Pages

jeudi 12 février 2009

Le « projet Pécresse » ou l’insignifiance face aux corporatismes

Pour une fois au coude à coude, les contestataires rôdés du Snesup et les prudents caciques du Syndicat autonome ont donc défilé contre le « projet Pécresse ». Cette insolite coalition de tous les corporatismes et de toutes les frilosités a facilement eu raison d’un projet insignifiant qui ne pouvait en aucune manière ralentir le naufrage annoncé de l’Université française.

Le principal défaut du « projet Pécresse » était qu’il ne proposait rien tout en évitant prudemment de revenir sur un demi siècle de médiocratie et de secondarisation de l’Université. En effet :

- A partir du moment où 80% d’une classe d’âge obtient le baccalauréat et comme il est interdit d’établir une sélection à l’entrée des universités, ces dernières ont perdu leur vocation élitiste pour devenir des dispensatrices de savoir à des masses quasiment illettrées. Nos établissements ont donc vu partir à la fois leurs meilleurs étudiants au profit des grandes écoles et leurs plus motivés au profit des filières professionnelles courtes, d’où l’effondrement des effectifs en Sciences Humaines.

- En quelques années le public étudiant a changé et pour mettre l’enseignement supérieur à son niveau, il a fallu le secondariser, c'est-à-dire le « pédagogiser ». Les universités n’ayant pas les moyens humains d’encadrer ces masses de bacheliers, des agrégés du secondaire y furent envoyés en renfort pour tenter d’y faire ce qu’ils n’avaient pas réussi quand ils étaient professeurs dans les lycées. Les universités sont ainsi devenues un simple prolongement du secondaire.

- Ce phénomène de secondarisation fut encore amplifié par la suppression du doctorat d’Etat qui était le critère d’excellence du recrutement des professeurs, pour être remplacé par un « petit » doctorat qui n’offre pas la garantie scientifique de l’ancienne thèse. Dès lors, les recrutements reposèrent sur le préalable de l’agrégation du secondaire laquelle attestait un socle minimum de méthodologie et de connaissances. Or, ce concours permet certes de recruter d’excellents professeurs des lycées, mais pas des professeurs d’université. Peu à peu, les jeunes collègues importèrent donc dans les établissements supérieurs les pratiques pédagogiques et administratives des lycées dans lesquels ils avaient jusque-là exercé et l’Université acheva de perdre son âme.

Le « projet Pécresse » ne revient sur aucun de ces points pourtant fondamentaux. Négocié avec les syndicats, c’est un bien timide texte qui ne manifeste aucune volonté de rupture. Or, vouloir sauver l’université française implique la répudiation de la massification au profit d’une re-élitisation qui s’ancrerait sur les deux mesures suivantes :

1) Un concours d’entrée à l’université, chaque établissement fixant ses propres règles et étant libre du montant de ses droits d’inscription, le système des bourses ou les prêts pour études permettant à tous ceux qui en ont les capacités d’accéder à ces établissements d’élite. Le bouche à oreille fonctionnant vite, les étudiants rechercheraient les universités délivrant des diplômes valorisants. La hiérarchie par la compétence s’imposerait alors à l’actuelle dictature du nombre.

2) Sur le modèle anglo-saxon, liberté de recrutement du corps enseignant avec prime donnée aux meilleurs afin de les fidéliser et notation des professeurs par les étudiants.

Le « projet Pécresse » ne prévoyant aucune véritable mise en place de telles mesures, son inutilité était donc démontrée dès sa naissance.

Que l’on ne se leurre pas, le non-dit universitaire doit être décrypté car, ce qui rassemble d’abord les contestataires de tous horizons est en priorité la défense de leur statut. A cet égard, le principal reproche qu’ils font au timide plan ministériel est celui de l’évaluation de leur carrière ; or, nous sommes là en pleine hypocrisie. En effet

1) Pour avoir siégé durant plusieurs années au CNU (Conseil national des Universités), je puis attester que les carrières y faisaient régulièrement l’objet de marchandages entre les coteries syndicales et les « écuries » nationales ou régionales. En définitive, les mandarins négociaient entre eux l’attribution des postes. Le seul point positif du « projet Pécresse » était de limiter leurs pouvoirs ; mais le ministre a reculé.

2) Faut-il alors confier la gestion des carrières aux présidents d’université ? L’idée n’est pas mauvaise en soi, mais uniquement dans le cas où les universités seraient véritablement autonomes dans le sens anglo-saxon du terme. En effet, si les universités édictaient leurs propres règles, leurs propres normes, disposaient de leur budget et de leur liberté de recrutement des étudiants et des enseignants, une telle mesure serait excellente. Mais, et là encore apparaît toute l’incohérence du projet ministériel qui, s’il était mis en pratique dans le contexte actuel ne pourrait que renforcer le nombrilisme de la recherche et le clientélisme régional. Sans parler de la guerre civile qui éclaterait au sein de chaque établissement, l’équipe ayant élu le président étant naturellement récompensée par ces multiples minuscules avantages qui font tant d’envieux…

Drapés derrière leurs sacro-saintes « recherches », les corporatistes coalisés proposent la pérennisation de la médiocratie par la satisfaction des intérêts des plus nombreux aux dépens de ceux des meilleurs. Sur ce point également, le projet ministériel présente le double défaut d’avoir mis le feu aux poudres tout en ne proposant rien de fondamental.

Les universitaires dans leur très grande majorité publient articles, livres et travaux divers. Cependant, un non-dit est très prégnant au sein de la corporation et c’est celui de ces « chers collègues » qui ne publient pas et qui, de plus, ne font aucune recherche. Dans certains cas extrêmes, certains n’ont jamais été capables de rédiger une thèse tandis que d’autres, agoraphobes, n’ont jamais pu se présenter devant un amphithéâtre. Tous ont pourtant été évalués par leurs pairs du CNU et tous ont automatiquement franchi les échelons indiciaires, jusqu’à la « Classe exceptionnelle » pour certains d’entre eux. Jamais ils ne furent pénalisés par rapport à ceux qui publient.

Ce véritable scandale qui ne concerne qu’une minorité doit être dénoncé avec fermeté et c’est pourquoi une évaluation rigoureuse avec échelle de sanctions est une nécessité afin que cesse l’omerta en ce domaine. Le ministre se fourvoie donc quand il propose que les enseignants chercheurs qui ne publient pas voient leur charge horaire d’enseignement augmenter. Il oublie en effet qu’un universitaire qui ne fait pas de recherche ne remplit pas son contrat avec l’Etat et qu’il doit donc être tout simplement sanctionné et pourquoi pas muté d’office dans un établissement secondaire.

Pour avoir enseigné durant une décennie dans un système nord-américain, je ne me suis jamais considéré comme humilié quand mon doyen me demandait de remplir annuellement une fiche concernant mes publications en cours, celles à venir, la liste de mes participations à des colloques, etc.,

Voyons les choses en face, il est impossible de sauver l’Université française car :

1) Quoique l’on puisse dire, proposer ou faire, les corporatismes et les syndicats bloqueront toute véritable réforme.

2) Les autorités politiques n’auront pas le courage de rappeler les universitaires à leurs devoirs, ou tout simplement à leurs obligations, et éventuellement de les mettre au pas.

L’Institution n’étant plus réformable, que pouvons-nous faire pour au moins sauver les hommes ? La seule solution, si nous ne voulons pas que les meilleurs d’entre nous continuent à partir pour l’étranger, est de laisser naître des universités totalement autonomes, donc privées et d’abord sans le moindre financement de l’Etat, libres de leurs programmes, de leurs normes de sélection, du recrutement et de la rémunération de leurs enseignants chercheurs, libres enfin de fixer leurs droits d’inscription.

Tout le reste, à commencer par le « projet Pécresse » lui-même, n’est que stérile effet d’annonce.
 
Bernard Lugan
12/02/2009