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jeudi 7 avril 2011

La France dans le piège ivoirien

Face à l’offensive des forces pro Ouattara clairement soutenues par la France, la stratégie de Laurent Gbagbo était claire : attirer dans Abidjan, loin de leurs bases, les colonnes de son rival pour les y écraser, comme le président Deby l’avait fait à N’Djamena avec les rebelles venus du Soudan. A la faveur des combats urbains, le « nettoyage » ethnique du quartier nordiste d’Abobo aurait ensuite été effectué. Parce que ses protégés nordistes allaient être défaits, l’Elysée ordonna à la force Licorne d’intervenir, ce qu’elle fit avec un grand professionnalisme, vengeant en quelque sorte les soldats français assassinés à Bouaké le 6 novembre 2004. Le plan de Laurent Gbagbo fut alors réduit à néant car les blindés constituant son principal atout furent pulvérisés ainsi que ses dépôts de munitions et la télévision nationale qui lui permettait de mobiliser ses partisans. L’armée ivoirienne capitula aussitôt. Raisonnant en Européens, Paris et Alassane Ouattara pensèrent alors que les jeux étaient faits. L’erreur d’appréciation était totale car quatre éléments n’avaient pas été pris en compte :

1) L’ « hétérogénéité » et le manque de professionnalisme des combattants pro-Ouattara, conglomérat de bandits de grand chemin, de coupeurs de route et de pittoresques chasseurs villageois.
2) Le fait que Laurent Gbagbo allait retourner la situation en sa faveur en prenant la posture du résistant nationaliste dressé contre l’ancienne puissance coloniale.
3) L’évidence que, dans tout Abidjan, ses partisans étaient prêts à la guérilla urbaine à laquelle les hommes de Ouattara sont incapables de s’opposer.
4) Enfin, et j’ose l’écrire au risque de paraître pour un déterministe, Laurent Gbago est un Bété, or les Bété, comme tous les autres Kru, reculent rarement.

L’urgence fut alors de forcer à capituler le président sortant, chaque jour passant renforçant sa posture. L’armée d’Alassane Ouattara en fut incapable en dépit de fortes déclarations qui n’étaient que rodomontades ; le mercredi 6 avril, elles furent même repoussées par la poignée de combattants restés groupés autour du bunker de leur chef. Le jeudi 7 avril au matin, au moment où ces lignes sont écrites, nul ne peut prévoir le sort de Laurent Gbagbo. Une chose est néanmoins certaine, quoiqu’il advienne, il a déjà politiquement gagné et cela pour trois grandes raisons :

1) La faiblesse et l’impuissance d’Alassane Ouattara sont apparues au grand jour.
2) Aux yeux de la moitié des Ivoiriens et de l’immense majorité des Africains, Alassane Ouattara va porter le péché originel d’avoir été mis au pouvoir par l’ancien colonisateur.
3) De plus en plus nombreux sont les pays africains qui dénoncent l’intervention française et qui demandent la reprise du dialogue entre les deux présidents. Or, parmi ces pays figurent ces deux « géants » que sont l’Afrique du Sud et l’Angola.

Si, de plus, Laurent Gbagbo perdait la vie dans les combats, il apparaîtrait alors comme un martyr et serait célébré dans toute l’Afrique comme un nouveau Lumumba. La France serait alors vouée aux gémonies. L’erreur des autorités politiques françaises est d’avoir une fois de plus refusé de regarder la réalité en face. Or, cette réalité est que la Côte d’Ivoire n’existant plus, la partition est devenue une évidence. Cramponnées au mythe européocentré de la victoire « démocratique » d’Alassane Ouattara, elles se sont au contraire engouffrées dans une impasse d’autant plus profonde que, pour la moitié des Ivoiriens, cette victoire n’est rien d’autre que la conquête du Sud par le Nord. Conquête qui ne réglera d’ailleurs aucun des problèmes de fond puisqu’ils sont ethniques et territoriaux et en aucun cas « démocratiques ». Il est désolant de devoir une fois de plus constater que l’impératif « démocratique » qui mène nos dirigeants comme des chiens de Pavlov, l’a emporté sur l’analyse. En Côte d’Ivoire comme en Libye, l’aveuglement idéologique conduit à la cécité politique ; donc à l’échec programmé.

Bernard Lugan
07/04/2011

12 commentaires:

  1. CQFD. Excellent, comme toujours.

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  2. Je passe régulièrement sur ce blog et je ne suis jamais déçu. Merci pour ce communiqué et pour les précédents qui me permettent de mieux comprendre la réalité des choses.
    Je ne pensais pas pouvoir m'intéresser un jour à l'Afrique avant de lire vos écrits.

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  3. Merci pour toutes ces infos! Ca fait du bien de lire un point de vue différent sur ce qui se passe actuellement en Côte d'Ivoire ou en Lybie. Je ne peux que vous souhaiter de continuer comme ça! Merci encore :)

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  4. Merci M. Lugan, comme d’habitude, analyse forte du "piège ivoirien". A l'analyse politique toujours pertinente s'ajoute une analyse de la stratégie militaire qui permet de mieux comprendre cette guerre "éclair" du côté nord qui vient buter sur le palais présidentiel. Quelle suite ? La France insistera t’elle pour aider les nordistes à prendre d’assaut le Palais Présidentiel et éliminer définitivement Gbagbo ? Laissera t’elle s’installer une guerre civile à Abidjan entre une armée républicaine faite de bric et de broc que vous décrivez bien, contre les dernières forces armées de Gbagbo renforcées par les miliciens des jeunes patriotes galvanisés par leur chef Blé Goudé ? Comprendra t’elle qu’un nouveau Marcoussis mais aux propositions plus radicales sur l’organisation politique du pays devient inévitable et qu’une discussion doit reprendre entre les deux camps ?
    En tout cas l’histoire ne sert pas de leçons à la diplomatie de notre pays. Après le piège rwandais que vous décrivez imparablement dans vos livres nous voilà à nouveau embourbé dans le piège ivoirien 15 ans plus tard. Même causes, mêmes effets nous allons sombrer et perdre définitivement toute crédibilité. Comment expliquer cette déconvenue répétée alors que des africanistes comme vous M. Lugan, certes minoritaire mais finalement très lu, apportez des analyses qui même si vos propositions ne sont pas suivies, devraient amener à plus de pertinence dans les décisions ? Rien n’y fait. Nos élites sont définitivement incapables à agir de façon réaliste ce qui pour un pays est le signe d’un déclin terrible. Quant à l’Afrique incapable de mettre en œuvre une recomposition de ses frontières que vous proposiez notamment dans votre ouvrage de 1995 que je relis actuellement et recommande (De la colonisation philanthropique à la recolonisation humanitaire) elle sombre dans une anarchie programmée élections après élections.
    François depuis Kinshasa

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  5. Merci de rompre l'unanimsme ambiant sur la question des interventions françaises actuelles. J'ai aussi voulu le faire à ma modeste échelle il y a quelques mois (http://hyperboree-apollon.blogspot.com/2010/12/que-faire-en-cote-divoire-rien.html) en tentant de montrer à quelles doctrines l'humanitarisme à la source de ces interventions se rattache. Meilleurs souhaits de continuation.

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  6. Conditionnement pavlovien certes, on peut aussi souligner l'absence de l'UA (qui consacre les tergiversations creuses des grandes organisations dont UE), spectatrice devant les mouvements de "libération" en cours dans le Maghreb qui risquent de se diffuser dans l'Ouest et pourquoi pas ailleurs.
    La solution sécession était-elle gage de sécurité? Gbagbo aurait pu tout autant s'ériger en vainqueur résistant face au camp soutenu par la France et on aurait accusé cette dernière de rompre l'unité des peuples africains.
    Les choix n'ont pas été les plus pertinents mais le contexte est délicat et les antiennes récurrentes d'une France défaillante et nostalgique ou revendicatrice d'idées colonisatrices sont à mon sens trop simplistes. Avec les mouvements de liberté du Maghreb, c'est toute l'Afrique qui pourrait bouger, Gbagbo fait partie du passé, s'il venait à gagner un titre de président du Sud et/ou de martyr comme vous l'exposez, ce serait mettre en péril ses mouvements de liberté observés.
    Cordialement
    Cyril

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  7. Bonjour,
    Contrairement, je pense que lorsque la moitié de la population d'un pays souhaite un autre mode de gouvernance et un autre chef (pro-français en l'occurence) il n'y a aucune raison que la France céde cette place privilégiée.
    Dès lors qu'il existe une telle rupture au sein d'une population, peut-on parler d'une entité ou d'un seul pays ?
    Et pourquoi la France devrait être absente dans l'une des deux ?

    Losque je lis régulièrement des arguments critiquant l'influence de la France dans une région, je remarque qu'une partie des français croient qu'ils habitent dans un pays à statut neutre, comme la Suisse ou le Luxembourg.
    N'est-ce pas la méconnaissance des français de leur propre pays qui les conduit régulièrement à critiquer les actions menées par leur pays ?

    La présence régionale de la France est porteuse de prospérité et d'ouverture pour notre commerce extérieur. Mais comment voulez-vous que les français comprennent cela lorsqu'une partie (qui critique) des français croient que parler de commerce c'est négatif et mercantile. Ce sont des idéologies dépassées qui n'existent plus au sein du monde multipolaire d'aujourd'hui habité par la guerre économique.
    Ces pays, autant que la France ont besoin de coopération et collaboration dans des domaines variés, pourquoi encourager nos politiques à rester neutres dans un pays francophone d'Afrique ?

    Cordialement
    Clémence

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  8. Là on peut dire que Monsieur Lugan s'est planté. L'armée francaise n'a fait qu'une bouchée de Gbagbo.

    On attend un communiqué tenant compte de la nouvelle situation.

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  9. Rien à foutre de tout ces gens là !! Qu'ils se démmerdent tout seuls, merde !!

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  10. Il semblerait que, pour une fois, Bernard Lugan n'est pas vu juste ! Gbagbo vient d'être arrêter aujourd'hui ...

    Et maintenant ? Quel avenir pour le Sud ? la charia va inévitablement s'imposer dans tout le pays, c'était donc cela l'objectif de la France ?

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  11. Dans un entretien de janvier 2011 le Dr. Lugan disait justement en substance qu'une intervention de la France représentait la seule possibilité crédible de déloger Gbagbo. Donc je pense qu'il avait vu juste.

    http://www.youtube.com/watch?v=umc7i2cozx4

    Reste que maintenant la question de l'avenir d'un régime vu comme une marionette occidentale reste posée.

    Un Breton de passage...

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  12. Je reproche au Dr Lugan une vision trop ethnocentriste des actualités africaines. Je crois que c'est un raccourcis un peu facile. la réalité est bien plus complexe ou peut être plus simple.L'Afrique, ce n'est pas un tube à essai expérimental où chaque élément se comporte selon une chimie pré-établie. Il y a des acteurs politiques, sociaux,il y a des media, il y a la mondialisation, il y a des universitaires...l'ethnie n'est qu'une donnée parmi tant d'autres et il n'est même pas sûr que son coefficient soit tellement supérieur à celui des aux autres données surtout dans la génération d'après les indépendances qui constitue aujourd'hui 70% de la population. N'y aurait-il pas necessité pour l'historien de mettre à jour sa base de données? Merci.

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