatif ne cessa jamais d’être un rebelle engagé. Dans le Cœur rebelle il écrit à ce propos :

« Comment peut-on être rebelle aujourd’hui ? Je me demande surtout comment on pourrait ne pas l’être ! Exister, c’est combattre ce qui me nie. Etre rebelle, ce n’est pas collectionner les livres impies, rêver de complots fantasmagoriques ou de maquis dans les Cévennes. C’est être à soi-même sa propre norme. S’en tenir à soi quoiqu’il en coûte. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre tout le monde à dos que se mettre à plat ventre. Pratiquer aussi en corsaire et sans vergogne le droit de prise. Piller dans l’époque tout ce que l’on peut convertir à sa norme, sans s’arrêter sur les apparences. Dans les revers, ne jamais se poser la question de l’inutilité d’un combat perdu »

Nous voilà loin des prétendus "rebelles" de Blois...

A travers ces lignes, l’on retrouve un autre livre majeur de Dominique Venner, Baltikum, ouvrage qu’il publia en 1974, soit moins de dix ans après  son retrait de la vie militante. La dédicace qu’il me fit alors est particulièrement éclairante :« Pour Bernard Lugan, aux porteurs maudits de forces créatrices ».

Que voulait dire Dominique Venner avec cet envoi ? A travers l’épopée des corps-francs de la Baltique, c’était un puissant message qu’il adressait à ses lecteurs, montrant que, quand tout se délite, comme aujourd’hui, rien n’est perdu tant que subsiste l'esprit rebelle, ce « germe d’ordre au sein du chaos ».
Avant lui, Jacques Benoît-Méchin avait bien exprimé cette idée  dans le tome I de son Histoire de l’armée allemande :

« Lorsque l’armée impériale s’était volatilisée dans cette fournaise chauffée à blanc qu’était l’Allemagne révolutionnaire, les corps francs s’étaient constitués spontanément autour de quelques chefs résolus. Ils avaient pris eux-mêmes l’initiative de l’action, décidés à périr plutôt que de subir ».

Dominique Venner est allé plus loin que Benoît-Méchin car il a montré qu’existaient deux catégories d’hommes parmi ceux qui, rentrant du front, se virent confrontés au bolchevisme et à l’anarchie.
Tous partageaient les mêmes idées, tous sortaient du même moule, tous avaient survécu aux mêmes épreuves et aux "Orages d'acier", mais seule une minorité s’engagea dans l’aventure des corps francs.

Ce qui les distinguait, ce n’était pas une idéologie, mais une différence de tempérament. Les premiers étaient des conservateurs mus par cet esprit « bourgeois » qui n’est jamais moteur de l’histoire. Au mieux peuvent-ils être occasionnellement des suivistes à la fiabilité volage.
Les seconds étaient les Réprouvés, les modernes condottieri, les Rebelles en un mot; il ne leur manqua d'ailleurs que l’ « imprévu de l’histoire » pour sortir vainqueurs de la tourmente.

En écrivant leur épopée, Dominique Venner a montré que la vraie rébellion est créatrice, jamais nihiliste, encore moins contemplative ou narcissique et que, grâce aux Rebelles, il existera toujours un recours ultime.
Quand l’autorité s’est délitée, quand les repères sont perdus, quand le plus grand nombre désespère, quand  certains se laissent aller à des sentiments morbides en voyant dans la défaite une pénitence divine, alors, se lèvent de petits groupes sachant ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont et ce qu’ils veulent. Rassemblés derrière un chef figure de proue alliant éthique et esthétique, ils sont les Rebelles.

Rebelle et insoumis, Dominique Venner nous a transmis les principes fondamentaux de la triade homérique :

La nature comme socle
L’excellence comme but
La beauté comme horizon

Voilà ce qu’est l’esprit rebelle ! L'on conviendra sans mal qu'il n'a qu'une très lointaine parenté avec l'ersatz de Blois.

Bernard Lugan

[1] Un samouraï d'Occident: le bréviaire des insoumis.

samedi 4 octobre 2014

L'Afrique Réelle n°58 - Octobre 2014


























Sommaire
  
Actualité :
 - Algérie : la crise s'aggrave
- Menaces sur le Cameroun
- Afrique du Sud : l'Apartheid à rebours

Economie :
L'Afrique ne décolle pas

Défense :
L'Afrique, un continent qui s'arme


Editorial de Bernard Lugan :
Le bilan africain de Nicolas Sarkozy

George Bush désintégra l'Irak et Nicolas Sarkozy la Libye, deux pays qui étaient des remparts contre l'islamisme. La Libye du colonel Kadhafi était, de plus, devenue un partenaire essentiel dans la lutte contre la déferlante migratoire venue de la mer, phénomène si bien annoncé par Jean Raspail dans son prophétique Camp des Saints.
Si George Bush n'a plus d'avenir politique, Nicolas Sarkozy ambitionne quant à lui de revenir aux Affaires. Le bilan africain de son premier mandat doit donc être fait. Il est catastrophique et tient en sept points :

1) Le plus grave par ses conséquences régionales fut la guerre incompréhensible qu'il déclara au colonel Kadhafi après qu'il l'eut pourtant reçu avec tous les honneurs. Nicolas Sarkozy devra répondre à trois questions :
- Pourquoi outrepassa-t-il le mandat international prévoyant une zone d'exclusion aérienne dans le seul secteur de Benghazi pour le transformer en une guerre totale ?
- Pourquoi refusa-t-il toutes les options de sortie de crise proposées par les chefs d'Etat africains, exigeant au contraire d'une manière obstinée la destruction pure et simple du régime libyen ?
- Pourquoi, alors que le colonel Kadhafi venait de réussir à se sortir du piège de Syrte, fit-il tronçonner son convoi par l'aviation, le livrant ainsi aux islamo-gangsters de Misrata qui le mirent ignominieusement à mort ?

2) Le plus irresponsable pour l'avenir de la France est d'avoir, par petit calcul électoral, et sans consultation préalable du peuple français, transformé Mayotte en département. Dans ce Lampedusa d’outre-mer qui vit des prestations versées par les impôts des métropolitains, la maternité de Mamoudzou met au monde chaque année 7000 jeunes compatriotes, dont 80% nés de mères immigrées originaires de toute l’Afrique orientale et jusqu’à la cuvette du Congo. Juridiquement, il n’existe plus aucun moyen de revenir au statut antérieur qui permettait de maintenir cette île de l’océan indien dans l’ensemble français sans avoir à subir les conséquences dramatiques de la départementalisation.

3) Le plus indécent fut la façon dont, en Côte d'Ivoire, il intervint directement dans la guerre civile en hissant au pouvoir son ami et celui de la Banque mondiale, le très mal élu Alassane Ouattara, prolongeant ainsi toutes les conditions des futures crises.

4) Le plus insolite fut son « discours de Dakar », dans lequel il osa déclarer que si l'Afrique n'est, selon lui, pas entrée dans l'histoire, c'est parce qu'elle ne s'est pas soumise au dogme démocratique...

5) Le plus scandaleux fut sa gestion du dossier rwandais quand, influencé par son ministre Bernard Kouchner, il ne conditionna pas le rapprochement diplomatique entre Paris et Kigali au préalable de l'abandon des accusations fabriquées par Paul Kagamé contre l'armée française.

6) Le plus symptomatique fut son alignement sur les Etats-Unis, politique illustrée par un vaste désengagement, de Djibouti à Dakar, avec pour résultat de laisser le Sahel à Washington. Il aura fallu un président socialiste pour que la France fasse son grand retour dans la région...

7) Le plus incompréhensible, conséquence du point précédent, fut son refus d'intervention au Mali. Pourquoi laissa t-il les islamistes se renforcer puis coiffer les Touareg du MNLA alors que nos intérêts nationaux, notamment en ce qui concerne l'uranium du Niger, étaient directement engagés dans la région ?

mardi 30 septembre 2014

Afrique, la guerre en cartes


























Afrique, la guerre en cartes
- 300 pages
- 100 cartes couleur quadrichromie
- Format A4
- Uniquement disponible via l'Afrique Réelle

Présentation :
En étudiant les guerres africaines d'aujourd'hui et celles de demain, c'est un outil d'analyse et de prospective sans équivalent que publie Bernard Lugan.
Ce très bel atlas de 300 pages et de 100 cartes, le tout en quadrichromie, est divisé en deux grandes parties. La première traite des guerres qui ravagent actuellement le continent africain et elle les explique. Dans la seconde sont annoncés et cartographiés les conflits de demain, ceux des décennies à venir, avec la mise en évidence des causes de leur déclenchement.
Le format A4 de cet ouvrage permet une parfaite lisibilité des cartes qui ont en vis-à-vis leurs notices d'explication.
Cet outil exceptionnel de documentation et de référence a été construit à partir des cours que Bernard Lugan donne à l'Ecole de Guerre et aux Ecoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Voilà qui explique à la fois son parti-pris résolument concret, loin des idéologies ou des propos convenus, et sa vocation d'être directement utilisable par tous ceux qui, civils ou militaires, sont concernés par l'Afrique.
Cet ouvrage est publié par les éditions de l'Afrique Réelle. Il est exclusivement disponible sur commande (voir le bon de commande au verso). Il sera disponible au début du mois de novembre 2014 mais il est possible de le commander dès maintenant.

mardi 2 septembre 2014

L'Afrique Réelle n°57 - Septembre 2014


























Sommaire

Actualité :
- Libye-Nigeria : deux situations hors contrôle
- Le sommet USA-Afrique : grands mots, promesses creuses, arrogance, égoïsme et hypocrisie

Rwanda :
Trois questions sans réponse à propos du génocide

Dossier : Centrafrique
- Quand la colonisation libérait les populations du sud du Tchad et de la Centrafrique
- Une histoire contemporaine chaotique
- L'engrenage fatal (2011-2014)
- Quel président pour la nouvelle Centrafrique ?

Editorial de Bernard Lugan :

Deux trous béants se creusent actuellement sous nos pieds, l'un en Libye, l'autre au Nigeria. Le premier qui est ouvert à nos portes menace d'engloutir l'Egypte, la Tunisie et l'Algérie ; le second va immanquablement déstabiliser la zone tchado-nigériane.

Le chaos libyen a un responsable dont le nom est Nicolas Sarkozy. Pourquoi ce dernier a t-il cédé aux chants de la sirène BHL ? Pourquoi a-t-il fait de l'armée française le bras armé du Qatar ? Pourquoi, et alors qu'il avait été mis en garde solennellement, notamment par le président Idris Déby Itno, a-t-il décidé de disloquer le fragile équilibre politico-tribal libyen ? Pourquoi a-t-il obstinément refusé les médiations de l'Union africaine ? Pourquoi a-t-il rejeté le plan de sortie de crise proposé par Jacob Zuma qui passait par le retrait du colonel Kadhafi et le transfert du pouvoir à son fils Seif al-Islam ? Pourquoi l'ordre fut-il donné à l'aviation française de tronçonner son convoi, le livrant ainsi à ses bourreaux de Misrata qui le sodomisèrent avec une baïonnette, crevèrent les yeux et coupèrent les mains et les pieds d'un de ses fils ?
L'histoire lèvera peut-être le voile sur cette colossale faute politique que fut l'intrusion française dans la guerre civile libyenne et dont les conséquences vont devoir être supportées durant de longues années par des dizaines de millions d'habitants de la région.

Les évènements du Nigeria rappellent quant à eux avec force que les courbes du PIB ne sont que des mirages. Que n'avons-nous pas entendu à propos de l' « eldorado du Nigeria », ce géant dans lequel il était urgent d'investir en raison de ses courbes de croissance qui faisaient se pâmer ceux qui n'ont d'yeux que pour les chiffres ?
La réalité est que le Nigeria n'existe pas, que cet Etat-fiction est plongé dans une atroce guerre civile ethno-religieuse qui aboutira peut-être même à un redécoupage frontalier régional. En effet :

1) Au XIXe siècle, le nord de l'actuel Nigeria était englobé dans le puissant califat jihadiste de Sokoto qui s’étendait du Niger au Cameroun et sur une petite partie du Tchad. 

2) Les frontières entre le Nigeria, le Cameroun et le Tchad qui proviennent d’accords entre Britanniques, Allemands et Français ne tiennent aucun compte des implantations ethniques car elles furent dessinées afin que les trois empires aient chacun une « fenêtre » sur le lac Tchad. 

3) Les réalités géographiques, anthropologiques, ethniques, historiques et religieuses font de cette région un foyer favorable aux islamistes de Boko Haram dont l’influence s’étend à toute la zone peuplée par des populations haoussa-peul-kanouri.

Dans le numéro de février 2012 de l’Afrique Réelle, je posais une question : la désintégration du Nigeria est-elle en marche ? Trente mois plus tard nous sommes en présence d’une véritable sécession jihadiste car le nord du pays a été soustrait à l’autorité de l’Etat, l’administration fédérale chassée et remplacée par celle des islamistes ; quant à l'armée, soit elle se terre dans ses casernes, soit elle se livre à des représailles aveugles sur les populations, ce qui achève de pousser ces dernières dans les bras de Boko Haram.

dimanche 24 août 2014

Libye : est-il encore possible d'empêcher la création d'un "Etat islamique d'Afrique du Nord" ?

Au point de vue militaire la situation libyenne a considérablement évolué depuis mon précédent communiqué en date du 17 août dernier :
- A l'Est, en Cyrénaïque, l'offensive du général Haftar a été bloquée par les milices islamistes ; le 22 juillet, à Benghazi, le quartier général de ses forces spéciales a même été pris d'assaut.
- A l'Ouest, en Tripolitaine, les milices de Misrata (Frères musulmans) et les salafistes de Tripoli surarmés par le Qatar et par la Turquie, paraissent prendre peu à peu le dessus sur les milices berbères de Zenten dans la région de l'aéroport principal de Tripoli. Le second aéroport de la capitale, celui de Maïtigua, est déjà contrôlé par les islamistes d'Abdelhakim Belhaj.

La stratégie des salafistes, des Frères musulmans et du Qatar est désormais claire: faire de la Libye une base de déstabilisation régionale. De fait, l'Egypte et l'Algérie sont directement menacées cependant que la Tunisie n'arrive pas à liquider les maquis des monts Chaambi. Quant au Maroc, il va être dans les prochains mois la cible d'un nouveau mouvement fondamentaliste baptisé Unicité et jihad au Maghreb al-Aqsa. Au Sud, le Mali, le Niger et le Tchad vont automatiquement subir la contagion de la situation libyenne.

Le processus de déstabilisation de la Libye a été très largement pensé et supporté par le Qatar qui, dans un premier temps, a utilisé Al-Jazira pour diaboliser le régime Kadhafi. Le bras armé de cet insatiable et arrogant petit émirat fut Nicolas Sarkozy qui, subverti par BHL, imposa l'intervention internationale en reprenant à son compte les mensonges d'Al-Jazira au sujet d'une menace inventée sur les populations de Benghazi.

La situation étant aujourd'hui ce qu'elle est, est-il encore possible d'empêcher la création d'un "Etat islamique d'Afrique du Nord" avec toutes les conséquences régionales qu'aurait un tel événement ?
Les Européens n'ont comme d'habitude qu'une seule solution à proposer : encore et toujours la démocratie. Le 4 août, jour de sa première réunion à Tobrouk, ils ont ainsi reconnu la légitimité du nouveau parlement pourtant élu par à peine 10% des électeurs, et ils ont appelé ses membres à une "gouvernance démocratique"... Il est difficile d'être davantage déconnecté des réalités, d'être plus prisonnier des nuées, de l'idéologie...

La solution réaliste comporte deux volets, l'un est militaire, l'autre politique :

1) Comme je l'annonçais dans mon communiqué daté du 15 juillet 2014, une triple intervention de l'Egypte, de l'Algérie (en dépit des déclarations contraires du Premier ministre Sellal) et de la France est dans les cartons.

2) Si une telle intervention n'a pas encore débuté c'est parce qu'elle doit impérativement se faire en appui à une résistance libyenne. Or, et je viens de le dire, le général Haftar a perdu sa crédibilité. Il devient donc urgent et nécessaire de reconstruire le système d'alliances tribales qui existait du temps du colonel Kadhafi. Sans lui, il n'y aura pas d'intervention étrangère permettant d'abord de contenir, puis ensuite de réduire les salafistes d'Ansar al Charia et leurs alliés en Cyrénaïque, les résurgences du GICL (Groupe islamique combattant en Libye) en Tripolitaine et les Frères musulmans de Misrata.

Or, que cela plaise ou non, Seif al-Islam, le fils du colonel Kadhafi, est le mieux placé pour constituer un tel rassemblement (voir à ce sujet mon communiqué du 17 août). A défaut, toutes les forces islamistes risquent d'être engerbées et coagulées dans un futur "Etat islamique d'Afrique du Nord" à l'imitation de l'EIL d'Irak.

dimanche 17 août 2014

Libye: entre nuées démocratiques et réalités tribales

Au moment où le parlement libyen appelle à une intervention étrangère "pour protéger les civils", nous pouvons lire dans le quotidien Le Monde en date du 12 août 2014 un titre insolite: "La transition en Libye est un échec, il faut la repenser".

Que s'est-il donc passé pour que la "bible des bien-pensants", ce point oméga du conformisme intellectuel français, se laisse ainsi aller à une telle constatation après avoir soutenu avec une arrogante indécence l'intervention militaire contre le colonel Kadhafi, cause directe de la situation actuelle ?

Le but de la guerre calamiteuse décidée par Nicolas Sarkozy était officiellement l'établissement d'un Etat de droit à la place d'un régime dictatorial. Après le lynchage du colonel Kadhafi par les islamo-mafieux de Misrata, un processus démocratique fut imposé aux nouveaux maîtres du pays. Il se mit en place à travers plusieurs élections et par la rédaction d'une Constitution. Les observateurs, à commencer par les journalistes du Monde, louèrent alors ces "avancées démocratiques", preuve de la "maturité politique" des "démocrates" libyens. La "guerre du droit" ayant été gagnée, accompagné de BHL, Nicolas Sarkozy alla ensuite sur place goûter aux félicités triomphales du "libérateur"...

Le résultat de ces illusions, de cet aveuglement, de ce décalage entre l'idéologie et la réalité, de cet abîme existant entre les spasmes émotionnels et les intérêts nationaux français, est aujourd'hui tragiquement observable. Les dernières structures étatiques libyennes achèvent en effet de se dissoudre dans des affrontements aux formes multiples s'expliquant d'abord par des logiques tribales. Sur ces dernières viennent, ici ou là, se greffer avec opportunisme des groupuscules islamistes soutenus par le Qatar et la Turquie.

Un retour au réel s'impose donc afin de tenter de sortir la Libye de l'impasse. Or, ce réel tient en quatre  points:

1) La Libye n'a jamais existé comme Etat de facture occidentale.
2) Le  colonel Kadhafi avait réussi à établir une réelle stabilité en se plaçant au centre, à la jonction, des deux grandes confédérations tribales de Cyrénaïque et de Tripolitaine.
3) Son assassinat a fait que, ayant perdu leur "point d'engrenage", ces deux confédérations se sont tournées sur elles-mêmes dans une logique d'affrontements tribaux régionaux ayant pour but la conquête du pouvoir dans chacune des deux grandes régions du pays éclatées en cités-milices aux intérêts tribalo-centrés.
4) La clé de la stabilité libyenne passe par la reconstitution du système d'alliances tribales mis en place par le colonel Kadhafi. Or, les responsables politiques libyens ne sont pas en mesure de mener cette politique car ils sont tous sont ethno-géographiquement liés par leurs origines.

Le seul qui, dans l'état actuel de la complexe situation libyenne pourrait jouer ce rôle de rassembleur-catalyseur est Seif al-Islam, le fils du colonel Kadhafi. Actuellement détenu avec des égards par les miliciens berbères de Zenten qui constituent le fer de lance des forces anti-islamistes en Tripolitaine, il est soutenu par les Warfallah, la principale tribu de Tripolitaine, par les tribus de la région de Syrte, par sa propre tribu et il pourrait l'être également par les Barasa, la tribu royale de Cyrénaïque, sa mère étant Barasa. Autour de lui pourrait être refondée l'alchimie politico-tribale, le pacte social tribal de Libye.

Mais pour cela il importe que la CPI, perçue en Afrique comme un instrument du néocolonialisme "occidental",  lève le mandat d'arrêt de circonstance lancé contre lui.     

mercredi 30 juillet 2014

L'Afrique Réelle N°56 - Août 2014


























Sommaire

Conférence censurée : texte intégral
Les interactions entre l'Afrique du Nord et le Sahel : quand le temps long donne la clé de lecture des conflits actuels

Dossier :
Le Mozambique un pays d'avenir si...

- 1964-1992 : une guerre de trente ans
- Les ethnies du Mozambique
- Le nouveau Mozambique (1994-2014)
- Le Mozambique : une ethno-cleptocratie ?

Editorial de Bernard Lugan :

Dans ce numéro de l'Afrique Réelle je publie l'intégralité[1] du texte de mon intervention censurée par l'Elysée (voir mon communiqué du 9 juillet 2014).
Pour mémoire, le 24 juin 2014, à la demande des Armées, je devais présenter aux Attachés de Défense français en poste dans une quinzaine de pays africains, la question de l'interaction entre l'Afrique du Nord et le Sahel à travers le temps long. Le but de cette intervention très spécialisée était de donner à ces hauts responsables militaires une vision globale ainsi que des clés de lecture dépassant les frontières de leurs affectations respectives. Cette intervention de type universitaire n'avait aucun caractère politique ou polémique et les abonnés à l'Afrique Réelle le constateront d'évidence en en lisant le texte.

Quelques jours avant la date prévue, un ordre téléphoné depuis l'Elysée contraignit les organisateurs à décommander la prestation bénévole qui m'avait été demandée. Dans mon communiqué daté du 9 juillet, j'écrivais :

« Alors que la complexité des situations locales et régionales nécessite une connaissance de plus en plus « pointue », non idéologique et basée sur le réel, la présidence de la République, avec un sectarisme d'un autre temps, a donc privé les Attachés de Défense français d’une expertise à la fois internationalement reconnue et nécessaire à la bonne compréhension des zones dans lesquelles ils servent... ».

Je n'ai rien à retirer à ces lignes. D'autant plus que les épurateurs zélés qui prospèrent actuellement dans l'appareil de l'Etat ont déclenché une campagne visant à m'évincer des divers cénacles militaires devant lesquels j'interviens.
Le fond du problème est que ces idéologues sont désemparés car ils ont perdu le magistère qu'ils exerçaient depuis les années 1950 dans le domaine des études africaines. Or, il faut bien avoir à l'esprit que ce fut à travers cette « chasse gardée » qu'ils imposèrent la culture de la repentance et de la culpabilisation, socle du désarmement moral de notre société. Il leur est donc insupportable de voir qu'une pensée non « conforme » puisse circuler au sein de l'institution militaire. Ils ont donc décidé de me remplacer par l'un ou l'autre de ces « africanistes » formatés et sans mémoire qui expliquent les crises actuelles par des facteurs d'abord économiques ou sociaux et qui, au nom de l'universalisme et du concept désincarné du « village terre », négligent la réalité ethnique parce qu'elle fait référence à un enracinement et encore plus grave à leurs yeux, à une identité. Certains vont même jusqu'à soutenir que les ethnies sont des créations coloniales...

Les officiers français ne sont pas dupes car, hommes de terrain, ils ont pu observer que si l'ethnie n'explique évidemment pas tout, rien ne peut s'expliquer sans elle... De plus, si les idéologues peuvent, sans risques, manier des concepts abstraits dans leurs douillets cabinets, les militaires sont quant à eux condamnés au réel. Ils ne peuvent en effet pas tricher avec les faits car il en va de leurs vies et plus encore, de celles de leurs hommes. Voilà pourquoi, fondées sur le seul réel et sur une longue connaissance du milieu, mes analyses connaissent un certain succès parmi nos Armées. Cela, les « bien-pensants » ne peuvent l'accepter.

Bernard Lugan

[1] Moins naturellement ce qui concerne les opérations en cours ou prévues.

mardi 15 juillet 2014

Libye : vers une intervention étrangère

Dépassées et totalement impuissantes, les "autorités" libyennes en sont réduites à demander une intervention internationale afin de tenter de juguler l'anarchie qui a emporté leur pays depuis le renversement du colonel Kadhafi.
Les problèmes sécuritaires qui se posent en Libye étant clairement identifiés,  l'intervention qui se prépare depuis plusieurs semaines déjà sera essentiellement menée par trois pays:
- l'Egypte interviendra en force en Cyrénaïque avec pour objectif la destruction des bastions islamistes de Derna et de Tobrouk,
- l'Algérie agira indirectement en Tripolitaine en épaulant la coalition anti Misrata afin de réduire la force de ce bastion des Frères musulmans soutenu par la Turquie et le Qatar.
- la France se réservera le théâtre d'opérations du Fezzan, ce Sahara libyen qu'elle connaît bien pour l'avoir eu jadis sous son administration.

Quelles pourraient être les formes de cette triple offensive?

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