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mercredi 3 avril 2013

Génocide du Rwanda : un matraquage médiatique ne fait pas une vérité historique

Chaque année à l’approche du 6 avril, date anniversaire du début du génocide du Rwanda (6 avril 1994), les médias répètent les mêmes poncifs tout en se faisant, volontairement ou non, la caisse de résonance des thèses de Kigali. Nous aurons ainsi droit à des émissions de télévision annonçant des « révélations embarrassantes » pour la France, à une campagne de promotion à la limite de la complaisance pour un livre qui n’apporte rien de nouveau et à une avalanche de déclarations aussi creuses qu’orientées. Tout ceci n’est qu’enfumage.

Le fond du problème est que la thèse fondant la « légitimité » du régime de Kigali, à savoir celle du génocide « programmé »  et « planifié » par les « extrémistes » hutu, a volé en éclats devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Ce tribunal créé par le Conseil de sécurité de l’ONU et siégeant à Arusha depuis 1995 a en effet, dans tous ses jugements concernant les « principaux responsables du génocide », que ce soit en première instance ou en appel, clairement établi qu’il n’y avait pas eu « entente » pour le commettre[1]. Si ce génocide n’était pas programmé c’est donc qu’il fut spontané et ce qui le provoqua fut l’assassinat du président Habyarimana.

Voilà pourquoi la question de savoir qui a ourdi cet attentat est primordiale. Or, il n’y a jamais eu d’enquête internationale menée sur ce crime qui coûta la vie à deux présidents en exercice légitimement élus, celui du Rwanda et celui du Burundi qui avaient pris place dans le même avion.
Par les énormes pressions qu’ils exercèrent sur le Conseil de sécurité de l’ONU, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, alliés indéfectibles du régime de Kigali, réussirent à interdire au TPIR de mener cette enquête. Comme ce tribunal spécial vient de terminer ses travaux, les auteurs de ce crime ne seront donc ni identifiés, ni poursuivis[2].
Saisie par les familles de l’équipage français de l’avion, la justice française s’est risquée sur cette affaire. Au terme de son enquête, le juge Bruguière a accusé le général Kagamé et lancé neuf mandats d’arrêt contre des membres importants de son premier cercle. Après le départ à la retraite de ce magistrat, l’enquête fut reprise par le juge Trévidic qui ajouta de nouvelles pièces au dossier et qui devra, tôt ou tard, faire la balance entre les documents contradictoires le constituant.

En attendant, Kigali est à la manœuvre car c’est l’existence même du régime qui est en jeu. Tout est donc fait pour influencer médiatiquement la justice française, l’objectif visé étant la levée des mandats d’arrêt délivrés par le juge Bruguière avant le vingtième anniversaire du génocide et ce, afin que l’enquête soit définitivement enterrée, ce qui arrangerait la communauté internationale.
Le monde entier a en effet intérêt à ménager le régime de Kigali, lui qui détient la clé de la paix et de la guerre dans toute l’Afrique centrale, région productrice des minerais rares permettant à l’industrie de l’électronique de tourner. De plus, au moment où le Sahel s’embrase, personne ne veut voir un nouveau front s’ouvrir dans la région des Grands Lacs.

Le dossier de l’attentat du 6 avril 1994 cessera t-‘il donc  d’être l’affaire de la Justice seule  pour devenir celle de la diplomatie[3] ? Dans notre « république irréprochable », rien n’est impossible en ce domaine…

Bernard Lugan
03/04/13


[1] A l’exception du jugement de Jean Kambanda, ancien Premier ministre condamné en 1998, après qu’il eut plaidé coupable contre la promesse d’une peine réduite, procédure qui de facto lui avait fait accepter l’acte d’accusation du procureur. Depuis, il est revenu sur cette reconnaissance.
[2] Depuis le 1er avril, le Rwanda assume pour un mois la présidence tournante du Conseil de sécurité.
[3] Le numéro 41 (mai 2013) de l’Afrique réelle fera le point sur ce dossier.

10 commentaires:

  1. comment indiquer que l'attentat des présidents fut le déclencheur, alors que des massacres étaient déjà à l'oeuvre plusieurs heures auparavant?
    Attention à ne pas tomber dans le négationnisme et à ne pas non plus s'engluer dans un enfumage inique.
    Les résultats des enquêtes commencent à prouver quelques éléments qui vont étonner et décevoir plus d'un chaud partisan.
    ABE

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  2. Monsieur Lugan à quand le debat avec le professeur Coovi Gomez?

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  3. Monsieur Lugan, comment comprenez-vous ce titre du journal Le Monde du 4 février 1964, (j'écris bien mille neuf cent soixante quatre, trente ans avant 1994) :
    "L'extermination des Tutsis - Les massacres du Ruanda sont la manifestation d'une haine raciale soigneusement entretenue"

    Cet article parle de 8000 Tutsis tués dans une seule province du Rwanda en décembre 1963. A cette époque le FPR n'existait pas et les exilés Tutsi n'étaient pas encore organisés en Ouganda. Ils ne pouvaient donc pas "désinformer" la communauté internationale.

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    1. Monsieur Cattier, on comprend bien que votre association a un problème avec le fait que des exilés Tutsi aient aussi tués des civils Hutu, promouvant une vision manichéenne des évènements. Mais les raids des "Ingangurarugo yiyemeje kuba ingenzi" depuis 1961 à partir de l'Ouganda ont aussi crée un climat de tension et causé de nombreux morts, et que la "haine" raciale était partagée. Tout le monde parle du Manifeste des Bahutu qui est avant tout une revendication d'un plus grand poids dans la vie publique et pas un appel à l'extermination, maintenant que dire d'officiels Tutsi tels que le père Stanislas Bushayija qui écrivit en décembre 1958 dans la Revue Nouvelle, tome 28, n°12, pp. 594-597: "Savoir travestir la vérité, donner le change sans éveiller le moindre soupçon est une science qui fait défaut à l'Européen et que le Mututsi est fier de posséder; le génie de l'intrigue, l'art du mensonge sont à mes yeux des arts dans lesquels il s'enorgueillit d'être fort habile: c'est là le propre du Mututsi et, par contagion et reflexe de défense, de tout Munyarwanda".

      Dois-je conclure que si les Hutu sont des racistes génocidaires depuis les années 60, les Tutsi sont également des menteurs et des dissimulateurs? Nul besoin d'attendre Messieurs Péan et Nyetera pour avoir découvert l'ubwenge (définis par des gens beaucoup plus qualifiés que vos amis), ce que vous appelez "raciste" ils le décrivent comme une "qualité". Pour voir lu et vérifié les écrits sur cette propagande raciste rédigés par vos amis J-P Chrétien et J-F Dupaquier pour le TPIR, laissez moi vous dire que ça frôle l'escroquerie intellectuelle.

      Sinon Le Monde est la référence du travail historique? il me semble aussi qu'ils ont écrit que le massacre de Katyn a été commis par les Allemands...

      Clément.

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    2. Cher ABE,

      Quels massacres étaient à l'oeuvre avant 20h30 le 6 avril et où? Soyez plus précis. Soit on explique tout soit on ne s'avance pas. Peut-être durant l'avancée des colonnes prépositionnées du FPR vers la DMZ..Qu'en pensez-vous?
      (sinon être négationniste, c'est nier aussi les faits démontrés et prouvés qui ne vont pas dans le sens que vous souhaitez)

      Cordialement,

      Clément.

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    3. Je m'interesse au Rwanda depuis 1994 c'est un sujet passionnant et brulant....Plus je lis des documents moins je comprends les interêts et les aboutissants tant le sujet est complexe.....Alors qui à raison des Péan,Lugan,Onana?....Ou des partisans de survie et autres saint exupéry???....L'histoire un jour le dira.

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    4. Donc, tout ce qu'on trouve à répondre ici sur ma présentation d'un article du journal Le Monde particulièrement "marqueur", c'est une insulte collective contre les Tutsi "menteurs". On réutilise pour cela l'instrumentalisation du "fameux" "ubwenge" dont on use à tort et à travers. Il s'apparente dans notre culture à ce que chez nous on appelle "l'art de la diplomatie". Mais par un exotisme "dangereux" on le dépeint comme le mal d'une culture très étrangère et très trompeuse et pourtant sur ce plan très proche, au fond, de la notre.

      Et bien sûr, ce qui est répondu est tellement gros que c'est un "anonyme" très clément et très courageux qui l'assume en répétant mot à mot ce qu'avait écrit Péan et auquel il a été répondu fort pertinemment dans le livre récent "Blancs et Noirs menteurs" édité à Bruxelles.

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    5. Monsieur Cattier, votre réponse est malhonnête, je pointe du doigt votre tentative de généralisation en en faisant une aussi grosse, mais apparemment vous ne l'avez pas comprise et vous pratiquez l'inversion accusatoire sur ma personne. Méthode en général de ceux qui ne savent pas quoi répondre. J'ai lu Philippe Brewaeys, il n'y a rien d'irréfutable croyez-moi, donc inutile de chercher à vouloir moucher votre interlocuteur en n'apportant rien de définitif.

      Sinon Valens Kajeguhakwa pour ne citer qu'un exemple n'a pas la même vision de l'ubwenge, mais peut-être qu'il fait aussi fausse route, en tant que Tutsi rwandais, et qu'il ne pourrait se confronter à votre vision sur le sujet, qui semble si sûre.

      Clement.

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  4. Monsieur le professeur Bernard LUGAN. J’espère que mon message vous parvient après des milliers d’autres qui vous ont été envoyés par la communauté rwandaise, les amis du Rwanda et les défenseurs d’une vraie justice dans le monde. Par votre livre, l’espoir d’un monde meilleur renaît chez beaucoup de gens. C’est un témoignage que la « Vérité » finit par triompher. Pour cela, le monde a besoin de personnes sincères, honnêtes et intègres. De ma part, je ne trouve pas les mots qui conviennent pour vous dire combien votre action est splendide. Je vous dis tout simplement merci et je vous souhaite longue vie parmi les vôtres.
    Fabien

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  5. Je vs rejoins tout à fait ! Mr Lugan est un scientifique de l'histoire, son objectif est de faire la lumière sur les faits et aller, s'il le faut, à contre courant du politiquement correct. Même remettre en question les certitudes ou les hypothèses de départ. IL est donc très controversé pcq il dérange... Merci, Mr Lugan et faites attention à vous.

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