dimanche 16 décembre 2018

Algérie : le nœud gordien de la succession du président Bouteflika est à la veille d’être tranché, mais le naufrage économique du pays ne sera pas pour autant évité

L’Algérie est face à deux crises gravissimes. L’une est politique, l’autre est économique :

- Politiquement, la question de la succession du président Bouteflika pourrait être prochainement réglée car les partisans du clan Bouteflika et ceux du général Ahmed Gaïd Salah, le chef d’état-major de l’armée, ont le poignard à la main. Qui frappera le premier ? Nous devrions le savoir bientôt à moins que les deux camps décident d’une trêve en reportant les élections présidentielles prévues au mois d’avril 2019.

- Economiquement, en raison de l’épuisement des nappes, la production algérienne de pétrole est en baisse constante. Quant à celle du gaz, elle ne pourra bientôt plus permettre d’assurer les exportations. Comme, les hydrocarbures fournissent, bon an mal an, entre 95 et 98% des exportations et environ 75% des recettes budgétaires, l’avenir de l’Algérie est donc plus que sombre…

L’addition de ces deux crises pourrait donc provoquer un tsunami dont les conséquences seraient dévastatrices pour la sous-région. Sans parler de la vague migratoire qui toucherait alors la France, une partie des Algériens y ayant des parents résidents qui pourraient juridiquement être fondés à les accueillir.

Révélations et explications.

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jeudi 13 décembre 2018

vendredi 30 novembre 2018

L'Afrique Réelle n°108 - Décembre 2018

 

Sommaire

Numéro spécial : Indéveloppable Afrique ?

- Ni croissance, ni développement
- L’Afrique n’a pas progressé depuis les indépendances
- Le mensonge de la « Françafrique »
- La pauvreté n’a pas reculé
- La « classe moyenne » n’existe pas
- La preuve par le non investissement
- Algérie : un échec emblématique
- Le mythe du développement de l’Afrique confronté à la  réalité des chiffres


Editorial de Bernard Lugan :

Depuis les indépendances de la décennie 1960, les pays dits « riches » ont donné - et non prêté - plus de 2000 milliards de dollars à l’Afrique. En plus de ces dons, ils lui ont consenti de considérables effacements de dette. Plus de 97 milliards de dollars en 2009 pour une dette totale de 324,7 milliards de dollars (ONU, 2010). Le tout, pour un résultat proche de néant puisque le développement ne s’est produit nulle part. Comment aurait-il d’ailleurs pu se faire quand la suicidaire démographie neutralise par avance tout progrès ?

La crise que traverse actuellement l’Afrique montre que le discours afro-optimiste relève de la méthode Coué[1].  C'est pourquoi il est essentiel de revenir aux chiffres.

Pour les seules années 2010 à 2016, l’« aide au développement » (les dons) à destination de l’Afrique - remises de dette exclues -, s’est élevée à un peu plus de 55 milliards de dollars. En dollars constants et en seulement sept années, les pays dits « riches » ont donc fait comme cadeau à l’Afrique 2 fois et demi les 16,5 milliards de dollars du « Plan Marshall » européen. 

Or, comme nous le montrons dans ce numéro, moins de 30% de ces sommes abyssales ont été investies dans les infrastructures, le reste s’étant « perdu » dans les sables africains...

Par idéologie, et afin de ne pas décourager les généreux donateurs des pays « riches », les experts ont nié ces réalités. Ils ont proposé en revanche la tarte à la crème démocratique qui allait - du moins l'affirmaient-ils,- enfin permettre le démarrage du continent. 
Nouvel échec car, aujourd’hui, alors que la démocratie a partout été introduite au forceps et avec une singulière arrogance néo-coloniale, le développement n’est toujours pas au rendez-vous. 
Plus grave, comme la démocratie repose sur le « one man, one vote », les sociétés communautaires africaines ont été prises au piège de l’ethno-mathématique électorale qui donne automatiquement le pouvoir aux ethnies les plus nombreuses. Résultat, en plus du non développement, l’Afrique a connu la multiplication des guerres… 

Ces échecs successifs n’ont évidemment pas servi de leçon. Tétanisés par le basculement de leurs électorats dans un « populisme », provoqué par les flots migratoires qu’ils n’osent pas bloquer par de solides mesures de simple police, voilà en effet les dirigeants européens qui tentent de nous vendre l’idée d’une nouvelle augmentation de l’aide (lire les dons) à l’Afrique. Afin d’y provoquer son développement lequel tarira l’océan migratoire !!! 

Or, cette proposition est mensongère : 
- D'abord, parce que, comme nous venons de le voir, toutes les politiques de développement ont échoué.
- Ensuite, parce qu'en raison de la crise économique, les pays dits « riches » vont devoir se montrer moins généreux. Il va donc leur falloir faire un choix entre le mirage du développement de l'Afrique ou les défaites électorales annoncées.

En définitive, rien ne pourra être fait en Afrique, tant que la notion de « Difference » si bien mise en évidence par le maréchal Lyautey, ne sera pas prise en compte. C’est en effet parce que les Africains ne sont pas des Européens pauvres à la peau noire que la greffe occidentale n'avait, n’a et n’aura aucune chance de prendre sur le porte-greffe africain. Les vrais problèmes du continent sont en effet d'abord politiques, institutionnels, historiques, sociologiques, et géographiques, avant d’être économiques.

[1] Je fais cette analyse depuis trois décennies. La première fois dans mon livre Afrique, l’histoire à l’endroit publié en 1989. Ces analyses ont été actualisées dans mon livre Osons dire la vérité à l’Afrique.

mercredi 14 novembre 2018

L’hommage aux « Poilus » dévoyé par l’idéologie dominante

Pensée par le socialiste Joseph Zimet en charge de la Mission du centenaire de la Grande Guerre, à la ville époux de Madame Rama Yade ancien secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy, la cérémonie du 11 novembre 2018 célébrée sous l’Arc de Triomphe laisse une impression de malaise.

D’abord, comment expliquer l’insolite relégation des représentants de la Serbie à l’extérieur de la principale tribune officielle alors que leur pays fut un des artisans majeurs de la victoire après avoir perdu 450.000 combattants tués et 134.000 autres blessés sur une population de 4,5 millions d’habitants ? Sans compter des pertes civiles s’élevant à 800.000 morts…

Ensuite, comment qualifier l’insulte personnelle faite au président Trump, obligé de subir la prestation-provocation de sa compatriote d’origine béninoise, la chanteuse Angélique Kidjo, l’une de ses plus farouches adversaires ? Il est en effet utile de rappeler que cette militante activiste avait manifesté contre son élection au sein de la Women’s March, et qu’elle le qualifie d’homme qui n’a « ni morale, ni valeurs humaines »... Un tel affront diplomatique restera dans les annales...

Enfin, point d’orgue de la grande entreprise de réécriture de l’histoire de France, l’amplification du rôle de l’Afrique durant la Première Guerre mondiale, à travers un message plus que subliminal : les Africains ayant permis la victoire française, leurs descendants ont des droits sur nous et voilà donc pourquoi ils sont chez eux chez nous…

Je répondrai à ce troisième point en reprenant mon communiqué en date du 13 mai 2016 dont le titre était « La France n’a pas gagné la Première guerre mondiale grâce à l’Afrique et aux Africains ». 

Laissons en effet parler les chiffres[1] :

1) Effectifs de Français de « souche » (Métropolitains et Français d’outre-mer et des colonies) dans l’armée française

- Durant le premier conflit mondial, 7,8 millions de Français furent mobilisés, soit 20% de la population française totale.

- Parmi ces 7,8 millions de Français, figuraient 73.000 Français d’Algérie, soit 20% de toute la population « pied-noir ».

- Les pertes parmi les Français métropolitains furent de 1.300 000 morts, soit 16,67% des effectifs.

- Les pertes des Français d’Algérie furent de 12.000 morts, soit 16,44% des effectifs.

 2) Effectifs africains

- L’Afrique fournit dans son ensemble 407.000 hommes, soit 5,22 % de l’effectif global de l’armée française.

- Sur ces 407.000 hommes, 218.000 étaient originaires du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie).

- Sur ces 218.000 hommes, on comptait 178.000 Algériens, soit 2,28 % de tous les effectifs de l’armée française.

- Les colonies d’Afrique noire dans leur ensemble fournirent quant à elles, 189.000 hommes, soit 2,42% de tous les effectifs de l’armée française.

- Les pertes des Maghrébins combattant dans l’armée française furent de 35.900 hommes, soit 16,47% des effectifs, dont 23.000 Algériens. Les pertes algériennes atteignirent donc 17.98% des effectifs mobilisés ou engagés.

- Les chiffres des pertes au sein des unités composées d’Africains sud-sahariens sont imprécis. L’estimation haute est de 35.000 morts, soit 18,51% des effectifs ; l’estimation basse est de 30.000 morts, soit 15.87%. 

Pour importants qu’ils soient, les chiffres des pertes contredisent l’idée-reçue de « chair à canon » africaine. D’ailleurs, en 1917, aucune mutinerie ne se produisit dans les régiments coloniaux, qu’ils fussent composés d’Européens ou d’Africains.

Des Africains ont donc courageusement et même régulièrement héroïquement participé aux combats de la « Grande Guerre ». Gloire à eux !

Cependant, compte tenu des effectifs engagés, il est faux de prétendre qu’ils ont permis à la France de remporter la victoire. Un seul exemple : l’héroïque 2° Corps colonial engagé à Verdun en 1916 était composé de 16 régiments, or, les 2/3 d’entre eux étaient formés de Français mobilisés, dont 10 régiments de Zouaves composés très majoritairement de Français d’Algérie, et du RICM (Régiment d’infanterie coloniale du Maroc), unité alors très majoritairement européenne.

Autre idée-reçue utilisée par les partisans de la culpabilisation et de son corollaire « le grand remplacement » : ce serait grâce aux ressources de l’Afrique que la France fut capable de soutenir l’effort de guerre.
Cette affirmation est également fausse car, durant tout le conflit, la France importa 6 millions de tonnes de marchandises diverses de son Empire et 170 millions du reste du monde.

Conclusion : durant la guerre de 1914-1918, l’Afrique fournit à la France 5,22% de ses soldats et 3,5% de ses importations.
Ces chiffres sont respectables et il n’est naturellement pas question de les oublier ou de les tenir pour secondaires. Prétendre qu’ils furent déterminants est en revanche un mensonge doublé d’une manipulation idéologique.

Bernard Lugan



[1] Les références de ces chiffres sont données dans mon livre Histoire de l’Afrique du Nord des origines à nos jours. Le Rocher, 2016.

jeudi 8 novembre 2018

La Première Guerre mondiale a pris fin le 25 novembre 1918


C’est en effet le 25 novembre 1918, 14 jours après la signature de l’Armistice du 11 novembre, que les derniers combattants allemands déposèrent les armes. Loin des fronts d’Europe, en Afrique, où, commandés par le général Paul-Emil von Lettow-Vorbeck, ces irréductibles invaincus avaient résisté quatre ans durant à 300 000 Britanniques, Belges, Sud-africains et Portugais.

Au mois de janvier 1914, quand il débarqua à Dar es Salam, la capitale de l'Est africain allemand, en dépit d’une considérable infériorité numérique et matérielle, le colonel von Lettow-Vorbeck, nouveau commandant militaire de la colonie, était bien décidé, en cas de guerre, à ne pas se contenter de livrer un baroud d’honneur. Son but était en effet  de soulager les forces allemandes qui seraient engagées sur les fronts européens en obligeant les Alliés à maintenir des dizaines de milliers d’hommes en Afrique de l’est.

Affiche à la gloire de Von Lettow
En Afrique orientale allemande (actuelle Tanzanie moins l’île de Zanzibar plus le Burundi et le Rwanda), la Schutztruppe était composée de 14 compagnies à effectif total de 216 officiers et sous-officiers allemands et de 2540 askaris africains, plus une force de police de 45 Allemands et de 2140 askaris. La mobilisation des réservistes porta le contingent à environ 2 500 Allemands ultérieurement renforcés par les 322 marins du Königsberg et les 102 de la Môwe. Au plus fort de ses effectifs, von Lettow-Vorbeck disposa de 60 compagnies d'infanterie et de deux compagnies montées, chacune d'entre elles à effectif de 200 askaris, soit environ 3000 Allemands et 12 000 askaris, l’appel aux volontaires africains ayant été couronné de succès.
Au début de la guerre, l’armement de la Schutztruppe était composé de quelques canons et de fusils  modèle 71 à poudre noire de calibre 8x8 mm. Seules, six compagnies étaient équipées de fusils modernes du modèle 98 de calibre 7x9 mm, en service dans l'armée allemande. Les Allemands ne possédaient que trois camions et trois automobiles rapidement hors d'état de servir, et c’est pourquoi une armée de porteurs fut recrutée, trois porteurs par combattant étant nécessaires.
Cependant, la charge utile d’un porteur étant de 25 kilos, et comme il lui fallait 1 kilo de ravitaillement par jour, le déplacement des colonnes était donc conditionné par l'obligation de ne traverser que des contrées où il était possible de trouver des vivres Les Alliés qui totalisèrent plusieurs centaines de camions ne connurent pas ce problème car un camion de trois tonnes remplaçait 600  porteurs. De plus, les camions ne craignant ni les moustiques, ni la mouche tsé-tsé, ni les maladies tropicales, ils pouvaient donc emprunter des itinéraires interdits aux caravanes.
Von Lettow-Vorbeck organisa le mouvement de sa troupe à partir de deux voies ferrées. L’une, au nord, le Nordbahn, courait le long de la frontière du Kenya, l’autre le Zentralbahn, traversait toute la colonie, reliant l'océan Indien au lac Tanganyika. Dans un premier temps, ces deux voies ferrées lui permirent de déplacer rapidement ses compagnies, de faire face aux offensives ennemies et de lancer des contre-attaques.
Le 8 août 1914 les Britanniques ouvrirent les hostilités en envoyant deux croiseurs, l’Astrée et le Pégase bombarder la ville, le port et  la station de T.S.F de Dar es-Salaam. En réaction, von Lettow-Vorbeck attaqua au nord, au Kenya, visant le cœur du dispositif britannique afin de couper la ligne ferroviaire anglaise qui reliait l’océan indien au lac Victoria. Entre le Kilimandjaro et l'océan Indien, les Allemands eurent l'avantage et, comme ils ne parvenaient pas à enrayer leur offensive, les Britanniques décidèrent de tenter un débarquement sur leurs arrières afin de les contraindre à combattre sur deux fronts à la fois.
Le 3 novembre 1914, à Tanga, dans l’extrême nord du territoire allemand, une flotte de 16 navires anglais mit ainsi à terre un corps expéditionnaire de 6500 hommes, mais la contre-attaque fut foudroyante et le 5 novembre, au bout de deux jours de combats, la victoire allemande était totale. Les régiments North-Lancashire, Royal-Northlands, le corps de grenadiers hindous et les tirailleurs du Cachemire avaient rembarqué dans le plus grand désordre, abandonnant un butin qui permit d'équiper et de nourrir la Schutztruppe durant une année et d'armer 3 compagnies de fusils modernes. Une installation téléphonique de campagne, 16 mitrailleuses et 600 000 cartouches complétaient le tableau des prises. Les vainqueurs étaient moins d'un millier.

Pendant ce temps, à l’ouest, sur la frontière du Congo, depuis le 14 août, le capitaine Wintgens, résident intérimaire au Ruanda, attaquait les positions belges situées au nord du lac Kivu ; le 24 septembre 1914, il s’était emparé de l’île Idjwi.

Voulant éloigner le danger de l'Uganda Railway, les Britanniques firent  progresser leurs troupes à la fois en direction du Kilimandjaro et le long du littoral où 20 compagnies hindoues tentèrent d'ouvrir un second front, mais, le 18 janvier 1915, à Yassini, elles se heurtèrent à neuf compagnies allemandes. Le 19, quatre compagnies hindoues se rendirent après que les Britanniques eurent laissé 700 morts sur le terrain.
La victoire de von Lettow-Vorbeck était une nouvelle fois totale, mais, la dizaine d'officiers allemands tués lors des combats représentait un septième du total de ses officiers d'active, une perte irremplaçable en raison du blocus maritime britannique. De plus, durant la bataille, les 200.000 cartouches tirées ne pouvaient être renouvelées que par les éventuelles prises. A ce rythme, il ne pourrait plus livrer que trois autres grands combats. Sachant donc que tôt ou tard, il allait lui falloir reculer afin d’économiser ses moyens en hommes et en munitions, il prépara alors une manœuvre de repli offensif en aménageant au sud du front, des axes de progression et des dépôts de vivres.

Dans la seconde moitié de l’année 1915, la disproportion des forces en faveur des Britanniques fut telle que la steppe du Serengeti devint indéfendable. Quant à établir une résistance autour du Kilimandjaro, cela n’aurait pas eu de sens car, tout autour du massif, la région était ouverte sur d’immenses plaines.
Von Lettow-Vorbeck changea alors de tactique. Les « coups de main » et les brutales et brèves contre-attaques remplacèrent les assauts frontaux, ce qui lui permit de harceler l'ennemi tout en évitant de s'épuiser contre ses énormes réserves. La guérilla d'Afrique-Orientale débuta alors pour ne s'achever qu'en novembre 1918.

Ayant face à des dizaines de milliers de Britanniques, de Sud-Africains, de Belges et bientôt de Portugais, von Lettow-Vorbeck retraita lentement vers le sud, d’une manière parfaitement organisée et contrôlée, tout en lançant de puissantes contre-attaques. Au mois de novembre 1917, il envahit le Mozambique portugais où les populations l’accueillirent avec chaleur. Durant neuf mois, il y nomadisa, y enchaînant les victoires, dont celles de Ngomano et de Namacurra qui lui permirent de réapprovisionner et de rééquiper totalement la Schutztruppe en armement moderne.

Au mois de septembre 1918, menacé par une vaste offensive anglo-portugaise, il se déroba une nouvelle fois et retourna en territoire allemand, passant au travers des lignes alliées, laissant ses adversaires médusés car, comme l’écrivit le commandant en chef britannique « Il y a  toujours trois routes ouvertes à l’ennemi et von Lettow-Vorbeck prend d’ordinaire la quatrième ».

Au Kilimandjaro, de Friedrich Wilhelm Mader
A ce stade de la guerre, ayant laissé ses blessés et ses malades dans des hôpitaux de campagne, ayant renoncé à son ravitaillement et à son artillerie, avec 200 Allemands et  2000 askaris encore en état de combattre, il continua à livrer bataille, culbutant les Britanniques, notamment lors de la bataille de Ssonga et de la reprise du poste allemand de Langenburg. Puis, il décida d’envahir la colonie britannique de Rhodésie.
Certains de ses lieutenants lui soumirent alors un plan audacieux : traverser le continent jusqu’au Sud-Ouest africain occupé par l’armée sud-africaine, y remobiliser les milliers de soldats allemands assignés à résidence depuis leur capitulation de 1916, et marcher sur l’Afrique du Sud pour y soulever les Boers qui attendaient leur revanche sur les Anglais…

Dans l’immédiat, toujours en Rhodésie, à Kasama, le 9 novembre 1918, von Lettow-Vorbeck remporta une nouvelle et ultime bataille. Puis, le 13 novembre, par l’interception d’une estafette motocycliste anglaise, il apprit qu’un armistice avait été signé en Europe. Dans les jours qui suivirent, via le télégramme britannique, Berlin lui ordonna  de se rendre, ce qu’il refusa, n’acceptant que de déposer les armes en soldat invaincu. Il négocia alors avec le commandement britannique, lui faisant comprendre qu’il était encore en mesure de combattre durant deux années.  Les Britanniques acceptèrent ses conditions, à savoir une remise des armes et non une capitulation, les honneurs militaires, le droit pour les officiers de conserver leurs armes, le non-internement et le rapatriement rapide en Allemagne. Quant aux askaris et aux porteurs, ils devaient être payés par les Britanniques et autorisés à retourner dans leurs foyers.

Finalement, le 25 novembre 1918 au matin, à Mbaala, dans la région d’Abercorn, en Rhodésie du Nord, l’actuelle Zambie, et alors que l'armistice était signé depuis 14 jours, une colonne allemande se rangea face à l'Union Jack hissé sur un mât de fortune. Derrière le Dr Schnee, gouverneur de l'Est africain allemand et le général von Lettow-Vorbeck, commandant en chef, 155 Allemands, officiers, sous-officiers, rappelés et volontaires, ainsi que 1156 askaris et 1598 porteurs se formèrent en carré face aux forces britanniques qui leur rendirent les Honneurs. Durant quatre années, conduits par un chef de guerre exceptionnel, ces survivants avaient résisté à 300.000 soldats britanniques, belges, sud-africains et portugais commandés par 130 généraux, après leur avoir tué 20.000 hommes et leur en avoir blessé 40.000.

Durant ces années, plusieurs fois atteint par les fièvres, quasiment laissé pour mort, von Lettow-Vorbeck ne s’était jamais découragé, allant jusqu’au bout de sa mission. Il reçut la croix de l’ordre « Pour le Mérite » le 18 août 1916. En 1917 après sa grande victoire de Mahiwa, il reçut la « Croix pour le Mérite  avec Feuilles de Chêne », et le 20 octobre 1918, dernier officier général promu par le Kaiser Guillaume II, il fut nommé général (GeneralMajor).

Durant toute la campagne d’Afrique, une solide fraternité d’armes unit Allemands et askaris, ces derniers vouant une véritable dévotion à un chef qu’ils admiraient et auquel ils avaient donné, avec amour et respect, le nom de « Bwana mukubwa ya akili mingi » (le grand homme qui peut tout).
Rapatriés en Europe par les Britanniques, les survivants allemands de l’épopée de l’est africain ne tardèrent pas à écrire une autre page d’histoire. Le 2 mars 1919, acclamés par une foule en liesse, par la porte de Brandebourg et la Pariser Platz, ils firent une entrée triomphale à Berlin. A leur tête le général Paul von Lettow-Vorbeck se tenait à cheval coiffé de son célèbre chapeau colonial à bord redressé orné de la cocarde impériale (voir la photo jointe). Les festivités furent écourtées en raison des menaces spartakistes car l’Allemagne avait basculé dans la guerre civile.

Von Lettow à Berlin
Paul von Lettow-Vorbeck fut ensuite intégré comme Brigadier général dans la nouvelle armée allemande de 100.000 hommes. Le 1° juillet 1919, sur ordre du gouvernement, il écrasa le soulèvement communiste de Hambourg à la tête d’un corps de volontaires, le  « Lettow-Korps » (voir l’affiche de recrutement de ce corps). Ce même mois de juillet, il fut nommé Commandant de la 10° Brigade d’Infanterie.
En 1920, il prit part au putsch Kapp-Luttwitz, et après son échec, le 15 mai 1920, il fut mis à la retraite sans solde, cependant que nombre de membres du « Lettow-Korps » partaient rejoindre les corps-francs du Baltikum.
Personnage légendaire, le général Paul-Emil von Lettow-Vorbeck devrait, aujourd’hui, être honoré en Allemagne à l’image d’un Lyautey en France. Mais le politiquement correct particulièrement virulent dans une Allemagne étouffée par ses complexes existentiels, a fait qu’à Wuppertal, Brême, Cuxhaven, Mönchenglabad, Halle, Radolfzell et même à Graz, en Autriche, des rues  portant son nom ont été débaptisées. En 2010, le conseil municipal de Sarrelouis, sa ville natale, a fait de même avec l’avenue von Lettow-Vorbeck. Quant aux quatre casernes de la Bundeswehr qui, à Brême, à Bad Segeberg, à Hambourg-Jenfeld et à Leer, portaient son nom, elles reçurent les noms de  déserteurs ou de militants de gauche (!!!).  
Affiche de recrutement

Mais, loin des petitesses de la nouvelle Allemagne, là-bas, en Afrique, entre le Kilimandjaro et la Rovuma, de Tanga à Kigoma et de Tabora à Ruhengeri,  la grande ombre du Bwana mukubwa ya akili mingi, flotte encore dans les notes lointaines et de plus en plus étouffées des fifres et des caisses plates…Heia Safari !

Cette épopée illustrée de très nombreuses photographies originales est rapportée dans mon livre Heia Safari ! Général von Lettow-Vorbeck, du Kilimandjaro aux combats de Berlin (1914-1920). Pour le commander, cliquer ici.

mardi 30 octobre 2018

L'Afrique Réelle N°107 - Novembre 2018


























SOMMAIRE

Actualité :
- Algérie : Fin de règne et table rase
- La Chine et l’Afrique

Dossier :
Génocide du Rwanda : une constante volonté d’obstruction de la vérité
- Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont interdit au TPIR d’enquêter sur l’attentat qui est à l’origine du génocide
- Quand l’ONU enterre ses propres enquêtes
- Pourquoi le vice-procureur Ranucci a-t-il ignoré les travaux du TPIR ?


Editorial de Bernard Lugan :

Réflexions sur la question du Mali

Dans un entretien donné au site Mondafrique, M. Ahmadou Ould Abdallah, qui fut ministre des Affaires étrangères de Mauritanie et représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest, évoque le Mali en confirmant trois réalités longuement étudiées par l’Afrique Réelle, à savoir le double jeu des autorités maliennes, le problème de l’inexistence de l’Etat et la question du tribalisme.

1) Le double jeu des autorités maliennes :

« (…) certains gouvernements (lire celui du Mali) diffusent une campagne insidieuse contre les forces étrangères qui leur viennent en aide. C’est l’une des aberrations les plus étonnantes que j’ai rencontrées (…) On veut une présence extérieure pour renforcer le régime en place (…) et en même temps, on mène une campagne insidieuse qui encourage et renforce les adversaires de cette présence extérieure. Il y a aussi (…) des ententes occultes entre les mouvements djihadistes et certains gouvernements ou certains groupes de pression autour de ces gouvernements» (…) La présence française qui a permis de stabiliser le Mali se trouve en très grande difficulté parce qu’elle n’est pas appuyée par l’opinion publique malienne ».

2) Un Etat sans Nation

« (…) les populations attendent les bras ouverts ce qu’elles considèrent comme une libération vis-à-vis des pouvoirs centraux qu’elles ne connaissent pas, qu’elles ne voient pas »

3) L’ethno-tribalisme

Les jeunes rejoignent les groupes jihadistes :

« (…) parce qu’ils ne sont pas de la famille ou de la tribu qu’il faut. Tout comme ces diplômés à qui on ne donne pas de travail parce qu’ils ne sont pas de l’ethnie qu’il faut (…) »

M. Ahmadou Ould Abdallah a triplement raison car :

1) Si pour l’armée française les ennemis sont les islamistes, pour Bamako, ces derniers sont au contraire des « alliés » contre les séparatistes touareg.

2) Comment donner une conscience « nationale » aux populations de cet Etat sans Nation qu’est le Mali où, légitimé par l’ethno-mathématique électorale, le régime sudiste refuse de prendre en compte les revendications nordistes ?

3) Comment prétendre faire vivre ensemble les agriculteurs noirs sédentaires du sud, les nomades berbères ou arabes du nord et les éleveurs peul du centre quand le contentieux qui les oppose est à la fois inscrit dans la nuit des temps et amplifié par la suicidaire démographie régionale ?

La question malienne, et plus généralement celle du Sahel, est donc sans issue à court et à moyen terme. Quant au « développement », il s’agit d’une illusion à destination des gogos. Le déversement de ses populations vers le nord de la méditerranée est donc programmé.
Pour l’Europe, l’urgence est alors d’établir des partenariats avec les pays d’Afrique du Nord qui constituent sa première frontière, tout en adoptant des mesures militaires d’une absolue fermeté contre les passeurs et ceux qui les aident.

dimanche 14 octobre 2018

Rwanda : raison d’Etat ou nouvelle humiliation nationale ?


L’affaire serait cocasse si elle n’était le révélateur du niveau d’abaissement de la France. Lors du sommet de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) qui vient de se tenir en Arménie, le président Macron a, de son propre chef, fait élire une nouvelle présidente en la personne de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires étrangères, une habituée des virulentes et continuelles attaques contre la France.
Voilà donc cet organisme désormais présidé par la représentante d’un pays dont le gouvernement a rasé au bulldozer le centre culturel français à Kigali, un pays qui a déclassé le français au profit de l’anglais, un pays qui, si l’on en croit la presse, ne cotisait plus à l’OIF, un pays qui n’a cessé de traiter de génocidaires ou de complices de génocide, le président Mitterrand et ses ministres, ainsi que MM. Balladur et Juppé ; un pays enfin qui a menacé de traîner en justice plusieurs dizaines d’officiers et de hauts fonctionnaires français…
La raison d’Etat a certes ses impératifs, mais certainement pas au prix d’une nouvelle humiliation nationale.
D’autant plus qu’au même moment, un vice-procureur du Parquet anti-terroriste français signait une insolite réquisition aux fins de non-lieu dans l’affaire de l’assassinat, le 6 avril 1994, de deux chefs d’Etat en exercice, celui du Rwanda et celui du Burundi, assassinat qui fut le déclencheur du génocide du Rwanda.
Or, il est essentiel de savoir que cette réquisition fut prise trois mois après que les magistrats instructeurs eurent eu communication d’un document exclusif émanant du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Il s’agit d’un rapport jusque-là gardé secret par le Procureur de ce tribunal, dans lequel ses propres enquêteurs désignent le président Kagamé comme étant le donneur d’ordre de l’assassinat de son prédécesseur Juvénal Habyrimana, meurtre qui, rappelons-le, déclencha le génocide du Rwanda.
Ce rapport confirmait trois autres enquêtes indépendantes qui concluaient toutes à la culpabilité de Paul Kagamé dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, à savoir le « Rapport Hourigan », l’enquête française du juge Bruguière et l’enquête espagnole du juge Merelles.
Puis, venant à l’appui de ce rapport, le 10 octobre 2018, le journal canadien The Globe and Mail révéla, sous le titre « New information supports claims Kagame forces were involved in assassination that sparked Rwandan genocide », qu’au terme d’une enquête rocambolesque, le professeur belge Filip Reyntjens avait réussi à se procurer, preuves photographiques à l’appui, les numéros de série des 40 missiles sol-air livrés par l’URSS à l’Ouganda, pays soutenant Paul Kagamé, ce dernier ayant précédemment été officier des services secrets ougandais. Or, les numéros des deux missiles ayant abattu l’avion du président Habyarimana sont de la même série[1]...
Ces documents seront sans nul doute communiqués à la justice française et aux parties civiles, ce qui fait que la réquisition de non-lieu va être fortement contestée sur ce point et sur bien d’autres. Il va donc être « difficile » aux magistrats instructeurs de suivre les demandes du vice-procureur Ranucci.
D’autant plus que ce dernier accumule les erreurs et les contre-vérités. Ainsi, page 92 de sa réquisition, il écrit, contre toute évidence et contre tout ce que contient le dossier, et cela le jour même où le Globe and Mail publiait une nouvelle preuve de la possession par le FPR de Paul Kagamé des missiles utilisés le jour de l’attentat : « Les investigations menées n’ont pas établi de manière formelle que l’APR (l’armée de Paul Kagamé) disposait en 1994 de missiles sol-air ».
Une justice indépendante ne pourra donc que balayer ce réquisitoire aux fins de non-lieu qui ressemble fortement à un mémoire en défense.
Plusieurs chercheurs anglo-saxons menant actuellement des recherches détaillées, l’on peut donc s’attendre à d’autres révélations. Le tribunal de l’Histoire sera finalement le juge ultime, et du commanditaire du crime, et des tentatives diverses d’étouffement de l’enquête.

Bernard Lugan
[1] Dans son numéro de novembre que les abonnés recevront le 1er novembre, l’Afrique Réelle reviendra longuement sur ces deux documents. Pour l’état des connaissances voir mon livre « Rwanda, un génocide en questions »…

lundi 1 octobre 2018

L'Afrique Réelle n°106 - Octobre 2018


























Sommaire :

Actualité :
- Nord Mali : Une guerre qui n’est pas d'abord religieuse
- Afrique du Sud : La récession

Dossier : Quelle stratégie poursuivent les Russes en Afrique ?
- L’URSS et l’Afrique (1960-1991)
- La nouvelle politique africaine de la Russie
- La méthode russe : les ventes d'armes
- Comment le quai d’Orsay a offert la Centrafrique à la Russie


Editorial de Bernard Lugan :

Le retour de la Russie en Afrique

De la Libye à la Centrafrique et du Burkina Faso au Mozambique, après plus de deux décennies d’absence, la Russie fait aujourd’hui son grand retour en Afrique. Avec méthode, mais également fracas. Evgeny Korendyasov, le directeur des études russo-africaines, a en effet déclaré à l’Académie des Sciences de Russie : « Il y aura une bataille pour l’Afrique ».

Pourquoi ce soudain intérêt russe pour le continent africain ? 
La question est au cœur des interrogations des dirigeants des pays de l’OTAN. 
Quant aux responsables français, littéralement sidérés et enfermés dans leurs présupposés idéologiques, ils ne peuvent que constater  l’ « intrusion » de Moscou dans le « pré carré » africain. 
Leur vision économique des rapports humains les rendant incapables de se mettre « dans la tête des Russes », ils font donc fausse route quand ils analysent la politique de ces derniers comme une volonté de contrôle des matières premières africaines. A la différence de la Chine, l'immense Russie en regorge.

La politique africaine de Moscou est clairement géostratégique mais, pour le comprendre, il est nécessaire de raisonner comme les Russes. Or, ces derniers se sentent agressés après avoir été repoussés par des Européens obéissant quasi servilement aux sanctions imposées par  Washington. L’immixtion de l’OTAN en Ukraine, puis la dénonciation du rattachement de la Crimée et la volonté de faire tomber l’allié syrien, le tout accompagné d’incessantes campagnes de dénigrement dans le monde occidental, sont autant d’arguments venant conforter l’impression d’un complot ourdi contre la Russie.

Prise dans le cercle hostile que l’OTAN referme chaque jour un peu plus sur elle - le président Trump a même parlé d’installer une base militaire permanente en Pologne -, la Russie a donc décidé de briser son isolement en traçant son propre cercle dans lequel elle va chercher à enfermer ceux qui l’encerclent. 

Voilà pourquoi elle s’installe en Afrique, continent disposant de plus de 50 voix à l'ONU. Mais alors que la Chine s’y implante en endettant ses partenaires-créanciers, la Russie investit le secteur militaire et sécuritaire avec ses livraisons d’armement (voir  pages 14 et 15) accompagnées d’« instructeurs ».

Cette stratégie de désencerclement englobe déjà la Turquie, l’Iran, la Chine et l’Inde. A terme, plus de six des sept milliards d’habitants de la planète pourraient  graviter autour d’elle. 
Que pèsera alors le petit milliard restant (essentiellement Etats-Unis, UE et peut-être Japon), qui aura perdu à la fois l’initiative stratégique et le pouvoir économique ?

Prisonnière de la politique étrangère américaine, l’UE qui sera la grande perdante de cette recomposition planétaire risquera alors de sortir de l’histoire.  Avant de devenir le déversoir d’une Afrique surpeuplée.

jeudi 13 septembre 2018

Nouveau livre de Bernard Lugan : Atlas historique de l’Afrique


























Editions du Rocher
424 pages
250 cartes et illustrations couleur

Présentation :
Des origines de l’Homme aux conflits d’aujourd’hui, au fil de 250 cartes accompagnées de notices explicatives, cet atlas inscrit sur la longue durée, fait le bilan des connaissances historiques autour du continent africain à travers les permanences et les ruptures qui expliquent les crises actuelles et qui permettent d’annoncer celles de demain.
Cet ouvrage, sans équivalent, est l’outil de référence indispensable à tous ceux qui veulent connaître les constantes historiques et ethniques qui fondent la géopolitique de l’Afrique, ou plus exactement des Afriques, et sans la connaissance desquelles tout ce qui est dit ou écrit sur ce continent relève de l’artificialité.



Pour le commander, deux possibilités :

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dimanche 2 septembre 2018

L'Afrique Réelle N°105 - Septembre 2018


























Sommaire

Actualité :
- Ethiopie-Erythrée : un retour à la realpolitique ?
- Djibouti victime du rapprochement Ethiopie-Erythrée ?
- Le port de Djibouti
Dossier :
- Le Mozambique, nouveau foyer jihadiste ?
- Nigeria : le conflit oublié du Middle Belt
Histoire :
La dimension islamique de la guerre d’Algérie


Editorial de Bernard Lugan

Afrique : le retour des Britanniques 

Mardi 28 août, Madame Thereza May, Premier ministre britannique, a débuté une tournée africaine qui devait la conduire en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya. Trois pays qui furent, en leur temps, les trois points d’appui de la politique coloniale anglaise au sud du Sahara.
Si l’Afrique ne compte pas pour l’économie britannique, le continent dans son ensemble représentant environ à peine 3% des exportations et des importations britanniques - dont plus de 50% avec deux pays, l’île Maurice et l’Afrique du Sud -, un tel voyage s’explique dans le contexte du Brexit. Londres cherche en effet à s’ouvrir de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés en opérant un retour à ses fondamentaux historiques. 

Le pays est d’autant plus fondé à le faire qu’il n’existe pas de contentieux majeur avec l’Afrique car, l’habilité des dirigeants britanniques fut d’avoir décolonisé avant même que la demande leur en soit faite. Puis, une fois la décolonisation opérée, de tourner définitivement la page. Voilà pourquoi nul ne fait à la Grande-Bretagne le reproche d’avoir prolongé la période coloniale à travers une « françafrique » au demeurant largement fantasmée. 
Jacques Berque avait parfaitement résumé l’originalité britannique d’une phrase : « Dans l’entreprise impériale anglaise, j’admire profondément le sens du mouvement, et plus encore que le crescendo, le génie du decrescendo, du pouvoir absolu au départ absolu. Admirable dextérité. » 
Et pourtant, en 1940, l’empire colonial africain britannique s’étendait en Afrique de l’Ouest (Gold Coast - l’actuel Ghana -, Sierra Leone, Nigeria et Gambie, plus une partie du Togo et du Cameroun) ; en Afrique de l’Est (Kenya, Uganda, Zanzibar, plus l’ancien Tanganyika allemand sur lequel elle exerçait une Tutelle) ; en Afrique australe (Nyassaland, - l’actuel Malawi -, Rhodésie du Nord - l’actuelle Zambie -, Rhodésie du Sud, l’actuel Zimbabwe, plus les protectorats du Bechuanaland - l’actuel Botswana -, du Basutoland - l’actuel Lesotho - et du Swaziland). La Grande-Bretagne exerçait également sa souveraineté sur le Soudan-anglo-égyptien.
Mais, à partir de 1942, la difficile situation des armées britanniques face aux Japonais obligea Londres à demander de plus fortes contributions à ses colonies africaines. En échange, d’importantes réformes y furent introduites, notamment au Nigeria et en Gold Coast.

La politique britannique de décolonisation fut ensuite très différente de celle suivie par la France. Londres ayant admis très tôt que le mouvement des indépendances était inéluctable, il lui importait donc de ne pas se laisser acculer à des situations conflictuelles, tout en organisant la transition au mieux de ses intérêts. De plus, et encore à la différence de la France, il y eut en Grande-Bretagne un consensus de toute la classe politique.
Les indépendances furent donc acquises sans heurts, sans ruptures majeures et au terme d’une évolution constitutionnelle contrôlée de bout en bout. Les seules exceptions furent le Kenya où, en 1952, éclata la révolte des Mau-Mau, et la Rhodésie du Sud où la minorité blanche proclama unilatéralement son indépendance en novembre 1965.

dimanche 26 août 2018

Que se passe-t-il vraiment au Rwanda et au Kivu ?

En dépit d’un total « black-out » de Kigali, des rumeurs font état de combats dans le sud-est du Rwanda. Ils opposeraient les forces loyales au président Kagamé aux FLN (Forces de libération nationale), bras armé du MRCD (Mouvement rwandais pour le changement démocratique). Cette coalition hétérogène formée le 15 juillet dernier rassemblerait les opposants au régime par-delà leurs apparentements ethniques. Elle serait formée par la réunion de minuscules partis dont le PDR de Paul Rusesabagina, le héros du film « Hôtel des Mille Collines », le CNRD de Wilson Iratageka et le RRM de Calliste Sankara. Ce mouvement serait soutenu par l’Ouganda et par le Burundi.
D’après nos informations, le général Kayumba Nyamwasa, ancien bras droit de Paul Kagamé actuellement réfugié en Afrique du Sud où il a fait l’objet de deux tentatives d’assassinat de la part des services rwandais, n’aurait pas (encore ?) rejoint le mouvement. Son but est en effet de renverser Paul Kagamé et non d’aider à la prise de pouvoir d’une coalition comportant des Hutu qui ne lui pardonnent pas son rôle supposé dans les massacres de civils lors de la conquête du nord du Rwanda par le FPR en 1994.
Selon le MRCD, la fin du régime Kagamé serait programmée pour quatre grandes raisons :
- Ses responsabilités dans l'assassinat du président Habyarimana. Le mouvement accuse même directement Paul Kagamé en des termes plus que précis : « le génocide est devenu son fonds de commerce alors que c’est lui-même qui en a donné le coup d’envoi le jour où il a abattu l’avion transportant les présidents Habyarimana du Rwanda et Ntaryamira du Burundi » (Sur la question, voir mon livre « Rwanda, un génocide en questions »).
- Les accusations à propos des massacres commis par son armée, tant au Rwanda qu’en RDC,
- Les dissidences au sein même du noyau dur de son régime,
- La volonté des pays de la sous-région de se débarrasser d’un régime qui entretient le désordre chez ses voisins.

En dépit de ces affirmations, le régime Kagamé n’est pas isolé puisqu’il bénéficie de l’appui d’Israël et qu’en dépit d’un certain refroidissement, les Etats-Unis y entretiennent toujours un contingent militaire chargé de la formation des officiers rwandais. Kigali a également tenté une ouverture en direction de la Russie ; sans parler de son insolite et récent rapprochement avec la France illustré par le soutien de Paris à la candidature rwandaise à la tête de la Francophonie. Une décision pour le moins « baroque » car le Rwanda a abandonné le français au profit de l’anglais comme langue officielle…

Si la plus grande prudence s’impose face aux nouvelles parvenant de la région, il n’en demeure pas moins vrai que :

1) Après les guerres des années 1985-2008, une profonde recomposition ethno-politique s’est produite dans la région des Grands Lacs autour de l’Ouganda de Yoweri Museveni et du Rwanda de Paul Kagamé. Cependant, par-delà les solidarités héritées des réalités ethniques (monde Hima-Tutsi), du passé récent (combats communs contre le régime Obote en Ouganda, contre le régime Habyarimana au Rwanda, puis contre le régime Mobutu au Zaïre), ainsi que de la commune appartenance à l’espace anglophone, ces deux pays ont des intérêts contradictoires. La politique du Rwanda dans la partie orientale de la RDC se heurte en effet directement à celle de l’Ouganda dont la priorité est de régler définitivement la question du pétrole du lac Albert où la France est présente à travers la compagnie Elf-Total.

2) Depuis plusieurs années, la RDC et le Rwanda se sont rapprochés, à telle enseigne que plusieurs acteurs régionaux parlent même d’un pacte secret unissant les deux K (Kabila et Kagamé) que certains vont même jusqu’à présenter comme étant cousins… Considérant qu’il n’était pas en mesure de lutter à la fois contre les empiètements de l’Ouganda dans la région du lac Albert, et contre ceux du Rwanda dans le Kivu, le président Kabila aurait fait la part du feu, laissant le nord Kivu au Rwanda à travers ses alliés congolais. En échange de quoi, Kigali lui aurait « rétrocédé » le sud Kivu avec ses propres alliés Banyamulenge. D’où l’insolite ralliement de ces derniers au MRCD…

3) En RDC où, dans le contexte des élections présidentielles, législatives et régionales du 23 décembre 2018, la situation est explosive, la question des gisements d’hydrocarbures du lac Albert avec ses réserves estimées à plusieurs milliards de barils, est au cœur de la campagne. Or, la nappe est située sous les eaux du lac, de part et d’autre de la frontière contestée entre l’Ouganda et la RDC (L’Afrique Réelle n°9, septembre 2010). L’Ouganda qui a un impérieux besoin de cette ressource et qui souhaite donc entrer en négociation avec un partenaire congolais fiable, ne supporte plus les manœuvres déstabilisatrices de Kigali visant à empêcher un règlement sérieux avec Kinshasa. Voilà pourquoi le président  Museveni attend l’élection d’un nouveau président moins « inféodé » au Rwanda.

Pour Kigali, l’ennemi principal est donc le président Ougandais. Or, « étrangement », ces dernières semaines, la presse internationale spécialisée a fait état d’une information non vérifiée selon laquelle les services français auraient informé le président Museveni que Kigali aurait décidé un attentat contre son avion. Si une telle nouvelle était fondée, cela signifierait que la politique française à l’égard du Rwanda aurait brusquement changé et cela, quelques mois à peine après le spectaculaire réchauffement des relations entre les deux pays. Comme, pour la France, le Rwanda n’existe ni économiquement, ni politiquement, iI serait alors légitime de demander si les intérêts pétroliers n’auraient pas motivé une telle éventuelle volte-face.
Pour encore compliquer la situation, la région est au contact de plusieurs zones de fortes turbulences, depuis la RCA jusqu’au Soudan du Sud et bien des acteurs étrangers y jouent leur jeu personnel, à commencer par la Russie, la Chine et Israël.

Les faits étant exposés, comment pouvons-nous les analyser ?
Sans entrer dans les détails, deux hypothèses principales sont en présence. D’une part, la réalité des actuels évènements, donc une grave crise du régime Kagamé ; d’autre part, une vaste manipulation.

Première hypothèse, les faits sont avérés. L’Ouganda qui veut régler la question du pétrole du lac Albert avec un gouvernement congolais fiable a décidé de se débarrasser de Paul Kagamé l’allié du président Kabila. Quant au Burundi hutu, son opposition au Rwanda tutsi est inscrite dans la politique régionale.

- Deuxième hypothèse, nous sommes en présence d’une manipulation. Cette dernière serait orchestrée à la fois par Kigali et par Kinshasa, c’est-à-dire par les deux K (Kagamé et Kabila), afin de permettre le report des élections congolaises et d’abord du scrutin présidentiel auquel le président Kabila ne peut se présenter. Paul Kagamé ne peut en effet accepter que soit élu un président qui fera de la récupération du Kivu un combat d’union nationale car, sans le pillage des richesses de cette région, l’économie rwandaise sombrerait et le régime avec.

Dans cette optique, les « combats » dans le sud du pays seraient donc un prétexte pour, au nom du droit de poursuite contre un mouvement postulé « héritier des génocidaires », être en mesure de porter la guerre en RDC. Or, si l’est de la RDC s’embrasait, les élections du 23 décembre 2018 seraient reportées et le président Kabila resterait donc au pouvoir...

Une situation à suivre en sachant lire à travers les lignes…

vendredi 17 août 2018

Le spasme aoûtien d’une « chercheuse » de l’IRSEM


En publiant un tweet aussi vulgaire qu’intellectuellement indigent en réaction à un dossier de l’Afrique réelle consacré à l’économie africaine, Sonia Le Gouriellec, « chercheuse » à l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire) semble avoir subi l’un de ces coups de chaleur dont le mois d’août est coutumier.

Je ne peux évidemment que me réjouir de ce que Sonia Le Gouriellec - qui ne publie à peu près rien -, lise aussi assidûment l’Afrique Réelle. Néanmoins, comme elle appartient à l’IRSEM, tout ce qu’elle écrit engage cet organisme rattaché à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du Ministère de la Défense dont les deux principales fonctions sont d’apporter un concours à l’enseignement militaire supérieur et de soutenir le rayonnement de la pensée stratégique française.
A ce double titre, l’excellence est attendue de cette « chercheuse » car, au bout du compte, c’est la vie de nos soldats et le prestige de nos Armées qui sont en jeu.

Si son tweet fait litière du prestige, pour ce qui est de l’excellence, Sonia Le Gouriellec s’était déjà distinguée au mois d’octobre 2017, en signant ès-qualités, une tribune caricaturant la réalité ethnique que nos unités engagées au Mali, notamment dans la région dite des « Trois frontières », vivent au quotidien (voir mon étude sur la région dans le numéro 104 de l’Afrique Réelle).

Or, nos Armées attendent de l’IRSEM autre chose que les hallucinations et les spasmes de « chercheurs » qui, à défaut d’avoir pu être recrutés dans les Universités, se sont insolitement enkystés au sein de la nébuleuse de la Défense.
Incapables de contre-argumentation scientifique respectueuse et mesurée, ils n’ont, pour tenter d’exister, d’autre alternative que l’invective primaire sur les réseaux sociaux.
Primaire en effet car, dans la « discussion » qui suit son « tweet », Sonia Le Gouriellec, telle une mauvaise élève de CM2, écrit « ça va de paire », commettant ainsi une double faute majeure, ce qui, au temps des « Hussards noirs de la République», lui aurait valu une… « paire de claques ».

vendredi 3 août 2018

L'Afrique Réelle N°104 - Août 2018


























Sommaire

Dossier : Sahel, pourquoi la France n’est pas en mesure d’apporter une solution
- La nouvelle géopolitique sahélienne
- Comment Les Touareg du Mali ont permis aux islamo-jihadistes de sortir du néant
- Les alliances tribales expliquent l’instabilité de la région dite des «trois frontières »
Dossier : RDC, la nouvelle guerre de l’Ituri
- L’Ituri, un espace convoité
- Un insoluble conflit ethnique
Débat : 
Rwanda : qui avait intérêt à assassiner le président Habyarimana ?


Editorial de Bernard Lugan :

En Afrique, tout est toujours à recommencer…

Alors qu’ils sont inscrits dans la longue durée, les conflits africains sont paradoxalement analysés à travers une trilogie idéologique étroitement contemporaine : « déficit de développement », absence de « bonne gouvernance » et manque de démocratie. 
Prisonniers de ces trois concepts européocentrés, journalistes et « experts » sont incapables de prendre la véritable mesure des crises africaines. Emblématiques à cet égard, les exemples de l’Ituri et du Mali sont étudiés dans ce numéro de l’Afrique Réelle.

En Ituri, le 13 juillet 2018, l’ONU a dénoncé des « violences barbares » commises, entre autres, par les miliciens Lendu. 
Quinze ans après l’opération française Artemis (juin à septembre 2003), en dépit de la présence de plusieurs milliers de casques bleus, et après les procès devant la CPI de La Haye de chefs miliciens impliqués dans les massacres des années 2000, tout a donc recommencé… 
Comment aurait-il d’ailleurs pu en être autrement quand les tueries inter-ethniques y sont d’abord la reprise de mouvements précoloniaux ? La lutte pour les richesses naturelles n’est en effet pas la cause des actuels massacres, mais un facteur aggravant se surimposant à la longue durée historique régionale.

Voilà donc pourquoi aucun intervenant extérieur ne pourra régler la question de l’Ituri puisque c'est celle des relations séculaires entre les Lendu, les Héma, les Alur et les Bira. Voilà également pourquoi le « remède » électoral y sera sans effet.

Au Mali, les jihadistes ont perdu leurs sanctuaires sous les coups de boutoir de l’armée française. 

Contraints de réduire leurs capacités d’action, pourchassés nuit et jour et incapables de lancer des opérations coordonnées d’ampleur notable, il ne leur reste plus que le terrorisme. 
Ayant échoué à constituer un califat régional, eux qui voulaient dépasser les ethnies, sont tout au contraire contraints d’enraciner leur survie sur elles. Mais, ce faisant, ils ont réveillé les chaînes de solidarités et d’inimitiés séculaires dont ils se trouvent désormais prisonniers…

A supposer que les jihadistes soient définitivement éliminés, aucune paix durable ne sera pour autant instaurée au Mali puisque le problème de fond, celui de l’incompatibilité nord-sud, n’y sera pas réglé. Tous semblent avoir oublié qu’en 2012, c’est en effet sur la permanence de l’irrédentisme touareg que s’est opportunément greffé l’islamo-jihadisme.

En Ituri comme au Mali et en bien d’autres parties de l’Afrique, les interventions étrangères sont sans issue. Parce qu'elles ne sont pas en mesure de régler la question de la cohabitation de populations que tout sépare  et qui sont condamnées à vivre ensemble dans des Etats artificiels. Elles peuvent donc éteindre des incendies, mais, comme elles sont incapables de s'attaquer à leurs causes, tout est donc toujours à recommencer...