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vendredi 23 septembre 2011

L’histoire de l’Afrique doit-elle être enseignée dans le secondaire aux dépens des fondamentaux de l’histoire de France ?

L’histoire des mondes non européens a toujours figuré dans les programmes scolaires, cependant, elle n’était pas enseignée aux dépens de l’histoire de France. De plus, cette nécessaire ouverture ne se faisait qu’à partir du moment où les fondamentaux de notre histoire étaient acquis par les élèves. Aujourd’hui, il en va tout autrement avec la réforme Darcos qui prépare le délitement de l’imaginaire historique national, ce précieux socle auquel les Français sont encore arrimés.

Les ravages commencent désormais dès la classe de 5° qui a subi des amputations insensées et même proprement « ubuesques » de son programme d’histoire. Or, ces amputations ont été rendues nécessaires afin de dégager autant de plages horaires destinées à l’étude des civilisations non européennes, qu’elles soient africaines, asiatiques ou autres. Pour ce qui concerne l’Afrique, seront ainsi étudiés plusieurs royaumes avec un point central, celui du Mali. Pour leur « faire de la place », Louis XIV a donc été relégué en toute fin de programme et il ne sera donc « survolé » que si le Monomotapa (!!!) a été vu. De même que les crédits de l’armée constituent la variable d’ajustement des déficits de l’Etat, l’histoire de France devient quant à elle la variable d’ajustement des apprentis sorciers du ministère de l’Education nationale.

Toute éducation supposant l’acquisition de fondamentaux et de connaissances de base sans lesquelles il est impossible ou vain de vouloir aller plus loin, il est donc insensé de vouloir faire apprendre l’histoire du Mali à des enfants qui ne savent pas si Napoléon a vécu avant ou après Louis XIV…Les « docteurs Folamour » du pédagogisme ne l’ignorent pas. Ils en sont même parfaitement conscients, mais ce sont d’abord des militants dont le but est de casser tous les enracinements européens considérés par eux comme susceptibles de déclencher des réactions identitaires.
Ne nous cachons pas derrière notre pouce et disons les choses clairement : le premier but de cette aberrante réforme de l’enseignement de l’histoire est de toucher le public de ces établissements mosaïques dans lesquels 30 à 40% d’élèves possédant moins de 350 mots de vocabulaire, ne sachant ni lire, ni écrire, ni même raisonner et encore moins comparer, pourrissent littéralement l’apprentissage de classes entières. Les assassins de notre mémoire espèrent, grâce à cette réforme, capter l’attention de ces auditoires « difficiles » et avant tout peu intéressés par l’histoire de France, en leur proposant une histoire sur mesure, une histoire à la carte, une histoire ethno sectorielle en quelque sorte.

Les élèves d’origine mandé-malinké de Tremblay en France seront peut-être attentifs à l’histoire de l’empire du Mali qui fut constitué par leurs ancêtres, mais il risque de ne pas en être de même avec les petits soninké de Garges les Gonesse, héritiers, eux, du royaume de Ghana qui fut détruit par les premiers…De plus, comment vont réagir les rejetons des nombreux autres peuples africains ? N’y a-t-il pas une forme de discrimination à leur égard ? En effet, pourquoi privilégier le Mali ou le Ghana et passer sous silence l’empire Luba et le royaume zulu ?

Un autre but de ce programme qui fait naturellement de continuelles références à la traite des esclaves vue comme une sorte de fil conducteur de la matière, est de tenter de faire croire aux élèves que l’histoire du monde est d’abord celle de la confrontation entre les méchants, lire les Européens, et les bons, lire les autres. L’ethno culpabilité est décidément sans limites !

De plus, et là est peut-être le plus important, l’histoire de l’Afrique a son propre temps long qui n’est pas celui de l’Europe. Elle s’appréhende avec une méthodologie particulière impliquant une maîtrise de la critique des sources orales, une connaissance approfondie de l’anthropologie, de l’archéologie, de la linguistique, etc., Or, les professeurs qui vont devoir enseigner cette histoire à leurs jeunes élèves n’ont pas été formés pour cela.
Un exemple : la connaissance que nous avons de Philippe le Bel repose sur des dizaines de milliers d’études, de thèses, de documents d’archives, de mémoires, de correspondances, de traités etc. Son contemporain, Abu Bakr II empereur du Mali (+- 1310-1312), dont l’existence n’est même pas certaine, n’est connu que par des traditions orales tronquées, des sources arabes de seconde ou même de troisième main et par une chronologie totalement erronée établie par Maurice Delafosse en 1912. L’histoire de son bref règne, s’il a véritablement eu lieu, est pourtant largement enseignée en Afrique où ce souverain est présenté comme une sorte d’explorateur conquistador parti à la tête de 2000 ou même 3000 pirogues pour découvrir les Amériques.  

Les professeurs des classes de 5° qui vont devoir parler du Mali, cœur du nouveau programme, devront évidemment étudier cet empereur. Or, sont-ils formés pour expliquer à leurs élèves que l’histoire scientifique ne se construit pas sur des légendes? De plus, le seul fait, dans un cours, de consacrer le même temps d’étude à un personnage historique attesté d’une part, et à un autre, largement légendaire d’autre part, conduira automatiquement les élèves à prendre le virtuel pour la réalité, ce qu’ils sont déjà largement enclins à faire avec les jeux électroniques.   

Mais allons encore au-delà et abordons l’essence même de la question. Face à ces élèves « en difficulté» (traduction en langage politiquement incorrect : enfants dont la langue maternelle n’est pas le français), les enseignants oseront-ils, sans risquer un hourvari, expliquer qu’un tel voyage n’a jamais eu lieu?  En effet, si tout est faux dans cette légende c’est parce que les Africains de l’Ouest -à la différence de ceux de l’Est-, ne pouvaient affronter la haute mer car ils ignoraient l’usage de la voile ainsi que celui de la rame et parce que leurs pirogues étaient sans quille. 
Les mêmes enseignants sont-ils armés pour faire comprendre à leurs classes que pour atteindre l’Amérique, les hommes d’Abu Bakr II auraient été contraints de pagayer durant plus de mille kilomètres à travers l’océan atlantique avant de rencontrer enfin le courant des Canaries, seul susceptible de leur permettre de dériver ensuite vers l’Ouest… et cela sur 6000 km ? Enfin, seront-ils en mesure de mettre en évidence l’incohérence majeure de cette légende que certains considèrent comme une histoire vraie, à travers un exemple clair : comment l’expédition de l’empereur malien aurait-elle pu atteindre l’Amérique alors que les Africains ignoraient l’existence de l’archipel du Cap-Vert situé à 500 km « à peine » de la péninsule du Cap-Vert, point le plus occidental du littoral ouest africain contrôlé par l’Empire du Mali et qui leur barrait la voie du grand large ? En effet, cet archipel était vierge et vide d’habitants en 1450,  au moment de sa découverte par le Génois Antonio Noli qui était au service du Portugal...[1]
L’enseignement de l’histoire africaine ne s’improvise pas !

Hier la méthode d’apprentissage de la lecture dite « globale » fabriqua des générations d’illettrés et de dyslexiques; la réforme des programmes d’histoire donnera quant à elle naissance à des générations de zombies incapables de rattacher des évènements ou des personnages à une chronologie et ayant pour toute culture historique celle du volapük mondialisé.

Bernard Lugan
23/09/2011


[1] Pour en savoir plus sur cette question, on se reportera à Bernard Lugan, Histoire de l’Afrique des origines à nos jours. 1250 pages, Ellipses, 2009.

mercredi 21 septembre 2011

L'Afrique Réelle N°21 - Septembre 2011


























SOMMAIRE :

Actualité : Mayotte
- Où en est-on cinq mois après la départementalisation ?
- Cette chère Mayotte

Dossier : Somalie
- Famine en Somalie : des causes d'abord humaines
- L'insoluble question somalienne
- Le Somaliland : histoire d'un divorce
- Le Somaliland peut-il être une alternative à l'enclavement de l'Ethiopie ?

Rwanda :
- L'assassinat de deux gendarmes français par les hommes de Paul Kagamé le 7 avril 1994

EDITORIAL :

Dans ce numéro de rentrée trois grands sujets sont abordés : la question somalienne, les conséquences désastreuses de la départementalisation de Mayotte et l’assassinat, le 7 avril 1994 de deux gendarmes français par les soldats de Paul Kagamé lequel vient d'achever une visite officielle en France.

La Somalie est donc une nouvelle fois frappée par une famine. Une fois encore, inondés d’images terribles et assommés par la dictature de l’émotionnel, les « nantis » d’Europe sont priés de « mettre la main à la poche ». Or, comme nous l’expliquons, cette aide est totalement inutile puisqu’elle ne s’attaque pas aux deux principales causes de ce drame à répétition qui sont :

1) Une guerre tribalo clanique sur laquelle nous n’avons aucune prise.
2) Une surpopulation suicidaire s’expliquant par un taux de natalité de plus de 45 pour 1000 et un indice de fécondité par femme qui atteint 6,76 enfants. Résultat, le fragile équilibre écologique régional a été détruit. Or, nous n’avons pas davantage de prise sur cette réalité.

Politiquement et militairement, la situation bouge sur le terrain. C’est ainsi que les milices islamistes connues sous le nom de Shebab, ont quitté Mogadiscio le 6 août dernier, vaincues par les soldats de l’AMISOM au premier desquels le contingent ougandais, et cela après des combats acharnés. Durant le seul mois de juillet et les premiers jours d’août, une centaine de soldats de l’AMISOM ont ainsi perdu la vie. Quant aux islamistes, leurs pertes ne sont pas connues, mais plusieurs de leurs principaux leaders parmi les plus aguerris ont été tués, dont Fazul Abdullah Mohammed considéré comme le cerveau des attentats meurtriers ayant visé les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie en 1998.

Les milices islamistes sont désormais face à deux grands problèmes :
- Le premier est leur difficulté de plus en plus réelle d’approvisionnement en armes modernes, dont, essentiellement les missiles antichars, car l’Erythrée, leur principal pourvoyeur, est sous la menace de sanctions de la part de l’Union africaine et de l’ONU. Ne pouvant plus mener une guerre conventionnelle, les miliciens devront donc avoir recours à la guérilla urbaine s’ils veulent reprendre pied à Mogadiscio ; mais, pour cela, ils doivent bénéficier de l’appui de la population, ce qui est loin d’être le cas, leur influence étant cloisonnée par l’alchimie tribale somalienne.
- Le second est politique car leurs buts de guerre sont pour le moins confus, la révolution islamique régionale qu’ils prônent, avec son corollaire qui est la création d’un califat transnational se heurte en effet à trois obstacles de taille :

1) Ils sont cantonnés à une partie de la Somalie, le Somaliland et l'essentiel du Nord du pays (le Puntland) leur échappe.
2) Ils sont contenus par les pays de la ligne de front « chrétienne » à savoir l’Ethiopie et le Kenya.
3) Les Etats-Unis et leurs alliés arabes ont juré leur perte.

C’est avec cet arrière-plan que le 18 août, à Kampala, a eu lieu une importante rencontre entre les présidents Museveni d’Ouganda et Issayas Afewerki d’Erythrée. Ce dernier, pourtant chrétien, est le principal soutien des Shebab. Sa stratégie obsessionnelle étant d’affaiblir l’Ethiopie et ses alliés, il s’est résolument rangé dans le camp des islamistes radicaux puisque ces-derniers constituent un danger pour Addis Abeba.
Lors de cette entrevue, le président Museveni a fait part à son bouillant homologue érythréen de sa détermination à maintenir et même à renforcer le contingent ougandais de l’AMISOM. Il lui a ensuite conseillé de cesser son soutien aux milices islamistes faute de quoi son pays serait ajouté à la liste des Etats soutenant le terrorisme.
L’Ethiopie compte les points en observant avec satisfaction l’affaiblissement diplomatique de son ancienne façade maritime devenue Etat indépendant en 1991.

Bernard Lugan

jeudi 8 septembre 2011

Le vrai visage de Paul Kagamé

Ce lundi 12 septembre, Paul Kagamé, président de la République du Rwanda, devait effectuer une visite officielle en France (lire aussi le Décryptage de Frédéric Pons). Plusieurs fois re­poussé, ce voyage destiné à apurer le contentieux entre Paris et Kigali s’inscrit dans une curieuse atmosphère. Larvée depuis la prise du pouvoir par Paul Kagamé en 1994, la crise franco-rwandaise a connu une brutale accélération à la fin de l’année 2006 quand le juge Bruguière lança des mandats d’arrêt internationaux contre plusieurs de ses proches, soupçonnés d’avoir, le 6 avril 1994, abattu ou fait abattre l’avion du président Habyari­mana, attentat qui fut l’élément déclencheur du génocide. Or, la thèse officielle du régime rwandais est que ce furent des Hutus qui assassinèrent leur propre président afin de pouvoir déclencher contre les Tutsis un génocide programmé. La “légitimité” de son régime reposant sur ce mythe, Paul Kagamé répliqua en rompant les relations diplomatiques avec Paris le 25 novembre 2006. Puis il accusa la France de complicité dans le génocide et menaça de lancer à son tour des mandats d’arrêt contre plusieurs dirigeants français dont MM. Balladur, Védrine, Villepin, Léotard, Juppé, ainsi que contre plusieurs hauts gradés de l’armée française. La nomination de Bernard Kouchner, ami du président rwandais, à la tête du ministère français des Affaires étrangères ouvrit ensuite une période de dégel marquée, en novembre 2009, par le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, puis par le voyage du président Sarkozy au Rwanda en février suivant. Au moment où la France s’est engagée dans une croisade démocratique tous azimuts, la visite de Paul Kagamé paraît insolite.  En effet :

1) Quarante-neuf mandats d’arrêts internationaux ont été émis contre ses plus directs collaborateurs. Quarante par la justice espagnole pour “crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide”, et neuf par les magistrats français enquêtant sur les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994 qui détruisit en vol l’avion du président Habya­rimana.

2) En mars 2008, Mme Carla del Ponte, ancien procureur du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), révéla que le TPIR détenait des preuves permettant d’inculper Paul Kagamé pour “crimes de guerre et génocide” mais que, si aucune procédure n’avait été ouverte contre lui, c’était en raison des fortes pressions exercées par les États-Unis et la Grande-Bretagne.

3) Grâce notamment aux travaux du TPIR, nous savons aujourd’hui qu’entre 1990 et 1994, Paul Kagamé déstabilisa le pouvoir en place à Kigali au moyen d’attentats sanglants et d’exécutions ciblées de hauts responsables politiques hutus. Furent ainsi exacerbées des tensions ethniques qui explosèrent immédiatement après l’assassinat du président hutu Habyarimana.

4) Le 1er octobre 2010, la publication du rapport Map­ping rédigé à l’attention du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’Onu mit en évidence l’ampleur des crimes commis en République démocratique du Congo contre les réfugiés hutus et les populations locales par l’armée de Paul Kagamé. Estimant le nombre des victimes à plusieurs centaines de milliers, les auteurs du document parlent de « génocide ».

Au moment où le président Sarkozy s’incline devant les cercueils des militaires français tombés en Afghanistan, il importe de rappeler que le 8 avril 1994, des soldats de Kagamé ont froidement assassiné à leur domicile deux sous-officiers français de la gendarmerie et une civile, à savoir les adjudants-chefs René Maïer et Alain Didot, et l’épouse de celui-ci. Quant à l’équipage de l’avion abattu le 6 avril 1994, il était composé de trois coopérants civils français. Le futur hôte de la France a également ordonné la fabrication du rapport Mucyo mettant en cause des dizaines d’hommes politiques et d’officiers français artificiellement accusés de complicité dans le génocide de 1994. Il a, depuis, été amplement démontré qu’il s’agissait d’un montage grossier reposant sur une accumulation de faux témoignages et de faux en écriture. Lui-même mis en cause, M. Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, a, le 4 mai 2010, devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, parlé à ce sujet d’un « tissu de mensonges et d’inventions destiné à créer un contre-feu à l’instruction judiciaire menée en France ». Ces accusations mensongères n’ont pas été retirées par le président Kagamé avant son voyage en France. Apparemment moins sensibles aux exigences de la realpolitik que les dirigeants français, les chefs de gouvernement espagnol et belge José Luis Zapatero et Yves Leterme ont, le premier en juillet 2010, le second en décembre, refusé de rencontrer un président rwandais soupçonné par deux justices européennes indépendantes d’avoir, le 6 avril 1994, fait abattre en vol l’avion transportant deux chefs d’État en exercice, celui du Rwanda et celui du Burundi, et donc d’être, si ces accusations étaient vérifiées, celui qui aurait allumé la mèche génocidaire. 

Bernard Lugan 08/09/2011.
Publié avec l'aimable autorisation de Valeurs actuelles.