mercredi 31 août 2016

Gabon : les deux crocodiles et le marigot

Vaste de 267 000 km2, le Gabon est peuplé par moins de deux millions d’habitants divisés en une multitude de tribus qu’il est possible de rattacher à huit principaux groupes linguistiques eux-mêmes subdivisés tout en étant régulièrement entrecroisés. Il s’agit  des Fang  32%, des Mpongwe 15%, des Mbédé 14%, des Myéné 10%, des Shira-Punu 12%, des Kota, des Tsogo, des Njabi et des Bété qui totalisent environ 90% de la population du pays.
Ce désert humain recèle des richesses pétrolières. Depuis 1967, elles profitent au clan présidentiel gravitant autour de la famille Bongo, d’origine téké (Batéké), une des plus petites ethnies du pays.

Lors des élections présidentielles du 27 août dernier, le président sortant, Ali Bongo Ondimba né en 1959 et qui avait succédé à son père en 2009, avait face à lui Jean Ping Okoka, né en 1942.
Ce dernier, ancien haut fonctionnaire de l’ONU et de l’Union africaine est de père chinois et de mère Nkomi-Myéné de la région de Lambaréné. C’est un vieux cheval de retour pur produit du clan Bongo puisqu’il fut ministre d’Omar Bongo durant 18 ans, de 1990 à 2008, tout en étant le compagnon de sa fille Pascaline Bongo avec laquelle il eut 2 enfants. Or, paradoxalement, toute sa campagne qui fut d’une grande violence de ton et d’une rare vulgarité, fut orientée sur deux thèmes :

- La dénonciation du clan qu’il a si longtemps servi et grâce auquel il a bâti sa fortune.
- L’accusation portée contre  Ali Bongo Ondimba  de n’être pas le fils de son père, ni même d’être d‘origine gabonaise. Qu’un fils de Chinois accuse le président sortant d’être étranger prêterait à rire si les thèmes de la campagne étaient oubliés au lendemain du scrutin ; or, il est à craindre que tel ne soit pas le cas…

Les principaux soutiens de Jean Ping étaient des caciques du clan Bongo qui, sentant le vent tourner, avaient décidé de trahir celui auquel ils devaient tout. Ainsi l’ancien Premier ministre fang, Casimir Oyé Mba. Comme à cet apport ethnique déterminant, s’est ajouté celui des Myéné, le candidat du « renouveau » et de la « rupture » était donc assuré d’obtenir au minimum  40% des suffrages.

Les résultats du scrutin étant contestés, force est donc de constater que l’impératif démocratique vient donc de déstabiliser un nouveau pays d’Afrique.

Bernard Lugan
31/08/2016

vendredi 5 août 2016

Elections en Afrique du Sud : derrière la médiocrité des commentaires, la réalité du terrain

En France, les commentaires des élections sud-africaines sont à la fois affligeants de médiocrité et en total décalage avec la réalité. Avec leur habituel psittacisme, les médias français parlent ainsi d’un échec de l’ANC alors que nous observons au contraire une stabilité du corps électoral[1]. Cinq remarques :

1) Comparons ce qui est comparable en nous tenant aux seules élections municipales. Lors du scrutin de 2011, l’ANC  avait obtenu 61,95% des suffrages. Le 3 août 2016, 54,30% des électeurs lui ont donné leurs voix. Le recul est donc de 6 à 7 points. Il est cependant loin des annonces d’effondrement pronostiquées par les « experts ». Non seulement le parti est encore largement dominant, mais dans les provinces rurales, il réalise des scores très élevés, ainsi, dans le Mpumalanga (68,34% des voix), dans le Limpopo (68,73%) et dans l’Eastern Cap (65,37%).

2) Les points perdus par l’ANC au plan national se retrouvent dans un parti qui n’existait pas en 2011. Il s’agit de l’EFF (Economic Freedom Fighters) de Julius Malema qui a obtenu 7,96% des voix. Cette dissidence gauchiste de l’ANC a pour programme la confiscation sans indemnisation des terres appartenant aux Blancs, la nationalisation des mines et des banques. Le recul relatif de l’ANC n’est donc pas la preuve d’un virage « à droite » de l’Afrique du Sud.

3) En dépit d’une consolidation dans sa base ethno-électorale du Western Cape où elle a obtenu 63.55% des voix, et d’une victoire spectaculaire à Port Elizabeth[2], vieux bastion ANC, la DA (Democratic Alliance), ne réalise pas la percée annoncée. Elle passe en effet de 23,94% des voix en 2011 à 26,57%, soit un gain d’un peu plus de deux points. En mettant à sa tête un Noir originaire de Soweto, ce parti blanc, métis et indien espérait mordre sur l’électorat urbain noir déçu par les promesses non tenues par l’ANC. Or, sa progression s’est faite à la marge. La DA reste donc le parti des minorités raciales.

4) Une fois de plus, le principal enseignement de ce vote est l’extrême racialisation de la société sud-africaine. L’étude circonscription par circonscription, montre en effet que les Noirs ont voté pour des partis noirs, alors que les Blancs, les Métis du Cap et les Asiatiques ont donné leurs suffrages à la DA. Ainsi :

- Les Noirs totalisent environ 80% de la population sud-africaine, or, si nous additionnons les voix de l’ANC (54,30%), de l’EFF (7,96%), de l’Inkhata (4,55%) et celles obtenues par une multitude de petits partis noirs locaux (6,78%), nous obtenons  quasiment 74% des voix.

- Les Blancs (9%), les Métis du Cap (10%) et les Asiatiques (2%) totalisent environ 20% des électeurs. Avec 26,57% des votes, la DA n’a donc attiré à elle qu’une fraction minoritaire de l’électorat noir urbain. Ces citadins noirs qui ont voté DA appartiennent à deux catégories, la première est celle d’une  frange de « bourgeois » ayant fait un vote d’adhésion ; la seconde, la plus importante est celle de Noirs rejetant la gestion ANC comme à Port-Elizabeth où le vote DA est l’expression du rejet d’une administration ANC particulièrement corrompue et inefficace.

5) Le plus important est que, en dépit d’un recul in fine relatif, la position de Jacob Zuma est fragilisée, ce qui va déboucher sur une féroce guerre de clans à l’intérieur de l’ANC. Avec en ligne de mire le congrès de 2017 qui verra la désignation du prochain candidat de l’ANC aux élections générales de 2019.

Bernard Lugan
05/08/2016

[1] Une étude détaillée et cartographiée de ces élections sera faite dans le numéro du mois de septembre de l’Afrique Réelle.
[2] La DA n’y étant cependant pas majoritaire, elle devra former une coalition.

mardi 2 août 2016

L'Afrique Réelle N°80 - Août 2016


























SOMMAIRE

Actualité :
Afrique du Sud : la «nation arc-en- ciel » entre naufrage économique, fractures raciales et implosion politique

Dossier : Quand le monde peul s’éveillera, le Sahel s’embrasera
- Qui sont Les Peul ?
- Mali : après l’Azawad, le Macina ?
- Peul, Bambara et Dogon : des conflits séculaires

Idées :
Charles Maurras et la colonisation


Editorial de Bernard Lugan

Deux politiques s’opposent en Libye[1] :

1) Celle de l’Union européenne, de la communauté internationale, du Qatar et de la Turquie repose sur l’illusion d’une réconciliation nationale à travers la fiction d’une Libye unifiée autour du Gouvernement libyen d’Unité nationale (le GLUN).
Installé à Tripoli, ce dernier est dominé par les Frères musulmans de Misrata et par les islamistes de diverses obédiences, dont les salafistes (voir mon communiqué daté du 25 juillet 2016).

2) De leur côté, en Cyrénaïque, l’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite aident le général Haftar à combattre les islamistes. Or, tout renforcement du général, donc de l’identité cyrénénne, va à l’encontre de la politique visant, à travers le GLUN, à remettre la Libye unie aux Frères musulmans et aux islamistes de Misrata et de Tripoli.

Quant à la France, elle a soutenu la création du GLUN mais, en même temps, elle aide militairement le général Haftar. Le GLUN l’accuse donc de « violer » son territoire national quand l’UE et l’ONU lui reprochent d’affaiblir ce même GLUN.

Paris qui a, pour une fois, fait un bon choix, doit donc garder le cap et demeurer ferme face aux pressions internationales car, tout ce qui affaiblirait le général Haftar favoriserait les salafistes et les Frères musulmans.

*

Au Mali, la septicémie islamiste gagne le centre et le sud du pays. Ici, et je l’ai maintes fois expliqué, la religion est d'abord la surinfection d’anciennes plaies ethniques remontant à la période pré-coloniale[2].
Les beaux esprits persistent à dire que nous sommes uniquement face à un conflit politique… Certes, mais en l’occurrence le politique est ici à base ethnique... Or, ce qu’ils refusent obstinément de voir, c’est que la multiplicité et l’enchevêtrement des ethnies interdit toute solution démocratique. Le vote étant ethnique, les plus nombreux l’emporteront en effet toujours électoralement sur les moins nombreux.  C'est ce que j'ai baptisé du nom d'ethno-mathématique électorale.

A moins que, comme les Britanniques l’avaient primitivement pensé pour le Nigeria, il soit possible de définir un fédéralisme ethnique construit sur plusieurs grandes zones d’influence autour des ethnies régionalement dominantes. Dans un Mali qui conserverait ses frontières, mais qui deviendrait un véritable Etat ethno-fédéral, la région de Kidal serait ainsi confiée aux Touareg, celle de l’ouest de l’Azawad jusqu’à Tombouctou aux Arabes (Kunta), celle de Gao et de la Boucle aux Songhay et alliés, celle de Bamako aux Bambara et alliés, celle de Mopti aux Peul et celle de Bandiagara aux Dogon. La mosaïque ethnique ne serait  certes que partiellement calquée sur ces ensembles, mais existe-t-il une autre solution ?

[1] Pour tout ce qui concerne la question libyenne, voir mon livre Histoire de la Libye des origines à nos jours.
[2] Nous le montrons dans ce numéro de l’Afrique Réelle dont le dossier central a pour titre « Quand le monde peul s’éveillera, le Sahel s’embrasera ».