Pages

samedi 28 janvier 2012

Le Monde ou le Maccarthysme journalistique français

Dans un article d’une rare partialité que Le Monde en date du 27 janvier 2012 consacre au Rwanda, MM. Christophe Ayad et Philippe Bernard me citent de la manière suivante :  

« En 2004 il (Jean-Pierre Chrétien) a participé à une commission d'enquête citoyenne, mise en place par l'association Survie, pour dénoncer le rôle de la France. Cela a valu à Jean-Pierre Chrétien de virulentes attaques de l'historien Bernard Lugan, ancien maître de conférences à l'université Lyon-III, proche de l'extrême droite. Ce dernier a écrit plusieurs ouvrages pour innocenter François Mitterrand, l'armée française et l'Eglise catholique au Rwanda (François Mitterrand, l'armée française et le Rwanda, éditions du Rocher, 2005). Il a témoigné en faveur de génocidaires hutu poursuivis devant le TPIR ». 

Le lecteur du Monde aura retenu trois choses : 

1) Je serais « proche de l’extrême droite », jugement de valeur permettant de sous-entendre que je ne suis pas crédible et donc par avance disqualifié.

2) J’aurais écrit « plusieurs ouvrages pour innocenter François Mitterrand, l'armée française et l'Eglise catholique au Rwanda ». L’emploi du mot « innocenter » a son importance car il signifie que pour MM. Ayad et Bernard, le président François Mitterrand, l'armée française et l'Eglise catholique seraient coupables ou pour le moins complices de ce génocide…

Est cité à l’appui de cette affirmation un livre datant de 2005 dans lequel je défends très exactement le contraire de ce que prétendent me faire dire les journalistes du Monde. J’y reprends en effet en la développant l’idée centrale d’un précédent livre[1] qui est que les conditions du génocide résultent de l’engagement pro Hutu de l’Eglise catholique en 1959, puis de l’obligation démocratique imposée par François Mitterrand au président Habyarimana à partir de 1990…L’on chercherait en vain dans cette problématique une tentative visant à « innocenter » le président Mitterrand et l’Eglise catholique. Quant à l’armée française comme elle a quitté le Rwanda fin 1993, soit plus de six mois avant le début de ce génocide, elle n’a effectivement aucune responsabilité dans ce drame contrairement à ce que certains obligés de Kigali cherchent à faire croire.

Les journalistes du Monde sont donc pris en défaut de « bidonnage » car :
- Ils n’ont manifestement pas lu mon livre,
- Ils tirent directement leurs « informations » de sites informatiques spécialisés dans les dénonciations de basse police.
- Ils omettent en revanche de mentionner un ouvrage plus récent dans lequel je fais le bilan de la question, notamment à travers les travaux du TPIR[2].

3) J’aurais « témoigné en faveur de génocidaires hutu poursuivis devant le TPIR », ce qui serait la suite logique des points 1 et 2. En effet, qu’attendre d’autre d’un « proche de l’extrême droite » qui a osé écrire « plusieurs ouvrages pour innocenter François Mitterrand, l'armée française et l'Eglise catholique au Rwanda » ? 
Le problème est que je n’ai jamais « témoigné en faveur de génocidaires hutu poursuivis devant le TPIR ». A quel titre d’ailleurs aurais-je pu le faire puisque je n’étais pas au Rwanda au moment du génocide et que je n’ai donc pas été le « témoin » des faits qui leur sont reprochés ? En revanche, connaissant intimement le Rwanda où j’ai enseigné et mené des recherches archéologiques durant plus de dix années, pays auquel j’ai consacré deux thèses dont un Doctorat d’Etat en six tomes, j’ai, pour ces raisons académiques, été six fois assermenté comme Expert par la Cour à laquelle j’ai remis des rapports totalisant près de 2000 pages[3]. Le document joint en annexe et qui émane du Greffe du TPIR permet de mettre en évidence la grave faute déontologique commise par les deux journalistes du Monde. 
A leur décharge, il est utile de préciser qu’ils ignorent peut-être que le TPIR étant régi par les règles juridiques anglo-saxonnes, il n’y existe pas d’Experts de la Cour comme en France et que les Experts cités y sont proposés aux Chambres par les parties (Accusation et Défense). Pour chaque affaire, ces experts doivent renouveler leur accréditation, processus long et fastidieux au terme duquel ils sont soit récusés, soit acceptés et dans ce dernier cas, ce n’est qu’après avoir prêté solennellement serment qu’ils deviennent selon le terme anglo-saxon « Witness Expert ».
Le contre-sens fait par les journalistes du Monde pourrait donc s’expliquer soit par une désolante mauvaise foi, soit par une maîtrise incertaine de la langue anglaise ajoutée à des connaissances fragmentaires concernant la Common Law.

La « morale » de cette affaire est claire et elle tient en deux points principaux :

1) Nous avons ici la parfaite illustration du naufrage de la presse française qui a perdu une grande partie de sa crédibilité en raison de son Maccarthysme, du formatage et des insuffisances de ses journalistes. Cette presse militante et moribonde qui ne survit que par les aides de l’Etat et les abonnements institutionnels n’a d’ailleurs plus aucune influence à l’extérieur de sa niche écologique parisiano-conformiste.

2) Je ne ferai pas de droit de réponse et cela pour deux raisons : la première est qu’il serait caviardé et la seconde parce que je touche beaucoup plus de lecteurs et plus rapidement, avec un simple communiqué diffusé par internet. D’autant plus que nombre des visiteurs de mon blog font suivre mes communiqués à leurs réseaux, ce qui en démultiplie les effets.































[1] Rwanda: le génocide, l’Eglise et la démocratie. 234 pages, 22 cartes, Le Rocher, 2004 
[2] Rwanda. Contre-enquête sur le génocide. 330 pages, 10 cartes, Privat, février 2007. 
[3] Expert assermenté par la Cour dans les affaires Emmanuel Ndindabahizi (TPIR-2001-71-T), Théoneste Bagosora (TPIR-98-41-T), Tharcisse Renzaho (TPIR-97-31-I), Protais Zigiranyirazo (TPIR-2001-73-T), Innocent Sagahutu (TPIR-2000-56-T), Augustin Bizimungu (TPIR- 2000-56-T). Commissionné dans les affaires Edouard Karemera (TPIR-98-44 I) et J.C Bicamumpaka. (TPIR-99-50-T). La synthèse de ces rapports a été faite dans Bernard Lugan (2007) Rwanda : Contre-enquête sur le génocide. Privat.

17 commentaires:

  1. Vous êtes un grand Monsieur et vous me rendez fière d'être Française.
    Merci à vous.

    RépondreSupprimer
  2. Je pense que vous auriez tort de ne pas faire un droit de réponse, vous gagneriez en crédibilité (personnellement, ne connaissant votre blog que depuis très peu, je ne saurais dire qui, du "Monde" ou de vous, est dans le vrai).
    Si votre réponse est "caviardée", il vous est, autant que je sache, loisible de demander en Justice sa publication intégrale.
    Et vous toucheriez les lecteurs du "Monde", qui ne sont pas forcément lecteurs aussi de votre blog.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis de même avis.
      laisser ce journal distordre à ce point des propos, c'est quasiment de la diffamation envers Bernard Lugan.

      Supprimer
  3. Votre blogue est passionnant! Continuez! On a besoin de débat contradictoire dans un pays bouffé par le conditionnement journqlistique!

    RépondreSupprimer
  4. Même si cela est épuisant, ne lâchez rien Monsieur LUGAN. Faites également un droit de réponse, pour le plaisir.

    RépondreSupprimer
  5. Admirable réponse. Ce journal se discrédite, et par ricochet le reste des médias qui ne diffèrent guère, par son parti pris trop caricatural pour lui conférer une quelconque autorité.

    Ces gens là n'ont plus aucun crédit auprès du public. Tant mieux. Enfin.

    RépondreSupprimer
  6. Impeccable,
    Sinon concernant la presse française, étant trop jeune, né en 1989, il parait qu'elle a fortement décliné, je n'ai pas connu la grande époque mais bon sachant qu'il n'y a pas si longtemps, c'était Eddy Plenel le chef de rédaction ...

    Et vu leurs ventes catastrophiques ... même Le Figaro n'est pas crédible, il ne reste qu'Internet et Radio Courtoisie.

    RépondreSupprimer
  7. Vous avez un grand sens de l'honneur Mr Lugan, bravo pour votre courage et vos analyses brillantes qui témoignent de votre volonté de rétablir certaines vérités face au politiquement correct. Je vous suis depuis peu mais j'ai énormément appris sur l'Afrique et les valeurs profondes de ce continent grâce à vous.

    RépondreSupprimer
  8. Bravo M. Lugan, continuez votre nécessaire et rigoureux travail de démystification tout azimut. Sachez qu'un nombre croissant d'individus conscients vous soutient.

    RépondreSupprimer
  9. Magnifique de clarté... comme toujours.
    Il y a encore quelques professeurs qui méritent leur titre.

    RépondreSupprimer
  10. Excellente réponse à des clowns prébendés. J'avais lu votre livre intitulé "God Bless Africa" et avais été frappé par la clarté de votre pensée nourrie du réel. Incidemment, j'avais eu l'occasion de lire un petit livre écrit il y a quarante ans par un ancien consul de France, Paul Del Perrugia, et qui avait pour titre "Les derniers rois mages". La description de la société Rwandaise de l'époque permettait d'expliquer comment l'importation de la Théologie de la Libération par des clercs "catholiques" ne pouvait qu'aboutir à ce massacre.

    RépondreSupprimer
  11. Merci Mr Lugan pour votre travail vos analyse et réflexion , je suis fier de la France avec des gens comme vous et Mr Soral.

    RépondreSupprimer
  12. Le faussaire Christophe Ayad n'avait-il pas fait pleurer dans les chaumieres avec son zoo de Gaza et ses anes peints en zebres, au point de remporter le prix du "meilleur grand reportage" lors des premiers "Grands Prix des quotidiens nationaux"? En fait de zoo, l'objet du reportage de M. Ayad n'etait autre qu'une menagerie. Pas du tout le zoo de Gaza.

    http://www.liberation.fr/monde/0101604669-au-zoo-logique-de-guerre
    http://www.liberation.fr/medias/0101634788-christophe-ayad-prime-pour-son-reportage-au-zoo-de-gaza

    RépondreSupprimer
  13. Je n'ai jamais compris pourquoi nombre de gens essayaient de vous laminer en racontant des fables sur vous, alors que vous être quelqu'un tout ce qu'il y a de plus rigoureux, scientifique et expert. Vous êtes même reconnu par certains institutions internationales comme tel.

    Cordialement

    RépondreSupprimer
  14. Encore un magistral exemple de la nullité crasse de nos journalistes, et de leur aveuglement idéologique.
    Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, mais je pense également qu'il est important d'exiger la parution d'un droit de réponse dans ce journal.

    RépondreSupprimer
  15. Le plus triste dans tout ça est de lire des affirmations de journalistes qui n'ont jamais mené véritablement une enquête sur le sujet, ni interrogé aucun témoin. Il y a eu une volonté politique évidente de "régler le problème avec Kigali" quitte à prendre quelques libertés avec les faits (notamment avec une expertise douteuse) et à écarter des éléments du dossier pourtant parfaitement corroborés. Et bien sûr nombre de témoins n'ont pas été, et ne seront jamais, entendus à nouveau. J'en sais quelque chose.

    RépondreSupprimer