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dimanche 14 juin 2015

François Hollande en Algérie : entre realpolitik et auto humiliation

Lundi  15 juin, durant quelques heures, François Hollande sera en Algérie, pays en état de pré-faillite, "dirigé" par un président moribond et gouverné par l' "alliance des baïonnettes et des coffres-forts"[1].

L'Algérie est en effet au bord du précipice économique, politique, social et moral. Elle est dévastée par des avalanches successives  de scandales comme ceux des détournements de fonds du programme de l'autoroute trans-algérienne (5 milliards de dollars de dessous de table pour un chantier de 17 milliards...), de la Sonatrach ou encore de la banque Khalifa ; or, il ne s'agit là que des plus médiatisés.
L’équilibre politique algérien repose sur un modus vivendi entre plusieurs clans régionaux et politiques qui se partagent les fruits du pouvoir au sein des deux piliers de l’Etat qui sont l’ANP (Armée nationale populaire) et la DRS (Département du renseignement et de la sécurité). Quant à l'ordre social national, il résulte d'un singulier consensus :
- à l'intérieur, les dirigeants  qui vivent de la corruption et des trafics en tous genres achètent le silence d'une population qui n'ignore rien de leurs agissements, par de multiples subventions,
- à l'extérieur, ils entretiennent des mercenaires, journalistes et hommes politiques stipendiés, qui font fonctionner d'efficaces réseaux de communication permettant de donner une image rassurante du pays.

Or, ce système qui fonctionnait grâce à la rente pétrogazière est aujourd'hui bloqué par l'effondrement des cours du pétrole. En un an, le prix du Sahara blend algérien est ainsi passé de 110 dollars le baril  à moins de 60 ; or, selon le FMI (mai 2015), dans l'état actuel de l'économie de l'Algérie, le prix d'équilibre budgétaire de son pétrole devrait être de 111 dollars le baril.
Résultat : au premier trimestre 2015, les recettes cumulées du budget de l'Etat  ont baissé de 13% par rapport à la même période de 2014 ; quant aux recettes de la fiscalité pétrolière, leur recul fut de 28%. Dans ces conditions, les 200 milliards de dollars de réserves de change dont disposait l'Algérie avant la chute des cours du pétrole fondent comme neige au soleil et  le Fonds de régulation des recettes (FRR) alimenté par les ventes des hydrocarbures et dans lequel l'Etat puise pour tenter de prolonger la paix sociale n'est plus alimenté.

La situation est donc gravissime[2]. D'autant plus que les parts de marché de la Sonatrach en Europe  vont baisser en raison de la concurrence de Gazprom qui fournit le gaz russe entre 10 à 15% moins cher que celui produit par l'Algérie. Sans compter que depuis 2014, devenu autonome grâce à ses gisements non conventionnels, le client américain qui représentait  entre 30 et 35% des recettes de la Sonatrach a disparu...
Autre phénomène angoissant pour les autorités algériennes, le prix du gaz naturel liquéfié lié au prix du pétrole et des produits raffinés va de plus en plus être aligné sur le prix du gaz naturel américain, ce qui, selon les experts devrait mettre le GNL algérien entre 30 et 40% de ses prix antérieurs. L'Algérie est donc bien au bord du précipice.

Dans ces conditions, face au double phénomène de baisse de la production et de baisse des cours, l'Etat-providence algérien est condamné à prendre des mesures impopulaires: suspension des recrutements de fonctionnaires, abandon de projets sociaux indispensables, de projets transport comme de nouvelles lignes de tramway ou la réfection de voies ferrées. Il est également condamné à  rétablir les licences d'importation afin de limiter les achats à l'étranger, ce qui va encore amplifier les trafics. Le coût des produits importés n'est en effet plus supportable ; d'autant que, même les productions traditionnelles (dattes, oranges, semoule pour le couscous) étant insuffisantes, leur volume d'importation est toujours en augmentation. Pour ce qui est des seuls  biens de consommation, la facture est ainsi passée de 10 milliards de dollars en 2000 à une prévision de plus de 65 milliards de dollars pour 2015. Quant aux subventions et aux transferts sociaux, ils atteignent 70 milliards de dollars par an, soit environ 30% du PIB.
L'Algérie va donc devoir procéder à des choix économiquement vitaux mais politiquement explosifs. Le matelas de 80 milliards de dollars de son fonds de régulation (FFR) et ses réserves de change  qui étaient tombées à un peu plus de 180 milliards de dollars au mois de janvier 2015, ne lui permettront en effet de faire face que durant deux années puisque les dépenses inscrites au budget 2015 sont de 100 milliards de dollars...
L'Algérie est donc dans la nasse car, elle qui ne produit rien est pourtant condamnée à continuer d'importer afin de nourrir, soigner et habiller sa population. Comme dans les années 1980, l'explosion sociale semble donc inévitable. Avec en toile de fond les incertitudes liées à la succession du président Bouteflika.

C'est donc dans un pays en faillite dans lequel les islamistes sont en embuscade et dont l'équilibre est vital pour notre sécurité, que se rend François Hollande, porteur d'un singulier message rédigé par des associations dont la représentativité prêterait à sourire si elles ne constituaient pas le noyau dur de l'actuel régime français. Pour l'Association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG), pour l'Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA) et pour l'Association des réfractaires non violents (ARNV) " le moment est venu pour la France de reconnaître, du plus haut niveau politique (...) les crimes et les horreurs commis pendant les 132 ans que dura la colonisation de l'Algérie".
Au mois de décembre 2012, lors de son précédent voyage à Alger, François Hollande était déjà allé à Canossa mais, comme les Bourgeois de Calais, il avait tout de même gardé sa chemise. La conservera-t-il aujourd'hui alors que, candidat aux prochaines élections présidentielles, il est prêt à tout afin de tenter de regagner les précieux suffrages des électeurs franco-algériens qui s'étaient détournés de lui avec le « mariage pour tous »?
  
NB : Les rentiers de l'indépendance qui forment le noyau dur du régime prélèvent, à travers le ministère des anciens combattants, 6% du budget de l'Etat algérien, soit plus que ceux des ministères de l'Agriculture (5%) et de la Justice (2%)...

Bernard Lugan
14/06/2015

[1] L'expression est d'Omar Benderra (Algeria-Watch, décembre 2014). En ligne.
[2] Pour plus de détails, on se reportera au dossier contenu dans le numéro du mois de mars 2015 de l'Afrique réelle que l'on peut se procurer en s'abonnant à la revue. 

10 commentaires:

  1. a terme franco-algériens, je préfèrerais: algéro-français

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  2. Merci pour cet exposé très clair.

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  3. "...mais, comme les Bourgeois de Calais, il avait tout de même gardé sa chemise."

    hihihi, c'est spirituel !!

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  4. sans commentaire !!!!!

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  5. Il faut prendre aussi en compte le fait que la Kabylie souhaite désormais être
    indépendante. De nombreuses manifestations en Algérie, en France et dans le monde ont eu lieu dernièrement.
    Le mouvement pour l'indépendance de la Kabylie présidé par Ferhat Mehenni a déjà le soutien de parlementaires canadiens, américains et celui d' Israël. Mais aucun soutien de la France ou de politiciens français.
    La Kabylie existait déjà bien avant la création de cette Algérie préfabriquée, et ça il ne faut pas l'oublier.


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  6. A terme l'Algérie risque de devenir un nouvel Irak.
    Avec d' un côté, des islamistes en embuscade, ces même islamistes ( dont la plupart sont des " amnistiés") qui ont juré fidélité à DAECH.
    Et de l' autre, la volonté du peuple kabyle à être indépendant, ce qui fait écho bien-entendu au peuple kurde.
    Si le président François Hollande veut présenter des excuses; il doit alors les présenter au peuple kabyle et reconnaître officiellement leur volonté d' indépendance.

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  7. Il est impossible que le Canada soutienne l'indépendance de la Kabylie étant donné l'existence de la question québecquoise.

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  8. Il s'agit de parlementaires québecois en l'occurence.
    Le Canada est un Etat fédéral au sein duquel le Québec dispose de son propre parlement.

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  9. Hannibal de Carthage26 juin 2015 à 16:51

    Si le président de la république française, Mr François Hollande souhaite présenter des excuses, alors dans ce cas là, c'est au peuple Berbère qu'il doit les présenter.
    Du Maroc à la Libye en passant par l'Algérie.
    Avant la colonisation française et la volonté ferme et stricte de la France d'avoir la main mise sur le destin des nord-africains ceux-ci étaient en majorité berbèrophones et pratiquaient l'islam de manière passive voire pas du tout.
    Sans l'arrivée des français et d'un certain Napoléon III qui révait d'un royaume arabe, l'Afrique du Nord serait resté un territoire avant tout berbèrophone et ses habitants auraient des prénoms et des noms qui ne seraient pas dictés par des despotes islamo-baathistes, qui ont été installés par la grâce de la république française et de ses alliés et amis moyen-orientaux.
    Autrefois l'Algérie n'était qu'une simple et misérable régence ottomane et sans la présence française le mot même d'Algérie aurait disparu de l'Histoire.
    C'est en 1857 que la France a annexée la Kabylie à ses "possessions" en Afrique du Nord, mais il y aussi d'autres exemples comme avec le Rif par exemple.
    La France a laissé un terrain miné en Algérie mais aussi ailleurs avec un jacobinisme putride, une langue française moribonde qui ne fait pas le poids face à l'anglais dans le domaine des hautes technologies, une volonté absolue et indéféctible d'anéantir toutes traces de la mémoire et de la culture Berbère.
    Il est donc tout à fait normal et logique que le président de la république française Mr François Hollande présente des excuses à un gouvernement et un Etat fabriqué de toute pièce par la France; et non à un peuple berbère pourtant millénaire et même cité dans l'ancien testament.

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  10. c'est un peu la réalité mais sans connaitre l'anthropologie et la sociologie multiforme majoritaire pour l'unité de l'algerie

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