vendredi 31 décembre 2010

Côte d’Ivoire : une seule solution : la partition

En ce 1er janvier, mes vœux vont à la Côte d’Ivoire où les élections ont provoqué une situation de quasi guerre civile qui menace d’embraser une partie de l’Afrique de l’Ouest et où, par son refus de prise en compte de la réalité ethnique, la « communauté internationale » s’est délibérément placée dans une impasse. Voilà en effet un président « démocratiquement » élu, M. Alassane Ouattara, qu’elle a adoubé, mais qui est incapable de s’installer au pouvoir par ses propres moyens. Face à lui, M. Laurent Gbagbo, électoralement battu mais auto proclamé président, a réussi le coup de génie d’apparaître comme un résistant au diktat international. Chaque jour qui passe, sa stature de chef ne pliant pas devant les injonctions étrangères se renforce cependant que M. Ouattara apparaît de plus en plus comme une sorte de fondé de pouvoir du nouvel ordre mondial, comme un agent comptable du FMI coupé des forces vives du continent. La « communauté internationale » est désormais prise à son propre piège pour avoir obstinément refusé de voir que LA Côte d’Ivoire n’existe pas. Trois zones ethniques sont en revanche bien vivantes : celle du Nord avec les Malinké, les Dioula, les Senoufo, les Lobi et les Kulango ; celle du centre avec les Baoulé et celle du Sud, où l’alliance entre les Kru de l’Ouest et les peuples dits « Lagunaires » de l’Est assure une solide base à M. Gbagbo. Aucune solution d’avenir ne pourra s’abstraire de cette réalité. 
Ceci étant, quelles options peuvent désormais être envisagées pour faire respecter le verdict des urnes et l’ordre mondial démocratique ?

1) Celle du verbe à l’image de l’ultimatum de huit jours que le président français a fixé à Laurent Gbagbo pour quitter le pouvoir.
2) Celle de sanctions économiques aussi inutiles qu’inapplicables.
3) Celle d’un embargo qui ne sera pas suivi d’effet et qui ne pénalisera que la population.
4) Celle de la menace de futures poursuites devant la CPI ; mais qui va venir arrêter Laurent Gbagbo ?
5) Celle d’une intervention militaire pour installer M.Ouattara au pouvoir.

Les quatre premières options ont pour corollaire le maintien de M. Gbagbo à la Présidence, du moins dans l’immédiat, donc la reconnaissance de la réussite de son coup de force. L’option militaire pose quant à elle deux grands problèmes :

1) Qui pourrait intervenir ? Une expédition militaire de l’ONU est difficilement envisageable car il faudrait pour cela, d’abord un consensus politique, puis ensuite trouver des Etats volontaires pour fournir des contingents dont la disparité ne serait pas un gage d’efficacité. Il faudra en effet éviter d’y incorporer des contingents « blancs » pour ne pas prêter le flanc au développement d’une campagne anti néo-colonialiste. La Cedao (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest) semblerait, dit-on, prête à une action militaire. Peut-être, mais son seul contingent « opérationnel » étant celui du Nigeria, deux autres questions se posent immédiatement :
2) Serait-il de taille à combattre l’armée ivoirienne chez elle? Rien n’est moins certain.
3) Comment réagirait le grand rival du Nigeria qu’est l’Angola ? N’y aurait-il pas un risque de régionalisation puis d’internationalisation du conflit ?
4) Même et à supposer que M. Ouattara soit installé au pouvoir à la suite d’une expédition militaire internationale, il sera dans tous les cas incapable de s’imposer dans le sud du pays où il apparaîtra toujours comme étant l’homme de l’étranger.

Au moment où ces lignes sont écrites, à savoir le 31 décembre 2010, cinq points sont établis :
 
1) Couverts de sang et gavés de leurs rapines, les partisans de M. Gbagbo ne rendront pas le pouvoir pacifiquement.
2) Chaque jour qui passe renforce Laurent Gbagbo car, contrairement à ce que ne cessent d’affirmer les butors de la sous culture mediatico-africaniste, il est loin d’être isolé. En Afrique, si, pour le moment, seul l’Angola s’est rangé dans son camp, plusieurs autres pays sont prêts à le faire. De plus, il dispose de soutiens partout dans le monde là où la résistance au « diktat impérialiste » est vue avec sympathie.
3) M. Gbagbo tient le Sud utile avec ses ports, ses puits de pétrole, son café et son cacao et il peut très bien se passer du Nord déshérité comme il le fait d’ailleurs depuis 2002.
4) M. Ouattara est certes assuré du soutien du FMI, de la Banque mondiale et des présidents Obama et Sarkozy, mais il vit retranché dans l’hôtel du golf sous la fragile protection de l’ONU. Coupé du monde, ravitaillé par hélicoptère, il n’y est en quelque sorte qu’un « roi de Bourges » qui aura du mal à trouver sa Jeanne d’Arc chez les casques bleu népalais ou sri lankais…
5) M. Gbagbo sait qu’il doit éviter de s’en prendre à la communauté française car, à la faveur d’une intervention de secours et d’évacuation, les troupes envoyées par Paris seraient, elles, en mesure de neutraliser militairement ses forces.

Ceci étant, une sortie de crise est possible, mais à la condition de prendre enfin en compte la seule réalité qui tienne, à savoir la nécessaire adéquation entre une terre et un peuple. C’est pourquoi la solution réaliste serait une forme de partition car M. Gbagbo ne cherche pas à prendre le contrôle du Nord, tandis que M.Ouattara n’est pas en mesure de s’imposer au Sud. Au Soudan, après un demi siècle de guerre, la partition est apparue comme la seule issue raisonnable. Combien de décennies de souffrances faudra t-il encore à la malheureuse Côte d’Ivoire pour que la « communauté internationale » fasse le même constat ?  

Bernard Lugan
01/01/2011

mardi 14 décembre 2010

L'Afrique Réelle N°12 - Décembre 2010


SOMMAIRE :

Dossier : Côte d'Ivoire

- Retour sur les élections présidentielles
- Un pays, trois peuples
- Une artificielle création coloniale
- Un pays détruit par l'ethno-démocratie
- Les atermoiements français
- La guerre franco-ivoirienne de novembre 2004
- La fausse question religieuse

EDITORIAL :

En Côte d’Ivoire, le premier tour des élections présidentielles avait fait apparaître un pays coupé en trois, la coalition Kru Lagunaires de M. Gbagbo totalisant 37% des voix, le parti Baoulé 25% et l’ensemble nordiste 33%. Au second tour, M. Ouattara l’a emporté après qu’eut été reconstituée autour de sa candidature l’alliance entre Baoulé et Nordistes qui avait jadis permis au président Houphouët-Boigny de gouverner. Dans un réflexe de survie, M. Gbagbo a alors fait un coup d’Etat et mis le pays en situation de quasi guerre civile. La « communauté internationale » est la grande responsable de ce gâchis pourtant prévisible. Après la partition du pays intervenue à la suite des évènements de 2002, elle a en effet voulu, au nom de la démocratie et de la « bonne gouvernance », contraindre au dialogue, à la réconciliation, à la réunification et au partage du pouvoir des populations qui n’avaient jamais eu de passé commun. Postulant que la paix allait sortir des urnes, elle a englouti des sommes considérables dans un processus électoral bancal. Le résultat de cette cécité ethnologique et politique est catastrophique. Les positions des deux camps sont en effet inconciliables car elles sont ancrées sur des mentalités inscrites dans la longue durée. Pour les Kru du sud forestier, ensemble ethnique auquel appartient M. Gbagbo, les Nordistes forment un monde rattaché à l’univers du Sahel. Selon eux, ce vaste ensemble malinkédioula-mossi, rêve de reprendre vers le Sud une expansion bloquée durant la parenthèse coloniale. La coupure Nord-Sud entre le monde sahélien, ouvert et structuré en chefferies ou en royaumes d’une part, et le monde forestier littoral peuplé d’ethnies à la géopolitique cloisonnée d’autre part, est bien la grande réalité géopolitique régionale[1].
La priorité est désormais de tenter de circonscrire l’incendie afin d’éviter son extension à toute l’Afrique de l’Ouest, tant les imbrications ethniques y sont importantes. Le problème est que la question ivoirienne étant d’abord ethnique, sa résolution ne passe certainement pas par une artificielle recomposition démocratique à l’ « européenne », mais bien par une redéfinition de l’Etat. Comme il n’existe plus de fédérateur et que tous les dirigeants politiques sont discrédités, tout replâtrage faussement consensuel avec un gouvernement dit d’ « unité nationale », ne serait qu’une solution artificielle, fragile, provisoire et porteuse d’embrasements futurs. Dans ces conditions, et dans l’état actuel de la situation, la seule issue réaliste n’est-elle pas la reconnaissance de la partition entre des Nord pro-Ouattara et des Sud pro-Gbagbo ? Plus tard, peut-être, une nouvelle union pourrait naître, mais sur des bases solides, c'est-à-dire dans le cadre d’une confédération à définition clairement ethnique. Dans l’immédiat, maître du pays Kru et du cordon littoral peuplé par ses alliés Akié, Abouré et autres Lagunaires, Laurent Gbagbo contrôle la Côte d’Ivoire « utile ». Grâce aux revenus du pétrole, du café, du cacao, des ports, appuyé sur l’armée et la gendarmerie, il va tenter de contraindre les acteurs économiques internationaux à composer avec lui. Jouant la carte nationaliste il va s’opposer avec virulence au « diktat » de l’ONU et accusera tout particulièrement la France, bouc émissaire idéal. Mais dans ce très périlleux jeu du « quitte ou double », il n’est pas certain qu’il ait toujours avec lui sa chance légendaire… Quant à Alassane Ouattara, chef de l’Etat légitime mais désarmé, il n’est encore que le « roi de Bourges » d’un Nord déshérité et il risque d’apparaître bientôt aux yeux des Ivoiriens comme l’homme de l’étranger. Le temps jouant contre lui, il est donc condamné à brusquer les évènements. En a-t-il seulement les moyens ?

Bernard Lugan

[1] Accrochés d’une manière pathétique à leurs vieilles croyances « new age » et post-marxiste, Jean-Loup Amselle, Jean-Pierre Chrétien et Elikia M’Bokolo du CNRS soutiennent que les ethnies sont des créations coloniales. Plus encore selon Jean-Loup Amselle, la notion même de Sahel est le produit de la colonisation. Dans la même veine il serait possible de soutenir que le phénomène des grandes marées en Bretagne est une conséquence de l’occupation allemande de 1940…

jeudi 2 décembre 2010

Réflexions après la victoire d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, c’est une large victoire qui vient d’être remportée par la coalition entre Baoulé et Nordistes, Alassane Ouattara l’ayant emporté avec près de 55% des voix. Abidjan, pourtant réputé fief de Laurent Gbagbo, a même quasi également réparti ses suffrages entre les deux candidats, illustrant la nette coupure ethnique de la ville. Les électeurs baoulé qui, avec les 25% de voix obtenues au premier tour par Henri Konan Bédié, détenaient la clé de ce scrutin, se sont donc largement reportés sur le Nordiste Alassane Ouattara pour en finir avec la parenthèse Gbagbo.
Cette victoire au second tour a donc été permise par la reconstitution de l’alliance ethnique qui avait permis au président Houphouët-Boigny de gouverner le pays durant plusieurs décennies. C’est avec une grande maladresse qu’elle avait été rompue par son successeur, Henri Konan Bédié, lequel avait pensé écarter son rival d’alors, Alassane Ouattara, en contestant sa nationalité, oubliant par là que la Côte d’Ivoire est composée de trois grands ensembles ethniques et que l’alchimie ethno-démocratique du pays repose sur la règle de deux contre un. Ce fut en effet uniquement parce que le leader baoulé Henri Konan Bédié et le leader nordiste Alassane Ouattara avaient négligé cette loi non écrite que Laurent Gbabo, le représentant des ethnies kru et lagunaires l’avait jadis emporté. Ce président légal mais illégitime élu pour cinq ans s’est maintenu au pouvoir  durant une décennie par la magouille, la démagogie et la terreur. Couverts de sang et gavés de leurs rapines, ses partisans ne sont pas disposés à accepter le verdict des urnes et à devoir rendre des comptes. Ils viennent donc de déclencher un coup d’Etat en demandant au conseil constitutionnel, une de leurs courroies de transmission, d’invalider les résultats du scrutin. Plus que jamais, la Côte d’Ivoire est donc au bord de l’explosion.

Bernard Lugan
02/12/2010

lundi 15 novembre 2010

Elections présidentielles en Guinée

Les résultats définitifs officiels du second tour des élections présidentielles guinéennes n’étaient pas encore connus que des affrontements éclataient dans le pays, évènements hélas prévisibles, le premier tour, sondage ethnique grandeur nature, ayant exacerbé les tensions. Une fois encore en Afrique, la démocratie reposant sur le « one man, one vote », a donc débouché sur l’ethno mathématique. En Guinée, elle a amplifié les problèmes car la géographie physique y est juxtaposée à l’ethnopolitique[1]. Le pays est en effet composé de quatre grandes régions naturelles peuplées par chacune des quatre grandes ethnies :

1) La Guinée maritime est le territoire des Soso (+- 15 % de la population de la Guinée).
2) La Moyenne Guinée, région des hautes terres du Fouta Djalon qui couvre environ 1/3 de la superficie du pays, est le homeland des Peul (entre 35 et 40% de la population), ethnie persécutée à l’époque de Sekou Touré et constamment écartée du pouvoir depuis l’indépendance.
3) La Haute Guinée, région de savanes recouvrant presque la moitié du pays, est la patrie des Malinké (un peu plus de 30% de la population).
4) La Guinée forestière, région montagneuse couverte par la sylve est habitée par de nombreuses tribus rassemblées sous le nom d’ « ethnies forestières »[2] (entre 5 et 9% de la population), dont les principales sont les Kpélé-Guerzé, les Loma et les Kissi.

Le 27 juin 2010, lors du premier tour, une vingtaine de candidats briguèrent certes les suffrages des électeurs guinéens, mais d’abord ceux de leur propre ethnie. Le principal candidat peul, Cellou Dalein Diallo, obtint ainsi 39,72% des voix, arrivant largement en tête ; les deux principaux  candidats malinké rallièrent un peu moins de 30% des suffrages (Alpha Condé 20,67% et Lansana Kouyaté 7,75%) ; Sidya Touré, un Diakanké allié aux Soso obtint 15,60% des voix et Papa Koly Kouroumah, d’ethnie kpélé-guerzé, 4,83%. Le second tour qui s’est déroulé dimanche 7 novembre, soit cinq mois après le premier tour, opposa Cellou Dalein Diallo, le candidat des Peul, à Alpha Condé, celui des Malinké. Si, comme il le prétend, Alpha Condé l’a emporté, c’est qu’il aura obtenu le soutien des Soso, plus celui des « Forestiers ». Les Peul considéreront alors que la victoire leur a été volée, mais comme l’armée est très majoritairement composée de Malinké, ils seront mis à la raison. Du moins à Conakry, car leur région, la Moyenne Guinée va se trouver en état de partition ethnique.

Bernard Lugan
15/11/2010

[1] Pour l’historique de la question ethnique guinéenne ainsi que pour tout ce qui concerne l’histoire politique de la Guinée depuis 1958, il sera utile de se reporter au numéro 1 (janvier 2010) de l’Afrique Réelle.
[2] Les Malinké composent 35% de la population de la région.

dimanche 14 novembre 2010

L'Afrique Réelle N°11 - Novembre 2010



























SOMMAIRE :

Dossier : Les élections ivoiriennes
- Les peuples de Côte d'Ivoire
- La crise ivoirienne
- Les élections du 31 octobre 2010

Histoire :
- Origines de l'homme, adieu Afrique ? 

EDITORIAL : 

Le 31 octobre 2010, cinq années après la fin officielle du mandat du président Laurent Gbagbo, et après six reports successifs, les élections présidentielles ivoiriennes qui devaient mettre un terme à la situation de « ni guerre ni paix » prévalant dans le pays depuis la tentative de coup d’Etat de 2002, se sont enfin tenues. Organisées à grands frais par la communauté internationale, loin de permettre une sortie de crise, elles ont au contraire compliqué une situation politique aussi complexe qu’explosive. Ce scrutin qui n’a rien résolu démontre une fois de plus que la démocratie africaine est d’abord une ethno mathématique. Sondage ethnique grandeur nature, ces élections ont ainsi confirmé que la Côte d’Ivoire est bien composée de trois ensembles ethniques coagulés lors de ces élections autour de trois leaders : Henri Konan Bédié qui avec  25% des voix n’a pas été capable de rassembler au-delà de ses seuls soutiens Baoulé ; Alassane Ouattara qui en obtenant 32,5% des voix a montré qu’il demeurait le chef incontesté des ethnies nordistes et Laurent Gbagbo, arrivé en tête avec un décevant 38,3% des suffrages.
Le président sortant a cependant fait la preuve qu’il était capable de rassembler au-delà de sa petite base ethnique Kru/Bété. C’est ainsi que les Akan non Baoulé ont largement voté pour lui. Son épouse, Simone est elle-même Abouré, petite tribu Akan dont territoire commence à Bassam et le chef d’état-major des Armées, le général Philippe Mangou est Ebrié ; quant aux Attié, vieux résistants au pouvoir colonial et à celui d’Houphouet-Boigny, ce sont de solides alliés. De plus, Laurent Gbagbo a montré qu’il est le seul candidat ayant un électorat éparpillé trans-ethnique.
Le second tour des élections est programmé pour le 21 novembre 2010 et il s’annonce serré. Durant la campagne, les passions vont être exacerbées, ce qui ne va pas favoriser la cicatrisation de la fracture ethnique ivoirienne. Après l’actualité immédiate, le second dossier traité dans ce numéro 11 de l’Afrique Réelle nous conduit sur le long chemin de nos origines car l’idée selon laquelle toutes les populations de la planète seraient originaires d’Afrique est aujourd’hui  de plus en plus difficile à soutenir. Davantage acte de foi que véritable démonstration scientifique, cette quasi croyance obligée repose en fait sur deux postulats. Le premier est celui de l’hominisation dont on nous affirme qu’elle se serait faite en Afrique et uniquement en Afrique. Le second est adossé à un schéma diffusionniste selon lequel, ce serait à partir du continent africain que nos ancêtres auraient migré. Ils l’auraient quitté en deux fois, d’abord vers 2 millions d’années avec Homo erectus, puis, il y a environ  90 000 ans avec l’Homme moderne (théorie dite de l’ « Eve africaine »). Or, ces deux postulats sont aujourd’hui considérablement affaiblis en raison de découvertes récentes dont nous faisons le point dans ce numéro. Mais au-delà de ces nouveautés, la question des origines de l’homme dépasse désormais la controverse scientifique car elle a été placée au cœur de l’entreprise de déstructuration mentale des Européens. Elle a en effet permis de faire entrer dans la tête des nantis coupables du vieux continent l’idée selon laquelle nous serions tous des Africains, de lointains immigrés en quelque sorte. Dans ces conditions, pourquoi vouloir limiter l’accès à notre sol à ces « cousins » venus aujourd’hui d’Afrique alors que nos ancêtres l’avaient fait avant eux il y a quelques dizaines de milliers d’années ?

Bernard Lugan

jeudi 4 novembre 2010

Côte d’Ivoire : les élections confirment la fracture ethnique

Reportées plusieurs fois depuis 2005 et finalement organisées à grands frais par la communauté internationale, les élections ivoiriennes, loin de permettre une sortie de crise, compliquent tout au contraire une situation politique aussi complexe qu’explosive. Avec ce scrutin qui n’a rien résolu, la démonstration vient une fois de plus d’être faite que la démocratie africaine est d’abord une ethno mathématique. Ce sondage ethnique grandeur nature a d’abord confirmé que la Côte d’Ivoire est bien composée de trois blocs ethniques donc politiques.
- Pour le président sortant, M. Laurent Gbagbo, un Bété, élu en 2000 à la suite d’un vaste trucage électoral, le résultat de cette consultation est particulièrement cruel. Lui qui affirmait avec assurance qu’il allait triompher dès le premier tour n’a en effet rassemblé sur son nom qu’entre 36 et 37% des suffrages et a été mis en ballottage. La seule bonne nouvelle pour lui est qu’il a rassemblé au-delà de son noyau ethnique (+-12 %). L’analyse du scrutin montre en effet que les sous groupes akan, notamment les petites ethnies dites Lagunaires (+- 10 %) auxquelles appartient son épouse Simone, ont en partie voté pour lui, ainsi que l’électorat détribalisé de la région d’Abidjan qui s’est reconnu dans son discours nationaliste et ses positions anti-françaises. Laurent Gbagbo n’a cependant qu’une faible assise nationale car il n’atteint 50% des suffrages que dans 4 régions sur 19. Il réalise des scores médiocres dans le centre du pays et ses résultats dans les régions administratives du Nord sont dérisoires puisqu’il n’y obtient qu’entre 2 et 9 % des votes.
- L’ancien président Henri Konan Bédié, d’ethnie Baoulé (+- 25%), premier successeur de Félix Houphouët-Boigny, et qui occupa le fauteuil présidentiel de 1995 à 1999 est le second perdant de ce premier tour. Lui qui fut jadis le champion de l’ «Akanité », espérait rassembler sur son nom la grande majorité des 40% d’Akan ; or, il n’a recueilli que 25% des suffrages nationaux. Comme il a fait le plein des voix au centre du pays, dans les deux régions baoulé des Lacs et de N’zi-Comoé, ce résultat signifie clairement que les Akan non Baoulé se sont détournés de lui et qu’ils ont voté pour Laurent Gbagbo. Outre les Lagunaires, il a ainsi perdu l’électorat akan de la région du Sud Comoé où il n’obtient que 20% des voix. Dans l’Ouest, en zone Kru, il réalise en revanche des scores honorables là où des planteurs baoulé ont colonisé la terre des indigènes, notamment dans le Bas-Sassandra où il totalise 41% des suffrages. Ses résultats sont en revanche insignifiants dans le Nord avec moins de 5% des voix.
- Avec 33% des voix, Alassane Ouattara qui a coagulé sur son nom les votes des ethnies nordistes et musulmanes (Malinké, Dioula, Sénoufo, Kulango ou Lobi etc.,), est le grand vainqueur de ce premier tour puisqu’il met le président sortant en ballottage. Sa domination est écrasante dans 4 régions administratives nordistes où il obtient entre 73 et 93% des suffrages. Dans le Sud, ses résultats qui sont honorables ne sont que le simple décalque des noyaux de peuplement résultant des migrations internes et de l’immigration sahélienne ; dans la région d’Abidjan, il obtient ainsi 33% des voix.

En totalisant moins de 3% des suffrages à eux tous, les 11 autres candidats n’ont fait que de la figuration, ce qui signifie que la clé du second tour est détenue par l’électorat baoulé d’Henri Konan Bédié. Comme ce dernier a conclu un accord électoral avec Alassane Ouattara, en pure logique électorale européenne, Laurent Gbagbo qui est en ballottage défavorable devrait donc mathématiquement être battu. Les jeux sont cependant loin d’être faits et cela pour deux grandes raisons :

1) La première est le poids du contentieux opposant Henri Konan Bedié et Alassane Ouattara, le premier ayant jadis écarté le second en l’accusant d’être Burkinabé et non Ivoirien.
2) Laurent Gbagbo n’est pas homme à abandonner facilement un pouvoir qu’il a eu tant de mal à conquérir et son clan qui porte la responsabilité de multiples exactions sait qu’il a tout à redouter de l’arrivée au pouvoir de ses anciennes victimes nordistes. Le président sortant dispose de l’appareil de l’Etat, il tient la région d’Abidjan - bien qu’il y soit minoritaire avec 45% des suffrages -, il contrôle les zones cacaoyères de l’Ouest et le littoral riche en hydrocarbures, il est assuré du soutien de l’armée et de la gendarmerie et il a montré qu’il sait tenir la rue grâce à ses milices. Sa position est donc forte mais pour l’emporter au second tour, il doit impérativement séduire l’importante fraction Baoulé qui voit en Alassane Ouattara l’homme qui a provoqué ou inspiré le putsch du général Guei le 24 décembre 1999 et donc le renversement d’Henri Konan Bédié. Il va donc radicaliser la situation pour en revenir, d’une manière ou d’une autre, au concept de l’ «ivoirité » se présentant comme le « candidat des patriotes » contre « le candidat de l’étranger, homme à la nationalité douteuse ». Les passions qui vont être exacerbées vont donc élargir encore davantage la fracture ivoirienne.

La cartographie de cette élection est traitée en détail dans le numéro 11 (novembre 2010) de l’Afrique réelle qui sera envoyé par PDF aux abonnés dans les jours prochains.

Bernard Lugan
04/11/2010

mardi 2 novembre 2010

L'Afrique Réelle N°10 - Octobre 2010

 
SOMMAIRE :

Actualité : Rwanda
- La mort de Joshua Ruzibiza vue par les journalistes militants
- Joshua Ruzibiza : vérité judiciaire et vérités journalistiques

Dossier : Sud-Soudan
- Les quatre Soudan
- La guerre du Sud-Soudan
- La question du pétrole
- Un avenir hypothéqué

EDITORIAL :

Le Soudan, pays mastodonte, est secoué par trois conflits internes, celui du Darfour, celui des Beja (Bedja) à l’est du Nil, dans la région montagneuse parallèle à la mer Rouge et celui du Sud Soudan où un référendum doit en principe être organisé au début de l’année 2011. La guerre du Darfour a masqué celle du Sud-Soudan où les hostilités ont éclaté dès 1956, année de l’indépendance du Soudan anglo-égyptien. En 2005, affaibli par la guerre de sécession livrée par les Sudistes, et acculé à des concessions par la communauté internationale en raison des exactions commises au Darfour, le régime islamiste de Khartoum fut contraint de composer. C’est ainsi qu’il accorda une large autonomie au Sud-Soudan et qu’il accepta le principe de la tenue d’un référendum portant sur le statut de la région. Au mois de janvier 2011, les populations du Sud-Soudan iront donc en principe aux urnes et elles auront alors le choix entre maintenir l’unité du pays ou faire sécession. La question du Sud-Soudan peut donc déboucher sur l’éclatement du plus vaste Etat de l’Afrique sud saharienne et sur la remise en cause du principe de l’intangibilité des frontières africaines. La consultation pourrait également être la motrice d’une véritable dynamique de conflits, la question du partage des ressources pétrolières et celle de l’utilisation des eaux du Nil en faisant une bombe à retardement.

Entre la sécession pure et simple et le maintien de l’unité du pays, des solutions alternatives sont « suggérées » par ceux des acteurs internationaux qui ont intérêt à maintenir la liberté d’extraction du pétrole, à commencer par la Chine, premier client du Soudan. La géopolitique régionale est en effet en partie conditionnée par le projet chinois de pipeline qui conduirait jusqu’à la région de Port Soudan et à son terminal pétrolier les productions du Tchad et pourquoi pas celles du sud de la Libye, ce qui éviterait aux tankers chinois de devoir faire le tour de l’Afrique pour aller charger à Port Kribi au Cameroun ou en Méditeranée. Or, qu’adviendrait-il de ce projet si la partition du Soudan devenait effective et si la guerre embrasait la région ? Comme les plus importantes réserves pétrolières du Soudan sont situées dans les zones qui pourraient faire sécession, la solution pourrait alors être dans une confédération avec séparation politique doublée d’une complémentarité économique. Cette idée est refusée par les pays de la « ligne de front chrétienne », au premier rang desquels l’Ouganda dont le président, Yoweri Museveni, a clairement soutenu auprès du président Obama l’idée de l’indépendance du Sud Soudan. Cette option est également celle de Jérusalem, qui ne peut que voir d’un bon œil la perspective de l’affaiblissement du géant musulman qu’est le Soudan. D’autant plus qu’une recomposition politique régionale pourrait alors se produire, un « Etat chrétien » de plus venant renforcer l’Ethiopie (62% de chrétiens), l’Ouganda (70% de chrétiens) et le Kenya (66% de chrétiens). Quant à l’Egypte qui a toujours considéré le Soudan comme sa dépendance méridionale, comment réagirait-elle en cas d’indépendance du Sud Soudan ? Pour le moment, l’Egypte et le Soudan sont alliés dans la question du partage des eaux du Nil, contre sept pays d’Afrique de l’Est qui sont l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie, la RDC, le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Ces derniers réclament la renégociation du traité de 1929, actualisé en 1959, qui accorde plus de 85% du débit du fleuve à l’Egypte et au Soudan. Le Caire dispose également d’un droit de veto sur toute nouvelle construction (barrage, station de pompage ou d’irrigation) en amont du fleuve, ce qui bloque des dizaines de projets nationaux et régionaux. Quelle serait alors l’attitude d’un Sud Soudan indépendant qui pourrait être tenté d’ouvrir ses immensités à l’agriculture industrielle alors que l’Egypte a clairement menacé de bombarder tout chantier qui pourrait être susceptible d’affecter en amont le débit du Nil ?

Bernard Lugan

lundi 27 septembre 2010

L'Afrique Réelle N°9 - Septembre 2010


























SOMMAIRE : 

Actualité : Grands lacs
- Le pétrole du lac Albert : vers un embrasement régional ?

Dossier : L'emblématique affaire Nahimana
- Retour sur le cas Jean-Pierre Chrétien à propos de Ferdinand Nahimana
- L'insolite expertise de Jean-Pierre Chrétien devant le TPIR
- Le mea culpa d'Hervé Deguine

EDITORIAL :


Les lignes de force se sont remises à bouger dans la région des Grands Lacs où la RDC et le Rwanda, les deux ennemis d’hier, sont, aujourd’hui, devenus des alliés de fait. Pourquoi ce retournement et peut-il durer ? Tout a changé au début de l’année 2009 quand un accord fut conclu entre Kigali et Kinshasa dont l’objectif officiel était l’éradication dans le Kivu des milices hutu du FDLR. Puis un écran de fumée fut mis en place avec l’arrestation par le Rwanda du « général » tutsi Laurent Nkundabatware dit Nkunda. Cette opération servit à faire croire à la réalité de l’intégration dans les rangs des FARDC (Forces armées de la République Démocratique du Congo), des milices tutsi congolaises. En réalité, les anciens miliciens continuèrent d’agir dans les zones qu’ils occupaient et sous le commandement de leurs chefs, s’étant contentés de coudre sur leurs uniformes les insignes des FARDC. D’ailleurs, si le but de l’accord avait été l’intégration des forces armées, les unités rebelles auraient été éclatées au sein des forces nationales et envoyées en garnison à travers le pays. Toute la région, spécialement celle du Nord Kivu, est donc de fait demeurée entre les mains de Kigali, mais avec l’aval de Kinshasa cette fois. Le président Kabila qui, certes est faible, mais qui est loin d’être un naïf, aurait-il donc accepté et même cautionné la quasi partition de son pays ? Evidemment non. L’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît car, en réalité, c’est un jeu subtil qu’il mène. Comme il n’est pas de taille à lutter à la fois contre les ambitions ougandaises dans la région du lac Albert et contre la politique annexionniste du Rwanda dans les Kivu, il a donc provisoirement décidé de « faire la part du feu » en s’appuyant sur Kigali pour éviter de se voir spolié par Kampala et les grandes compagnies pétrolières.
Le marché est clair : Kigali doit s’immiscer dans le jeu pétrolier du lac Albert afin de tenter de faire obstacle à la tentative de mainmise ougandaise. En échange, Kinshasa se montrera discret sur la présence des troupes rwandaises au Kivu et n’utilisera pas contre Kigali le rapport de l’ONU sur le génocide commis par ses troupes dans l’est de la RDC. Le chef de l’Etat congolais qui a plusieurs fers au feu fait le calcul suivant : dans le futur, il aura moins à craindre de Kagamé que de Museveni car, après avoir été adulé par l’opinion internationale, le président rwandais devient peu à peu un paria au fur et à mesure que les mensonges liés au génocide, à ses causes, à son éclatement, à son déroulement et à ses conséquences en RDC, apparaissent au grand jour.
Le pari de Kinshasa n’est cependant pas gagné car Kagamé n’est pas non plus un naïf et comme il a déjà été lâché par plusieurs de ses soutiens, prendra t’il le risque de se mettre à dos les compagnies pétrolières ? Comme il n’est plus en mesure de jouer sa carte internationale favorite qui est le chantage à la guerre, lui aussi doit donc miser sur plusieurs tableaux. C’est pourquoi, tout en donnant des assurances à la RDC, il fait miroiter les potentialités pétrolières de la région du lac Kivu dont il se ferait fort de garantir l’exploitation, l’intérêt des pétroliers étant naturellement de traiter avec un régime fort… Certes, mais ses opposants tutsi actuellement réfugiés en Afrique du Sud font la même promesse et ils appellent clairement à son renversement… Dans ces conditions, Kagamé qui désormais joue sa survie, n’a donc pas intérêt à se brouiller encore davantage avec Museveni. Comme ce dernier est lui aussi affaibli, tous deux ne vont-ils pas se rapprocher ? Le problème est qu'une telle politique se ferait aux dépens de Kabila qui ne manquerait alors pas d’utiliser le rapport de l’ONU qui accable Kigali... Quoiqu’il en soit, le président ougandais a-t-il, lui, intérêt à une entente avec un Kagamé sur le déclin? Ne pourrait-il pas plutôt tenter de reprendre la main en proposant un « accord » à Kinshasa sur le dos de l’actuel président rwandais ? Toutes les options sont ouvertes.
 
C’est dans ce jeu de poker menteur à la fois complexe et mouvant que la France tente actuellement de s’introduire avec une connaissance superficielle de la subtile alchimie ethno politique régionale.

Bernard Lugan

dimanche 19 septembre 2010

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Formule

jeudi 19 août 2010

L'Afrique Réelle N°8 - Août 2010

























 
SOMMAIRE :

Dossier : La réalité ethnique en Afrique
- Définitions
- Jean-Pierre Chrétien, ou les ethnies vues comme un fantasme colonial
- Les tutsi ont ils été créés par la colonisation ?
- L'insolite méthodologie de Jean-Pierre Chrétien

Actualité des ethnies :
- Guinée : la réalité ethnique à travers l'exemple des dernières élections présidentielles
- Afrique du Sud : la réalité ethnique à travers les forces politiques

EDITORIAL :

En France, le fait ethnique a longtemps été banni des études africaines car le postulat qui sous-tendit les travaux des africanistes de la seconde moitié du XX° siècle, fut que ces dernières avaient été créées par la colonisation. Poussons à son terme ce postulat aberrant énoncé par Jean-Pierre Chrétien, Jean Loup Amselle ou encore Catherine Coquery-Vidrovitch : si l’Afrique précoloniale ignorait les ethnies, le continent n’avait donc pas d’histoire et il n’était qu’un conglomérat d’individus indifférenciés ultérieurement structuré par la colonisation... Cette vision est parfaitement stupide, mais revenons néanmoins au cœur de la théorie de Jean-Pierre Chrétien et consorts. La réponse à leur thèse tient en une question : les ethnies existaient-elles au moment où se fit la colonisation ? La réponse est oui, évidemment oui car, en Afrique comme dans le reste du monde, l’Histoire s’écrit autour des peuples, des ethnies. En Afrique, l’actualité le montre quotidiennement, et, hélas, de manière régulièrement dramatique de la Côte d’Ivoire au Soudan, du Tchad au Rwanda et du Kenya à la RDC, etc. Nier une telle évidence ne relève pas de la controverse scientifique, mais de la pathologie. Dans ce numéro de l’Afrique Réelle, nous montrons que cette réalité ethnique est également la clé de la situation en Afrique du Sud et en Guinée.

Tout est-il pour autant ethnique ? La question africaine se résume t-elle à une addition de problèmes ethniques ? Evidemment non, mais si l’ethnie n’explique pas tout, elle est cependant à la base de tout, même quand l’apparence des crises est économique.
Trois exemples le démontreront :
 
1) Ce n’est pas le pétrole qui est à l’origine de la guerre du Sud Soudan, mais l’opposition entre populations nordistes arabo-musulmanes et sudistes négro-africaines. Cette guerre, résurgence de conflits multi séculaires a éclaté en 1956 alors que le pétrole n’est produit que depuis une décennie à peine.
2) Le trafic du coltan n’explique pas les guerres du Kivu, même si aujourd’hui il les alimente en partie. Elles ont en effet éclaté dans les années 1990 quand les Tutsi congolais (les Banyamulenge) furent instrumentalisés par le Rwanda pour déstabiliser le régime Mobutu.
3) Les diamants n’ont pas provoqué la guerre civile de Sierra Leone puisque sa cause en est la contagion découlant de la guerre ethnique du Liberia et des évènements ethno politiques de Guinée. Ce ne fut que dans un second temps que le conflit s’est nourri du commerce des diamants.

Depuis les années 1990, le problème ethnique africain a été amplifié par la démocratie. Le placage de la démocratie fondée sur le « one man one vote » aboutit en effet à l’ethno mathématique puisqu’il débouche sur la victoire automatique des plus nombreux. Le problème n’est d’ailleurs pas tant la démocratie en elle-même que la manière dont elle a été transposée en Afrique sans qu’auparavant il ait été réfléchi au mode de représentation et d’association au pouvoir des ethnies minoritaires. C’est pourquoi il est impératif de définir des voies constitutionnelles permettant la cohabitation ethnique sur des bases consensuelles et cela, afin d’éviter que les plus nombreux soient automatiquement détenteurs d’un pouvoir issu de l’addition des suffrages. La solution pourrait être un système dans lequel la représentation irait d’abord aux groupes et non plus aux individus. Mais il s’agirait là d’une véritable révolution culturelle car, en définitive, ce sont les fondements philosophiques des sociétés démocratiques « occidentales » fondées sur l’individualisme qui seraient alors remis en cause. Avec l’universalisme destructeur qui les supportent.

Bernard Lugan

mardi 27 juillet 2010

L'Afrique Réelle N°7 - Juillet 2010


























SOMMAIRE :

Actualité : Football
- La grande désillusion des équipes africaines

Dossier : Afrique du Sud
- Comment les afrikaners ont été trahis par Frederik De Klerk

Dossier : Rwanda
- Le génocide aurait-il été programmé après le 6 avril 1994 ?

Histoire :
- L'arabisation du Maroc berbère
- Vers la reconstitution d'Al-Andalus ?

EDITORIAL :

Ce ne fut pas n’importe où en Afrique qu’eut lieu la coupe du monde de football, mais en Afrique du Sud, ce qui n’est pas la même chose. Peut-on en effet imaginer un seul instant qu’un tel évènement ait pu se dérouler au Nigeria, en RDC, au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Kenya, en Guinée, au Liberia, au Zimbabwe, en Somalie, ou n’importe où ailleurs au sud du Sahara ?
Disons-le clairement, si cette compétition fut tenue en Afrique du Sud, c’est parce que les Blancs qui ont hier créé ce pays gèrent ou dirigent aujourd’hui ce qui y marche encore.
Certes, des ouvriers noirs travaillèrent sur les chantiers routiers, tracèrent les voies de chemin de fer, construisirent les aéroports et édifièrent les stades, mais les concepteurs de tous ces projets, les ingénieurs qui les transformèrent en réalité et les contremaîtres qui en assurèrent le suivi quotidien étaient Blancs.
Certes, la sécurité de l’évènement fut physiquement assurée par des dizaines de milliers policiers noirs, mais la lourde organisation fut pensée, prise en charge et supervisée par des Blancs, cependant que les sociétés de sécurité privées blanches épaulaient la police officielle.
Si les touristes ont pu bénéficier d’infrastructures médicales performantes et d’une hôtellerie de classe internationale, c’est encore aux Blancs qu’ils le doivent. Enfin, ceux qui ont nourri visiteurs et nationaux furent ces 45 000 fermiers quotidiennement mis en accusation et dont plus de 3000 ont été assassinés depuis 1994. Quant au coût exorbitant de l’évènement, il sera assumé in fine par les contribuables sud africains, donc par les seuls Blancs, eux qui acquittent 95% de l’impôt !!!

Les lampions de la fête étant éteints, le temps des bilans est donc venu. Pour le secteur du tourisme les résultats sont négatifs car les visiteurs européens ont boudé l’évènement. Or, les budgets primitifs avaient été établis sur des prévisions de 450 000 touristes originaires des pays de l’hémisphère nord, chiffre abaissé à 375 000 avec au final moins de 250 000 visiteurs. Plusieurs centaines de milliers de réservations de chambres d’hôtel furent donc résiliées par Match, société partenaire de la FIFA qui avait le quasi monopole des réservations[1].
Le réveil risque donc d’être douloureux après un mois d’anesthésie sportive car la réalité va reprendre le pas sur le rêve.
Dans un rapport publié fin juillet et intitulé Ninth South African Employment Report, Mike Schussler, économiste de renom écrit ainsi que l’Afrique du Sud compte à peine 5,3 millions de contribuables pour 49 millions d’habitants, soit environ 11% de la population, soit encore, le total des Blancs plus quelques dizaines de milliers d’Indiens et quelques milliers de Noirs. En revanche, le nombre de personnes vivant des aides sociales et donc totalement prises en charge par l’Etat s’élève à 13 millions, soit 26% de la population, plus du double du nombre des imposés. Les personnes en âge de travailler et ayant un emploi (« Employment Rate »), sont 41%, ce qui revient à dire que 59% sont sans travail. De plus, depuis 2006, les emplois dans le secteur industriel ont baissé de 11% alors que dans le secteur étatique ils ont augmenté de 13%. La tendance est donc claire : insupportable ponction fiscale sur les Blancs qui sont les « vaches à lait » de la « Nouvelle Afrique du Sud » ; perte d’emplois dans le secteur industriel productif et augmentation dans le secteur public improductif. Des chiffres qui en disent plus que tous les longs discours concernant le soi-disant « miracle » sud-africain.

Bernard Lugan

[1] Référence : Mme Thandiwe January-Mclean, présidente du Comité du tourisme sud-africain.

dimanche 20 juin 2010

L'Afrique Réelle N°6 - Juin 2010


























SOMMAIRE :

Actualité : Afrique du Sud
- Criminalité, violence et coupe du monde de football

Actualité : Guinée Bissau
- Du non-Etat au Narco-Etat

Dossier : Rwanda
- La revue XXI et les curieuses méthodes de ses journalistes procureurs
- Etude de tir contre l'avion présidentiel rwandais le 6 avril 1994

Histoire : 
- France-Algérie : remettre les pendules à l'heure
- Sétif ou le coeur du contentieux historique franco-algérien

EDITORIAL :

La Coupe du monde de football a débuté en Afrique du Sud dans un contexte plus que morose car dès l’extinction des lampions de la fête il faudra faire les comptes. Le coût de cet évènement est en effet exorbitant : entre 4 et 6 milliards d’euros dépensés dans un pays qui compte 40% de chômeurs et dans lequel un habitant sur trois ne mange pas à sa faim. Certes, 150 000 emplois temporaires auront été créés pour les besoins de l’évènement, mais dans le même temps plusieurs centaines de milliers d'autres furent détruits... Affolés par les chiffres du crime, près de 300 000 meurtres depuis 1994 (!!!) les visiteurs étrangers sont moins nombreux que prévu, ce qui a déjà de graves conséquences pour l’industrie du tourisme. En plus des nuitées perdues, entre 1,8 et 2 millions de places destinées aux étrangers doivent être bradées à des nationaux à moins de 15 euros au lieu des 400 à 450 prévus. Le manque à gagner est donc considérable et le retour sur investissement plus que problématique. L’Afrique du Sud va donc rejoindre la cohorte des pays endettés pour avoir voulu organiser un évènement sportif planétaire, l'exemple de la Grèce qui accueillit les jeux olympiques en 2004 étant le plus éloquent.

Dans mon éditorial du numéro du mois de mai dernier, j’expliquai qu’une des raisons de la désaffection des Français pour la presse écrite d’information tient au fait que le monde médiatique qui se veut donneur de leçons s’est trop souvent enfermé dans les certitudes et les approximations imposées à la fois par le politiquement correct et par la sous culture de nombre de ses membres. La revue XXI qui vient de publier un dossier spécial sur le Rwanda illustre parfaitement ces travers. Dans ce numéro qui semble être écrit par des porte parole du régime de Kigali, les articles sont uniquement à charge et certains entretiens sont « bidonnés » avec des personnes jamais rencontrées auxquelles sont prêtés des propos inventés ; quant à l’absence de véritables investigations elle y est quasi constante. Il y a en définitive mépris du lecteur auquel sont proposées des opinions personnelles maquillées en travaux de journalistes d’investigation. Pour Alexis Senyorich qui décortique les manquements des collaborateurs de la revue XXI, la question est même de savoir si les auteurs des articles en question ont perdu leurs points de repère déontologiques ou bien s’ils sont en mission.
Au cœur de la controverse concernant les causes du génocide du Rwanda, la question de savoir qui a abattu l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994 est essentielle et c’est pourquoi nous avons demandé à un spécialiste d’étudier la trajectoire du missile qui a détruit en vol l’avion présidentiel rwandais. Ses conclusions sont particulièrement éclairantes.

Dans ce numéro de l’Afrique Réelle nous étudions également la Guinée Bissau, petit pays totalement artificiel découpé sur le littoral sénégambien et qui a fait l’actualité ces derniers mois. Ses maux sont parfaitement identifiés : oppositions ethno tribales, absence d’Etat et armée surdimensionnée. Les narcotrafiquants en ont profité pour en prendre quasiment le contrôle.


Lors du festival de Cannes, la désinformation concernant les évènements du mois de mai 1945 à Sétif a été totale. Les partisans de la repentance ont occupé les médias, se faisant les zélés porte-parole de la thèse algérienne, cependant que les autorités françaises gardèrent un silence prudent. Afin de ramener les uns et les autres à la réalité, nous abordons dans ce numéro la question de l’héritage légué par la France à l'Algérie.

Bernard Lugan

lundi 31 mai 2010

Arrestation de Peter Erlinder

Maître Peter Erlinder, avocat de nationalité américaine et président de l’association des avocats de la Défense au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a été arrêté à Kigali le 28 mai 2010 alors qu’il s’y trouvait pour y assurer la défense de madame Victoire Ingabire, candidate hutu aux élections présidentielles du 9 août 2010, elle-même emprisonnée pour « négation du génocide, divisionnisme ethnique et terrorisme ». Maître Erlinder qui est poursuivi pour « négation et occultation du génocide » devrait être présenté devant la justice rwandaise en début de semaine. Il risque en théorie une peine de plusieurs années de prison.
Cette arrestation qui a provoqué une vive émotion aux Etats-Unis, principal soutien de Kigali, semble insolite tant ses conséquences vont rapidement apparaître comme contre-productives pour un régime devenu nerveux en raison des dissidences apparues au sein même de son premier cercle. En consultant l’impressionnante liste de personnages-clé du FPR,-hauts gradés de l’armée, de ministres, d’ambassadeurs etc.-, qui ont quitté le pays, ou qui y ont été emprisonnés, il est désormais difficile de ne pas parler d’autodestruction du système Kagamé. Après le général Faustin Kayumba Nyamwasa, longtemps numéro deux du régime et aujourd’hui réfugié en Afrique du Sud où il a rejoint le colonel Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements extérieurs, plusieurs très importants responsables militaires tutsi ont ainsi été suspendus ou mis aux arrêts, dont le général Emmanuel Karenzi Karake, ancien commandant en second de la mission de paix ONU-UA (Minuad) déployée au Darfour et le général Charles Muhire, ancien chef d’état-major des forces aériennes.
Le régime est également engagé dans une course contre la montre avec la justice internationale, les procédures judiciaires entamées par les juges Jean-Louis Bruguière en France et Fernando Andreu Merelles en Espagne étant toujours d’actualité en dépit des pressions subies par les juges français. Paul Kagamé est ainsi suspecté par la Justice française d’être le concepteur et le donneur d’ordre de l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie au président Habyarimana, attentat qui fut l’élément déclencheur du génocide ; quant à la Justice espagnole, elle l’accuse d’être l’organisateur des crimes de génocide, des crimes de guerre et des crimes de terrorisme dont sont collectivement accusés 40 officiers rwandais inculpés par l’Audiencia Civil. Quant au TPIR, c’est uniquement parce que les Etats-Unis d’Amérique y ont mis leur veto que les actes d’accusation contre les plus hauts dignitaires du FPR n’ont pas été signés par le Procureur.
Au mois d’avril 2010, Maître Erlinder a directement porté plainte aux Etats-Unis contre le président Paul Kagamé qu’il accuse d’avoir fait abattre l’avion du président Habyarimana. Cette plainte a été reçue comme une provocation à Kigali car de plus en plus nombreux sont les Américains qui commencent à s’interroger sur la nature du régime rwandais et qui se demandent pourquoi leur administration a toujours bloqué toute enquête du TPIR concernant cet attentat.
C’est dans ce contexte chargé que le président Kagamé s’est senti « nargué » par l’influent avocat et qu’il a décidé de le faire arrêter, commettant ainsi une faute politique dont les conséquences vont être lourdes pour lui.

Bernard Lugan
30/05/2010

mardi 25 mai 2010

Afrique Réelle N°5 - Mai 2010


























SOMMAIRE :

Actualité : Rwanda
- Le régime est-il en phase de désintégration ?
- Les conseillers de l'Elysée devraient apprendre l'histoire
- Tentatives d'intimidation

Actualité : Afrique du Sud
- Portrait d'Eugene Ney Terreblanche

Dossier : L'immigration choisie, nouvelle forme de Traite des Noirs ?

EDITORIAL :

Depuis un quart de siècle l’historiographie africaine a fait des progrès considérables, bouleversant les dogmes de la pensée dominante sur laquelle est fondée la culture d’asservissement de l’Europe. Ainsi :
- En 1986, puis durant la décennie 1990, le postulat selon lequel la richesse de l’Europe fut fondée sur l’exploitation de ses colonies africaines a été pulvérisé par Jacques Marseille et par les historiens britanniques. Journalistes, artistes et invités des émissions de télévision continuent à pourtant à ânonner les poncifs éculés du « pillage colonial ».
- En 2005, Daniel Lefeuvre démontra que la France s’était ruinée en Algérie et que les « 30 glorieuses » ne devaient rien à la main d’œuvre immigrée venue d’Algérie. Le président Bouteflika exige pourtant des excuses de la part de la France.
- Dans le domaine de la traite des Noirs, Olivier Pétré-Grenouilleau et les historiens anglo-saxons réduisirent à néant le postulat selon lequel la révolution industrielle Européenne résultait directement de la traite. Ils mirent également en évidence l’étroite association de bien des royaumes africains au phénomène, démontrant qu’en réalité, une partie de l’Afrique avait vendu l’autre aux Européens. L’acte d’accusation de la seule Europe est pourtant toujours psalmodié, cependant que la Traite musulmane est régulièrement occultée.
- Pour ma part, j’ai longuement mis en évidence, et cela depuis une quarantaine d’années, l’importance du fait ethnique. Après avoir été nié jusqu’à l’absurde, ce dernier est désormais cité par les journalistes parce qu’ils ne peuvent plus l’occulter. Ils tentent cependant de l’amoindrir, cherchant à faire croire qu’il serait en partie le résultat de la colonisation, ou bien ils le vident de son sens. Ainsi au Nigeria les affrontements traditionnels entre pasteurs peuls (Fulani) et agro pasteurs birom (voir Afrique Réelle n°3) sont présentés comme un choc religieux, explication tronquée car ces heurts sont multi séculaires alors que l’islam n’est présent dans la région que depuis la fin du XVIII° siècle et le christianisme que depuis les années 1900-1920… Il en coûte aux universalistes de reconnaître que les hommes sont différents et que partout dans le monde quand le principe de vie « une terre, un peuple » n’est pas respecté, les affrontements sont inéluctables.
- En Afrique du Sud, tous les historiens admettent désormais que, sur 1/3 du pays les Blancs ont l’antériorité sur les Noirs et cela pour des raisons climatiques que je détaille dans mon dernier livre, mais, dans les médias, il est toujours affirmé que les Blancs ont dépossédé les Noirs.
- Sous nos yeux, les mythes imposés par l’actuel régime de Kigali explosent les uns après les autres, alors que, dans les médias, l’histoire officielle du génocide du Rwanda est encore ultra dominante.

Si les historiens se remettent en cause, actualisant constamment l’état des connaissances, le monde médiatique demeure donc enfermé dans les certitudes et les approximations imposées par le politiquement correct. Comme les citoyens l’ont enfin compris, ils ne font donc plus confiance aux journalistes et c'est pourquoi la presse d’information sur support papier est moribonde. Le Figaro est certes encore lu, mais essentiellement pour son carnet du jour. Libération et Le Monde ne survivent que par les aides de l’Etat et les abonnements institutionnels ; quant à la presse régionale, elle se maintient grâce aux renseignements de proximité qu’elle donne.
Désormais, la vraie information libre est faite par Internet qui permet de contourner la censure ou les pesanteurs de la pensée dominante. C’est dans cet appel d’air que s’est engouffrée l’Afrique Réelle. Pour devenir une tornade il lui faut encore augmenter son audience, donc ses abonnés.

Bernard Lugan

lundi 5 avril 2010

A propos du meurtre d’Eugène Ney Terreblanche

Eugène Ney Terreblanche est le 1148 ème fermier assassiné en Afrique du Sud depuis l’accession au pouvoir de l’ANC au mois d’avril 1994. A titre de comparaison :

- Dans les années 1950, au Kenya pendant la guerre des Mau-Mau, une douzaine de fermiers blancs furent tués.
- Pendant la guerre de Rhodésie, en 15 ans, 270 fermiers blancs furent assassinés.
- En Afrique du Sud, entre 1970 et 1994, en 24 ans, alors que l’ANC était « en guerre » contre le régime blanc, une soixantaine de fermiers blancs furent tués.

Ces 1148 meurtres commis dans un pays officiellement en paix traduisent les profondes tensions raciales caractérisant l’Afrique du Sud et que ne parvient plus à gommer l’image d’Epinal de la « Nation arc-en ciel ».
La rupture de la tectonique raciale sud-africaine a bien été illustrée par l'ancien leader du groupe parlementaire ANC, M.Tony Yengeni qui déclarait en 2001 : "Chaque chose que les Blancs possèdent, ils l'ont volée aux Noirs". Au mois de décembre 2002, la commission sud-africaine des Droits de l'Homme, organisme officiel, affirmait pour sa part que le slogan "Kill the Boer, kill the Farmer" n'était pas un discours de haine mais "un discours indésirable n'incitant pas à la violence et à la guerre ". Forte de cet assentiment, la Youth League de l’ANC a fait de « Kill the Boer » son chant de ralliement. Il semblerait que ses militants l’aient entendu.

La violence ne touche cependant pas que les Blancs. Depuis 1994, la « Nouvelle Afrique du Sud » est ainsi livrée à la loi de la jungle et plus de cinquante meurtres y sont commis quotidiennement.

Bernard Lugan
05/04/2010

dimanche 4 avril 2010

L'Afrique Réelle N°4 - Avril 2010


























Numéro spécial : Génocide de Rwanda, nouveaux éclairages

SOMMAIRE :

Actualité :
- Kagamé : le temps des dissidences

Historiographie :
- Des connaissances en mouvement
- Le jugement du colonel Bagosora ou l'acte de décès de l'histoire officielle du génocide du Rwanda
- Le jugement Zigiranyirazo ou la fin du mythe de l'Akazu

Les montages de Kigali :
- Le rapport Mucyo
- Le rapport Mutsinzi
- Le rapport des experts britanniques

Le fonctionnement du TPIR :
- Les curieuses méthodes du procureur
- Chroniques d'audience
 

EDITORIAL :

Les relations diplomatiques ont été rétablies entre Paris et Kigali alors que le général Kagame n'a pas retiré ses graves accusations diffamatoires portées contre la France : « Quant aux Français, leur rôle dans ce qui s’est passé au Rwanda est l’évidence même. Ils ont sciemment entraîné et armé les troupes gouvernementales et les milices qui allaient commettre le génocide. Et ils savaient qu’ils allaient commettre un génocide. »
Parlant des soldats français qui participèrent à l’opération Turquoise il ajouta, sans grande nuance : « Ils ont ouvert des routes pour permettre aux auteurs du génocide de fuir (…) Ils ont sauvé ceux qui tuaient, pas ceux qui étaient tués ».

En France même, certains ont adopté sans la moindre distanciation la thèse officielle de Kigali qui est que la France est complice du génocide du Rwanda. Les raisons avancées par le régime de Kigali sont au nombre de trois :
- La France aurait formé les tueurs.
- Elle savait que le génocide allait avoir lieu.
- Elle aurait laissé faire.

Ces accusations sont scandaleuses et il est pour le moins regrettable que l’Etat français, pourtant parfaitement renseigné sur le dossier, n’ait pas répondu dans des termes qu'elles méritaient. En effet :

- Primo, les tueurs furent des paysans armés de machettes et de gourdins. Dans ces conditions on voit mal en quoi la coopération militaire française qui a d’abord porté sur l’artillerie et le pilotage des hélicoptères aurait pu les former…
- Secundo, parce que le génocide n’ayant pas été programmé, comme cela a été clairement établi par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (Jugement du 18 décembre 2008 dans l’affaire Bagosora et consorts, TPIR-98-41-T), la France ne pouvait donc savoir qu’il allait avoir lieu.
- Tertio parce que les forces françaises avaient quitté le Rwanda en décembre 1993, soit six mois avant le 6 avril 1994, date du déclenchement du génocide, et à la demande expresse des actuels maîtres de Kigali. Ces derniers savent d’ailleurs bien que si l’armée française était demeurée sur place, jamais le génocide n’aurait eu lieu car, à la différence des hommes de l’ONU qui les avaient remplacés, les Français s'y seraient opposés.

En réalité, ces attaques constituent une manœuvre servant à masquer les véritables responsabilités dans le génocide. N’oublions pas en effet que c’est l’attentat du 6 avril 1994, qui coûta la vie à deux présidents en exercice, celui du Rwanda et celui du Burundi, qui en fut l’élément déclencheur. Le régime de Kigali est inquiet ; le moment approche en effet qui verra éclater la vérité qui est que c’est en utilisant l’apocalypse du génocide qu’il a pris le pouvoir et qu’il a été accepté par la « communauté internationale ». Sa légitimité étant fondée sur le mensonge, il veille donc avec un soin jaloux à ce que l’histoire « officielle » qu’il a réussi à imposer aux médias ne soit pas contestée. Le juge Bruguière l’ayant fait voler en éclats, il exerce donc un chantage sur la France afin que l’exécution des mandats d’arrêt internationaux lancés contre ceux que la justice française considère comme les auteurs ou les commanditaires de l’attentat du 6 avril 1994 soit enterrée.

Le plus insolite est que, dans cette entreprise, il bénéficie de l’aide d’alliés influents au sein de l'Etat français et notamment de la plus haute hiérarchie du ministère des Affaires étrangères…

Bernard Lugan

lundi 15 mars 2010

L'Afrique Réelle N°3 - Mars 2010

 
























SOMMAIRE :

Actualité :
- Le contentieux franco-rwandais
- Nigeria : l'explosion ethno-religieuse

Dossier : L'Afrique du Sud, 15 ans après
- Une population mosaïque
- La montée de la pauvreté
- Une criminalité et une violence incontrôlées
- L'apartheid à rebours
- Invictus : acta est fabula
- L'exode des blancs diplômés

EDITORIAL :

L’Afrique du Sud n’est pas LA « Nation arc en ciel » dans laquelle les déterminismes raciaux ont disparu par un coup de baguette magique, mais l’assemblage de plusieurs peuples réunis par le colonisateur britannique à la suite de nombreuses guerres. Ces peuples, qu’il s’agisse des Zulu, des Xhosa, des Sotho, des Venda, des Pedi, des Ndebele, des Indiens ou des Afrikaners, etc., ont des langues différentes et des références historico-culturelles irréductibles les unes aux autres.
Après 1910, les Blancs, Britanniques d’abord, Afrikaners ensuite, constituèrent le ciment de cette mosaïque raciale. Après les élections de 1948, les seconds commirent l’erreur d’accepter l’héritage colonial britannique avec ses frontières et ils devinrent de ce fait des colonisateurs intérieurs. Maîtres de tout le pays, ils découvrirent alors qu’ils risquaient la submersion démographique. Pour tenter de l’éviter, ils s’engagèrent alors dans la politique d’apartheid ou « développement séparé », avec comme corollaire la création de foyers nationaux noirs, les « bantustan ».

A la fin de la décennie 1980 les Afrikaners se trouvèrent dans une impasse politique :
- à l’intérieur, les Noirs étaient sur le point de se soulever,
- à l’extérieur les sanctions internationales transformaient l’Afrique du Sud en pays paria.

Comme le président P.W Botha incarnait l’immobilisme, sa mise à l’écart fut alors décidée par la génération montante des responsables afrikaners et le 14 août 1989, ils le remplacèrent par F.W De Klerk qui remit le pouvoir à l’ANC. A partir de 1994, l’ANC devenu parti-Etat eut la charge de maintenir la mosaïque sud-africaine. En 2008, ce mouvement a connu une scission à l’occasion de laquelle a ressurgi l’ethno régionalisme, tendance lourde niée depuis 1994 par l’idéologie officielle. Toutes les réalités du pays sont en effet fédérales, or, le pari politique du gouvernement ANC repose sur un postulat qui est la constitution d’une « nation arc-en-ciel » dans laquelle les déterminismes raciaux, ethniques et régionaux auront été effacés.
L’ANC pourra donc difficilement éviter le débat entre la vieille garde marxisto-jacobine cramponnée au dogme de l’Etat unitaire et les tenants des réalités confédérales.

Au mois de mai 2009, succédant à Thabo Mbeki, Jacob Zuma fut élu président de la République. Après 15 années de pouvoir xhosa, un leader populiste zulu arrivait aux affaires dans un contexte économique et social plus que morose.
Loin de la vision idyllique présentée par les médias, la réalité sud africaine est en effet tragique. Près de deux décennies après l’accession au pouvoir d’une « majorité noire » le pays cesse en effet peu à peu d’être une excroissance de l’Europe à l’extrémité australe du continent africain pour devenir un Etat du « tiers-monde » avec, certes, un secteur encore ultraperformant, mais de plus en plus réduit, surnageant dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violence.

Bernard Lugan