jeudi 15 octobre 2015

Allons-nous intervenir en Libye au profit d’Al Qaïda et des Frères musulmans ?

En Libye, près de 300 kilomètres de littoral sont aux mains d’un Etat islamique que rien ne semble pouvoir arrêter. A partir de cette fenêtre sur la Méditerranée, des terroristes mêlés aux clandestins rebaptisés « migrants » s’infiltrent en Europe. Contrairement aux annonces de la presse internationale, les efforts désespérés de M. Bernardino Leon, Emissaire des Nations unies pour la Libye, et qui, depuis plus d’un an, cherche à obtenir un accord inter-Libyen, n’ont pas débouché sur une solution politico-militaire viable.

Face à cette situation plus que périlleuse pour notre sécurité, une opération militaire serait donc envisagée. Or, celle à laquelle pensent nos diplomates aurait pour résultat de donner le pouvoir à des islamistes aussi dangereux que ceux de l’Etat islamique… Comme en Syrie où, si le président Poutine n’avait pas sifflé la fin de la récréation, le Quai d’Orsay voulait faire remplacer le président Assad par de « gentils démocrates » salafistes. En Libye, ce serait au profit des Frères musulmans et d’Al-Qaïda (ou de ses diverticules) que nos forces pourraient être engagées. Comme elles le furent hier à l’avantage des musulmans de Bosnie et du Kosovo…

L’idée française serait en effet  de miser sur la cité-Etat de Misrata, fief des Frères musulmans et base avancée turque en Libye. Ses milices [1] sont certes parmi les plus opérationnelles du pays, mais elles sont détestées par la plupart des tribus de Tripolitaine et de Cyrénaïque. Intervenir en appui de Misrata permettrait peut-être de freiner les forces de l’Etat islamique, mais en nous aliénant les vraies forces vives du pays.
Ce plan envisagerait également un renforcement de la coopération avec les islamistes de Tripoli qui reçoivent actuellement des renforts jihadistes acheminés par voie aérienne depuis la Turquie. Comme si, pressé en Syrie par la Russie, le président Erdogan voulait ouvrir un second front en Libye.

Or, et il importe de ne pas perdre de vue deux éléments essentiels : 

1) Comme notre ami-client égyptien est en guerre contre les Frères musulmans d’Egypte, l’arrivée au pouvoir de cette organisation en Libye ferait courir un danger mortel au régime du général Sissi.

2) Aucune intervention franco-européenne ne peut se faire sans, au moins, la neutralité de l’Algérie. Or, qui commande à Alger ? Les clans qui guettent la mort du président Bouteflika pour s’emparer du pouvoir ont en effet des positions contradictoires à ce sujet. Certains sont farouchement opposés à toute intervention étrangère, d’autres l’accepteraient sous certaines conditions, cependant  que ceux qui espèrent obtenir le soutien des islamistes feront tout pour torpiller une opération franco-européenne.

La réalité est donc cruelle. Ce n’est pourtant pas en la niant que nous avancerons. Face au chaos libyen il n’existe en effet pas de solution miracle qui permettrait de refermer les plaies ouvertes par MM. Sarkozy et BHL.
La solution consisterait peut-être à « renverser la table » et à changer de paradigme en oubliant les « solutions électorales » et les constructions européo-centrées fondées sur les actuels acteurs libyens. Comme rien ne pourra se faire sans les tribus, c’est donc en partie sur ces dernières que toute opération viable devrait être fondée. Autrement, dans le théâtre d’ombres libyen, nos figurants politiques ne feront que traiter avec des figurants locaux.

Le problème de fond est que les alliances tribales sur lesquelles reposait l’ordre socio-politique libyen ont été éclatées par l’intervention franco-otanienne de 2011. Dans le vide alors créé se sont engouffrés des acteurs secondaires devenus artificiellement les maîtres du jeu. Qu’il s’agisse de Misrata, des islamistes de Tripoli et de Derna, puis ensuite de ceux de l’Etat islamique.
Toute pacification de la Libye passe donc par :

1) Le rééquilibrage entre les vrais acteurs tribaux et ces acteurs secondaires devenus incontournables et qu’une intervention franco-européenne aboutirait à installer seuls au pouvoir.

2) La levée du mandat d’arrêt international lancé contre Saïf al-islam Kadhafi qui est le seul actuellement en situation de pouvoir reconstituer les alliances tribales libyennes (voir mon communiqué en date du 24 septembre 2015).

Très modestement, il faut bien voir que ce sont là des mesures de long terme. Or, dans l’immédiat, il est urgent de bloquer la progression de l’Etat islamique tout en coupant le flot migratoire partant essentiellement des zones tenues par ceux que nos diplomates considèrent déjà comme nos « alliés », à savoir les  islamistes de Tripoli et les Frères musulmans de Misrata…
Alors, oui à une intervention, mais à la condition de ne pas la lancer à la légère.

Bernard Lugan
15/10/2015

[1] Ce sont elles qui lynchèrent le colonel Kadhafi.

6 commentaires:

  1. Le gouvernement et les diplomates français préfèrent être les alliés des islamistes de Tripoli et les Frères musulmans de Misrata, c'est un fait indiscutable.
    En même temps les responsables politiques français ont toujours lutter à l'encontre des intérêts du peuple Berbère, un peuple pourtant laïc.
    En effet, que ce soit en Azawad ou dans d'autres régions de l'Afrique du Nord, la France privilégie toujours les islamo-baathistes et les terroristes "light" comme à Misrata aux dépends du peuple Amazigh.

    Cette France inconsciente et sardonique qui veut tant détruire le peuple et la culture Berbère à tout prix ne comprendra donc jamais qu'en aidant les islamo-baathistes elle ne fait par là même que creuser sa propre tombe.

    RépondreSupprimer
  2. Je suis assez sidéré en lisant votre post : nos diplomates néoconservateurs et dociles serviteurs de pays qui nous sont objectivement hostiles (la Turquie en premier, qui est la cause première de la crise des migrants dans les Balkans) envisageraient sérieusement de s'appuyer, pour reprendre la région de Syrte, sur les milices de Misrata et Tripoli et non sur le "gouvernement" officiellement reconnu de Tobrouk ... (soutenu par deux vrais alliés de la France, les Émirats et l’Égypte de Sissi - alliés en ce que nos intérêts convergent largement) ???

    Et je souscris entièrement à votre propos sur Saif Al Islam : il faut trouver une solution pour le remettre en selle car c'est notre seule carte politique pour stabiliser Syrte et rallier la tribu des Kadhafa qui actuellement alimente l'EI (tout comme nombre d'ex-officiers Baasistes de Saddam Hussein en Irak-Syrie). Fort heureusement il est détenu par des tribus berbères que l'on a soutenu en 2011 et avec qui l'on pourrait négocier ... Avancer, détruire, conquérir est une chose faisable quand on a une armée moderne ; tenir et stabiliser est impossible sans un leader politique local fort.

    RépondreSupprimer
  3. "[...] il est détenu par des tribus berbères que l'on a soutenu en 2011[...]"
    Faux !
    D'ailleurs, à ce propos l'ancien président de la République française, Nicholas Sarkozy, lors de son discours devant les médias en présence du premier ministre britannique ainsi que d'un certains BHL, a bien insisté et signé sur le caractère arabe de la Libye et du peuple libyen arabe.
    Les tribus Berbères en Libye n'ont jamais et ne seront jamais soutenues par la France.
    Il ne faut pas oublier que la France à l'image de Napoléon III est et restera toujours pro-arabe.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne veux pas polémiquer mais il y a eu des vols de Transall lors d'Harmattan pour des parachutages d'armes aux rebelles berbères de Zenten (voir par exemple http://www.lefigaro.fr/international/2011/06/28/01003-20110628ARTFIG00704-la-france-a-parachute-des-armes-aux-rebelles-libyens.php) ... ensuite, la politique est ce qu'elle est, surtout avec des néoconservateurs comme Hollande et Sarkozy, capables de détruire un jour ce qu'ils ont soutenu la veille.

      Supprimer
    2. Pour reprendre cet article du Figaro : "[...]Jusque-là, les armes acheminées aux rebelles provenaient du Qatar et d'autres émirats du Golfe.[...]".
      Tiens donc les pays du golfe sont aussi pro-Berbère on dirait !


      Supprimer
  4. Est-ce bien pertinent de comparer les Frères musulmans et Al-Qaida aux Musulmans de Bosnie et du Kosovo des années 1990, qui ont secoué la mainmise serbe ? N'étaient-ils pas, à l'époque, plus modérés et de toute façon européens, par opposition à l'Afrique et au Moyen-Orient ?

    RépondreSupprimer